16 janvier 2011

Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans

Contre toute attente j'ai aimé ce film. Je n'ai pas vu l'original de Ferrara mais Herzog non plus. En tout cas c'est ce qui se dit... Difficile à croire, mais soit. En tout cas Herzog n'a pas voulu faire un "film sur le film", ou s'il l'a fait d'une manière détournée (après tout je l'ignore), il ne s'est pas consacré à un respectable exercice méta-discursif et, loin de se cloîtrer dans une analyse maniériste, il a réalisé un film à part entière. Un film qui n'est qu'un vague remake de celui de Ferrara dont il ne reprend apparemment que la trame narrative : un flic véreux sur le retour et en proie à une forte addiction à la cocaïne doit résoudre une enquête. Pas très alléchant à priori, au point d'ailleurs que même en appréciant l'œuvre le spectateur peut y demeurer quelque peu extérieur. Ce sentiment d'être tenu à notre place d'observateur, et ce en dépit d'une mise en scène très immersive qui nous réserve une place de choix dans la subjectivité exacerbée du protagoniste, nous le devons aussi à l'acteur en présence en mode godlike, qui nous condamne à être simultanément envoûté et tenu à distance par son jeu outstanding et qui par sa démonstration nous laisse littéralement spectateurs, ahuris, absorbés par son génie de la comédie, complètement gaga devant ce numéro d'artiste en roues libres. Car c'est un film avec Nicolas Cage. Or là aussi il y avait de quoi douter a priori. Un film avec Nicolas Cage a neuf chances sur dix d'être complètement pourri, il suffit de jeter un œil averti à la filmographie pestilentielle de notre acteur préféré pour s'en attrister. Bad Lieutenant Port of Call New Orleans avait donc toutes les chances d'être raté, d'autant qu'il raconte somme toute une histoire de flic corrompu et drogué, soit typiquement le genre de récit qui au premier abord n'a rien pour m'intéresser. Eh bien il n'en est rien. J'ai aimé ce film.



Une fois n'est pas coutume, Nicolas Cage met son talent de surdoué au service d'un cinéaste talentueux qui parvient à rendre l'histoire d'un flic ni bon ni mauvais mais camé au dernier degré parfaitement convaincante et remarquablement prenante. On pouvait craindre que le réalisateur de Fitzcaraldo se coule dans le moule pour réussir son incursion Hollywoodienne, or au contraire le cinéaste fait un pied-de-nez fabuleux à cet Hollywood qu'il infiltre avec une rare intelligence. Tous les clichés du film de flic Hollywoodien sont réunis et pourtant Werner Herzog plane à cent mille au-dessus de la masse. Durant deux heures Nicolas Cage est de tous les plans, et nous observons ce lieutenant de police déjanté régler ses affaires avec malice, tirant toutes les couvertures à lui sans crainte apparente du danger, comme rompu à cet exercice qu'il semble maîtriser de longue date et dont il distribue les cartes en triste héros cabossé, complètement désaxé par un mal de dos terrifiant et par un état d'overdose permanente. Notre bonhomme s'en tire toujours à moindre frais, il se retrouve immanquablement dans la position de celui qu'il faut éviter de faire chier, il côtoie du reste une dame que beaucoup lui envient interprétée par Eva Mendes, et même après avoir maltraité des vieilles, après avoir violé une jeune fille sous peine de la coffrer, après avoir fait chanter une star de la NFL, après avoir humilié le fils d'un ponte haut placé et après avoir incarcéré de dangereux malfrats avec qui il venait de pactiser, après autant d'horreurs contrebalancées par quelques plus rares démonstrations de sympathie, après tout ce merdier le héros sort vainqueur, blanc comme neige et haut gradé. Il semble très heureux de ce qu'il fait, et d'ailleurs incapable de faire autre chose, mais fait terriblement pitié.



C'est donc toute une mythologie de la flicaille américaine qu'Herzog foule aux pieds dans les traces de Ferrara, mais aussi et surtout tout un système cinématographique. Aucune machinerie impressionnante ne se substitue à l'acteur tout-puissant, aucune course-poursuite, aucune fusillade ni aucune sorte de violence patente ne viennent relancer l'intérêt d'un spectateur néanmoins captivé par les moindres faits et gestes de ce type dont on attend la fin inévitablement atroce sans qu'elle n'arrive jamais, le récit brisant de fait notre confortable horizon d'attente. Et c'est la puissance de la simplicité qui se rappelle à notre bon souvenir lorsque l'image change de régime ou lorsqu'un lézard apparaît au premier plan d'un cadre légèrement bousculé au fond duquel Nick Cage, complètement camé, est le seul à observer ce triste caméléon qui interrompt littéralement le film en lui faisant opposition. C'est l'évidence du réel qui surprend enfin à nouveau quand l'âme d'un macchabée danse au-dessus de son corps représentée par un danseur de smurf tournoyant sur sa propre tête, les quatre fers en l'air, face à un Nicolas Cage hilare.



C'est cette simplicité de moyens, ce foisonnement d'idées, cette vivacité de mise en scène qui font de ce film un bon film réalisé envers et contre toute une triste actualité du cinéma américain. Mais il ne faut pas oublier de dire l'autre pilier de cette œuvre : Nicolas Cage. Dieu sait que nous avons déjà dit et répété sur ces pages l'amour que nous portons à cet acteur, et dans de vibrants éloges immodérés de sa personne. Je vous renvoie notamment à Benjamin Gates et le livre des secrets. Néanmoins je ne peux m'empêcher de redire combien j'aime cet homme. Comment ne pas l'adorer ? Comment ne pas s'agenouiller devant la tronche de Nicolas Cage, écrasée sur les deux cotés, oblongue dans le prolongement du nez, l'inénarrable nez, toute ramassée dans le sens de la marche comme si un médecin bodybuildé lui avait filé deux énormes baffes à la naissance. Sa chevelure, c'est comme du shampooing sec. Les pores de sa peau sont bouchés, comme des points noirs mais blancs. Et ses mirettes ! Ses yeux de teckel Irlandais, qui gerbent sur son trop long nez dont ils sont jaloux parce qu'on ne voit que lui, l'ineffable blair. Que dire de ses yeux fâchés pour toujours depuis que l'un a dit merde à l'autre. Et cet air du type qui a fait le Vietnam et qui depuis refait chaque soir le Vietnam, chaque nuit le même cauchemar : les obus, la boue, le sang, les mecs qui se tiennent le bide, qui se retiennent les tripes, qui gueulent. MAMAN ! Mais dès le matin il a tout oublié, ou plutôt il s'est rappelé qu'il est né en pétant dans la flanelle, et la banane reprend le dessus. Nicolas Cage n'entre pas dans une pièce, il arrive en coup de vent, en glissant. Parfois il entre les pieds devant car les semelles de ses mocassins collent au plancher mais peu importe. On a l'impression de le connaître par cœur et de l'avoir toujours connu. On aurait presque envie de se repasser le film de notre vie pour vérifier s'il n'est pas là, dans le coin de chaque image, en train de nous observer... Il ne faut pas oublier ce crane clairsemé, toujours plus clairsemé... Il pourrait s'appeler Ducon on l'aimerait quand même, même s'il s'appelait Ducon. Mais il s'appelle Cage Nicolas, il est le tonton de Coppola, et c'est le plus grand acteur alive.


Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans de Werner Herzog avec Nicolas Cage et Eva Mendes (2010)

19 commentaires:

  1. Bien belle description du visage unique de Nick Cage et chouette critique de ce film à côté duquel j'étais passé.
    La deuxième photo me plaît bien aussi. Je jurerais d'en avoir prise une quasi identique le soir de Noël, lors du repas de famille, sauf qu'il ne s'agissait pas d'un simple revolver tenu par mon père à cran, mais d'un fusil de chasse de type 22 long rifle. Et ma tata n'est pas black.

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  2. Beau papelard Rémi. A la fois une critique positive intéressante et fouillée, et un gros délire de taré comme on aime. Géant !
    S.

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  3. Merci bien !

    Félix > Ah oui tu m'avais parlé de cette anecdote croustillante de ta famille. C'est pas cette fois-là que ta Tata, voyant que tu la prenais en photo et aveuglée ET par ton flash ET par le canon scié du 22 long rifle t'a gueulé : "Prends la photo ! Mitraille-moi de toute façon je veux crever !" ? J'aimerais pas habiter sous le toit des Cazes, croyez-moi.

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  4. Rémi > C'est cette fois-là oui... Mais de toute façon, Noël rime pour moi avec "gros emmerdes" et avec "famille de golmons". Noël 2011 je le passe solo sur Chatroulette.

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  5. Cher voisin, ta critique m'a donné envie de "retenter" ce film. Je m'étais endormi comme une larve devant lorsque j'avais essayé de le mater il y a de cela quelques mois.
    En plus, je suis tellement fan de Nic Cage que je suis en train de me tâter pour savoir si je vais pas aller au ciné, payer ma place, pour voir le dernier des templiers.

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  6. Oui je pense que tu peux décemment lui redonner une chance. Quitte à ne toujours pas aimer, car après tout ce film a de quoi rebuter ou en tout cas de quoi laisser sur le bas côté. J'aurais très bien pu y être parfaitement insensible je pense. Mais tout de même ça se tente. Laisse-toi tenter. Ca te tente ?

    Par contre payer pour aller voir les templiers faut pas abuuuuuser.

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  7. Très grande critique, qui m'a non seulement donné très très très envie de voir le film mais est en plus une sorte de miroir de ce que le film semble être, en combinant une analyse poussée et un délire camé (la vision de la gueule de Cage, collée à l'écran de mon Macbook pro). Bravo ! Encore !

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  8. je suis assez mitigé sur ce dernier cru d'Herzog, je préfère 100 fois le film de Ferrara.

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  9. La meuf qui joue la maman de Cagé dans le film c'est la MILF du premier American Pie (et du 2 du coup). C'est une MBAB !

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  10. Tu parles d'une Mbab, c'est un cageot de la pire espèce !

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  11. Elle m'a bien fait rire cette critique, jolie portrait de Nicolas Cage !

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  12. Je suis en tous points d'accord avec votre critique M. Rémi, j'ai fort apprécié ce film et la performance de cet acteur protéiforme qu'est Nick Cage. Il entre direct dans mon top 5 2010 à la seconde place.

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  13. Joe "parlé franssé" G.13 octobre, 2011 12:49

    Je suis tombé sur la fin du film sur Canal l'autre jour, en VF. Ben même en VF c'était géant. (j'avais vu le film en entier et en VO et l'avait adoré, hein)

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  14. Si vous avez apprécié cette reprise, vous adorerez l'original d'Abel Ferrara. Celui ci est à mes yeux d'une platitude extrêmement décevante. Que l'on apprécie le physique de Nicolas Cage est une chose, que l'on ait une quelconque considération pour son jeu d'acteur dans Bad Lieutenant en est une autre.

    Harvey Keitel avait certes placé la barre très haut dans le rôle du flic pourri, malsain, pervers, sadique et torturé qu'il incarnait magnifiquement, mais Nicolas Cage parait tout simplement fantomatique à coté de son illustre prédécesseur et ne possède pas le 100ème du charisme d'Harvey Keitel.

    Autant j'avais ressenti un sentiment de malaise devant la folie du bad lieutenant de Ferrara, autant le visionnage de celui de Herzog m'a paru insipide et gentillet. Rien de dérangeant dans cette reprise ... même pas la déception, je n'en attendais à vrai dire pas grand chose à partir du moment ou j'en avais appris le casting.

    Ah si, la preuve que le génie créateur à l'origine de fitzcaraldo et d'aguirre ou la colère de dieu ne s'était pas éteint. Une petite étincelle m'eut suffit.

    Je n'y ai vu qu'un échec retentissant, un exercice dangereux qui m'a évoqué la reprise ratée de "douze hommes en colère" de Sidney Lumet par Mikhalkov, à la différence prêt que ce dernier n'arrive aujourd'hui pas à la cheville du génial Herzog d'antan.

    Par souci d'honnêteté intellectuelle je tiens tout de même à préciser que je n'avait pas pris de plaisir à regarder le Bad Lieutenant de Ferrara, mais qu'il avait toutefois eu le mérite de me captiver et de ne pas me laisser indifférent.

    Bref, un film puissant servit par un grand acteur.

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  15. Pour ce que je sais du film de Ferrara (que je n'ai toujours pas vu ! Mais je tâcherai de réparer ça), il me semble que ce ne sont pas vraiment les mêmes films, et qu'en ce sens celui d'Herzog n'est pas vraiment un remake, du coup la comparaison n'est peut-être pas complètement nécessaire.

    Je peux comprendre qu'en ayant vu le film d'Herzog en repensant à l'autre tu l'aies trouvé insipide, mais en l'ayant découvert vierge de tout à priori et de tout point de comparaison précis, je l'ai trouvé particulièrement maîtrisé, captivant, extrêmement bien mis en scène. Il est sinon dérangeant (mais Herzog fait son film précisément APRÈS celui de Ferrara ou après Serpico, qui ont déjà "dérangé" sur le sujet), encore que.. (la scène où il baise une conne en menaçant son mec avec son flingue, celle où il pointe son calibre sur la tempe d'une vieille en maison de retraite), en tout cas vraiment fascinant et osé (Herzog fait un film hollywoodien sur un flic américain avec Cage dans le premier rôle mais il fait un film aux antipodes de ce qu'on peut en attendre), avec un acteur, je le maintiens, exceptionnel ! :)

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  16. Pour avoir vu les deux, il me semble effectivement que la comparaison n'est pas nécessaire puisque clairement Herzog ne fait pas un remake du Ferrara, il part d'un sujet plus ou moins similaire mais le mène sur d'autres pistes. Après ça reste intéressant de faire des parallèles pour mettre en évidence les forces des deux films. Il n'y a qu'à voir la façon dont Herzog met de côté la question religieuse: les deux films traitent du rapport ambivalent au bien et au mal à partir d'un flic véreux, mais Ferrara l'aborde, comme toujours, d'un point de vue religieux, tandis que le film d'Herzog est résolument païen. C'est vrai que dans un sens, ou à première vue, Ferrara va plus loin: son film est beaucoup plus malsain et glauque et il propose en permanence des situations-limites très dérangeantes qui permettent à Keitel de faire un numéro d'acteur exceptionnel. Du coup, quand on commence le Herzog, il semble en effet en dessous, plus faible. Mais au final c'est une des forces d'Herzog: il fait une film dont l'intensité est comme en creux, plus subtile que chez Ferrara, et qui révèle toute sa force dans des scènes où Herzog part vers un onirisme à la fois sombre et ludique. Il crée un équilibre entre tension sourde et fulgurances là où Ferrara va crescendo en permanence, tapant toujours plus fort.
    Au final, on a deux grands films très différents. Le Ferrara (comme dit Matthieu) est impressionnant, il prend aux tripes quand on le regarde mais on n'a pas forcément envie de le relancer, tandis que le Herzog, s'il semble apriori plus faible, agit avec le temps et diffuse ses atouts progressivement. Et avec le recul il me semble quand même nettement plus maîtrisé que le Ferrara (en même temps, Ferrara propose toujours des choses très fortes mais il est aussi toujours assez foutraque..)

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