Je profite de la rétrospective Hitchcock qui se déroule depuis le 5 janvier et jusqu'au 28 février 2011 à la Cinémathèque Française de Paris pour rapidement parler d'un film parmi les plus célèbres de ce cinéaste incontournable (au sens propre et figuré) : L'Homme qui en savait trop, celui de 1956, remake d'un précédent film homonyme du réalisateur tourné en Angleterre en 1934, avec Peter Lorre dans le rôle principal, déjà excellent mais dont on préfère la reprise. L'accroche sur l'affiche (qui a dû réunir une batterie de publicitaires chevronnés) ne trompe pas, c'est un "super Hitchcock" ! Et avec un "super Daniel Gélin", grand acteur de chez nous, remarquable notamment chez Max Ophüls ou Jacques Becker, qui interprète ici un agent secret français déguisé en arabe dans la géniale séquence qui déclenche l'action. Le plan réalisé par Hitchcock sur les mains de Jimmy Stewart qui retiennent le visage de Daniel Gélin et en retirent le maquillage est de ceux, innombrables dans la filmographie du cinéaste, qui restent à jamais en mémoire.
Ce petit imbroglio identitaire au sujet d'un français dans la peau d'un maghrébin m'a particulièrement touché. Je suis moi-même vaguement pied-noir par mes origines paternelles. Mon grand-père est né en Algérie avant d'être contraint d'atterrir la bouche en cœur et le cœur en berne sur une fameuse plage de la Côte d'Azur nommée "Fromage", où vous ne trouverez ni bikini ni dégun, juste quelques vives dans le sable pour vous envoyer droit à l'hosto. C'est un désert de garrigue qui va d'Aubagne jusqu'à Aix, un vrai désert... Ce désert de Gobi s'appelle donc "Fromage" et précède une ville qu'il vaut peut-être mieux avoir dans son poste de télé que derrière sa porte d'entrée (c'est pour les mêmes raisons que j'ai fait de Paname je t'aime mon film de chevet, près des yeux, loin du cœur et au large les contagieux). Mais fin de l'aparté, tournons-nous vers Marrakesh, qui accueille la première partie du film d'Hitchcock.
Ce petit imbroglio identitaire au sujet d'un français dans la peau d'un maghrébin m'a particulièrement touché. Je suis moi-même vaguement pied-noir par mes origines paternelles. Mon grand-père est né en Algérie avant d'être contraint d'atterrir la bouche en cœur et le cœur en berne sur une fameuse plage de la Côte d'Azur nommée "Fromage", où vous ne trouverez ni bikini ni dégun, juste quelques vives dans le sable pour vous envoyer droit à l'hosto. C'est un désert de garrigue qui va d'Aubagne jusqu'à Aix, un vrai désert... Ce désert de Gobi s'appelle donc "Fromage" et précède une ville qu'il vaut peut-être mieux avoir dans son poste de télé que derrière sa porte d'entrée (c'est pour les mêmes raisons que j'ai fait de Paname je t'aime mon film de chevet, près des yeux, loin du cœur et au large les contagieux). Mais fin de l'aparté, tournons-nous vers Marrakesh, qui accueille la première partie du film d'Hitchcock.
Chaque séquence de ce film offre son lot de plaisir bien spécifique. Et tout du long, quel éternel plaisir d'entendre Jimmy Stewart mâchouiller ses dialogues, manger chaque mot entre ses dents, déblatérer tout ce qu'il peut en mâchonnant chaque syllabe avec sa sublime gueule d'ange légèrement en biais. Et n'est-il pas tout aussi exquis de retrouver Doris Day, la blonde sainte nitouche la plus puritaine d'Hollywood, catholique comme pas deux, qui a fait un combat de sa vie, un combat pour la protection armée des animaux, en particulier des clebs, mais qui avant de devenir un oiseau de basse-cour tournait en ce temps-là comédie populaire sur comédie populaire aux côtés de Rock Hudson pour nous titiller en associant pudibonderie et séduction du bonbon. Il faut la voir ici chanter, doucement, au début du film, puis en hurlant presque, à la fin : "Qué serra, serra". Car cette chanson magnifique, et le chant en tant que tel, incarné par Doris Day, est le rouage principal de l'intrigue du film.
Et outre l'immense joie de suivre le récit comme d'habitude diablement ficelé d'Alfred Hitchcock, qui nous balade de plan en plan avec une maîtrise de son art toujours sidérante, et qui regorge d'idées brillantes (rien que la séquence d'introduction, avec cet immense orchestre qui joue la musique du film signée Bernard Herrmann, et la caméra qui se rapproche lentement des musiciens pour finalement atterrir entre les deux immenses cymbales qui se fracassent l'une contre l'autre, annonçant le début du film...), c'est aussi l'un des rares films du maître (on peut songer à la fin de Notorious) qui s'autorise une émotion aussi brute relevant de l'empathie pour les personnages et qui ne repose pas sur l'angoisse ou autres sensations synonymes, mais sur des sentiments dignes du mélodrame : l'instant où Doris Day chante pour la deuxième fois et de toutes ses forces la chanson qui l'unit à son fils parvient à d'abord faire rire (Doris y va franchement pour que son fils, retenu prisonnier dans une chambre quelques étages plus haut, puisse l'entendre), puis à nous saisir au ventre et à nous tirer des larmes. Hitchcock enchaîne une série de plans sur les espaces vides de l'ambassade (hall, couloirs, escaliers...), filmant le déplacement d'un son (autre idée géniale), mais au-delà de la progression dramatique de la séquence, et même si l'on sait que Hank, le fils du couple que forment Doris Day et James Stewart, est encore vivant, et même si l'on se doute que probablement il va s'en sortir, à ce moment-là, on voit une mère qui a perdu son enfant lui chanter une chanson populaire bien à eux à travers des espaces vides, emplissant le silence de sa voix pour le rappeler à elle, comme s'il avait bel et bien, et définitivement, disparu. On oublie un bref instant l'intrigue pour se laisser prendre par l'émotion pure d'une scène qui dit avec une brusque et violente justesse l'horreur de la perte d'un enfant.
Et outre l'immense joie de suivre le récit comme d'habitude diablement ficelé d'Alfred Hitchcock, qui nous balade de plan en plan avec une maîtrise de son art toujours sidérante, et qui regorge d'idées brillantes (rien que la séquence d'introduction, avec cet immense orchestre qui joue la musique du film signée Bernard Herrmann, et la caméra qui se rapproche lentement des musiciens pour finalement atterrir entre les deux immenses cymbales qui se fracassent l'une contre l'autre, annonçant le début du film...), c'est aussi l'un des rares films du maître (on peut songer à la fin de Notorious) qui s'autorise une émotion aussi brute relevant de l'empathie pour les personnages et qui ne repose pas sur l'angoisse ou autres sensations synonymes, mais sur des sentiments dignes du mélodrame : l'instant où Doris Day chante pour la deuxième fois et de toutes ses forces la chanson qui l'unit à son fils parvient à d'abord faire rire (Doris y va franchement pour que son fils, retenu prisonnier dans une chambre quelques étages plus haut, puisse l'entendre), puis à nous saisir au ventre et à nous tirer des larmes. Hitchcock enchaîne une série de plans sur les espaces vides de l'ambassade (hall, couloirs, escaliers...), filmant le déplacement d'un son (autre idée géniale), mais au-delà de la progression dramatique de la séquence, et même si l'on sait que Hank, le fils du couple que forment Doris Day et James Stewart, est encore vivant, et même si l'on se doute que probablement il va s'en sortir, à ce moment-là, on voit une mère qui a perdu son enfant lui chanter une chanson populaire bien à eux à travers des espaces vides, emplissant le silence de sa voix pour le rappeler à elle, comme s'il avait bel et bien, et définitivement, disparu. On oublie un bref instant l'intrigue pour se laisser prendre par l'émotion pure d'une scène qui dit avec une brusque et violente justesse l'horreur de la perte d'un enfant.
Sans que toute l'intrigue se réduise à un simple mcguffin, Hitchcock, qui donne l'impression de s'amuser de chaque détail (de la main de James Stewart qui tripote un annuaire quand il apprend que son fils a été kidnappé à la main de James Stewart pigée dans la gueule d'un tigre empaillé lors d'une bagarre avec des taxidermistes), filme un homme et une femme qui s'aiment et qui veulent coûte que coûte retrouver leur enfant, dans un hymne franc et massif en tout point sublime à la musique, de la grande, classique, symphonique, à ces chansons populaires qui fondent le tissu familial et jouent comme codes instinctifs sur ses membres. Un "super Hitchcock" ? Makkash. C'est non seulement un super Hitchcock avec Jimmie Stewart et Doris Day, c'est non seulement un petit bijou de mise en scène dont chaque séquence est une joie en soi, c'est non seulement une histoire au suspense haletant, mais c'est probablement, pour moi, le plus beau film jamais consacré à la musique.
L'Homme qui en savait trop d'Alfred Hitchcock avec James Stewart, Doris Day et Daniel Gélin (1956)
L'Homme qui en savait trop d'Alfred Hitchcock avec James Stewart, Doris Day et Daniel Gélin (1956)
Encore un que j'ai pas (encore) vu !
RépondreSupprimerEncore un qu'il me faudrait revoir !
RépondreSupprimerVéridique pour "Fromage" ? Et si oui, pourquoi ?
Véridique. Et j'ignore pourquoi. Heureusement sans doute.
RépondreSupprimerL'un des meilleurs en effet, film d'Hitchcock. Ensuite, c'est un chef-d'œuvre !
RépondreSupprimerCertes :)
RépondreSupprimerIl est effectivement géant. Je ne trouve pas que ça soit le plus beau film jamais réalisé sur la musique mais je suis d'accord pour dire que c'en est un (de film sur la musique des choses).
RépondreSupprimerC'est une "phrase choc" ! Ceci dit je suis pas loin de le penser vraiment :)
RépondreSupprimerVos tweets mon donné envie de revoir ce film, et puis ça c'est fait aujourd'hui. Franchement je suis fan d'Hitchcock, j'ai vu une bonne partie de ses films et L'Homme qui en savait trop est mon préféré. Tout est photogénique, les décors, les acteurs... tout ! J'avais déjà écrit un commentaire en janvier 2011, et le fait de relire votre billet me fait plaisir.
RépondreSupprimerUn film intense en émotions (vous avez raison que tout se joue sur la relation entre Doris Day et James Stewart), beau et d'une très haute qualité ! Je vais pas tarder à le revoir...
Et quel plaisir de le voir en VO avec ces dialogues français-anglais qui sont bousillés dans la VF, d'ailleurs je déconseille aux gens de voir ce genre de films en VF. Un film se regarde en VO, mais ça je ne vous apprends rien !
Si je devais établir une liste de films « de pur plaisir » — entendez : provoquant un ravissement immédiat et quasiment de tous les instants —, la deuxième mouture de 'L'homme qui en savait trop' en ferait d'emblée partie, avant même 'La Mort aux trousses' à la sophistication plus manifeste (dans le même ordre d'idée, j'y ferais entrer 'Une femme disparaît' avant 'Les 39 Marches', pour la période anglaise). Tout en conservant une cohérence absolue, c'est le type même de film dont on a l'impression que le bonheur se renouvellera constamment, pour toujours, une scène fascinante (ou drôlatique, ou bouleversante, ou stupéfiante) succédant à la précédente, dans un esprit de sérial concentré sur moins de deux heures de film. En dehors des scènes magnifiques de la mort de Daniel Gélin et du concert à l'Albert Hall, je crois que je garderai toujours à l'esprit l'apparition du tueur à face de cadavre sur fond de nuit orientale, le gros plan enveloppant au cours duquel le personnage de James Stewart apprend le kidnapping de son fils, le chantage médico-affectif qu'il exerce sur sa femme pour qu'elle ingère des tranquillisants, la scène au cours de laquelle Stewart se croit suivi dans la rue (une des plus belles évocations sonores que je connaisse en cinéma) suivie de celle, à la fois bouffonne et vertigineuse, dans l'atelier de taxidermie, l'élévation de la musique dans l'escalier de l'ambassade, j'en oublie et des meilleures. James Stewart a eu pas mal de noms de personnages mémorables au cours de sa carrière — je veux dire mémorables en rapport avec les films dans lesquels ils s'inscrivent —, et le « Docteur Benjamin McKenna » qu'il incarne dans 'L'homme qui en savait trop' n'est pas des moindres. Quant à l'interprète du gamin, Christopher Olsen, il a un faciès assez pénible, mais le film n'en souffre nullement (à la même époque, il joua dans deux autres très grands films : 'Derrière le miroir', de Nicholas Ray, et 'La Ronde de l'aube', de Douglas Sirk).
RépondreSupprimerJ'ai un ami percussionniste de haut niveau auquel j'ai dit qu'il devait absolument voir deux films : 'L'homme qui en savait trop', donc, et 'Il était une fois un merle chanteur', l'enchanteur film d'Otar Iosseliani, dans lequel, si vous ne l'avez pas vu, je vous invite à découvrir une autre figure étonnante de ce type de musicien... (Dans les années 1990, la référence question percussionniste de cinéma c'était Romain Duris dans 'Chacun cherche son chat'. Misère de misère.)
Effectivement le petit Christopher Olsen (un lien avec les triplées tchiplées ?) s'est vu offrir une filmographie de rêve sur un plateau.
SupprimerEt c'est bien la première fois que j'ai envie de voir un film d'Otar Iosseliani.
Suis ton envie ! Je ne suis pas un grand amateur des films que Iosseliani a réalisés en France depuis le début des années 1980 (certains me cassent même passablement les pieds), mais celui-ci, tourné dans sa Géorgie natale, a quelque chose de miraculeux, et d'inclassable. Je l'ai revu pour la troisième ou quatrième fois tout récemment : son charme reste inentamé. Son film précédent, 'La Chute des feuilles', est très beau aussi mais il n'a pas tout à fait la même grâce. C'est le type de film assez rare qui, en toute légèreté, te plonge constamment dans des questions existentielles fondamentales, sans même en avoir l'air. Rien n'est fait pour t'y tirer les larmes, bien au contraire, et pourtant tu t'y sens étrangement bouleversé à plusieurs reprises (le film est aussi souvent très drôle, grande différence avec les derniers Iosseliani qui me font rarement rire, même quand c'est censé être le cas). Lorsque je l'ai découvert, il m'a fait le même effet d'étonnement enchanteur que la première fois que j'ai vu 'Deep End', de Skolimowski, son quasi contemporain (d'ailleurs, par certains côtés, 'La Chute des feuilles' fait beaucoup penser à 'Deep End'). J'arrête là, mais si tu le vois tu me diras ce que tu en as pensé !
SupprimerCompte sur moi !
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