
Ce petit imbroglio identitaire au sujet d'un français dans la peau d'un maghrébin m'a particulièrement touché. Je suis moi-même vaguement pied-noir par mes origines paternelles. Mon grand-père est né en Algérie avant d'être contraint d'atterrir la bouche en cœur et le cœur en berne sur une fameuse plage de la Côte d'Azur nommée "Fromage", où vous ne trouverez ni bikini ni dégun, juste quelques vives dans le sable pour vous envoyer droit à l'hosto. C'est un désert de garrigue qui va d'Aubagne jusqu'à Aix, un vrai désert... Ce désert de Gobi s'appelle donc "Fromage" et précède une ville qu'il vaut peut-être mieux avoir dans son poste de télé que derrière sa porte d'entrée (c'est pour les mêmes raisons que j'ai fait de Paname je t'aime mon film de chevet, près des yeux, loin du cœur et au large les contagieux). Mais fin de l'aparté, tournons-nous vers Marrakesh, qui accueille la première partie du film d'Hitchcock.
Chaque séquence de ce film offre son lot de plaisir bien spécifique. Et tout du long, quel éternel plaisir d'entendre Jimmy Stewart mâchouiller ses dialogues, manger chaque mot entre ses dents, déblatérer tout ce qu'il peut en mâchonnant chaque syllabe avec sa sublime gueule d'ange légèrement en biais. Et n'est-il pas tout aussi exquis de retrouver Doris Day, la blonde sainte nitouche la plus puritaine d'Hollywood, catholique comme pas deux, qui a fait un combat de sa vie, un combat pour la protection armée des animaux, en particulier des clebs, mais qui avant de devenir un oiseau de basse-cour tournait en ce temps-là comédie populaire sur comédie populaire aux côtés de Rock Hudson pour nous titiller en associant pudibonderie et séduction du bonbon. Il faut la voir ici chanter, doucement, au début du film, puis en hurlant presque, à la fin : "Qué serra, serra". Car cette chanson magnifique, et le chant en tant que tel, incarné par Doris Day, est le rouage principal de l'intrigue du film.
Et outre l'immense joie de suivre le récit comme d'habitude diablement ficelé d'Alfred Hitchcock, qui nous balade de plan en plan avec une maîtrise de son art toujours sidérante, et qui regorge d'idées brillantes (rien que la séquence d'introduction, avec cet immense orchestre qui joue la musique du film signée Bernard Herrmann, et la caméra qui se rapproche lentement des musiciens pour finalement atterrir entre les deux immenses cymbales qui se fracassent l'une contre l'autre, annonçant le début du film...), c'est aussi l'un des rares films du maître (on peut songer à la fin de Notorious) qui s'autorise une émotion aussi brute relevant de l'empathie pour les personnages et qui ne repose pas sur l'angoisse ou autres sensations synonymes, mais sur des sentiments dignes du mélodrame : l'instant où Doris Day chante pour la deuxième fois et de toutes ses forces la chanson qui l'unit à son fils parvient à d'abord faire rire (Doris y va franchement pour que son fils, retenu prisonnier dans une chambre quelques étages plus haut, puisse l'entendre), puis à nous saisir au ventre et à nous tirer des larmes. Hitchcock enchaîne une série de plans sur les espaces vides de l'ambassade (hall, couloirs, escaliers...), filmant le déplacement d'un son (autre idée géniale), mais au-delà de la progression dramatique de la séquence, et même si l'on sait que Hank, le fils du couple que forment Doris Day et James Stewart, est encore vivant, et même si l'on se doute que probablement il va s'en sortir, à ce moment-là, on voit une mère qui a perdu son enfant lui chanter une chanson populaire bien à eux à travers des espaces vides, emplissant le silence de sa voix pour le rappeler à elle, comme s'il avait bel et bien, et définitivement, disparu. On oublie un bref instant l'intrigue pour se laisser prendre par l'émotion pure d'une scène qui dit avec une brusque et violente justesse l'horreur de la perte d'un enfant.
Et outre l'immense joie de suivre le récit comme d'habitude diablement ficelé d'Alfred Hitchcock, qui nous balade de plan en plan avec une maîtrise de son art toujours sidérante, et qui regorge d'idées brillantes (rien que la séquence d'introduction, avec cet immense orchestre qui joue la musique du film signée Bernard Herrmann, et la caméra qui se rapproche lentement des musiciens pour finalement atterrir entre les deux immenses cymbales qui se fracassent l'une contre l'autre, annonçant le début du film...), c'est aussi l'un des rares films du maître (on peut songer à la fin de Notorious) qui s'autorise une émotion aussi brute relevant de l'empathie pour les personnages et qui ne repose pas sur l'angoisse ou autres sensations synonymes, mais sur des sentiments dignes du mélodrame : l'instant où Doris Day chante pour la deuxième fois et de toutes ses forces la chanson qui l'unit à son fils parvient à d'abord faire rire (Doris y va franchement pour que son fils, retenu prisonnier dans une chambre quelques étages plus haut, puisse l'entendre), puis à nous saisir au ventre et à nous tirer des larmes. Hitchcock enchaîne une série de plans sur les espaces vides de l'ambassade (hall, couloirs, escaliers...), filmant le déplacement d'un son (autre idée géniale), mais au-delà de la progression dramatique de la séquence, et même si l'on sait que Hank, le fils du couple que forment Doris Day et James Stewart, est encore vivant, et même si l'on se doute que probablement il va s'en sortir, à ce moment-là, on voit une mère qui a perdu son enfant lui chanter une chanson populaire bien à eux à travers des espaces vides, emplissant le silence de sa voix pour le rappeler à elle, comme s'il avait bel et bien, et définitivement, disparu. On oublie un bref instant l'intrigue pour se laisser prendre par l'émotion pure d'une scène qui dit avec une brusque et violente justesse l'horreur de la perte d'un enfant.
Sans que toute l'intrigue se réduise à un simple mcguffin, Hitchcock, qui donne l'impression de s'amuser de chaque détail (de la main de James Stewart qui tripote un annuaire quand il apprend que son fils a été kidnappé à la main de James Stewart pigée dans la gueule d'un tigre empaillé lors d'une bagarre avec des taxidermistes), filme un homme et une femme qui s'aiment et qui veulent coûte que coûte retrouver leur enfant, dans un hymne franc et massif en tout point sublime à la musique, de la grande, classique, symphonique, à ces chansons populaires qui fondent le tissu familial et jouent comme codes instinctifs sur ses membres. Un "super Hitchcock" ? Makkash. C'est non seulement un super Hitchcock avec Jimmie Stewart et Doris Day, c'est non seulement un petit bijou de mise en scène dont chaque séquence est une joie en soi, c'est non seulement une histoire au suspense haletant, mais c'est probablement, pour moi, le plus beau film jamais consacré à la musique.
L'Homme qui en savait trop d'Alfred Hitchcock avec James Stewart, Doris Day et Daniel Gélin (1956)
L'Homme qui en savait trop d'Alfred Hitchcock avec James Stewart, Doris Day et Daniel Gélin (1956)