
Gregory Hoblit est un personnage qui a rapidement été apprécié dans le métier, mais il a paradoxalement bien mis du temps à gagner une certaine reconnaissance. On l’a d’abord aimé pour sa bonhomie, pour la joie de vivre qu’il dégage même lors des moments les plus difficiles. Il s’est très tôt fait remarquer sur les plateaux où il officiait en tant que simple assistant car il avait la particularité de nettoyer les gros carreaux de ses énormes lunettes à l’aide de son slibard, il prétextait que c’était là le seul tissu adéquat (sans doute le seul contenant assez d’acidité pour parvenir à dégraisser les verres embués du gaillard). Ensuite, on a apprécié sa polyvalence, du fait qu’il est capable de tout filmer de la même façon, sans jamais y mettre sa touche personnelle. Greg Hoblit représentait par conséquent une sacrée roue de secours en cas de pépin, sa mise en scène sans aucune personnalité a fait de lui la cinquième roue du carrosse la plus utilisée à Hollywood. Il était connu comme étant le seul et unique director croque-mort, puisqu’à chaque fois qu’un réalisateur crevait en plein tournage, on faisait appel à Hoblit pour non seulement se débarrasser du macchabée et organiser les funérailles en accord avec la famille du défunt, mais aussi pour reprendre en main le film et achever le tournage en bonne et due forme. Hoblit est donc un véritable guide du routard hollywoodien doublé d'un vieux briscard qui a longtemps été habitué à exécuter ses tâches sans rechigner et qui connaît par cœur tous les rouages du système. Gregory Hoblit a vu sa carrière prendre enfin son envol grâce au succès surprise de Peur Primale, un film dont il préfère le titre dans sa version française, « pour sa sonorité ».
Peur Primale est un thriller où Richard Gere campe le rôle d’un avocat têtu chargé de défendre un retard, un déficient intellectuel, joué par Edward Norton, accusé d’un crime affreux. Lors de la première scène du film, on assiste à l’arrestation virile d’Edward Norton, encore présent sur les lieux du drame, les mains toutes ensanglantées. Les analyses médicales ne font aucun doute : le sang qu’il a sur les mains est bel et bien celui du pasteur dont on a retrouvé la tête au bout d’une pique et le reste du corps trempant dans l’eau bénite de l’église. Alors qu’on prépare déjà la chaise électrique pour un détenu qui ne comprendra de toute façon pas ce qui lui arrive, un avocat décide de prendre l’affaire en main et de défendre l’indéfendable. Cet avocat a les cheveux blancs, le regard rieur, la démarche chaloupée et appelle au boycott des Jeux Olympiques de Pékin : il s’agit bien évidemment de Richard Gere, le "Silver Fox", on l’aura reconnu au premier coup d’oeil. Le reste du film s’apparente à un documentaire sur le système juridique américain, dont Hoblit pointe du doigt les nombreuses failles. Ces mêmes failles qui permettront à Edward Norton d’éviter l’incarcération à perpétuité et qu’Hoblit explorera à nouveau avec le film Fracture (intelligemment nommé La Faille en VF), où Anthony Hopkins s’en tire avec un casier judiciaire vierge après avoir pourtant donné la mort à 12 innocents. Mais même si cette critique au vitriol est brillamment menée par Hoblit, qui dans le civil est un père meurtri par la disparition de sa fille dont l’assassin court toujours, et quand bien même cette critique tombe à point nommé, là n’est pas l’intérêt de Peur Primale et là n’est pas la raison de son succès retentissant en vidéo-club. Pour comprendre pourquoi Peur Primale est devenu un classique du petit écran, régulièrement diffusé par TF1 les dimanches en première puis en deuxième partie de soirée, il faut voir vu la toute dernière scène du film, celle où on assiste tétanisé au terrible retournement de situation final.

A la toute fin du film, le spectateur a l'estomac sens dessus dessous quand il voit Edward Norton avouer à Richard Gere en lui riant littéralement au nez qu’il n’est pas du tout attardé mais qu’il est seulement très bon acteur ; il en profite aussi pour le remercier d’avoir réussi à lui faire éviter la peine capitale. Ce twist est d’une efficacité redoutable, mais ce que peu de personnes savent c’est qu’il n’était pas du tout prévu dans le scénario initial et qu’il est simplement dû à une improvisation d’Edward Norton jugée « géniale, ahurissante » par Hoblit malgré les réticences de Richard Gere qui voyait-là l’héroïsme de son personnage en prendre un sérieux coup. A la vue du résultat, on applaudit des deux mains le flair du cinéaste, mais on ne peut s’empêcher de regretter qu’Hoblit n’ait pas gardé les autres improvisations d’Edward Norton, seulement visibles sur l’édition DVD collector. On peut y voir un Ed Norton, décidément en grande forme, profitant de son rôle d’attardé mental pour rendre la vie impossible à un Richard Gere qui faillit plus d’une fois en oublier sa philosophie bouddhiste. Tour à tour roué de coups, traîné dans la boue, insulté et menacé à l’aide d’une queue de billard lors d’une scène coupée mythique dans un bar… le Dr T en voit littéralement de toutes les couleurs et c’est pendant le tournage, a-t-il reconnu plus tard en conférence de presse, qu’il déclara avoir réellement enculé toutes les étapes menant au nirvana et qu’il se félicita d’avoir su rester fidèle aux 15 préceptes de l’éthique bouddhiste.
Malgré ces scènes manquantes qui auraient fait de Peur Primale un chef d’œuvre intemporel, on a tout de même droit à un thriller bien ficelé, où j’ai oublié de préciser qu’on a aussi l’occasion d'admirer une Laura Linney alors au zénith de sa carrière, dans le rôle de l'avocate opposée à Richard Gere, le rôle de la gentille donc.

Depuis le succès de Peur Primale, Gregory Hoblit est désormais capable de choisir ses scénarios, un privilège qu’il ne pouvait pas s’accorder dans le passé, quand il était plus soucieux de remplir son frigidaire. Hoblit a ainsi décidé de se bâtir une filmographie uniquement constituée de thrillers. On l’appelle le nouveau Hitchcock. Modeste, Hoblit rectifie, et dit qu’il est simplement « le nouveau Hoblit ». Il enchaîne les thrillers, raffole des faits divers. Il a récemment réalisé Intraçable, où l’on voit Diane Lane prise au piège par un tueur qui filme ses meurtres pour les mettre ensuite sur Youtube. Une histoire sordide. Une histoire qui a immédiatement plu à Hoblit, qui trouvait là l’occasion de critiquer les dérives d’internet. Et finalement un film de plus à ajouter à la filmographie d’Hoblit. C’est à voir si on aime ce non-genre, si on apprécie la patte de ce cul-de-jatte. C’est du Hoblit.
Peur Primale de Gregory Hoblit avec Richard Gere, Edward Norton et Laura Linney (1996)

Depuis le succès de Peur Primale, Gregory Hoblit est désormais capable de choisir ses scénarios, un privilège qu’il ne pouvait pas s’accorder dans le passé, quand il était plus soucieux de remplir son frigidaire. Hoblit a ainsi décidé de se bâtir une filmographie uniquement constituée de thrillers. On l’appelle le nouveau Hitchcock. Modeste, Hoblit rectifie, et dit qu’il est simplement « le nouveau Hoblit ». Il enchaîne les thrillers, raffole des faits divers. Il a récemment réalisé Intraçable, où l’on voit Diane Lane prise au piège par un tueur qui filme ses meurtres pour les mettre ensuite sur Youtube. Une histoire sordide. Une histoire qui a immédiatement plu à Hoblit, qui trouvait là l’occasion de critiquer les dérives d’internet. Et finalement un film de plus à ajouter à la filmographie d’Hoblit. C’est à voir si on aime ce non-genre, si on apprécie la patte de ce cul-de-jatte. C’est du Hoblit.
Peur Primale de Gregory Hoblit avec Richard Gere, Edward Norton et Laura Linney (1996)