22 mai 2022
Rapport confidentiel
19 décembre 2020
Hachiko
Vers le milieu du film, c'est le drame : le maître du clebs meure soudainement. Et le iench se retrouve alors complètement esseulé, déboussolé, sans but, sans rien. Il se met alors à errer dans les quartiers de la ville à la recherche de son maître disparu. Il continue à se rendre tous les soirs à la gare pour attendre son retour du boulot, comme il le faisait habituellement. Puis rôde autour de sa maison, comme une âme en peine, malgré le départ de la famille. On croit pratiquement revivre la dernière partie terrible d'Allemagne Année Zéro mais avec un chien à la place du pauvre gosse. Et à travers cette histoire, le film nous dépeint les conséquences que peut avoir la disparition soudaine d'un être, ce qu'il reste de lui et ceux qu'il laisse derrière lui ; et c'est plutôt pas mal, ça donne matière à penser (food for thoughts). Cette dernière partie est assez culottée et poignante, on imagine aisément les torrents de larmes qui ont été versés face à ce si triste spectacle depuis la sortie de ce film devenu culte.
27 mai 2016
La Prophétie des ombres



Les symboles de lépidoptères sont légion dans La Prophétie des Ombres. Dès qu’apparaît à l’image une forme plus ou moins symétrique, des seins timides de Laura Linney au pare-brise étoilé de Gere en passant par les terribles néons de sa salle de bains, on peut donc déceler la présence néfaste du Mothman du titre original. Le réalisateur n'en loupe pas une. Il s'agit d'autant d’apparitions du papillon maléfique qui hante littéralement ce film. On recense 189 plans de papillons selon le site IMDb. Ça en fait le cas unique de long-métrage lépidoptériste dans l’histoire du cinéma.

15 novembre 2014
Little Buddha

Tout un tas d'enfants sont donc réunis dans la grande Maison Bouddha et vont suivre une initiation au bouddhisme, ce qui est bien évidemment l'occasion pour Bernardo Bouddhalucci de nous tenir tout un discours pompant sur les différences entre les cultures, à base de un gros vaut mieux que deux maigres, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, l'argent ne fait pas le boner, et compagnie. On a droit à mille poncifs sur les valeurs bouddhistes, servis dans une tambouille qu'on nous a déjà servie cent fois. Rappelons que le film a été réalisé dans une période un peu bouddha sur les bords, et surtout très grunge, où les occidentaux n'avaient que le mot "nirvana" à la bouche, d'où la tentation d'aller fricoter du côté des indiens et du bouddhisme pour choper le marbre à tout jamais.

Little buddha de Bernardo Bertolucci avec Keanu Reeves et Chris Isaak (1993)
13 septembre 2013
Sous surveillance
On suit donc ici le pâle Shia LaBoeuf, jeune journaliste désireux de faire ses preuves, en pleine enquête sur un vieil avocat (Robert Redford) dont le trouble passé ressurgit suite à l'arrestation d'une membre du Weather Underground (joué par Susan Sarandon), groupe d'activistes de gauche radicale ayant marqué les années 70 et considéré comme une organisation terroriste par le FBI. En deux temps trois mouvements, Shia (prononcez comme ça vous chante, "Who really cares ?!" répète-t-il à longueurs d'interviews, blasé) parvient à dépasser plus de 30 années de recherches acharnées menées par le FBI et expose au grand jour la véritable identité de Bob Redford. Ce dernier prend alors la fuite, Shia et le FBI se lancent donc immédiatement sur ses traces ; mais attention, n'allez pas imaginer une course-poursuite haletante au sein d'un thriller parano comme on n'en fait plus, non, pensez plutôt à un escargot fatigué et tout ridé (Redford) inspecté à la loupe par un enfant laid à moitié aveugle (LaBoeuf) entouré d'une bande d'incapables qui regardent du mauvais côté, dirigée par le toujours désagréable Terrence Howard.
Comme il a du temps à paumer et que les énergumènes à ses trousses sont tous des purs zonards, Bob Redford profite de cette petite virée pour renouer les liens avec de vieux amis qui ne l'accueillent pas toujours avec le sourire. Le film prend alors des allures d'anti-Expendables, ces réunions musclées d'anciens collabos toujours fachos organisées par Sly, puisqu'il nous propose une morne galerie de portraits de gauchos ancestraux mal dans leurs peaux ayant tiré un trait sur leur passé un brin trop engagé. Ce film-là, c'est donc un peu le Expendables des soixante-huitards grabataires, sauf qu'ici les acteurs sont tous en déambulateurs et, à la place de mitraillettes et autres kalachnikovs, ce sont leurs idéaux en berne qu'ils traînent partout avec eux. Bien sûr, le rapprochement avec le film de Stallone n'est pas à prendre comme un compliment.
On croise donc avec plus ou moins de plaisir des vieux gars comme Nick Nolte, dans l'un de ses fort probables derniers rôles (cela me fait de la peine de l'écrire aussi), Brendan Gleeson, un pack de bière à la main, et le plus grand d'entre tous, toujours au top, toujours la même tronche depuis 20 ans, j'ai nommé Dick Jenkins, le seul de la bande à ne pas être sur le déclin, artistiquement parlant. J'aurais aimé y voir aussi le grand Robert Duvall, mais c'était oublier ses véritables opinions politiques... Côté vieillardes, on retrouve Susan Sarandon, fidèle à elle-même, et Julie Christie, que l'on pourra mettre un petit moment avant de reconnaître. Ce medical check-up platement filmé est souvent déprimant quand on découvre le gros coup de vieux pris par l'un ou la mauvaise mine affichée par l'autre, et parfois étonnant, comme lorsque l'on constate que Julie Christie et Robert Redford se ressemblent désormais étrangement. Ils doivent avoir le même chirurgien, un type qui fait du bon taff, ceci dit, bien que leur beauté de jadis ait bien du mal à percer derrière l'écran juvénile superficiel qu'il leur colle aux tronches.
Au milieu de tout ça, les jeunes pousses ont bien du mal à s'affirmer, y compris la sympathique Brit Marling, que son amour pour les thrillers américains des 70's doit amener à faire des choix de carrière pas toujours judicieux (on l'avait également vue dans Arbitrage, aux côtés d'un Dick Gere aux abois, un film du même tonneau, mais plus sobre et réussi). Le tristounet Shia LaBoeuf démontre quant à lui qu'il n'a toujours pas les épaules pour porter un film tel que celui-ci. Notons que pour faire taire les critiques français qui pointent systématiquement du doigt sa ressemblance frappante avec Karim Benzema, la star porte ici une moumoute ridicule et des lunettes triple foyer qui ne suffisent pas à le rendre crédible en journaliste.
Beaucoup ont parlé de nostalgie ou de mélancolie pour qualifier ce thriller mou du genou réalisé par un Robert Redford vraisemblablement soucieux de redorer son mythe et celui de quelques collègues en évoquant un glorieux passé d'activisme de gauche. Pour ma part, j'y vois plutôt un narcissisme déplacé de la part du Sundance Kid. Même si cette scène douloureuse, où la vieille star se montre faisant son jogging, laborieusement, en nage, courant comme une vieille gonzesse, vient quelque peu contredire mon hypothèse. Force est de constater que l'on s'ennuie ferme devant ce film qui paraît déjà très daté. Le climax, c'est tout de même une course à deux à l'heure de Robert Redford et Julie Christie dans les bois, poursuivis par les bergers allemands obèses du FBI. Ils trainent la patte et sont filmés ridiculement, de dos, en tenue de jogging, et presque invisibles derrière les gros sacs Quechua qu'ils trimballent avec eux. Quand elle ne fait pas mal aux yeux, la mise en scène est en mode pilote automatique. Redford aurait sans doute mieux fait de confier la tâche à quelqu'un d'autre, même si je ne vois personne, dans le cinéma américain du moment, capable de torcher un thriller correct à partir d'un tel script. Au bout du compte, Sous surveillance pourrait aisément être rattaché à cette petite vague de films commémoratifs rances qui sont produits depuis quelques années et nous foutent à chaque fois un petit peu mal à l'aise...
12 avril 2011
Slice

Un enquêteur camé à la chevelure blanche hirsute et abonné aux chemises hawaïennes à la Ace Ventura dispose d’un délai de 15 jours pour coincer le tueur qui commence à s’en prendre à des personnalités haut placées. La psy pour taulard l’informe alors du lien qui pourrait exister entre Taï et l'individu à capuche tant recherché. Après moult hésitations, il est décidé de donner pour mission au héros de partir à la traque du serial killer et, pour qu’il accepte, on lui promet qu’il sera ensuite libéré de taule et qu’il pourra donc rejoindre sa copine, une thaïlandaise blonde à forte poitrine prénommée Nouille dont il est éperdument amoureux.
Au bout d’une heure de film, le héros fait le lien entre ces victimes et toutes les personnes qui, jadis, humiliaient son pote Nat. Ce sont bien elles qui ont toutes finies dans une valise, condamnées à s’auto-administrer un terrible head-fuck ! Nat est donc le tueur , scoop ! Maintenant que l’on sait qui c’est, y a plus qu’à mettre la main dessus. C’est là que le héros se souvient que Nat et lui avaient quasiment terminé dans le petit monde de la prostitution de mineurs, macrocosme très actif en Thaïlande, d'après Fred Mitterrand. Il se remémore également de ce qui les avait définitivement brouillés : l’homosexualité manifeste du jeune Nat, qui se faisait de plus en plus collant, et qu’il avait fini par repousser en s’écriant « Oh je suis pas à voile et à vapeur ! ». Abandonné par son seul ami, le petit Nat termina dans une petite valise rouge, prêt à satisfaire des touristes en échange d'une poignée de bahts dans des chambres d’hôtel miteuses.

16 mai 2009
Bug


En fait si, je sais pourquoi j'ai eu cette triste tendance à confondre ces deux cinéastes. J'ai trouvé pourquoi en avalant mon gros éclair au chocolat noir. Je les confonds peut-être parce que dans mon inconscient personnel ils évoquent plus ou moins le même genre d'individus. A savoir deux vieux types dont les noms ont fait le tour du monde grâce en grande partie à leurs blazes marquants. Il faut bien dire la vérité, ces types-là ont des millions de fans un peu partout autour du globe, et même ceux qui ne les connaissent pas vraiment ont déjà entendu et à jamais retenu leurs noms. Vous me direz que ces deux noms-là sont particulièrement mémorables dans leur musicalité intrinsèque, mais à ce point ?... Ces deux mecs n'ont qu'à dire leur blaze pour remplir des stades, et si dire son nom n'est pas bien compliqué ça reste absolument nécessaire pour eux vu que personne n'a jamais croisé leur tête. Personne au monde ne saurait foutre un visage sur leurs noms en or. Mais je me refuse à croire qu'un nom qui sonne puisse suffire à de tels mouvements de foule. Il faut plus que ça. Et c'est là que je pose ma question. Qu'ont bien pu faire ces deux réalisateurs récemment pour susciter un tel engouement international ?

Le voilà leur point commun. Voilà deux types qui ont rameuté des populations à leurs causes, qui ont marqué les mémoires de génération en génération, et qui ont encore "la carte" à Hollywood sans rien faire ou presque. Avec 66 piges au compteur Malick n'a jamais réalisé que quatre films sur un seul et même sujet, et pas le plus attachant qui soit, à savoir le gazon sous toutes ses formes. Et Friedkin a réalisé fut un temps et coup sur coup deux films intéressants : French Connection et L'Exorciste, en 1972 et 1974. Depuis rien, n'est une suite de films plus ou moins immondes que tout spectateur doté du premier des sens qu'est la vue et du second qu'est l'ouïe s'accordera à juger caduques, inaptes à la diffusion, ni faits ni à faire. Alors je veux bien admettre que French Connection soit un chouette film sur Gene Hackman courant pendant une heure et demi sous le métro aérien à la poursuite d'un type probablement coupable de quelque chose d'assez grave pour qu'un autre le traque si longtemps sur un si petit périmètre. Je veux bien concevoir que L'Exorciste soit un des plus grands films d'horreur de l'histoire du cinéma et bien plus que ça, probablement un film d'auteur passionnant et très profondément mis en scène. Personnellement ces films-là me laissent un peu en porte-à-faux mais je reste lucide et je sais pertinemment qu'il y a dans ces deux œuvres des choses intéressantes et même importantes, même s'il s'avère que je considère chacun de ces films comme un de mes reins et que les reins, comme les couilles, on en a deux mais si on en perd un on fera pareil qu'avant avec l'autre. Tout ça pour dire qu'à 74 ans et du haut d'une liste de 18 longs métrages, William Friedkin monopolise encore toutes les attentions et génère encore bien des passions pour deux films intéressants réalisés dans la foulée il y a 37 longues années. De quoi, perso, me bluffer. Friedkin n'est sur aucun projet depuis 2007 et vient de sortir de sa tombe avec la sortie du Bug dont il est question, ou dont il est censé être question sur cette page. Black-out complet du côté de Willy Friedrich... gros "broken arrow" pour William Frisby. Il a laissé lettre totalement morte depuis son dernier film. Il doit probablement défragmenter son cerveau gangréné suite à son dernier gros Bug.


Une fois j'ai bu un pack de vodka redbull et je me suis vautré sur la tommette de ma cuisine, ce vieux dallage en terre cuite, pendant tout un après-midi passé devant trois fourmis qui cherchaient à faire passer une grosse miette de bouffe par un trou trop petit en bas de la porte-fenêtre qui donne sur mon jardin, mot fort élégant pour ce qui me sert en vérité de débarras. C'était pile poil le film de Friedkin. A la fin de l'après-midi j'ai marrave les fourmis avec mes doc marteens et j'ai colmaté la brèche en bas de ma porte-fenêtre avec une brique. Le film je l'ai maté y'a presque un an et pourtant j'ai toujours le sentiment de voir Friedkin le cul collé à son chiotte, tout sourire et conquérant à l'idée d'avoir songé à l'histoire la plus conne qu'il pouvait tirer des différentes définitions d'un triste mot. J'arrive pas à retirer cette image de mes pensées. Sans doute ma persistance rétinienne qui fout le camp. Je me casse prendre rendez-vous chez l’orthoptiste du coin !
Bug de William Friedkin avec Ashley Judd, Michael Shannon et Harry Connick Jr. (2007)
14 mai 2009
Le Nouveau Monde

Et puis en 2006 notre soixante-huitard attardé remet le couvert avec Le Nouveau Monde, adaptation de la célèbre histoire de Pocahontas, la légende fondatrice de la civilisation Américaine et jalon de sa tradition littéraire. Mais ça on s'en fout puisque ce qui intéresse Terrence Malick, c'est l'herbe. Et quoi de mieux pour filmer des herbes que ce "Nouveau monde", terre vierge, tantôt hostile tantôt si hospitalière ? Au fond Malick il s'en balance pas mal de Pocahontas. Et on va pas lui en vouloir. Qui en a quoi que ce soit à secouer de cette légende parfaitement chiante ? Non, tout le monde s'en fout. C'est super con comme histoire de toute façon... Y'en a eu deux mille comme ça, des récits de captives tantôt blanches tantôt natives, de chevaliers preux et conquérants, de sceptres en or et de calumet de mes pets, et c'est celle de Pocahontas qui est restée dans les mémoires sans doute parce que le nom de l'héroïne sonne bien... Une chance que l'histoire n'aie pas porté le nom du héros d'ailleurs, parce qu'avec un bouquin intitulé "Smith" personne n'aurait levé son cul de sa chaise. Non pour Malick c'était surtout une aubaine pour filmer des herbes, des brindilles, de la paille, des prairies, de la végétation, des prés, de la pelouse en un mot. Et Terrence Maniac s'en est donné à cœur joie. De long en large, de loin en loin, on voit la jeune Péruvienne qui interprète Pocahontas déambuler dans un sens puis dans l'autre à travers champs, à contrechamp, elle colchique dans les prés sans fin, béate, toujours plus esbaudie par le contact avec le moindre bourgeon, toujours plus excitée à chaque fleur qu'elle écrase de ses pieds plats, toujours plus bouffée par les guêpes et les moustiques, heureuse, candide, niaise, conne, faut bien le dire, elle est con comme un ballon.
Parsemé de scènes narratives probablement tournées par un assistant à la manque, un exécutant sans figure, un "yes man" très patient, le film de Malick n'est qu'une suite de plans sur une bourrique indienne en extase permanente qui danse dans les hautes herbes Américaines, filmée par un vieillard plein de tocs et sans doute plein de tiques après des mois passés dans la jungle Colombienne caméra au poing. Aussi le montage est-il totalement décousu et audacieux. Mais encore faut-il considérer comme "audacieux" un monteur d'Hollywood qui a dû suer toutes les eaux de son corps et se ronger les ongles jusqu'à se dénuder les os des doigts pour raccorder bon an mal an des milliards de kilomètres de rushes sur des herbes grimpantes au milieu desquelles, tête basse, Colin Farrell grimpait quant à lui la moitié des petites actrices locales, naïves autochtones, sans que personne ne s'en aperçoive. En tchancles ou en armure de conquistador, Colin Farrell finit chacun de ses tournages, pour ne pas dire chacune de ses journées, assis en chien de fusil sur une autre personne.
Après la sortie de ce film les journaux spécialisés annonçaient Malick sur le tournage d'un long métrage sur le golf intitulé "Green". On entendait aussi courir la rumeur de l'écriture d'un film sur le football, dont le working-title était "Grass". Mais c'est bel et bien The Tree of Life qui devrait arriver sur nos écrans un jour ou l'autre.
Le Nouveau Monde de Terrence Malick avec Colin Farrell et Christian Bale (2006)
15 mai 2008
Peur Primale

Gregory Hoblit est un personnage qui a rapidement été apprécié dans le métier, mais il a paradoxalement bien mis du temps à gagner une certaine reconnaissance. On l’a d’abord aimé pour sa bonhomie, pour la joie de vivre qu’il dégage même lors des moments les plus difficiles. Il s’est très tôt fait remarquer sur les plateaux où il officiait en tant que simple assistant car il avait la particularité de nettoyer les gros carreaux de ses énormes lunettes à l’aide de son slibard, il prétextait que c’était là le seul tissu adéquat (sans doute le seul contenant assez d’acidité pour parvenir à dégraisser les verres embués du gaillard). Ensuite, on a apprécié sa polyvalence, du fait qu’il est capable de tout filmer de la même façon, sans jamais y mettre sa touche personnelle. Greg Hoblit représentait par conséquent une sacrée roue de secours en cas de pépin, sa mise en scène sans aucune personnalité a fait de lui la cinquième roue du carrosse la plus utilisée à Hollywood. Il était connu comme étant le seul et unique director croque-mort, puisqu’à chaque fois qu’un réalisateur crevait en plein tournage, on faisait appel à Hoblit pour non seulement se débarrasser du macchabée et organiser les funérailles en accord avec la famille du défunt, mais aussi pour reprendre en main le film et achever le tournage en bonne et due forme. Hoblit est donc un véritable guide du routard hollywoodien doublé d'un vieux briscard qui a longtemps été habitué à exécuter ses tâches sans rechigner et qui connaît par cœur tous les rouages du système. Gregory Hoblit a vu sa carrière prendre enfin son envol grâce au succès surprise de Peur Primale, un film dont il préfère le titre dans sa version française, « pour sa sonorité ».
Peur Primale est un thriller où Richard Gere campe le rôle d’un avocat têtu chargé de défendre un retard, un déficient intellectuel, joué par Edward Norton, accusé d’un crime affreux. Lors de la première scène du film, on assiste à l’arrestation virile d’Edward Norton, encore présent sur les lieux du drame, les mains toutes ensanglantées. Les analyses médicales ne font aucun doute : le sang qu’il a sur les mains est bel et bien celui du pasteur dont on a retrouvé la tête au bout d’une pique et le reste du corps trempant dans l’eau bénite de l’église. Alors qu’on prépare déjà la chaise électrique pour un détenu qui ne comprendra de toute façon pas ce qui lui arrive, un avocat décide de prendre l’affaire en main et de défendre l’indéfendable. Cet avocat a les cheveux blancs, le regard rieur, la démarche chaloupée et appelle au boycott des Jeux Olympiques de Pékin : il s’agit bien évidemment de Richard Gere, le "Silver Fox", on l’aura reconnu au premier coup d’oeil. Le reste du film s’apparente à un documentaire sur le système juridique américain, dont Hoblit pointe du doigt les nombreuses failles. Ces mêmes failles qui permettront à Edward Norton d’éviter l’incarcération à perpétuité et qu’Hoblit explorera à nouveau avec le film Fracture (intelligemment nommé La Faille en VF), où Anthony Hopkins s’en tire avec un casier judiciaire vierge après avoir pourtant donné la mort à 12 innocents. Mais même si cette critique au vitriol est brillamment menée par Hoblit, qui dans le civil est un père meurtri par la disparition de sa fille dont l’assassin court toujours, et quand bien même cette critique tombe à point nommé, là n’est pas l’intérêt de Peur Primale et là n’est pas la raison de son succès retentissant en vidéo-club. Pour comprendre pourquoi Peur Primale est devenu un classique du petit écran, régulièrement diffusé par TF1 les dimanches en première puis en deuxième partie de soirée, il faut voir vu la toute dernière scène du film, celle où on assiste tétanisé au terrible retournement de situation final.

A la toute fin du film, le spectateur a l'estomac sens dessus dessous quand il voit Edward Norton avouer à Richard Gere en lui riant littéralement au nez qu’il n’est pas du tout attardé mais qu’il est seulement très bon acteur ; il en profite aussi pour le remercier d’avoir réussi à lui faire éviter la peine capitale. Ce twist est d’une efficacité redoutable, mais ce que peu de personnes savent c’est qu’il n’était pas du tout prévu dans le scénario initial et qu’il est simplement dû à une improvisation d’Edward Norton jugée « géniale, ahurissante » par Hoblit malgré les réticences de Richard Gere qui voyait-là l’héroïsme de son personnage en prendre un sérieux coup. A la vue du résultat, on applaudit des deux mains le flair du cinéaste, mais on ne peut s’empêcher de regretter qu’Hoblit n’ait pas gardé les autres improvisations d’Edward Norton, seulement visibles sur l’édition DVD collector. On peut y voir un Ed Norton, décidément en grande forme, profitant de son rôle d’attardé mental pour rendre la vie impossible à un Richard Gere qui faillit plus d’une fois en oublier sa philosophie bouddhiste. Tour à tour roué de coups, traîné dans la boue, insulté et menacé à l’aide d’une queue de billard lors d’une scène coupée mythique dans un bar… le Dr T en voit littéralement de toutes les couleurs et c’est pendant le tournage, a-t-il reconnu plus tard en conférence de presse, qu’il déclara avoir réellement enculé toutes les étapes menant au nirvana et qu’il se félicita d’avoir su rester fidèle aux 15 préceptes de l’éthique bouddhiste.

Depuis le succès de Peur Primale, Gregory Hoblit est désormais capable de choisir ses scénarios, un privilège qu’il ne pouvait pas s’accorder dans le passé, quand il était plus soucieux de remplir son frigidaire. Hoblit a ainsi décidé de se bâtir une filmographie uniquement constituée de thrillers. On l’appelle le nouveau Hitchcock. Modeste, Hoblit rectifie, et dit qu’il est simplement « le nouveau Hoblit ». Il enchaîne les thrillers, raffole des faits divers. Il a récemment réalisé Intraçable, où l’on voit Diane Lane prise au piège par un tueur qui filme ses meurtres pour les mettre ensuite sur Youtube. Une histoire sordide. Une histoire qui a immédiatement plu à Hoblit, qui trouvait là l’occasion de critiquer les dérives d’internet. Et finalement un film de plus à ajouter à la filmographie d’Hoblit. C’est à voir si on aime ce non-genre, si on apprécie la patte de ce cul-de-jatte. C’est du Hoblit.
Peur Primale de Gregory Hoblit avec Richard Gere, Edward Norton et Laura Linney (1996)