8 mai 2008

Black Sheep

« J’ai plus que 3 briques sur mon compte en banque dont une dans mon slibard ! » c’est en prononçant cette phrase sans équivoque que le jeune cinéaste néo-zélandais Jonathan King a fait son entrée dans le sombre bureau du patron de l’obscure entreprise JonahloMuvies, l’une des rares sociétés de production néo-zélandaises ayant résisté face à l’envahisseur américain. « Bon ok, Elvis, je vais essayer de te sortir du pétrin ! Essayons de te trouver un scénar potable qui te rapportera du pognon » lui a répondu le patron du tac o tac, habitué aux cris d’alarme de son jeune poulain. S’en est suivie une longue séance de brainstorming autour d’une table ovale où les différents collègues de travail n’ont rien trouvé de bon ou rien qui n’ait déjà été fait. Puis un jeune employé, jusque là plongé dans la contemplation des paysages bucoliques qu’il regardait depuis la fenêtre, a levé timidement le doigt et a prit la parole avec hésitation.
- Je guinchais par la fenêtre là, je matais ces milliards de moutons qui pâturent dans nos champs, tout autour de nous, et… vous allez peut-être trouver ça naze, mais j’ai eu une putain d’idée toute conne qui m’est venue à l’esprit… a dit lentement le jeune homme timide, face à un auditoire déjà impatient, lassé par cette interminable séance de brainstorming.
- Bon va z’y dégueule, on a pas que ça à foutre mon vieux et on a déjà passé toute la sainte journée à cogiter pour ce con de King ! a répondu sèchement le patron, à cran.
- Bon…ok, a reprit le jeune, secoué ; alors voilà : j’imaginais un film d’horreur où les moutons deviendraient des monstres assoiffés de sang.
- Bon écoutez les mecs moi si c’est ça je me barre, a dit tout de go un type qui était jusque là à moitié endormi à l’autre bout de la table et qui s’est redressé d’un seul coup. Je fous le camp. Je mets les voiles. Je disparais. Des films d’horreur comme ça y’en a déjà eu des centaines. Putain mec t’as pas inventé l’eau douce. Ces films-la sont des parodies de merde jamais drôles. Prendre un animal ou un objet d’apparence tout à fait innocente et en faire un monstre sanguinaire, ça accouche rarement d’un bon film. Ça craint ! The Refrigerator, ce film où un frigo s’en prend à ses proprios, tu le connais sûrement pas, mais moi oui, je l’ai vu, du début à la fin, sans fermer l’œil, et je peux te dire qu’il est pas terrible malgré son pitch sacrément novateur. Et pourtant un frigo mangeur d'hommes moi ça me fait déjà plus marrer qu’un mouton zombi. Et puis on nous a resservi la même chose avec cette fois-ci un teuchio qui arrachait les culs des personnes qui venaient chier dedans. C'était dégueu et c'était une bien meilleure idée que la tienne : je suis pas allé aux toilettes pendant plus d'une semaine après l'avoir vu ! Je te raconte pas l'état de mon futale ! Puis il y a eu un autre film avec un ascenseur maléfique, tout simplement intitulé L'Ascenseur. Il est très célèbre celui-ci, il a même eu une récompense à Avoriaz. Avoriaz putain, ça rime à rien ce festoche minable. Et tu piges même pas quand je suis ironique, je le vois bien, t’as l’air tout paumé. Bref. On a déjà vu des chiens dans Beethoven, des chats dans Simetière, des ours dans L’Ours, des piranhas dans Piranhas, des oiseaux dans Les Oiseaux, des éléphants dans Jumanji… C’est du vomi et du revomi ton idée. Ça n’est jamais un prétexte assez solide pour en faire un film. A vrai dire j’ai même de la peine pour toi. Tu feras pas de vieux os au sein de notre compagnie. Bon et puis comme je l’ai dit, moi je trace ma route. Y’a ma femme qui m’attend avec ses trois putains de gosses à la maison, et j’ai surtout pas envie de passer la soirée à me faire engueuler parce que je suis rentré en retard du boulot. Ce soir c’est à mon tour de crever les gamins pour qu’ils trouvent le sommeil fastoche et nous pourrissent pas la soirée. J’en ai marre de vos conneries ; je commence à regretter ce temps béni où ce bon gros Peter Jackson nous dictait tout ce qu’on devait faire au doigt et à l’oeil. Lui aussi avait des idées de merde mais au moins ça nous rapportait du pognon et moi j’obéissais sans réfléchir. Toi tu vas nous apporter le mauvais œil. Tu vas nous faire couler. Tu vas nous rayer de la carte alors que ça fait maintenant plus de 25 piges qu’on parvient à résister face à la concurrence ricaine. Et puis merde alors, mon père était dirlo photo et travaillait déjà pour JonahloMuvies. Le père de mon père était second assistant au balayeur, ici même, dans ce building. Mon arrière-arrière grand-père est enterré dans le cimetière indien sur lequel ce building est justement implanté. Le poltergeist qui nous gangrène la vie : c'est lui ! Ma mère m’a mis au monde en catastrophe dans ces locaux. Mon premier rapport a eu lieu là, juste là, sur cette table. Désolé les mecs. Et bordel je veux pas qu’un projet minable dicté par un jeune crétin mette à l’eau notre société ! Allez je vous dis adios muchachos, moi je taille la zone. Si vous avez une idée valable vous m’appelez, vous connaissez mon numéro. Mais m’appelez surtout pas chez moi après 22h, car si vous réveillez mes gosses je vous fais la peau. Je fais de vous mon paillasson et j’essuierai tous les jours mes chaussures de montagnes dégueulasses sur vos tronches aplaties ! »



Malgré ce long monologue lourd de sens, Black Sheep a bel et bien vu le jour. Il est disponible partout et, en comparaison à d’autres films bien meilleurs qui passent souvent inaperçus, on en a beaucoup entendu parler. Même ces rares émissions télé ou radio qui s’intéressent encore au cinéma l’ont critiqué avec sérieux, comme si Black Sheep était d’une grande originalité et méritait toute l’attention du monde. Il s’agit pourtant, comme l’avait prévenu le bonhomme énervé, d’un simple film d’horreur parodique de plus, bête comme ses pieds, s’appuyant uniquement sur une idée déjà bien faible, et n’étant drôle qu’une fois ou deux sur 1h30 de film. Cependant le jeune employé avait aussi raison, il suffisait d’une idée si simple mais si évidente pour assurer à son film un succès largement suffisant pour le rembourser, voir même pour permettre à JonahloMuvies de couler des jours heureux.


Black Sheep de Jonathan King avec Matt Chamberlain et Nick Fenton (2006)

4 commentaires:

  1. Très drôle le coup du bonhomme énervé !

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  2. Un bien grand beau monologue !

    "Mon premier rapport a eu lieu là, juste là, sur cette table. Désolé les mecs."
    :D

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  3. J'ai vu ce film et depuis je suis phobique de tout ce qui est laine, laineux, même le fromage de brebis je peux plus.

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  4. J'ai vu ce film et depuis je ne mange plus de porc, et je me fais appeler Djamel.

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