Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais les petits studios indépendants américains se livrent actuellement une guerre sans merci. Étouffés par les grandes sociétés de production hollywoodiennes telles qu’Universal, la 20th Fox ou Paramount, ces petits studios s’affrontent entre eux, essayant de cette façon d’éliminer la concurrence, quitte parfois à s’envoyer des bâtons dans les roues, le but recherché étant évidemment de gagner plus d’influence et plus d’argent. Hélas, la qualité de certains films produits par ces studios indépendants s’en fait largement ressentir, puisque leur conception se fait désormais rarement dans le calme et la sérénité. On assiste à de véritables entreprises de sabotages, autodestructrices, lancées par d’autres studios indés, en vue d’empêcher le bon fonctionnement d’un tournage ou de parasiter la sortie d’un film. Produit par Excel Entertainment, une société indépendante fondée sur le succès des céréales Rices Crispies, le film de guerre Saints and Soldiers en est un bien triste exemple.
Retraçant l’épisode historique douloureux du Massacre de Malmedy de l’hiver 1944, Saints and Soldiers a lui-même été la victime d’une opération dite de « false flag ». Vous savez, ce sont ces opérations militaires qui consistent soit à tromper l’ennemi en infiltrant en son sein des soldats déguisés, soit en attribuant à l’ennemi un acte terroriste que l’on a soi-même provoqué pour légitimer des représailles futures. C’est la première méthode qu’a adoptée l’obscur studio Wicked Pictures pour entraver au tournage de Saints and Soldiers, en plaçant à des postes clés de véritables intrus portant de faux uniformes de MPs et justifiant leurs présences via de faux papiers. Un monteur plein de mauvaises intentions s’amusa ainsi à inclure dans le film des passages fantastiques, voire horrifiques, et on se retrouve avec une traque assidue du Big Foot en pleine bataille des Ardennes. Un autre intrus avait volé le rôle du conseiller historique et le scénario s’en ressent quand on assiste à un festoche d’anachronismes sans queue ni tête. On retrouve d’ailleurs cet intrus pendu à une corde dans une scène particulièrement réaliste du film. Enfin, et plus grave encore, ces infiltrés ont eu la malicieuse idée de remplacer les balles à blanc des mitrailleuses Allemandes par de vraies balles traçantes. C’est ainsi que plus de 70 figurants ont trouvé la mort dans une scène plus néo-réaliste que jamais, lors d’une journée à marquer d’une pierre blanche dans ce tournage chaotique, puisqu’il s’agit d’un record de pertes humaines sur un film. Gérard Krawczyk coiffé au poteau, lui qui avait pourtant réussi à envoyer sous terre deux ou trois techniciens de haut vol sur le tournage de Taxi 2. C’est en tout cas ce qui est resté dans l’histoire comme le Second Massacre de Malmedy de Miami, le film étant tourné en Floride.
Pour revenir à une autre forme de sabotage découverte sur ce film, le cas d’un faux dirlo photo qui n’était armé que d’un appareil photo numérique Pentax, lui que la véritable équipe du film avait pris pour un banal photographe de plateau était en réalité le cadreur, ce qui nous vaudra une demi heure de film qui rend hommage à La Jetée de Chris Marker puisque l’on a à l’image une suite de photographies noir et blanc faisant avancer l’intrigue à leur rythme. Mais tout ça n’est rien comparé à ces acteurs factices qui s’étant donné le mot, parlaient allemand quand ils interprétaient des soldats américain et vice et versa. Certains ont écrit que ces acteurs-là, envoyés par Wicked Pictures étaient en réalité une troupe d’acteurs porno, et on veut bien y croire en voyant à l’écran tous ces gens dégainer plus souvent leurs sexes que leurs fusils. Autant dire que la vérité historique n’est pas toujours au rendez-vous. Surtout quand le Colonel Martin Hessler, lassé par un combat de chars trop rude, s’en va dans la forêt des Ardennes en Corvette flambant neuve, rouge écarlate, et prend la route de Miami, que nous indique un panneau flagrant déposé là par un des saboteurs de la Wicked Pictures Association, panneau indicateur dont un grand travelling arrière d’hélicoptère nous révélera qu’il menait droit à un canyon où la voiture de luxe du Colonel finira sa course dans un vibrant hommage involontaire à Thelma & Louise.
Le film se termine par un plan tragique où l’on peut voir le metteur en scène lui-même, retrouvé à l’état de glaçon, sous la neige, seulement quelques jours après la fin du tournage.
Saints and Soldiers, l'honneur des Paras de Ryan Little avec Ben Gourley et Chris Clark (2004)
Très bonne review qui tappe avec élégance et humour là ou il faut.
RépondreSupprimer