Après le succès planétaire du Péril Jeune, Cédric Klapisch se voit confier dès l'année suivante la réalisation du très fameux Un Air de famille, co-écrit par le duo Baoui-Jacri. Klapisch ne supporta sans doute pas d'être réduit au rang d’exécutant, d'homme à tout faire, de simple nom sur une affiche, de connard assis à rien foutre derrière un combo pendant que Bacri, Jaoui et Darroussin faisaient de leur côté un film qui leur ressemblait, un assez bon film, très éloigné de celui qui est censé l'avoir réalisé, Klapisch, lequel a en réalité passé tout le tournage dans sa maison de campagne du Lubéron, à péter dans la soie entouré de ses chats. Alors il décide d'écrire et de tourner un film, son film, un film qui lui ressemble et dont il puisse tirer les ficelles tout seul. C'est pourquoi en 1996, année faste, Cédric Klapisch tourne simultanément deux films. Enfin ça c'est ce que racontent les journaux et wikipédia. Lui, dans les faits, il ne tourne qu'un film, le sien propre, qui aura pour judicieux titre Chacun cherche son chat.
Oubliez Une Nuit de chien de Werner Shroeter. Effacez de vos mémoires Chiens enragés de Mario Bava, sans oublier de jeter dans le même sac le Chien enragé de Kurosawa. Inutile de repenser au Chien du Rajah de Murali Nair. Éradiquez Un Après-midi de chien de Lumet de vos pensées, ne pensez plus non plus au Chien andalou de Bunuel et n'allez pas voir Entre chiens et loups d'Alexandre Arcady au cinéma, vu que de toute façon il n'est pas dans les salles. Oubliez que vous êtes allés voir au cinoche Chien des neiges de Brian Levant un soir de grandes pluies. Vous avez peut-être eu la chance de voir Les Chiens de paille de Peckinpah, auquel cas ne le dites plus à personne. Enfin si Le Chien, le Général et les Oiseaux de Francis Nielsen était votre dessin animé préféré quand vous étiez petit, faites une croix dessus. Même chose pour Le Chien jaune de Mongolie de Byambasuren Davaa, ou encore pour le moins tendre Viande de chien de Carlos Siguion-Reyna. Pire, ne songez même pas au misérable Entre chiens et teucha de Michael Lehmann, ici il ne s'agit que de chats et rien que de chats.
Encore une fois, et après avoir si vaillamment dénoncé les retards des trains TER et TÉOZ dans son premier court métrage Ce qui me meut, Cédric K. s'attaque aux sujets les plus chauds. Ayant déjà frappé d'un grand coup de poing sur la table pour dénoncer la tyrannie exercée par un professorat litigieux sur une communauté étudiante vouée à l'échec, habillée chez Conforama, créchant dans des taudis et volontairement crasseuse dans Le péril jeune, Klapisch se concentre ici plus précisément sur la question des chats, de la difficulté d'élever des animaux domestiques en ville, sur les pressions exercées par nos concitoyens - plus nombreux qu'on ne croit - démunis d'amour pour les bêtes, qui, après s'être ramassés un beau matin la gueule dans les merdes de chats de leurs voisins en allant travailler, sont condamnés à deux mois d'hôpital pied dans le plâtre, perdent leur emploi et décident de se liguer pour organiser des chatonnades, ces événements lugubres lors desquels les plus sectaires et les plus réac' des résidents de la Capitale se réunissent encagoulés pour aller bastonner des chats. Enfin le film de Klapisch s'attarde sur la question de la difficulté de créer des élevages de plus de 200 chats dans des immeubles insalubres du 5ème arrondissement. Autant de questions de société que soulève une bonne fois pour toutes un Cédric Klapisch décidément plus concerné que jamais par son époque. On peut légitimement parler de film définitif sur la recherche d'un chat qu'on a perdu, et c'est un tour de force de Klapisch quand on sait combien le propos est à la fois vaste, inépuisable et sujet à caution.
Au départ ce film devait être un court métrage. C'était l'histoire d'une fille qui perd son chat : elle descend dans la rue, cherche dix minutes, pas moyen de foutre la main dessus, elle remonte et finalement elle le retrouve coincé dans la porte d'entrée de son appartement, la tête figée dans une expression de douleur atroce, les oreilles couchées, l'œil écarquillé, la gueule grande ouverte d'où pend une langue bleue longue comme la main. Les deux pattes avant dressées sous le menton, raides comme la justice, griffes sorties en direction de la cage d'escalier. La fille se rend compte que le chat n'était pas du tout perdu, il pionçait bien gentiment sur le canapé à côté d'elle. Ne l'ayant pas vu elle est partie à sa recherche et le chat, voyant sa maîtresse sortir de l'appartement, a entrepris de la suivre, mais c'était sans compter sur un courant d'air vicieux et sur la vélocité avec laquelle la jeune fille devait claquer sa porte pour vite prendre les escaliers quatre à quatre. Le chat est resté là, complètement mort, l'abdomen écrasé entre la porte et le mur, les côtes réduites en cendres, l'estomac éclaté, le milieu du corps réduit à une épaisseur dérisoire de quelques millimètres, tandis que l'arrière du corps est demeuré totalement inerte lui aussi, affaissé, comme dans l'attente qu'on daigne rouvrir la porte pour permettre aux poumons de se remplir à nouveau et au reste du corps de rendre les armes dignement. Bref en somme le chat est complètement rétamé dans la porte et la jeune fille le regarde sans comprendre. Générique !
Mais poussé par un producteur enchanté et une équipe technique fiévreuse de sortir du chômage pour un peu plus de deux jours, Klapisch, fort de milles nouvelles idées de chats perdus, a rallongé son court pour en faire un long métrage, tout en gardant son premier sketch en guise de conclusion tragique à son chef-d'œuvre. Quand ils sont passés le voir sur le plateau, J-P. Bacri et A. Jaoui ont aussitôt appelé leur producteur pour lui demander de retirer le nom de Klapisch des affiches de leur film Un air de famille, ce qui pour d'obscures raisons de copyright ne s'est jamais fait. Les relations entre Jabac, le couple de dialoguistes le plus huppé du Tout-Paris, et le grand magnat du film choral parisien sont désormais au beau fixe puisqu'ils ne se fréquentent plus. Avec ou sans eux Klapisch a signé son film, et il fait bien une plombe trente comme c'était écrit dans le cahiers des charges. Du début à la fin le film raconte des histoires de chats perdus puis retrouvés, qui n'ont aucune sorte de liens les unes avec les autres, et on marche à fond dans son trip.
C'est d'abord Zinedine Soualem qui cherche son chat dans un plan séquence de dix minutes. On se surprend à ne jamais s'ennuyer devant ce grand acteur qui, demeurant au beau fixe fièrement assis sur son sofa devant une télé clairement éteinte, appelle son chat prénommé pour l'occasion "Djamel", hurlant son nom à tue-tête, en penchant vaguement la tête vers la cuisine, la chambre, le couloir, l'œil joueur d'abord, puis légèrement inquiet. Après dix minutes et pour conclure un plan séquence tout en travellings circulaires autour du sofa, Zinedine Soualem, impérieux, se lève enfin et décide d'aller jeter un œil sur les toits malgré son vertige, pour retrouver son chat. Sa quête, qui dure vingt minutes mais qui nous vaut des plans magnifiques sur les hauteurs de Paris, se solde par un échec, et Zinedine Soualem rentre chez lui en claquant la porte. Il fait un dernier tour du proprio et s'exclame à la cantonade : "Moi j'arrête de chercher Djamel j'te préviens, je laisse pisser. Je te mets des croquettes à la merde dans ta gamelle pour quand t'auras fini de jouer". Puis l'acteur se poste debout devant son téléviseur, manifestement choppé par un programme que Klapisch ne nous dévoile pas (mais on devine au son qu'il s'agit du premier kourtrajmé de l'auteur, Ce qui me meut, effectivement aussi court que captivant). Quand il se retourne enfin pour aller s'asseoir quand même, Zinedine découvre sous lui, là où était posé son cul emmitouflé dans un jogging Quechua vert et rose, son chat, dont le visage est relativement chiffonné, et dont les pattes avant sont à ce point écrasées que l'on devine qu'elles se chevauchaient quand Zinedine Soualem a décidé de venir s'asseoir là : la patte droite, originellement posée négligemment sur la gauche, est encastrée dans cette dernière, les deux pattes étant comme soudées l'une à l'autre au niveau des articulations dans un geste de croix mortuaire qui ne laisse planer aucun doute sur l'issue tragique du chat, étouffé et aplati par le cul de son innocent de maître, le pauvre Soualem.
Et puis c'est au tour d'Hélène de Fougerolles, Marine Delterme, Marilyne Canto et Renée Le Calm, quatre sœurs jumelles (on passera sur les choix de casting de Cédric Klapisch, tapez Renée Le Calm dans google et vous comprendrez) qui n'ont de cesse de chercher leur chat. Elles fouillent tout le 5ème arrondissement à la recherche de leur animal si cher. Et puis elles finissent par le retrouver sur le toit de leur immeuble. Leur con de chat est monté là et ne sait plus redescendre, il attend terrorisé sur le bord de la corniche. Les quatre sœurs grimpent sur le toit par une trappe et récupèrent le beau chaton. S'ensuit une dispute à qui prendra le chat dans ses bras la première pour lui faire un gros câlin. Et le spectateur sent bien venir le couac, il sent bien le malheur se profiler à l'horizon, comment s'en garder après avoir assisté impuissant à la mésaventure de Zinedine Soualem, qui a donné le ton du film. Et les quatre sœurs ne veulent pas voir le drame se rapprocher. Et tirant chacune sur une des quatre pattes du maudit matou, arrive ce qui devait arriver... Et l'on a déjà mal au cœur depuis cinq minutes quand ce qu'on imaginait sans y croire se produit enfin, quand on voit le chaton éclater dans un bruit sourd comme un oreiller chargé de plumes. Et Klapisch, inspiré, croit bon de filmer dans un panoramique lent et éprouvant sur les toits de Paris les poussières blanches et rouges du petit chat explosé volant aux quatre vents, déportées par les courants d'air pollué parisiens.
Je passerai sur une séquence morbide de plus et sans grande nouveauté dans laquelle Camille Japy, après avoir passé une soirée toute seule dans son petit appartement à fumer du spliff devant la télé, se réveille au petit matin, inquiète de ne pas trouver Victoire, sa petite chatte, pour finalement l'apercevoir par hasard coincée derrière le radiateur, écrasée dans un espace large comme deux doigts, complètement cramée, fumante, un gros bédot collé aux coins de la gueule. Voilà une séquence onirique qui vaudra à Cédric Klapisch les foudres des maîtres du genre, j'ai nommé la rédaction au complet de Mad Movies, le grand magazine du fantastique et du lexique du cinéma réinventé à chaque page. Avec cette scène, Klapisch aurait voulu rendre hommage au singe clamsé derrière un radiateur de Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) d'Arnaud Desplechin, pourtant sorti deux mois après la même année.
Dernière scène éloquente, avec Romain Duris s'il vous plaît, qui pendant près de 45 minutes de film cherche son chat en courant dans toute la ville, partant de l'Arc de Triomphe pour arriver devant la tombe du Soldat Inconnu une rose rouge à la main dans un parcours identique à celui de François Mitterrand en son temps (Libé a titré à la sortie du film: "Klapisch nous tire des larmes de malade"), pour enfin retrouver son chat, pourtant coincé dans son impénétrable tignasse, étouffé par une touffe de cheveux sales et gluants enfoncée dans sa petite gorge jusqu'aux profondeurs de son minuscule intestin grêle.
Le film a été primé à Berlin en 1996 où il a reçu le Prix de la Critique Internationale, section panoramique, pour le panoramique sur les entrailles du chat éclaté s'envolant sur les toits de la ville de Paris, qui sera à l'origine d'un nouveau terme de cinéma : "Panotragique". Cette même année Anouk Grinberg a remporté l'Ours d'Argent de la meilleure actrice pour Mon homme avant de déclarer sur scène : "Je regrette d'avoir commis autant de films quand je découvre que le cinéma peut être cela, quand je termine devant des films comme celui de notre ami". Une minute après l'Ours d'Or revenait à Raisons et sentiments de Ang Lee, grand ami de Takeshi Kitano, qui déclara vouloir cesser de faire des films et d'en voir après avoir serré la main de Klapisch.
Le film a aussi remporté le prix Martini & Rossi 1996, qui, rappelons-le, étaient deux grands criminels devant l'Éternel qui ont croupi dans les geôles de la plus grande prison du monde après avoir créé ce festival clandestin. Ce prix est remis chaque année dans la prison d'Alcatraz aux artistes que le jury de taulards considère comme le plus potentiellement coupables de crimes contre l'humanité. Le président du jury cette année-là, un certain Manuel Munz, avait déclaré en remettant le prix (des menottes dorées à l'or fin) à un Klapisch enchanté : "Vous êtes probablement l'artiste, cette année, dont on peut penser qu'il aurait de toute évidence commis des atrocités ou autres violences et barbaries sur personnes jeunes et âgées s'il n'avait pas eu son art comme exutoire où détendre ses nerfs, félicitations et à l'année prochaine !". Chacun cherche son chat a donc remporté le 12ème Grand Prix de la fondation Martini & Rossi pour le cinéma. L'heureux lauréat de ce prix, attribué par une cinquantaine de taulards, se voyant remettre une somme substantielle pouvant aller jusqu'à 200 000 francs (30 490 euros), nous savons désormais d'où provenait l'argent sale puis blanchi qui a ensuite permis à Cédric Klapisch de produire les Branlettes Espagnoles et autres Poupées Russes, dont les titres révélèrent à demi-mot l'origine des mécènes de notre Klapisch national, mécènes détenus à Alcatraz jusqu'à nouvel ordre.
Klap' de fin.
Chacun Cherche Son Chat de Cédric Klapisch avec Garance Clavel, Zinedine Soualem et Romain Duris (1996)
J'aime beaucoup le prénom du chat de Zinedine Soualem !
RépondreSupprimerBravo !
RépondreSupprimerJ'ai du aller aux toilettes pour couper mon fou rire. Efficace.
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