27 avril 2011

Mulholland Drive

Rédactrice exceptionnelle du blog, Nônon Cocouan m'a rejoint pour parler à quatre mains du film le plus coté de ces dix dernières années, celui qui a ouvert la voie au cinéma du 21ème siècle.

Qu'on se le dise, il y a un avant et un après Mulholland Drive. Avec ce film, on quittait le traditionnel "Attention ! Changement de réalité", pour entrer dans la pure fusion schizophrénique de ces réalités. Matrix et eXistenZ avaient déjà ouvert la voie à ce type de confusion concertée mais ces films-là distribuaient des clés et se donnaient finalement à lire, sans ambiguïté pour le premier, dans toute son ambiguïté pour le second, avec son fameux système de twists. Aucun de ces deux films n'avait créé un engouement interprétatif comme celui qu'a suscité le mystérieux film de Lynch (mystérieux, Lynch, doux pléonasme*). Chacun y allait de son explication plus ou moins vaseuse, cherchant à comprendre le pourquoi du comment en décortiquant un à un tous les éléments de l’œuvre. L'oncle Lynch avait pourtant bien dit qu'il n'y avait rien à comprendre et qu'il était inutile de chercher, mais les fans incorrigibles n'écoutèrent pas leur nouvelle idole et s'époumonèrent à forcer le film, à lui faire dire ce qu'il ne disait pas (bien que n'interdisant aucun de ces discours poussifs).


Combien de Rita dans cette image ?

Par exemple, sur l'élément le plus énigmatique du film, le fameux loup-garou qui apparaît derrière le bar Winkie's et qui est en "réalité" (mais où est la réalité ?) un vieux clodo crado : tout a été dit. Qu'il s'agissait d'une affirmation de la portée psychanalytique du film via l'apparition du "surmoi" de Freud sous la forme d'un ouistiti ; mais encore, pour certains terre-à-terre, que ce clochard couvert de poils et de merde avait pour vocation de représenter toute la misère que le miroir aux alouettes clinquant d'Hollywood tend à dissimuler. Naomi Watts en personne, subjuguée par le talent divin de son pygmalion, y est allée de sa petite hypothèse : d'après elle cette scène serait la prophétie lynchéenne annonçant sa gloire à venir et sa future collaboration avec le gros gorille d'Hollywood (on parle bien sûr de Peter Jackson, pas de King Kong). Finalement, las de toutes ces spéculations et déçu que personne ne l'ait reconnu, Lynch a fini par révéler le pot aux roses : fan d'Hitchcock, il a voulu comme son maître apparaître dans son film avec un caméo de tous les diables. Son image de dandy en a pris un coup puisqu'on l'a tous pris pour un gros chien.


Sous la merde, le dandy.

Pourquoi chercher à tout prix à élucider le mystère quand toute la beauté et la richesse du film résident précisément dans ce mystère ? Ne cherchons pas en vain à inventer des réponses pour chaque énigme de ce film, apprécions-en plutôt les abysses métadiscursifs et laissons-nous prendre au pur jeu cinématographique de Lynch. Le cinéaste à mèche folle a pour intention première d'explorer la fascinante puissance d'illusion du cinéma et de nous manipuler alors à sa guise en se jouant des codes rigides de la "grammaire" du cinéma dit classique. Il lui suffit par exemple de faire légèrement flotter sa caméra pour rendre onirique et inquiétant un banal dialogue en champs-contrechamps dans le fameux Winkie's ; ou de carrément rompre la continuité du procédé avec un faux raccord sur les énormes nichons plastifiés de Laura Elena Dern, implants mammaires qui constituent sans nul doute le plus gros mystère du film. Lynch joue avec ce que le spectateur croit connaître du cinéma en faisant disparaître Betty au détour d'un panoramique ou en la dédoublant avec un simple travelling en vue subjective.


Le plastique, c'est fantastique...

Qu'est-ce qu'un personnage de cinéma ? C'est peut-être la question la plus vertigineuse que pose Lynch dans son film : est-ce qu'il est identifiable par sa couleur de cheveux ? Sa voix ? Son vécu ? Sa mémoire ? Son costume ? Son lieu de résidence ? Ou suffit-il de le nommer pour qu'il prenne vie ? C'est déjà ce que se demandait Hitchcock avec le personnage de Roger Thornill/George Kaplan dans La Mort aux trousses, autre grand film sur la désorientation et les faux-semblants. A ce titre, Lynch use de tout un réseau référentiel (de Sunset Boulevard à Rosemary's Baby en passant par Persona et Le Mépris, sans oublier Vertigo), pour bouleverser nos attentes, nos habitudes et nos certitudes en faisant fonctionner à plein tube notre mémoire cinéphilique. C'est un autre tour de force de Lynch car ces références ne sont jamais des béquilles indispensables à l'intérêt de son film, comme ce peut être le cas chez De Palma (cinéaste incontournable quand il est question de mise en abyme, et que par conséquent nous contournerons**). Reconnues, ces références sont autant de valeurs ajoutées : sans elles le film opère de façon indépendante et remplit allègrement son cahier des charges en charmant aussi bien le spectateur aguerri que le néophyte.


Le caoutchouc, super doux !


Encore que pour être charmé il faille apprécier l'humour noir décalé et absurde, les histoires sans queue ni tête, le manque de tendresse et d'humanité, les énigmes à la noix et l'absence de véritable point d'achoppement émotionnel. On peut penser comme moi que c'est le comble de la facilité qu'un film ne donne aucune réponse pour laisser le spectateur faire tout le boulot et ramasser les lauriers d'une intelligence hermétique auto-proclamée, ou qu'il s'agit de la quintessence du métafilm le plus maîtrisé, libre et foisonnant qui soit, comme je le pense. On peut trouver ça pourri ou génial, pour moi ça l'est. C'est un putain de chef-d’œuvre complètement à chier.


* Rappelez-vous notre définition de l'adjectif "lynchéen".
** Nous ne le contournerons pas longtemps puisqu'une prochaine semaine thématique lui sera entièrement consacrée !


Mulholland Drive de David Lynch avec Naomi Watts, Laura Elena Harring et Justin Theroux (2001)

17 commentaires:

  1. Hier je me disais que j'aimerai bien vous lire sur Inland Empire... On se rapproche!

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  2. Un article sur Mulholland Drive sans images de Naomi Watts ?? O_o

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  3. L'un des meilleurs articles de 2011. J'adore ! La fin est géniale :D

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  4. Pire film. Et meilleur film... Bref, pire film !

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  5. Vu 3 fois
    A pioncé 4 fois !

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  6. J'ai changé la dernière image de l'article à la demande générale des lecteurs.

    Bonus à celui qui reconnaîtra la référence musicale des légendes.

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  7. Sur cette tof j'ai envie de lui foutre une torgnole à Watts. Une grosse torgnole gratuite. Et ensuite je la dépèce. Classique.

    (la référence je la connais mais je laisse la main comme dans Question pour un lampion)

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  8. Laura Elena Dern ? Ce ne serait pas Harring plutôt ;)
    Il ne faut pas oublier non plus que le cheminement particulier suivi par le film est le reflet de sa propre création : un pilote de série refusé qui obtint finalement le financement nécessaire pour devenir un long-métrage.

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  9. Oui bien-sûr, cependant rien n'empêchait Lynch de faire un film fermé, compréhensible et parfaitement ordonné tout en partant d'un pilote de série qui par essence ouvrait sur plusieurs intrigues et laissait des creux dans son récit. Or le moins qu'on puisse dire c'est que nenni !

    C'est peut-être Laura Dern en fait derrière le Winkie's vu qu'elle apparaît dans TOUS les Lynch normalement...

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  10. Chef-d'oeuvre !!!!!!!!!!!!!!!

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  11. le meilleur film de David Lynch !!!!!!!!!!!!!!

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  12. Chef-d'oeuvre !!!!!!!!!!!

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  13. Le meilleur film de David Lynch !!!! noir , sensuel , mystérieux, amour et haine , l'envers du décors d'Hollywood !!!!!!!!! entre reve et réalité !!!! et surtout cauchemar !!!!!! deux actrices au top !!!!

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  14. Totalement d'accord... avec les quatre derniers commentaires :)

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  15. Le seul film qui me vienne directement en memoire suite a la vision de "mulholland drive" c'est "body double" de de palma ?

    Et pourquoi donc ?

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