
Ce film est d'une nullité insondable. C'est un film de la pire espèce, qui se prend pour ce qu'il n'est pas, et ça se voit… Je ne dis pas que c'est le film le plus mauvais qui soit, il y a bien pire évidemment, je dis simplement que c'est le genre de film que nous maudissons parce qu'il est vide, scolaire, pompeux et prétentieux au possible, et peut créer chez le grand public une haine profonde du cinéma d'auteur, justifier l'expression si laide et si exaspérante, souvent employée à tort mais malheureusement parfaitement adéquate ici, de "branlette intellectuelle". Julia Leigh, l'écrivaine australienne qui a réalisé cette parfaite purge, semble s'astiquer le ciboulot et s'exciter sur trois idées étalées par une mise en scène qu'elle voudrait moderne - comprendre froide et contemplative, avec de longs plans-séquences fixes - sans se rendre compte que la théorie ne suffit pas à faire un bon film.

Il est évident que la réalisatrice souhaite éviter les écueils d'une narration un peu trop classique en laissant de côté des scènes trop explicatives ou informatives, sauf que ce qu'elle conserve ressemble finalement à une succession de scènes coupées sans le moindre intérêt, autant de séquences qui ne pourraient même pas servir de transitions dans un film réussi et qui sont en fin de compte dénuées de réel intérêt plastique ou émotionnel. En gros elle ne parvient jamais à surmonter la difficulté du cinéma moderne et se vautre dans son piège le plus évident, celui de l'insignifiant pur et de la vacuité, un cinéma moins de scénario que d'idées mises en images en tant que telles via un symbolisme accablant et une esthétique sans vie. L'effet scène coupée concerne surtout la partie du film concentrée sur le quotidien creux de l'héroïne, à quoi s'oppose un autre régime narratif, que l'on appellera "porno chic" et qui réunit les actes de prostitution dans un milieu bourgeois, avec des plans plus léchés et un esthétisme forcené qui n'apportent aucune plus-value au film. C'est forcément là qu'on attendait la réalisatrice, sur ces scènes dangereuses où la belle au bois dormant est aux prises avec des vieillards lubriques : manifestement Julia Leigh veut jouer de la comparaison entre corps jeune et corps vieux dans tous ces moments répétitifs où un client joue avec sa pute comme avec une poupée, où tel autre l'insulte en la léchant faute de mieux et où un troisième essaie de la porter avant de tomber, le tout constituant une métaphore filée sur l'impuissance, une métaphore trop filée et rapidement lourdingue. La réalisatrice, pour ne pas tomber dans le voyeurisme, en fait des tonnes sur sa pseudo-froideur dans des séquences où rien n'affecte la pellicule. C'est à se demander comment Julia Leigh parvient à réussir ce prodige de ne strictement rien produire avec un tel sujet... Ni dégoût, ni désir honteux, ni abjection, ni rien.
Au point qu'il nous est difficile de bien comprendre comment la grande majorité des gens qui ont vu le film peuvent le qualifier d’œuvre "dérangeante", car rien ne dérange dans ce scénario faussement social et prétendument provocateur (à part éventuellement la scène où l'héroïne se fait lécher le visage par un triste type tandis qu'elle dort, et encore). Pour en revenir à des considérations plus générales, sur le papier on a des personnages désaffectés, a-psychologiques, pris dans une histoire elliptique et lâche qui voudrait embrasser un sujet lourd et délicat filmé avec distance… Concrètement on ne comprend d'abord pas grand chose au projet, on ne comprend pas beaucoup plus les détails de l'histoire, le regard de la cinéaste est d'un superficiel accablant, le tout d'un ennui et d'une indigence artistique comme intellectuelle qui laisse béat, qui laisse surtout platement et irrémédiablement insensible. La raison principale du désintérêt total que l'on porte à la beauté dormante du titre et à son parcours, c'est qu'on se fout éperdument du personnage et de ceux qui l'entourent, quand on n'espère pas carrément qu'une bombe explose au milieu du plan et qu'on en finisse avec ce trop long métrage poseur et interminable. Je dis ça en particulier pour l'ami de l'héroïne, nommé Birdyman (si c'est bien seulement son ami, je n'en suis pas sûr car encore une fois on ne comprend pas tout à l'histoire), qui lui propose de regarder un porno comme d'autres proposent de faire un scrabble (le sexe est banalisé, neutralisé, on aura BIEN pigé l'idée). On ne comprend pas davantage les liens qui les unissent quand elle le demande en mariage et se couche près de lui nue en pleurant, pour l'écouter déblatérer des tirades allégoriques désespérantes devant un documentaire sur des rats.

On ne comprend rien mais c'est en réalité parce qu'il n'y a rien de particulièrement riche à comprendre. Ou plutôt n'y a-t-il que cela à faire, essayer de tirer des interprétations plus ou moins fumeuses de ce scénario nébuleux, et paradoxalement, au bout du compte, on ne comprend que trop où veut en venir la réalisatrice avec ce film ni fait ni à faire. On ne comprend que trop ce qu'elle veut déballer avec le portrait de cette fille sans émotions apparentes, détachée de son propre corps, qui se vend pour payer ses études et qui est à ce point déconnectée du monde affectif qu'elle propose à des types rencontrés en soirée de les sucer pour ensuite les demander en mariage. On ne comprend que trop que cette fille handicapée émotionnellement profite de son corps soi-disant parfait pour s'en sortir en fréquentant des types handicapés physiquement (impuissants) et contraints de payer pour côtoyer un corps désiré ; on ne comprend que trop la minuscule idée qui a foutu le boxon dans le cerveau de la réalisatrice, ce gros gloubi-boulga sur le sujet du corps, du désir et de la jouissance qui pourrait être intéressant avec quelqu'un d'autre derrière la caméra. On ne s'attend que trop à voir la fille péter un plomb vers la fin du film et voir son trop-plein affectif déborder dans une crise de larmes violente…

Tout cela est cousu de fil blanc, clair comme de l'eau de roche, fabriqué, factice. A l'image de la mise en scène. Le risque est grand à réaliser un film très formaliste et très épuré quand les plans sont aussi immensément laids (certains cadrages font mal) que sans intérêt, et quand le propos est aussi lourdement surligné. Chaque personnage est un concept de personnage, énigmatique et silencieux, prononçant des phrases tantôt absconses et d'un sibyllin à toute épreuve tantôt navrantes de simplicité, des freaks loufoques et improbables dont on n'a strictement rien à faire et qui se veulent originaux alors qu'on a le sentiment de les avoir déjà croisés dans un tas d'autres films aussi désespérants que celui-là (je pense par exemple à Canine, pour prendre un film dont j'ai parlé ici récemment). Tout ce que tente Julia Leigh avec une fierté ostentatoire tombe à plat dans un bruit sourd, celui que fait le guano, l'excrément visqueux et blanchâtre de l'oiseau-marin, en s'écrasant sur la visière cartonnée de la casquette des touristes. Je pense par exemple à cette scène dans un bar, la nuit, où Emily "chuppachups" Browning dit à un type : "J'ai très envie de sucer votre bite". Julia Leigh aimerait que cette phrase nous choque et nous surprenne dans la bouche d'une telle femme-enfant, dont le corps immaculé est d'une blancheur inquiétante et qui mesure 1m10 bras levés, mais ça ne marche même pas, car l'actrice, ainsi salement filmée, n'a plus que le visage vulgaire de toutes les top modèles hollywoodiennes actuelles - contrairement à Mia Wasikowska, initialement prévue dans le rôle et qui s'en est intelligemment tenue écartée pour préférer jouer dans le dernier Gus Van Sant. On ne s'étonne ni ne s'émeut donc de voir Emily Browning désirer sucer des bites au hasard, c'est quand même un comble...
Tout cela est cousu de fil blanc, clair comme de l'eau de roche, fabriqué, factice. A l'image de la mise en scène. Le risque est grand à réaliser un film très formaliste et très épuré quand les plans sont aussi immensément laids (certains cadrages font mal) que sans intérêt, et quand le propos est aussi lourdement surligné. Chaque personnage est un concept de personnage, énigmatique et silencieux, prononçant des phrases tantôt absconses et d'un sibyllin à toute épreuve tantôt navrantes de simplicité, des freaks loufoques et improbables dont on n'a strictement rien à faire et qui se veulent originaux alors qu'on a le sentiment de les avoir déjà croisés dans un tas d'autres films aussi désespérants que celui-là (je pense par exemple à Canine, pour prendre un film dont j'ai parlé ici récemment). Tout ce que tente Julia Leigh avec une fierté ostentatoire tombe à plat dans un bruit sourd, celui que fait le guano, l'excrément visqueux et blanchâtre de l'oiseau-marin, en s'écrasant sur la visière cartonnée de la casquette des touristes. Je pense par exemple à cette scène dans un bar, la nuit, où Emily "chuppachups" Browning dit à un type : "J'ai très envie de sucer votre bite". Julia Leigh aimerait que cette phrase nous choque et nous surprenne dans la bouche d'une telle femme-enfant, dont le corps immaculé est d'une blancheur inquiétante et qui mesure 1m10 bras levés, mais ça ne marche même pas, car l'actrice, ainsi salement filmée, n'a plus que le visage vulgaire de toutes les top modèles hollywoodiennes actuelles - contrairement à Mia Wasikowska, initialement prévue dans le rôle et qui s'en est intelligemment tenue écartée pour préférer jouer dans le dernier Gus Van Sant. On ne s'étonne ni ne s'émeut donc de voir Emily Browning désirer sucer des bites au hasard, c'est quand même un comble...
L'actrice justement, parlons-en, elle qui a un visage si "plastique" qu'elle peut fasciner, y compris dans un film aussi dénué de sensualité. Son visage est si intriguant que nous la fixons régulièrement pour tenter de cerner d'un seul coup d’œil enfin l'ensemble de sa physionomie et de percer ce qui dans ses traits retient notre regard, et c'est ainsi que nous tenons le coup devant un film insupportablement pontifiant et creux, grâce au seul pivot d'observation que représente cette comédienne. On peut peut-être affirmer qu'avec une actrice moins originale le spectateur ne tiendrait pas plus d'un quart d'heure devant cette somme de banalités, de faiblesses, de clichés et d'images laides. On sait que Julia Leigh a vu et aimé l'immense Eyes wide shut de Kubrick, on l'a vu et aimé nous aussi, mais qu'elle le revoie, par pitié, ou n'essaye plus jamais de s'en inspirer. Et si notre amie veut traiter du désir, de la jouissance, des corps utilisés comme moyens ou réduits à de simples valeurs marchandes, qu'elle aille voir Vénus noire, ou L'Apollonide, et constate son échec cuisant dans un domaine où la concurrence contemporaine l'enterre six pieds sous terre.
Sleeping Beauty de Julia Leigh avec Emily Browning (2011)