1 mars 2012

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne

Il y a un vrai plaisir à regarder ce film et à retrouver quelque chose du Spielberg d'autrefois, celui qui nous amusait tant, armé de son savoir-faire légendaire, de sa sincérité et de sa science du divertissement. Tintin est très plaisant à regarder, le film captive énormément, rappelant à quel point Spielby est décidément doué quand il veut bien, capable même de scotcher quelqu'un comme moi qui suis tout sauf un tintinophile et qui n'ai strictement rien à faire des aventures dessinées de Tintin (j'ai essayé de lire les bandes dessinées plusieurs fois et ce personnage qui décrit tout ce qu'il fait pendant qu'il le fait dans des bulles de six pieds de long pour des cases de deux centimètres sur trois m'a toujours gonflé un maximum). Le film parvient donc à donner du goût pour les personnages d'Hergé, notamment dans l'introduction assez magistrale, avec en vrac la création du héros par Hergé lui-même, puis une sorte d'avatar de Spielberg qui vend la maquette du bateau de la Licorne à Tintin pour lancer le mouvement de l'histoire, et enfin des jeux de miroir et de reflets très ingénieux pour nous dévoiler peu à peu le personnage. Et cela continue avec les allers-retours de Tintin (idéalement "dessiné", à la fois enfant et adulte) entre son appartement et la bibliothèque, qui nous laissent le temps de nous familiariser avec lui, même si Tintin en particulier et les autres protagonistes en général auraient pu être plus étoffés, notamment en ce qui concerne le statut de reporter de Tintin, et même si Spielberg aurait pu nous les rendre plus attachants par davantage de scènes posées, mais le rythme hallucinant de l'ensemble en aurait pâtit. Le film avance à toute allure, à l'image de son très joli générique d'ouverture digne de celui de Catch me if you can, c'en est même impressionnant, et pourtant il parvient à ne jamais nous perdre, nous essouffler ou nous lasser.
  



Spielberg réussit le même genre de gageure en termes d'effets spéciaux : le film ne repose que sur eux et pourtant il ne se résume pas à cela. C'est pourtant très bien fait visuellement (jamais surchargé, à l'image de l'appartement de Tintin justement, d'une sobriété tout-à-fait bienvenue) et d'autant mieux fait que Spielberg a eu la géniale idée de conserver un côté bande-dessiné dans les traits de ses personnages, un léger aspect cartoon, notamment sur la partie la plus casse-gueule : les visages. Tous les personnages ou presque ont une tête légèrement trop grosse et même s'ils sont par ailleurs très finement animés et réalisés leurs attributs faciaux sont assez "faux", tel l'énorme pif de Haddock, impliquant qu'on reste dans la légèreté et qu'on ne cherche jamais à traquer l'expression ratée, comme devant les tristes derniers films du fils spirituel de Spielberg, Robert Zemeckis, que son maître vient d'enterrer six pieds sous terre. Après une tentative plus ou moins semblable à Tintin avec le très moyen Polar Express, Zemeckis nous a malmenés avec ses essais de captation numérique dans le piteux La Légende de Beowulf




Contrairement à son ex-poulain, Spielberg n'est pas dans une quête aussi vaine que stupide de réalisme absolu consistant à recréer numériquement un faux Anthony Hopkins plus vilain que le vrai ou une fausse Angelina Jolie pire actrice que l'originale pour un résultat absolument hideux, qui nous donnait envie de conseiller à Bob Zemeckis de filmer les vraies stars au lieu de s'échiner à très mal les reproduire. A contrario Spielberg réalise un film réellement magnifique, sidérant parfois, que son équilibre entre réalisme numérique et grossièreté cartoonesque préserve de tous ces reproches. Il nous évite aussi de passer le film à nous esbaudir devant la qualité des reproductions, comme devant Avatar par exemple, qui nous en foutait plein la vue afin qu'on oublie de s'attarder sur un scénario faiblard voire médiocre. Spielberg ne semble pas vraiment chercher l'épate à tout prix, en tout cas pas au point d'oublier de faire un vrai film, et néanmoins tout cela est superbement fait, aussi nous arrêtons-nous ponctuellement sur tel ou tel détail bluffant (les vagues à la surface de l'océan, la robe de la Castafiore, les grains de beauté sur les tronches des sbires de Sakharine) sans focaliser là-dessus au détriment du récit, et nous voilà repartis aussi sec et sans avoir décroché dans la fiction excessive et enthousiasmante du film.




La dimension cartoon du film nous fait tout avaler, y compris certaines scènes d'action où les gags sont parfois complètement invraisemblables, improbables, dignes du coyote de Bib-bip s'écrasant dans le canyon pour se relever aussitôt, ce qui permet des péripéties souvent drôles et légères à la fois et aboutit à une sorte d'euphorie du jeu. A noter que malgré cet engouement presque puéril à créer des gags dignes des toons de Qui veut la peau de Roger Rabbit, Spielberg (qui a exprimé quelques regrets concernant ses retouches d'E.T., dont il avait gommé toutes les armes à feu pour les remplacer par des talkie-walkie) filme des fusillades et des morts, dans l'esprit de la bande-dessinée qu'il respecte à la ligne. Que le film aille vers le cartoon enfantin ou qu'il revienne vers la bande-dessinée adulte d'Hergé, tout y est très bien filmé, calmement dans les scènes calmes, avec une grande maîtrise du cadre et des déplacements où l'on retrouve ce bon vieux savoir-faire du cinéaste, et avec folie quand Spielberg se dit qu'il a un truc dans les mains qui lui permet de réaliser quelque chose qu'il ne pourrait pas faire avec un vrai décor et décide de faire un plan séquence de cinq minutes où ça n'arrête pas une seconde, avec à nouveau une grandiloquence de dessin animé très exaltante, le cinéaste semblant s'amuser davantage à tourner dans tous les sens que dans l'affreuse grande scène de course poursuite d'Indiana Jones 4 (autre égarement que Spielberg a regretté publiquement), et faisant preuve d'une joie de s'amuser extrêmement communicative.




Et puis on retrouve quelque chose qui avait quitté Spielberg depuis un certain temps, une sorte d'instinct du cinéma, un sens inné du cadrage, du rythme, de la cadence des dialogues et de l'action, une "musicalité" qui m'a toujours fasciné dans ses films (de Rencontre du troisième type à Jurassic Park en passant par Duel, E.T. et Indiana Jones, mais c'est vrai pour une vingtaine de ses films). Oncle Spielby retrouve enfin ce quelque chose dans l'agencement des mouvements de caméra, des dialogues, des voix (même si en l'occurrence j'ai vu Tintin en VF, très bonne VF soit dit en passant), des sons (et de la musique normalement, dommage que John Williams ne soit plus capable de pondre un thème musical qui reste en mémoire toute une vie, je me demande si c'est une demande de Spielberg ou pas, toujours est-il que sa partition s'accorde quand même bien aux soubresauts permanents du film), une efficacité fascinante qui fait que c'est réussi, assez inoubliable souvent, et que les films possèdent quelque chose de "parfait", même si le mot paraîtra extravagant à certains pour parler de Spielberg. Disons que ce dernier atteint à nouveau une certaine perfection de SON art et que c'est très réjouissant. Est-ce qu'on repensera à ce film plus tard ? Est-ce qu'on le reverra ? Je pense que la réponse est oui, en tout cas en ce qui me concerne. Ce qui est sûr c'est qu'en le découvrant j'ai pris un vrai plaisir, un plaisir très simple devant un film de divertissement efficace, agréable et très bien réalisé, d'un genre de plus en plus rare.


Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg avec Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig et Simon Pegg (2011)