23 juin 2008

Le Dernier des Mohicans

Avec ce film, en 1992, Michael "Da" Mann s'ouvre définitivement les portes du grand Hollywood. Et qui s'ouvre les portes d'Hollywood ne les referme-t-il pas souvent derrière soi, pris au piège par la machine infernale ? Mann signera en effet pas mal de films oubliables après ça (quid de Ali ou de Public Enemies, paumés au milieu de Collatéral ou Miami Vice, que certains tiennent pour de purs chefs-d’œuvre). En 1992, à Hollywood, se tournaient encore de grands fresques historiques, filmées avec intérêt et professionnalisme, dans un style académique assumé et honnête, avec des têtes d'affiche, de grandes batailles et des musiques imposantes. C'était même devenu une sorte d'artisanat. En 1990 Edward Zwick tournait le remarquable Glory, sur l'avènement du premier régiment de noirs dans l'armée nordiste durant la guerre de sécession, film qui allait révéler Denzel Washington au monde entier. En 1991 Kevin Costner faisait ses premiers pas derrière la caméra avec Danse avec les loups, qui longtemps après La Captive aux yeux clairs ou Little Big Man, achevait de porter sur les Indiens un regard humaniste. Soucieux de s'inscrire dans l'histoire du genre, il rappelait d'ailleurs sous les drapeaux le compositeur John Barry qui avait fait la gloire de Zoulou en 1964.




Et puis le mouvement atteignit une sorte d'apogée en 1995 avec un autre film d'acteur se mettant en scène, Braveheart, qui devait s'ériger en référence absolue du film sanglant en costume, qu'on pourrait appeler le "film de batailles historiques filmées en costard". Mel Gibson ayant calmé les ardeurs du genre, ce dernier connaîtra un coup de mou de quelques années pour refaire quelques pâles étincelles en 2000 avec Gladiator de Ridley "boy" Scott (dans lequel l'Histoire s'effaçait plus que jamais au profit du personnage de fiction) et The Patriot de Roland Magdane qui sortirent coup sur coup. Depuis le mouvement s'est à nouveau calmé, malgré quelques soubresauts ponctuels, comme Edward Zwick qui tâchait péniblement de remettre le couvert en 2004 avec Le Dernier Samouraï et un Tom Cruise en kimono cocaïné jusqu'aux pointes des cheveux. Et si le genre n'est pas mort (songeons à cette merde signée Oliver Stone qu'est Alexandre), disons qu'il a déjà connu son heure de gloire, et que cette heure de gloire s'est clairement étendue de 1990 à 1995, années durant lesquelles les grands films de cette espèce étaient à la mode et se faisaient avec passion et labeur, bien qu'à la chaîne. Le Dernier des Mohicans s'inscrit très exactement dans cette époque et la marque de toute son importance. L'histoire se situe en 1757 et raconte la guerre entre Français et Anglais dans l'État de New-York pour l'appropriation des terres indiennes. Rares sont les films qui ont dépeint ce moment de l'histoire et Michael Mann s'est acquitté de cette dette qu'avait le 7ème art en n'hésitant pas à adapter un des plus grands romans (fondateur de la littérature américaine) de James Fenimore Cooper.




Allez tournons cette page d'histoire. Soyons francs, ce film c'est celui d'un Michael Mann inspiré, en roues libres, un freewheelin' Michael Mann. Pour s'en convaincre il suffit de lancer le film et d'admirer son incroyable générique d'ouverture durant lequel, dans ce qui servira d'introduction à l'œuvre, Nathaniel "Hawkeye" (interprété par Daniel "D-Day" Lewis, encore très bel homme et piètre acteur à l'époque), s'en va chasser le daim. Avec son père adoptif (le dernier des Mohicans en question), nommé Chingachgook (rebaptisé "Chinkatchouk" en version française par un doubleur pressé de rentrer chez lui), et son frère d'adoption, surnommé "un cas", il court dans les bois à la poursuite d'un cerf. Séquence filmée à même la mousse des arbres à un rythme effréné. Dans cette ouverture Michael Mann tâche de nous rappeler que si l'on se plaint à l'idée d'aller faire trois courses au Lidl, à l'époque c'était autrement plus angoissant de penser à bouffer. Il fallait s'y prendre tôt le matin et être un Mohican rusé pour réussir à abattre un cerf en plein vol d'une balle de tromblon idéalement placée dans l'oreille. Une fois la chose faite et la musique du duo Randy Edelman et Trevor Jones apaisée (laquelle vous restera plantée dans le crane des jours durant, et avec quelle délectation !), les trois Indiens se recueillent au-dessus de la dépouille du cerf crevé et s'excusent de l'avoir tué. Mais revenons sur l'incroyable musique de ce film, mélange abracadabrant de mélodies traditionnelles irlandaises (rappelons qu'il n'y a rien d'irlandais dans le film) et de rythmes modernes ténus, pour accompagner des plans magnifiques surplombant les forêts d'Amérique prêtes à disparaître.




Pour ceux qui aiment les représentations cinématographiques de la grande Histoire qui restent dans la mémoire vive, que dire de la première escarmouche, avec Wes Studi, fameux acteur indien qui incarne ici le chef des Hurons (et qui jouait le méchant dans Danse avec les leups et plein d'autres films réclamant de méchants Indiens, mais aussi et presque à contre-emploi le rôle éponyme du fameux Geronimo de Walter Hill, avec Matt Damon, Gene Hackman et Robert Duvall, réalisé dans la même période charnière, en 1994). Notre Huron pur souche se fait passer pour un indien Mohawk histoire d'escorter les anglais et de les massacrer à coups de tomahawk, avec l'aide de ses hommes embusqués dans la forêt qui borde le chemin parcouru par la colonne dans une séquence survoltée. Du moins jusqu'à ce que Chinkatchouk, "un cas" et Daniel "Hawkeye" Lewis ne viennent les mettre en déroute pour sauver les filles du Colonel Munro et se les tirer en toute légitimité.




Que dire des scènes d'amour torrides et pourtant chastes sous les cascades des chutes du Niagara entre les damoiselles de la haute société britannique et les derniers des derniers Mohicans. Que dire de ces longs dialogues entre Patrice Chéreau (dans le rôle du général français Montcalm), ne pipant mot d'anglais et lisant à la vue de tous un vulgaire prompteur caché hors-champ, échangés avec un Wes Studi en pente douce, parlant Français comme le dernier des clébards et jurant d'arracher le cœur du Colonel Edmund "tête grise" Munro, qui s'avère être le père des deux filles que niquent depuis peu les Mohicans : pas de veine pour elles, coup de bol pour le film. Et que dire de la fin, avec le suicide de la sœur cadette qui se jette du haut de la falaise pour échapper à l'emprise du terrifiant Magua, sous les yeux de sa sœur aînée impuissante (Madeleine Stowe, en plein possession de ses moyens...), et de Chinkatchouk qui rattrape le groupe de Hurons la rage au corps, lui qui vient de voir tuer son fils "un cas" et qui, au rythme d'une musique poignante, découpe Magua en tranches en hurlant son propre nom, "Nardinamouk", imprononçable même pour lui.




Les derniers mots du film résonnent encore dans mon âme d'enfant : "Ask death for speed, for they are all there but one - I, Chingachgook - last of the Mohicans (...) And new people will come, work, struggle. Some will make their life. But once, we were here." En français ça donne quelque chose comme : "Demande à la mort de se magner, parce qu'ils reposent tous là sauf un - moi, Caoutchouc - dernier des Mohicans (...) Et d'autres peuples viendront, travailleront, en chieront. Certains feront leur vie. Mais à un moment, on était putain de là".


Le Dernier des Mohicans de Michael Mann avec Daniel Day Lewis, Madeleine Stowe, Wes Studi et Patrice Chéreau (1992)

3 commentaires:

  1. Jolie prose. Goof : en te lisant, j'ai de prime abord mal lu Patrice Chéreau et compris "Patrick Chesnais".
    Action ou vérité ?

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  2. Idem.
    Patrice Chéreau se double t'il dans la version française du film? Se double t'il également dans Hercule & Sherlock ?

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