Commençons par le pitch. Un grand chef de la mafia peu commode suspecte sa petite amie, d'une trentaine d'années sa cadette, d'avoir une liaison avec un autre homme. Il demande donc à son bras droit, le fidèle et efficace Sun Woo, de surveiller la jeune femme et de l'éliminer, purement et simplement, s'il la surprend en galante compagnie. Peu indifférent au charme délicat de la demoiselle, Sun Woo ne saura, cette fois-ci, honorer sa mission ; il ignore que cela entraînera des conséquences tout à fait démesurées... Voici donc le point de départ de ce qui pourrait être un énième film de vengeance venu d'Asie, mais que Kim Jee-woon transforme en un pur exercice de style jubilatoire, que je pourrais même qualifier de « jouissif » si ce mot n’était pas employé, en général, pour de mauvaises raisons. Une chose est sûre : A Bittersweet Life est, à mes yeux, l'un des tous meilleurs thrillers coréens de ces années 2000 où l’on en a vu tant débarquer en fanfare sur nos écrans, très souvent couverts de récompenses et accompagnés d'une solide réputation parfois déceptive. J'annonce donc la couleur, ce papelard sera à la fois foutraque et à sens unique !
Il faut d'abord voir avec quelle efficacité Kim Jee-woon réussit à planter le décor, en quelques secondes, en quelques traits. Dès la fin du générique d'ouverture, on y est ! On se retrouve immédiatement plongé au cœur d'une ambiance feutrée, dominée par des intimidations et une hiérarchie malsaines, qui paraîtra très familière aux amateurs de films de gangsters ; on suit de près les agissements d'un homme de main tout en élégance et en charisme, droit dans ses bottes, opérant avec classe et sans bavure. Tout le talent du cinéaste est de nous amener directement dans un cinéma dont on connaît parfaitement les codes, de le faire avec une telle maestria et une telle aisance que l’on a un seul réflexe : accepter d'être en terrain archiconnu pour mieux être embarqué dans cette histoire linéaire, montant progressivement en tension, qui sera le prétexte à un réjouissant enchaînement de morceaux de bravoure et de scènes joliment envoyées.
A Bittersweet Life est constitué de deux parties assez distinctes et c'est surtout la première que j'apprécie tout particulièrement. Dans celle-ci, Kim Jee-woon prend son temps, développe une mise en scène très aérienne, extrêmement fluide, et procède aussi à un remarquable travail sur le son. Cette patience et ce souci du détail font du film un véritable travail d'esthète, un plaisir pour les sens. Des plages d'ambiance, des moments de quiétude quasi contemplatifs, précèdent des explosions brutales où la violence est toujours très stylisée, beaucoup moins grand-guignolesque et frontale que dans le thriller horrifique très remarqué que le cinéaste a réalisé par la suite, toujours avec son acteur fétiche, J'ai rencontré le diable. La première collaboration des deux hommes est également traversée par un humour noir et corrosif typique de ce cinéma coréen qui mélange souvent ces registres sans que cela ne porte jamais atteinte à la cohérence et à l'équilibre de l'ensemble. Ici, des situations absurdes viennent parfois tourner le genre en dérision, sans altérer la force et la sincérité du vibrant hommage qui lui est ici porté. D’ailleurs, ce travail sur le genre, et sur un thème très commun à ces films, la vengeance, Kim Jee-woon le poussera encore plus loin dans J'ai rencontré le diable, justement, avec plus de radicalité et peut-être moins de légèreté…
Quand, dans la deuxième partie, Kim Jee-woon filme la vengeance irrésistible de son personnage, on assiste à un véritable ballet sanguinolent, la chorégraphie des scènes de fusillade ou de combat est très travaillée, sans être surfaite, et leur cohérence compte assez peu (comment un homme, même très remonté et animé par une rage terrible, peut-il se débarrasser d'une trentaine d'opposants belliqueux et armés jusqu'aux dents ? on s’en balance !). Et puis il y a une scène particulièrement réussie et incroyable de suspense qui à elle seule pourrait m'amener à défendre le film entier ! Cerné de très près dans la planque de quelques revendeurs d’armes un peu idiots, notre héros, assis face à un ennemi découvrant progressivement la réelle identité de son vis-à-vis, doit, pour s'en tirer, réassembler une arme qu'il vient juste de démonter. Une course improvisée, inexplicable pour les autres personnages, spectateurs des évènements, est alors lancée entre les deux hommes. Elle se conclut par un échange de coups de feu aussi rapide qu'imprécis, qui nous laisse cramponné au fauteuil. La lisibilité et la limpidité idéales de cette scène, la façon qu'a Kim Jee-woon de filmer les regards de ses acteurs, leurs mimiques stressées ou hébétées, de jouer avec la lenteur paradoxale de la situation avant son dénouement pétaradant, tout cela en fait un vrai modèle du genre, que je ne me lasse pas de revoir, juste pour le plaisir ! C’est un sacré moment, qui nous fait retourner en enfance, à l’âge où l’on se fait des films, où l’on invente des bandes-dessinées de cow-boys, ce genre de choses. Un plaisir simple, donc.
Parmi les influences évidentes du Drive de Nicolas Winding Refn, on a souvent cité quelques titres plus ou moins cultes du polar moderne américain (Thief de Michael Mann, To Live and Die in LA de William Friedkin ou The Driver de Walter Hill…), mais plus rarement le film de Kim Jee-woon, référence pourtant ouvertement citée dans quelques interviews par le cinéaste danois. J'encouragerai donc les nombreux fans de Drive à lui donner une chance, ils ne pourront que l’apprécier. Le « driver » est une figure très proche de l'homme de main interprété par le beau Lee Byung-hun. Et si l'on a déjà pu se moquer du jeu apparemment fort limité de Ryan Gosling dans le film de NWR, il faut ici reconnaître au bellâtre asiatique une précision assez impressionnante et vraiment remarquable : dans un rôle certes un peu moins mutique que son homologue canadien, il livre une prestation très maîtrisée et dégage surtout une incroyable présence à l'écran. On a ainsi aucun mal à comprendre et à partager ses sentiments, et donc à accepter ce schéma revanchard que l'on ne connaît que trop bien. Afin de rassurer les anti-Drive, pour qui ce rapprochement serait rédhibitoire, je préciserais que cette vie aigre-douce est certainement moins vide, moins creuse émotionnellement, notamment grâce à ce que je viens d'évoquer ; sans parler du fait que les sublimes compositions de Yuhki Kuramoto planent à des années lumières de Kavinsky.
Malgré son aspect assez minimaliste et sa sècheresse narrative, et peut-être aussi grâce à cela, A Bittersweet Life parvient à éveiller l'imagination ainsi que les réflexions autour de son protagoniste. Lors de sa conclusion sanglante, nous arrivons même à la lisière du fantastique, sur les traces d'une sorte de fantôme vengeur défiant la mort pour achever ses représailles. Lee Byung-hun campe un personnage qui paraît condamné à une pauvreté sentimentale extrême et qui dérive soudainement d'une trajectoire toute tracée quand on lui enlève ce qu'il envisageait sans doute comme une dernière chance de ressentir, d’éprouver, de vivre, pour se lancer dans une vengeance méthodique et implacable tel un mort-vivant inarrêtable. L’ombre lointaine du Samouraï de Jean-Pierre Melville plane sur ces films-là. Il se dégage de ce "néo-noir" sud-coréen presque esthétisant une même symbiose, une même harmonie entre un acteur et son metteur en scène. Quand on revoit ce film aujourd'hui, on regrette que le cinéaste se soit par la suite perdu outre-Atlantique le temps d'une collaboration infructueuse avec une méga-star sur le retour, Arnold Schwarzenegger, pour un film, Le Dernier rempart, qui n'a rien donné et dont tout le monde est ressorti perdant. On espère à présent que Kim Jee-woon retournera très vite à ses premières amours, retrouvera l'excellent Lee Byung-hun, lui aussi égaré dans des productions hollywoodiennes sans âme, pour nous livrer un autre film de genre de cette tenue !
Il faut d'abord voir avec quelle efficacité Kim Jee-woon réussit à planter le décor, en quelques secondes, en quelques traits. Dès la fin du générique d'ouverture, on y est ! On se retrouve immédiatement plongé au cœur d'une ambiance feutrée, dominée par des intimidations et une hiérarchie malsaines, qui paraîtra très familière aux amateurs de films de gangsters ; on suit de près les agissements d'un homme de main tout en élégance et en charisme, droit dans ses bottes, opérant avec classe et sans bavure. Tout le talent du cinéaste est de nous amener directement dans un cinéma dont on connaît parfaitement les codes, de le faire avec une telle maestria et une telle aisance que l’on a un seul réflexe : accepter d'être en terrain archiconnu pour mieux être embarqué dans cette histoire linéaire, montant progressivement en tension, qui sera le prétexte à un réjouissant enchaînement de morceaux de bravoure et de scènes joliment envoyées.
A Bittersweet Life est constitué de deux parties assez distinctes et c'est surtout la première que j'apprécie tout particulièrement. Dans celle-ci, Kim Jee-woon prend son temps, développe une mise en scène très aérienne, extrêmement fluide, et procède aussi à un remarquable travail sur le son. Cette patience et ce souci du détail font du film un véritable travail d'esthète, un plaisir pour les sens. Des plages d'ambiance, des moments de quiétude quasi contemplatifs, précèdent des explosions brutales où la violence est toujours très stylisée, beaucoup moins grand-guignolesque et frontale que dans le thriller horrifique très remarqué que le cinéaste a réalisé par la suite, toujours avec son acteur fétiche, J'ai rencontré le diable. La première collaboration des deux hommes est également traversée par un humour noir et corrosif typique de ce cinéma coréen qui mélange souvent ces registres sans que cela ne porte jamais atteinte à la cohérence et à l'équilibre de l'ensemble. Ici, des situations absurdes viennent parfois tourner le genre en dérision, sans altérer la force et la sincérité du vibrant hommage qui lui est ici porté. D’ailleurs, ce travail sur le genre, et sur un thème très commun à ces films, la vengeance, Kim Jee-woon le poussera encore plus loin dans J'ai rencontré le diable, justement, avec plus de radicalité et peut-être moins de légèreté…
Quand, dans la deuxième partie, Kim Jee-woon filme la vengeance irrésistible de son personnage, on assiste à un véritable ballet sanguinolent, la chorégraphie des scènes de fusillade ou de combat est très travaillée, sans être surfaite, et leur cohérence compte assez peu (comment un homme, même très remonté et animé par une rage terrible, peut-il se débarrasser d'une trentaine d'opposants belliqueux et armés jusqu'aux dents ? on s’en balance !). Et puis il y a une scène particulièrement réussie et incroyable de suspense qui à elle seule pourrait m'amener à défendre le film entier ! Cerné de très près dans la planque de quelques revendeurs d’armes un peu idiots, notre héros, assis face à un ennemi découvrant progressivement la réelle identité de son vis-à-vis, doit, pour s'en tirer, réassembler une arme qu'il vient juste de démonter. Une course improvisée, inexplicable pour les autres personnages, spectateurs des évènements, est alors lancée entre les deux hommes. Elle se conclut par un échange de coups de feu aussi rapide qu'imprécis, qui nous laisse cramponné au fauteuil. La lisibilité et la limpidité idéales de cette scène, la façon qu'a Kim Jee-woon de filmer les regards de ses acteurs, leurs mimiques stressées ou hébétées, de jouer avec la lenteur paradoxale de la situation avant son dénouement pétaradant, tout cela en fait un vrai modèle du genre, que je ne me lasse pas de revoir, juste pour le plaisir ! C’est un sacré moment, qui nous fait retourner en enfance, à l’âge où l’on se fait des films, où l’on invente des bandes-dessinées de cow-boys, ce genre de choses. Un plaisir simple, donc.
Parmi les influences évidentes du Drive de Nicolas Winding Refn, on a souvent cité quelques titres plus ou moins cultes du polar moderne américain (Thief de Michael Mann, To Live and Die in LA de William Friedkin ou The Driver de Walter Hill…), mais plus rarement le film de Kim Jee-woon, référence pourtant ouvertement citée dans quelques interviews par le cinéaste danois. J'encouragerai donc les nombreux fans de Drive à lui donner une chance, ils ne pourront que l’apprécier. Le « driver » est une figure très proche de l'homme de main interprété par le beau Lee Byung-hun. Et si l'on a déjà pu se moquer du jeu apparemment fort limité de Ryan Gosling dans le film de NWR, il faut ici reconnaître au bellâtre asiatique une précision assez impressionnante et vraiment remarquable : dans un rôle certes un peu moins mutique que son homologue canadien, il livre une prestation très maîtrisée et dégage surtout une incroyable présence à l'écran. On a ainsi aucun mal à comprendre et à partager ses sentiments, et donc à accepter ce schéma revanchard que l'on ne connaît que trop bien. Afin de rassurer les anti-Drive, pour qui ce rapprochement serait rédhibitoire, je préciserais que cette vie aigre-douce est certainement moins vide, moins creuse émotionnellement, notamment grâce à ce que je viens d'évoquer ; sans parler du fait que les sublimes compositions de Yuhki Kuramoto planent à des années lumières de Kavinsky.
Malgré son aspect assez minimaliste et sa sècheresse narrative, et peut-être aussi grâce à cela, A Bittersweet Life parvient à éveiller l'imagination ainsi que les réflexions autour de son protagoniste. Lors de sa conclusion sanglante, nous arrivons même à la lisière du fantastique, sur les traces d'une sorte de fantôme vengeur défiant la mort pour achever ses représailles. Lee Byung-hun campe un personnage qui paraît condamné à une pauvreté sentimentale extrême et qui dérive soudainement d'une trajectoire toute tracée quand on lui enlève ce qu'il envisageait sans doute comme une dernière chance de ressentir, d’éprouver, de vivre, pour se lancer dans une vengeance méthodique et implacable tel un mort-vivant inarrêtable. L’ombre lointaine du Samouraï de Jean-Pierre Melville plane sur ces films-là. Il se dégage de ce "néo-noir" sud-coréen presque esthétisant une même symbiose, une même harmonie entre un acteur et son metteur en scène. Quand on revoit ce film aujourd'hui, on regrette que le cinéaste se soit par la suite perdu outre-Atlantique le temps d'une collaboration infructueuse avec une méga-star sur le retour, Arnold Schwarzenegger, pour un film, Le Dernier rempart, qui n'a rien donné et dont tout le monde est ressorti perdant. On espère à présent que Kim Jee-woon retournera très vite à ses premières amours, retrouvera l'excellent Lee Byung-hun, lui aussi égaré dans des productions hollywoodiennes sans âme, pour nous livrer un autre film de genre de cette tenue !
A Bittersweet Life de Kim Jee-woon avec Lee Byung-hun, Hwang Jung-min et Shin Min-a (2005)
Malgré Drive, et malgré Le Dernier rempart, et malgré le scénario de vengeance, et malgré le héros surhomme placide, et malgré "l'esthétisme" évoqué dans la critique, ça donne envie. En fait c'est surtout que ce soit toi qui en causes de cette façon qui me file envie. En fait, c'est toi qui me files envie. Conclusion, j'ai envie de toi. Et ça c'est chaud.
RépondreSupprimerPareil que Felix, la première partie du film est très chouette, et la seconde tourne un peu en rond. Ca devrait refroidir les ardeurs de Rémi, bien qu'avec la météo, tout ce qui réchauffe sans augmenter notre empreinte carbone soit le bienvelu.
RépondreSupprimerEt pourquoi un homme de main? Pourquoi pas UNE FEMME de main, hein? Et pourquoi un tueur à gage et pas UNE TUEUSE à gage? Si une fille veut être plombier, pompier, boulanger, elle le peut! Si un garçon veut être sage-meuf, meuf de ménage, meuf d'affaire il le peut! Tout est permis, même si certains réacs n'en veulent pas!
RépondreSupprimerLe film que prépare Luc Besson avec Scarlett Johansson en nouvelle Nikita devrait vous plaire, Najat !
Supprimer(d'ailleurs, ptêtre que Scarlett aura son César d'honneur, elle vit à Paris)
Quelle horreur, un film de Luc Besson avec Scarlett Johansson :( C'est totalement ANTIFÉMINISTE!
SupprimerL.B. + S.J. = vulgarité au masculin + vulgarité au féminin = tous aux abris.
SupprimerÀ moins qu'une alchimie étonnante, un « moins par moins égale plus »... (Parfois, ma capacité d'optimisme m'effraie moi-même.)
On craint le pire, oui...
Supprimer@John Nada : pas après toutes les saloperies qu'elle a dit sur les français.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe voudrais apporter une précision, c'est un film coréen, soit, mais il faut préciser qu'il est SUD-Coréen. Il est vrai qu'on peut se dire que ce titre est tout à fait approprié pour décrire la vie des habitants de corée du nord. Je compatis.
Je cherche le dénommé "J'aime les Chips", savez-vous où je pourrais le trouver?
RépondreSupprimerA un concert de NIN !
SupprimerPrenez une photo dans ce cas là!
SupprimerExcellente critique. Je suis complètement d'accord avec vous sur ce film. Un chef d'oeuvre du film noir coréen qui m'impressionne un peu plus à chaque vision. Kim Jeewoon fait une réalisation magistrale, tout en poésie, en lyrisme, c'est un génie des plans purs et ciselés, c'est comme vous dites un vrai bonheur pour les yeux... un vrai bijou visuel. C'est aussi très fort émotionnellement. La fin me laisse toujours sans voix... C'est du grand, du très grand...
RépondreSupprimerJ'avais aussi adoré 2 Soeurs de Kim Jeewoon dans un tout autre genre (fantastique).
le meilleur film de Kim Jee-woon, entièrement d'accord
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