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13 octobre 2020

La Route sauvage

Déjà excellent dans The Clovehitch Killer, le frêle Charlie Plummer confirme qu'il est bien l'un de ces jeunes acteurs américains sur lesquels il faut compter. Il est l'un des principaux atouts du troisième long métrage du britannique Andrew Haigh, La Route sauvage, un joli récit d'apprentissage adapté d'un bouquin signé William Vlautin et paru chez nous sous le titre Cheyenne en automne. Bien qu'il joue son petit-fils dans Tout l'argent du monde, Charlie Plummer n'a aucun lien de parenté avec Christopher Plummer. Il est une sorte de croisement savant entre Leonardo DiCaprio, pour son charme juvénile, Paul Dano, pour son visage lisse diffusant une étrange placidité, et le regretté River Phoenix, pour l'espèce de fragilité mélancolique, rebelle et lumineuse qu'il dégage aussi. Il incarne ici Charley, un garçon d'une quinzaine d'années qui vit seul avec son père, sans le sou. Désœuvré et livré à lui-même, il se découvre une passion pour le canasson en s'aventurant au gré de ses errances sur les champs de course situés non loin de chez lui. Un type qui bosse là-bas, un peu rugueux mais pas méchant, joué avec talent par le trop rare Steve Buscemi, le prendra rapidement sous son aile, trouvant surtout en lui une aide précieuse et efficace dans son travail quotidien auprès des bêtes et notamment de son cheval vedette, nommé Lean on Pete (il donne son titre original au livre et au film, effectivement intraduisible en français).




Inutile d'en dire davantage sur l'histoire d'un film immédiatement plaisant et qui déroule son petit fil sur un rythme très tranquille, presque reposant. Andrew Haigh, dont les deux longs métrages précédents (45 years et Weekend) valaient aussi le coup d’œil, se consacre pleinement ici à nous dépeindre le portrait d'un adolescent esseulé, abandonné par une mère qu'il n'a pratiquement pas connue et délaissé par un père, foufou mais sympathique, auquel il reste toutefois très attaché. Dans une quête désespérée de stabilité, de normalité, Charley va chercher une famille de substitution, qu'il croira trouver auprès de l'éleveur campé par Steve Buscemi, de sa cavalière jouée par une agréable Chloë Sevigny et du cheval vieillissant dont il s'occupe avec le plus grand soin. Le rôle maternel endossé par Sevigny, peu avare en conseils donnés à son cadet, va un temps infantiliser le récit avant qu'une ultime désillusion ne change la donne. Animé par un nouveau sentiment d'abandon et de trahison, le jeune protagoniste fuit sans prévenir, part seul avec son cheval, d'abord au volant d'un pick-up volé puis à pieds, engageant le film sur le champ du road movie existentiel, à la destination incertaine. Paradoxalement, c'est quand il prend la route que Lean on Pete se met à stagner et semble définitivement se contenter d'être la petite chose agréable qu'il est bel et bien. C'est dommage, car avec un peu plus de caractère, il aurait pu prendre une autre envergure.




S'appuyant donc sur l'interprétation irréprochable de son acteur principal, fort justement récompensé à Venise par le prix décerné aux meilleurs espoirs, le cinéaste porte un regard très juste et délicat sur l'adolescence. Autour de cette figure centrale que l'on ne quitte jamais d'une semelle, le cinéaste parvient à faire vivre des personnages qu'il ne juge jamais et qu'il sait tous nous rendre attachants malgré leurs gros travers (le côté rustre de l'éleveur, l'immaturité fatale du père). En dépit de sa modestie trop affichée, il y a quelque chose de vraiment envoûtant dans ce film sobre, humain et simple qui nous plonge dans l'Amérique rurale et au milieu des grands espaces ici filmés avec une application notable par une caméra inspirée qui rend contagieuse sa fascination manifeste pour ce pays. On pense un peu à du Gus Van Sant et à du Kelly Reichardt en mode mineur devant ce beau film patient qui, encore davantage dans sa deuxième partie, s'intéresse lui aussi aux laissés-pour-compte et finit par adopter un réalisme social assez dur. La dernière image nous quitte de la meilleure des manières, sur une note positive et pleine d'espoir, avec enfin une certitude : celle que l'avenir sera plus doux pour notre jeune héros, après toutes les épreuves traversées.


La Route sauvage (Lean on Pete) d'Andrew Haigh avec Charlie Plummer, Steve Buscemi et Chloë Sevigny (2018)

31 mai 2020

Le Cas Richard Jewell

Petit Eastwood ? Grand Eastwood ? A chaque nouvelle cuvée, la question se pose. Le Point semble avoir tranché... Je serai moins catégorique de mon côté, même s'il s'agit à l'évidence d'un bon Eastwood, d'un Eastwood tout à fait correct. On constate au passage que cela faisait un sacré bail que le vieux Clint n'avait pas réussi à enchaîner deux films à peu près valables. Peut-être faut-il remonter à 2003 et 2004, Million Dollar Baby puis Mystic River, quand bien même ce dernier a sans doute fort mal vieilli... Bref, je laisse ce débat aux tintinophiles et à tous les fans hardcore du bonhomme. Une chose est sûre : bien qu'inférieur à The Mule, Le Cas Richard Jewell est un Eastwood honnête, plaisant à suivre, peut-être douteux sur certains points, mais animé, au fond, d'une espèce de chaleur humaine qui fait plutôt du bien, par les temps qui courent. On retrouve en effet au cœur du film la relation de trois personnages : Richard Jewell, son avocat et sa mère, respectivement campés par Paul Walter Hauser, Sam Rockwell et Kathy Bates. Ainsi, plutôt que nous livrer un énième film dossier cherchant à coller au plus près aux moindres détails d'une affaire réelle, celle de ce pauvre type qui, après avoir été le héros d'un jour pour avoir sonné l'alerte à la bombe lors des JO d'Atlanta devint le principal suspect du FBI et des médias, Clint Eastwood préfère donc se concentrer sur l'humain, sur l'émotion et plus précisément sur les liens qui unissent ces trois protagonistes. C'est en tout cas ce qui domine assez largement le film et aussi ce que l'on préfèrera retenir plutôt que de repenser au personnage ultra caricatural de la journaliste prête-à-tout incarnée par Olivia Wilde, dans un rôle à la mesure de son talent, et au portrait univoque qui nous est dressé du FBI lors de cette enquête où il suffisait visiblement de faire le trajet à pied entre une cabine téléphonique et l'emplacement de la bombe pour piger que Dick Jewell était innocent.




Ce nouveau film d'Eastwood doit beaucoup à ses acteurs, en particulier Paul Walter Hauser et Sam Rockwell, drôle de tandem à l'intelligence inégale mais soudé et déterminé à résister à la tourmente médiatique ainsi qu'aux viles manigances du FBI. Le talent des acteurs n'enlève rien à la jugeote du cinéaste ou de quiconque a eu cette très chic idée d'engager un acteur peu connu pour jouer Richard Jewell. Pour une fois, on ne se tape pas une vedette physiquement transformée qui vient nous faire son petit numéro (fut un temps où Jonah Hill et Leonardo DiCaprio étaient attachés au projet, on n'a rien contre eux mais, ici, on ne les regrette jamais). Paul Walter Hauser est impec là-dedans, avec son énorme bouille et son allure bedonnante, il parvient assez subtilement à se démarquer de ces autres figures de héros benêts bien connus. Quant à Sam Rockwell, lui qui d'ordinaire à tendance à cabotiner, à en faire trop, à se regarder jouer, il est ici parfait, juste comme il faut. Là encore, une partie du mérite peut revenir à Clint Eastwood pour avoir su le diriger et le canaliser ainsi. Le meilleur moment du film est sans doute cette scène où l'on se rapproche le plus de la comédie : quand Richard Jewell ne peut s'empêcher de parler aux agents du FBI venus faire une perquisition chez lui alors que son avocat lui a fermement recommandé de la boucler. Il faut voir les regards qu'adresse Rockwell à Hauser et les moues contrites de ce dernier en retour. Une scène très cool, qui cristallise bien ce qui se joue entre les deux hommes et qui s'adjuge également une bonne fois pour toute la complicité du public. L'espèce d'amitié qui se développe entre l'avocat et Jewell est assez jolie, simple, et ils ne sont pas si fréquents les films américains qui, aujourd'hui, osent tout simplement dépeindre ça. Je n'ai rien dit sur Kathy Bates, parce qu'elle fait le taff comme à son habitude, que voulez-vous : on voit la mère de Dick Jewell et à aucun moment l'actrice de Misery et compagnie. On est convaincu qu'elle a bel et bien passé la journée à cuisiner des gâteaux à son con de fils et qu'elle veut à tout prix récupérer ses tupperwares subtilisés par le FBI. Là aussi, Clint Eastwood pose un regard assez tendre et sensible sur cet amour maternel sans faille.




Clint Eastwood questionne donc encore la figure du héros, comme il le fait depuis tant de films maintenant. Après le pitoyable 15h17 pour Paris, où il filmait le plus platement du monde une bande d'arriérés mentaux devenir les sauveurs des passagers d'un train pris pour cible par des terroristes, il nous montre encore que derrière un gros lard un peu débile peut se cacher une âme sainte, un héros au cœur pur, un type profondément bon qui cherchait juste à faire son travail comme il faut. Mais plutôt que de nous démontrer par l'absurde ce qui peut pousser un homme à agir de façon héroïque, il se penche surtout ici sur l'incrédulité d'un brave gars face à un mécanisme, presse et fédéraux, qui le dépasse totalement. Le discours est assez convenu, un peu grossier, certaines ficelles sont dures à avaler (comment Richard Jewell peut-il encore ignorer qu'il est devenu le suspect numéro 1 quant le FBI vient pour la première fois chez lui, alors que sa mère est scotchée à la télé H24 ?), et l'on sent plus d'une fois que la mise en scène de Clint Eastwood est en mode pilote automatique (quelques secondes de trop sur la Macarena et des mouvements d'appareils pas toujours très heureux qui donnent l'impression d'un travail vite fait pas si bien fait, etc.) mais on se laisse aller sans souci devant ce 38ème film du vétéran, qui doit déjà être en train de boucler le 42ème. Un film qui, peut-être, ne marquera guère nos mémoires de cinéphages au fer rouge, mais qui n'enlève rien à la légende du pistolero, tout en y ajoutant pas grand chose non plus, vous me suivez ? En tout cas, c'était la deuxième fois de sa vie que mon frère Poulpe aka Brain Damage versait sa petite larme devant un film de fiction depuis la mort tragique par électrocution du squale mangeurs d'hommes à la fin des Dents de la Mer 2. Et la première fois tout court qu'il chialait en contemplant un américain obèse manger goulument son donut. Un véritable tour de force !


Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell et Kathy Bates (2020)

22 mars 2020

Le Mans 66

Le Mans 66 est un film plutôt plaisant, assez agréable à suivre, je ne remettrai pas cela en cause. A l'heure où les films américains de cet acabit se font si rares, et c'est sans doute pour cette raison-là que celui-ci s'est particulièrement fait remarquer, nous n'allons pas bouder notre plaisir. James Mangold sait raconter son histoire et rythmer son récit, les enjeux sont très rapidement et clairement définis : pile ce qu'il faut pour que l'on accepte de se laisser porter pendant plus de deux heures trente. On nous retrace donc la rivalité entre Ford et Ferrari qui marqua la compétition automobile durant les années 60 et atteignit son climax lors des 24 heures du Mans de 1966. Cela nous est évidemment conté du point de vue américain, à travers le double portrait de Carroll Shelby, ancien vainqueur de la course mythique devenu constructeur automobile, que Ford chargea d'inventer la voiture la plus performante possible, et Ken Miles, un type imprévisible, au caractère bien trempé, mais un as du volant sans pareil, choisi comme pilote par Shelby himself contre l'avis de ses supérieurs, qui considéraient que son image un peu toquée ne collait pas avec celle, ultra clean, de la marque étendard de la bannière étoilée.




Sur le plan de la rivalité entre les deux « écuries » (je mets les guillemets par précaution car j'ignore si j'emploie le bon terme et je n'aimerais pas froisser les experts), il n'y rien à dire, James Mangold dépeint ça très proprement. Il nous vend bien l'Amérique, Ford et leurs bagnoles. Pour peu que vous soyez intéressé d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de la compétition automobile, vous sortirez du film en en sachant davantage. Pour ma part, j'ai par exemple appris que la fameuse course des 24 heures du Mans se déroule bel et bien au Mans, dure une journée entière, et qu'elle consiste à répéter dûment le tour d'un circuit que l'on accomplit en moins de 4 minutes si l'on se débrouille à peu près. Imaginez l'angoisse... Je croyais qu'il s'agissait de partir d'un point A pour arriver à un point B, ce qui est tout de même plus valorisant, comme c'est le cas, à ma connaissance, sur le Paris-Dakar, le Tourmalet ou le Grand Prix de Monaco... En revanche, je n'ai toujours pas compris comment l'on peut désigner le vainqueur d'une course qui doit, de toute façon, durer 24 heures. C'est à celui qui a dûment effectué le plus de tours durant ce laps de temps ? Mais alors comment se fait-il que les commentateurs disent d'un pilote qu'il a 3 minutes de retard sur un autre et que la course puisse se terminer à la ligne d'arrivée ? Ils en ont tous pour 24 plombes, non ?! Rien ne sert de courir... Bref, fermons-là la parenthèse.




Pour ce qui est de l'aspect plus humain de l'histoire, à savoir l'amitié entre Ken Miles et Carroll Shelby, c'est une autre affaire. James Mangold s'avère un peu moins doué, malgré les deux acteurs qu'il a à sa disposition. Le duo était plutôt prometteur à l'affiche, Matt Damon faisant généralement le taff et Christian Bale brillant toujours davantage lorsqu'il est un sidekick et qu'il bosse en binôme (on se souvient de sa prestation oscarisée dans The Fighter où il était le coach efflanqué de Mark Wahlberg). Il fonctionne effectivement à l'écran, mais de façon bien trop ponctuelle, il n'est pas suffisamment exploité, et c'est fort dommage. Christian Bale livre de nouveau une solide performance en parvenant à donner vie au pilote un peu cintré qu'est Ken Miles. L'acteur pourrait lasser, avec ces transformations à répétition et son élocution si particulière, mais force est de constater que ça marche encore : on voit son personnage, et non Christian Bale nous refaire son petit numéro. Il réussit à s'éclipser derrière la figure de Ken Miles, laissant libre cours à son accent british (origine britannique du pilote oblige). Forcément plus sobre, comme le lui dicte son rôle, Matt Damon est impeccable aussi. Pourquoi donc James Mangold n'en tire pas quelque chose de plus consistant ? Ce n'est qu'à la toute fin du film que Carroll Shelby se livre un peu, laisse percer un peu d'émotion, mais son acolyte est déjà parti en fumée, littéralement, et c'est d'autant plus frustrant.




Peut-être suis-je aussi nostalgique des buddy movies des années 80-90, mais je regrette que Le Mans 66 n'aille pas davantage dans cette voie et, surtout, ne mette pas plus au premier plan la relation des deux protagonistes, dont les personnalités opposées auraient dû donner plus d'étincelles (la scène de bagarre fraternelle paraît un peu forcée...). Soit dit en passant, je constate que cela fait plusieurs films américains récents qui, malgré les apparences et les promesses affichées, des couples d'acteurs intéressants et une durée suffisante pour le faire, me semblent échouer à dépeindre une belle amitié et refusent de donner dans la comédie, le buddy movie, avec son lot de scènes drôles et de complicité attendues qui nous permettraient d'apprécier les personnages et de nous réjouir de leurs interactions. Je pense au dernier Tarantino, qui lui aussi dure pourtant presque trois plombes, et était très faible sur ce plan-là (comme sur bien d'autres...). Il ne s'y passe quasiment rien entre Leonardo DiCaprio et Brad Pitt. On finit ces (longs) films en trouvant tous ces personnages, au mieux, vaguement sympas, et en n'ayant pas vraiment été touchés par leur amitié. Triste, non ?




Aussi (et c'est d'ailleurs un autre point commun avec Once Upon a Time in Hollywood...), le traitement des personnages féminins dans Le Mans 66 n'est pas des plus finauds. Il n'y en a, à vrai dire, qu'un seul à l'écran : l'épouse de Ken Miles, incarnée par Caitriona Balfe. Celle-ci passe son temps les mains sur les hanches, dans de jolies robes sorties du la collection printemps-été 66, l'air de se dire "Mon mari est une vraie tête brûlée mais si ça lui fait plaisir de risquer sa vie dans ces bolides, je n'ai rien à dire et je suis prête à encaisser la tête haute son inéluctable mort accidentelle". Ce personnage est simplement là pour nous offrir quelques moments au romantisme très niais sans doute assumé mais néanmoins embarrassant. A l'évidence, les scènes les plus faiblardes du lot. Celle, assez longue, de prise de bec en voiture où, pour une fois, madame est au volant et menace de garder le pied sur l'accélérateur si son mari ne lui avoue pas ses projets, est sans doute la plus pénible de toutes. Si c'est pour faire ça, franchement, autant ne donner aucune place à la femme de Miles et grappiller quelques minutes sur la durée totale.




Pour compléter le tableau, évoquons les courses en bagnoles, un point essentiel, car pour réussir ton film de courses de bagnoles, eh bien il faut... réussir tes courses de bagnoles, c'est la base. Telles qu'elles sont filmées par James Mangold, disons-le tout net, elles ne rentreront pas dans les annales de l'histoire du cinéma. Elles sont assez lisibles, certes, nous comprenons tout ce qui s'y passe, et nous sommes plutôt pris dedans, ce qui est déjà pas mal par les temps qui courent, mais c'est mis en boîte sans génie et je n'étais pas non plus scotché à mon fauteuil comme je l'espérais. Je crois avoir pris plus de plaisir devant le Rush de Ron Howard. Ron Howard a fait mieux. C'est toujours pénible de se dire ça, non ? Ron Howard a fait mieux. Ron Howard, quoi. Tu arrives à vivre avec ça, James ? Si je m'appliquais à faire, je ne sais pas, une bonne omelette, la meilleure possible, et que l'on me disait, après l'avoir goûtée, "Ok, ça va... mais Ron Howard en fait des meilleures", je l'aurais en travers, croyez-moi. Je pense que j'arrêterai la cuisine, ou bien je retournerai à mes poêles et mes fouets, bien déterminé à dépasser le rouquin.




Terminons sur une bonne note : il y a une scène lors de laquelle j'ai remarqué une bien belle idée visuelle (photogrammes ci-dessus). Je vous resitue le contexte : la nuit est tombée et Ken Miles travaille encore, seul, dans l'immense garage géré par Shelby qui est situé en bordure des pistes d'atterrissage utilisées pour tester les caisses. Jugé indésirable par les exécutifs de Ford, il en est réduit à suivre à la radio une course dont il a injustement été écarté. Tandis qu'il écoute passionnément les commentaires, les phares d'un avion viennent illuminer l'intérieur du garage et le visage frustré de Miles, les ombres des voitures se répercutent alors sur les murs derrière lui et c'est comme si, en arrière-plan, se déroulait la course qu'il s'imagine amèrement. C'est très simple et c'est assez beau, l'expressivité du regard de Bale et sa posture participant pleinement au charme de cet instant. Dommage qu'il n'y ait pas plus de moments comme celui-ci. En tant que tel, Le Mans 66 demeure un divertissement old school d'assez bonne facture, dont on peut tout de même regretter qu'il ne soit que ça. 


Le Mans 66 de James Mangold avec Christian Bale et Matt Damon (2019)

2 avril 2016

The Revenant

C'est donc comme ça qu'il faut filmer désormais. Il faut faire des films en fish-eye, en plans-séquences tournoyants, en contre-plongée, truffés de moments de bravoure (comme ce long plan qui grimpe la montagne à reculons depuis le bord escarpé du fleuve, au début du film, qui nous crie "Visez-moi la prouesse !"), et ne tourner que durant "l'heure bleue", quand les animaux de la nuit se la ferment et juste avant que ceux du jour ne s'ébrouent, l'heure où les loups-garous ont le plus la trique. Le chef op' de Terrence Malick, Emmanuel Lubezki, le virtuose, a donc commis un massacre supplémentaire et voit son "style" érigé en modèle par l'académie des Oscars, puisqu'il a obtenu trois fois de suite le prix de la meilleure photographie. On a de nouveau droit à ses effets signatures détestables : mille et un plans en contre-plongée totale sur les arbres, par exemple, ou bien, dans quelques scènes de rêverie horribles, dignes des pires flashbacks sentimentaux dégoulinants de Gladiator, ces sempiternels et tristes plans sur un personnage béat devant les rayons du soleil, autant de clichés morbides qu'on ne peut plus blairer depuis longtemps, qui sont aussi tristes et usants que la mode des films aux teintes uniformément bleu gris...




The Revenant est donc visuellement à couper le souffle, dans le pire sens de l'expression, mais il est avant tout d'une lourdeur extrême. Tout ce qui faisait le charme, la force, la richesse d'un film comme Le Convoi sauvage, basé sur la même histoire (celle du trappeur Hugh Glass, salement blessé par un grizzly en 1823, qui parvint à rejoindre son bivouac à Pincou-les-bains, distant de plus de 300km, en moins de six ans et en rampant), fout le camp au profit d'une bête histoire de vengeance opposant Leo DiCaprio et Tom Hardy. Le premier s'étant fait sodomiser par un ours, le second l'abandonne à son sort après avoir tringlé son fils. Par suite de quoi, Leo DiCaprio met tout en œuvre pour rattraper le coupable et se l'esprofondir, après 2h50 de galère où rien n'est rendu palpable de la difficulté des épreuves traversées par le héros ni de la distance séparant les espaces arpentés pour mettre la main sur un simple connard. Car c'est bien à cela que se résume l'antagoniste de Hugh Glass (grand-père de Philip Glass, qui malheureusement ne signe pas, de ses dix doigts de fée, longs et véloces, la bande originale du film). Le héros, bon, généreux, fort, courageux et à l'écoute de la nature, traque son ennemi, un fumier intégral, couard et cupide, jusqu'à ce qu'ils se larguent quelques dizaines de balles et de coups de couteau au bord de l'eau...




DiCaprio, l'acteur le plus apprécié du moment, s'est retrouvé en top tendance pendant deux semaines suite à son Oscar et à sa petite diatribe contre l'environnement. Et pourtant, si on a beaucoup déblatéré sur les difficultés du tournage en conditions extrêmes (il faudrait chialer pour eux alors que personne ne leur avait rien demandé jusqu'à preuve du contraire), c'est bien la faune et la flore des coins perdus où Iñarritu est allé planter sa caméra et son bivouac qui ont le plus trinqué. Il s'agit d'écosystèmes extrêmement fragiles, où la vie ne tient qu'à un fil, grâce à un équilibre millénaire vite perturbé par une présence étrangère aussi délicate soit-elle. Et c'est pas les gros sabots pleins de merde d'Iñarritu, ou la petite gueule enfarinée et bouffie de DiCaprio, ni la putain de bouche à pipe de Tom Hardy qui auront su préserver l'anonymat dans un tel contexte. En d'autres mots, la caravane du film, ultra nomade, a démoli tous les paysages qu'elle a traversés. Lubezki et Iñarritu, emportés dans leur grand délire maniaco-dépressif et égocentrique, se sont lancés dans des kilomètres de route et de vol pour trouver le pin parfait, le galet idéal, la brindille de rêve, la feuille de chêne la mieux dessinée, le champignon hallucinogène le plus dément, la fougère la plus velue, la toile d'araignée la plus symétrique, le grain de sable le plus fin, l'indien d'Amérique le moins mort. En bref, si DiCaprio se montre au fait de l'actu ciné et environnementale, il ferait mieux de balayer devant ses propres pompes et de changer plus régulièrement la litière d'Iñarritu.


The Revenant d'Alejandro Gonzalez Iñarritu avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Lukas Haas et Domhnall Gleeson (2016)

9 mars 2016

Bone Tomahawk

Bone Tomahawk, le premier long métrage de l'américain S. Craig Zahler, s'il n'est pas parfait, nous donne plein de raisons de l'apprécier et de le défendre de tout notre coeur. Déjà copieusement salué et décoré en festivals, il a notamment obtenu le Grand Prix à Gérardmer face à une concurrence relevée (parmi laquelle The Witch, autre film d'horreur indé dont se dit le plus grand bien et dont nous espérons donc beaucoup) et il faudrait en effet être aveugle pour ne pas remarquer que Bone Tomahawk sort clairement du lot. Arrêtons-nous d'abord à ce qu'il y a de plus visible. Dès les premières images, on se dit que S. Craig Zahler, écrivain (publié chez Gallmeister, s'il vous plaît) et scénariste, devait crever d'impatience de passer enfin derrière la caméra pour réaliser un western. Visuellement, son film donne l'impression d'être la mise en image limpide d'un fantasme longuement mûri. En tant que cinéphile à la recherche de bonnes péloches de genre, on prend aussi un pied évident devant ça. Bone Tomahawk, comme son titre, a une putain d'allure et donne immédiatement envie d'être aimé. La mise en scène fluide et patiente d'un cinéaste débutant mais plein de confiance et de maîtrise, nous plonge somptueusement dans l'Ouest américain, sauvage et brutal. On y est et on s'y sent bien d'emblée !





Autre atout immédiatement visible : le casting, qui est une belle petite collection de gueules connues du cinéma de genre, ici superbement bien employées. On est à des années-lumière du défilé insupportable de gloires passées comme le proposent les saloperies à la  Grindhouse. La première scène, qui met de suite dans le bain et annonce bien la couleur, nous fait suivre les sombres méfaits de deux brigands aux méthodes radicales incarnés par David Arquette (l'éternel gaffeur condamné à jouer les benêts et autres petites frappes) et Sid Haig (une grosse tronche impossible déjà croisée dans les films cultes de Jack Hill, dont l'excellent Spider Baby, et revue plus récemment devant la caméra du triste Rob Zombie), deux salopards qui auront le malheur de s'aventurer sur le territoire d'une tribu indienne cannibale. Le scénario de S. Craig Zahler nous propose ensuite une sorte de variation horrifique et minimaliste du classique de John Ford, La Prisonnière du désert : une bande de cowboys remontés, menée par un Kurt Russell en pleine forme et au charisme toujours intact, se lance à la recherche d'une femme docteur enlevée par des indiens revanchards.





Avant le départ de la troupe, S. Craig Zahler installe avec le plus grand soin chacun de ses personnages. Et qu'il est rare et appréciable, aujourd'hui, de tomber sur un film qui prend autant son temps, qui croit à ce point en ses personnages et laisse ses acteurs leur donner si brillamment vie. On oublie d'ailleurs totalement les acteurs, à commencer par notre vieil ami Richard Jenkins, qui trouve peut-être ici son meilleur rôle dans la peau de l'adjoint un peu naïf du shérif joué par Kurt Russell. Ce n'est qu'une fois le film terminé que je me suis dit "Putain mais c'était Dick Jenkins, Dick Jenkins !!". Matthew Fox, le Jack de Lost, mérite lui aussi d'être félicité, il incarne avec beaucoup de classe et d'aplomb un cowboy dandy sans éthique et ce n'est, là encore, qu'une fois le générique terminé que je me suis dit "Putain mais c'était Jack, Jack de Lost !!".  





Même Patrick Wilson est bon là-dedans. Même Patrick "tronche de playmobil" Wilson ! Il passe tout le film à boiter, à en chier encore plus que DiCaprio dans The Revenant, et c'est un vrai régal d'assister à cela après toutes les ignominies dans lequel on l'a vu saloper l'écran. Patrick Wilson joue bien, je ne pensais jamais écrire ça un jour, et c'est dire si S. Craig Zahler doit également être un bon directeur d'acteurs. On s'attache à son personnage d'amoureux des plus déterminé à sauver sa dulcinée comme on s'attache à tous les autres. Soulignons aussi le talent du cinéaste et scénariste pour faire exister chaque protagoniste, et pour, chose encore très précieuse, écrire des dialogues si réussis (avec même quelques moments comiques bien sentis) et créer des scènes a priori anodines où il se passe réellement quelque chose alors que l'action est encore bien loin.





Le film se contente simplement de suivre au plus près cette petite bande dans sa quête qui la mènera jusqu'à l'obscurité ultra glauque d'une redoutable tribu cannibale troglodyte. On pense un peu à l'horreur sèche et brutale de The Descent quand on voit avec quel sérieux le réalisateur invite ses monstres oubliés à l'écran. S. Craig Zahler choisit délibérément de mettre en scène des "indiens" qui correspondent aux cauchemars irraisonnés des pionniers, à la terrible image qu'ils s'en faisaient alors : mangeurs d'hommes régnant en maîtres sur une zone interdite, ils sont des ombres grises qui surgissent de nulle part, dont les flèches proviennent d'on ne sait où et peuvent vous transpercer à tout moment quand vous avez le malheur de vous trouver sur leur territoire.





La violence et l'horreur de Bone Tomahawk, en même temps furtives et frontales (une scalpation suivie d'une mise à mort particulièrement dégueue est au programme, filmée sans complaisance), surprennent toujours et agissent un peu à retardement, saisis que nous sommes par l'ambiance aride de l'ensemble et suspendus au sort parfois terriblement cruel réservé aux personnages. Le cinéaste nous offre un western horrifique aux moments de tension rares mais épuisants pour les nerfs où nous pouvons trembler, par exemple, pour que notre héros ait le temps de recharger sa pétoire imprécise avant d'y passer. On tient également là un superbe film de rando. Après ça, on a l'impression d'avoir marché quelques kilomètres, nous aussi, et d'avoir campé une paire de nuits à la belle étoile, à l'affût du moindre bruit... 





Alors certes, on aurait peut-être aimé que le film soit un peu plus. Que, lorsqu'il s'arrête, nous n'ayons pas l'impression de tout savoir, d'avoir tout vu, mais qu'il reste des zones d'ombre, un peu de mystère, une sorte de fascination encore possible. La simplicité et la linéarité du scénario de S. Craig Zahler est à la fois sa force et sa limite. Il le cantonne dans son sous-genre, l'empêche de le dépasser, mais lui permet de s'affirmer pleinement comme un western simple, sec et racé comme nous n'en voyons quasiment plus et qu'il faut absolument saluer. Le subtil et bien mené mélange des genres tout comme l'ambiance particulièrement saisissante du film nous font également croire en l'éclosion d'un nouveau cinéaste très prometteur. Vivement la suite !


Bone Tomahawk de S. Craig Zahler avec Kurt Russell, Patrick Wilson, Richard Jenkins, Matthew Fox et David Arquette (2016)

15 août 2015

Life After Beth

Life After Beth est le premier film de Jeff Baena et espérons que ça soit le dernier. Ce cinéaste de 38 ans a dû se lever un beau matin en croyant avoir une idée de génie puis s'en est allé la partager avec ses amis aussi débiles que lui. "Hé les mecs, imaginez que votre copine soit un zombie ! Ce serait un truc de dingue, non ?!" Non. Eh bien c'est pourtant le pitch de ce film indé qui n'a strictement aucune sorte d'intérêt.

Pas évident de sortir avec une mort-vivante... Celle-ci a la peau bien fragile et craint le soleil. Elle aime recouvrir les murs de sa chambre de boue et a mauvais caractère, imprévisible et lunatique. Tout ça nous vaut de belles scènes de merde. Une seule scène ne nous a pas donné envie d'abandonner le cinoche. Celle où Aubrey Plaza s'en prend violemment à son abruti de mec quand celui-ci sort sa gratte pour lui interpréter une chanson romantique qu'il a écrite spécialement pour elle. En défonçant sa guitare et en couvrant l'apprenti songwriter d'insultes, la zombie agit exactement comme on l'aurait fait.




Aubrey Plaza accomplit l'exploit d'être moins bonne comédienne que son frère Stéphane. Avec des yeux pareils c'est la créature du lagon noir qu'elle aurait dû interpréter et non une zombie. Son partenaire à l'écran, Dane DeHaan, déjà croisé dans le sinistre Chronicle, fait partie de cette jeune génération d'acteurs sans avenir que l'on aimerait voir déjà disparaître. Il ressemble à un Leonardo DiCaprio dont la mère aurait été addict au crystal meth durant sa grossesse. On se demande pourquoi John C. Reilly perd son temps là-dedans, lui qui peut être si drôle... Il fait vraiment peine à voir. Qui le conseille dans ses choix de rôle ? Nous l'avons beaucoup trop vu dans ce genre de films indés vides de tout.




À l'heure de jeu, entre sur le terrain Anna Kendrick dans le rôle d'un personnage qui n'apportera rien de neuf. Cette actrice au bec de lièvre et au teint diaphane a pour seul atout d'avoir des seins qui pointent vers la Lune. Faut-il n'avoir rien d'autre à se mettre sous la dent pour relever ce détail... Quand sa route croise celle de la zombie jalouse, on se demande laquelle des deux actrices nous choisirions d'écraser sous la roue de notre Monster Truck si le choix s'offrait à nous.




De la première minute à la dernière, on n'a rien à secouer de ce qui se passe à l'écran, toujours légèrement agacé par l'idée qu'une telle chienlit ait pu être immortalisée sur pellicule. Le film ne progresse jamais. Il donne envie de revenir dans le passé afin de persuader les premiers hommes ayant commencé à raconter des bobards sur des morts revenus à la vie de la fermer à tout jamais, pour que ce mythe n'ait aucune chance de s'installer dans la culture populaire, tout ceci dans l'unique but d'empêcher que, des milliers d'années plus tard, un fumier nommé Jeff réalise ce film à la mord-oim-le-noeud. A cette époque très reculée, il y avait plusieurs peuplades humaines disséminées de l'Afrique à la Norvège en passant par les steppes d'Asie, le travail de persuasion aurait donc été monumental pour tuer dans l’œuf le sombre projet de Jeff Baena, mais ça en aurait valu la chandelle ! En un mot comme en cent, ce film n'a peut-être pas coûté grand chose et a permis à Jeff Baena de réaliser son rêve mais je trouve que c'est très cher payé pour l'humanité. Envie de se crever les yeux...


Life After Beth de Jeff Baena avec Dane DeHaan, Aubrey Plaza, John C. Reilly et Anna Kendrick (2015)

1 avril 2015

Predestination

Ce film est probablement le plus gros mindfuck de l'histoire des histoires. Amateurs de spoilers, réunissez-vous autour de cet article. Que nous racontent les frères Spierig en adaptant ce texte de Robert Heinlein ? Au départ, on se croirait dans un caper movie de base. Le héros, interprété par un Ethan Hawke de retour du diable vauvert, est censé être renvoyé dans le passé pour empêcher le so called "Feu follet", surnom d'un terroriste dynamiteur, de faire sauter un bâtiment. On nage donc, littéralement, en plein caper movie. Mais très vite, une scène de troquet sous influence pagnolesque, qui dure une bonne demi heure, brise l'horizon d'attente d'un spectateur en quête de repères, qui a depuis un bail entamé une séance de rameur devant sa télé. On apprend dans cette scène, grâce à l'inénarrable Ethan Hawke, passé de démineur à serveuse le temps d'un raccord, lancé dans une discussion à bâtons rompus avec Leonardo DiCaprio, que le film a largué les amarres et préférera la réflexion à l'action. Les frères Spierig en ont sous la godasse, et semblent vouloir nous dire : "On va moins vous faire suer des barres que vous tuer l'esprit".


Face à face entre deux éphèbes des années 90 : Leonard DiCaprio trinque avec Ethan Hawke. Quand il mate le film, Brad Pitt se demande pourquoi il n'a pas été invité.

Qu'en est-il, au fond, de Predestination ? C'est l'histoire d'une personne qui est tout à la fois, sans le savoir, sa propre mère et son propre père, ainsi que son propre amant, puis son propre enfant, et enfin son propre chien, du fait de plusieurs boucles temporelles imbriquées. Si vous avez du mal à y croire et à comprendre, ne regardez pas le film, car il ne va pas vous aider du tout, mais relisez simplement notre résumé, qui est clair comme de l'eau de roche. Si Bob Heinlein le lisait, il opinerait sans doute du chef, comme un vieux sage, avançant une lippe satisfaite, heureux que des années de travail soient aussi bien résumées. Voyageurs du temps, touristes de l'horloge, prenez garde à également tracer la route dans l'espace, à voyager verticalement et horizontalement, sous peine de tomber amoureux de vous-mêmes, de vous interpénétrer, de vous accoucher et de vous tenir en laisse. Les frères Spierig, qui sont sans doute eux-mêmes un seul et unique individu, ont le mérite de donner un nouveau souffle à toutes les réflexions engendrées par ce type de récits de science-fiction philosophique. Ils ont en revanche le tort d'avoir pondu une sacrée daube. Face à ce film, on se demande sans cesse si c'est du génie ou de la pure infamie, et pas mal de scènes font pencher la balance du mauvais côté. 


Ethan Hawke stipule dans chacun de ses contrats qu'il viendra avec ses propres habits et qu'il s'habille chez GrouchO: friperie RetrO, 39 rue Peyrolières.

Saluons tout de même le courage des deux kamikazes qui ont réalisé ce film, quitte à en sortir cramés et fâchés à vie avec la dynastie Heinlein. Ces deux connards ont toute notre sympathie. Et leur acteur-star, Ethan Hawke, a plusieurs pieds-à-terre intra-muros chez les auteurs de ce blog. On tient quand même à réparer une injustice. Celui qu'on a surnommé le Cary Grant des années 90 grâce à Bienvenue à Gattacca, où il marche sur l'eau, et au Cercle des poètes disparus, où il est beau comme un cœur, essuie aujourd'hui plusieurs quolibets. Beaucoup d'anciens fans le maltraitent, faisant de lui un exemple d'acteur ayant mal vieilli. Il a vieilli, certes, admettons. Mal ? Uma Thurman aimerait pouvoir en dire autant. Peu de starlettes des années 90 trimballent encore autant de classe qu'Ethan Hawke. Prenez les actrices de Friends, Courteney Cox, Jennifer Aniston, l'actrice préférée des américains, donc du monde entier, voire Matthew Pery. Toutes sont devenues des armoires à pharmacie ambulantes. Mais Matthew Perry, on le laisse tranquille, simplement parce qu'il n'est plus under the radar. A contrario, rappelons qu'Ethan était l'an passé à l'affiche de Boyhood, neuf nominations aux Oscar et film préféré de Barack Obama... Qui dit mieux ? 


 Drôle de scène post-générique où Ethan Hawke étreint une grosse aubergine, qui n'est autre que lui-même devenu légume.

Certes, il n'est pas toujours irréprochable. Par exemple dans The Purge, où il porte la moustache, sauf dans une scène... Un matin, Ethan s'est présenté sur le plateau rasé à blanc, un sourire d'écolier en bandoulière, l'envie de bien faire au rendez-vous. Le producteur l'a dévisagé et a pointé son index sous son nez l'air de dire : "What the fuck ? Qu'est-ce que tu nous as fait ? Trente ans de carrière, jamais vu ça !" Mais comment lui en vouloir ? Quand on tourne quatre films par an, dont deux de Richard Linklater et deux des frères Spierig, on ne peut pas toujours s'y retrouver et apporter le bon cartable. Sans compter qu'Ethan Hawke a un autre job à temps plein, celui de plaque tournante. Il sert de parabole entre le Mexique et le continent nord-américain. Voisin de Dick Linklater à Austin, les deux hommes partagent une passion envahissante pour tout ce qui fume et qui rend jouasse. D'ailleurs, tout le monde s'est esbaudi du projet Boyhood, film tourné sur quinze ans, alors que le tournage s'adaptait simplement au planning-maison de Linklater et à son rythme de vie très "cool". Nul doute que la ganja tournoyait aussi sur le plateau de Predestination. A ce propos, oubliez Las Vegas Parano et Inherent Vice, vous tenez là THE stoner movie.


Predestination des frères Spierig avec Ethan Hawke, Sarah Snook et Noah Taylor (2014)

18 février 2014

Dallas Buyers Club

On a récemment loué le come-back en force de Matthew McConaughey, grand retour qui sera sans doute couronné par un Oscar du meilleur acteur grâce à ce film, et qui trouvera son acmé très bientôt dans le Interstellar de Nolan. Et quand on a fini de lire cette première phrase on se dit que le monde est putain de mal fait. Certes Matthew McConaughey a fait un retour fulgurant sur le devant de la scène, lui qui était le bellâtre au pois chiche dans le crâne des années 90, mais il pourrait bien s'inscrire dans la longue liste de ces acteurs et actrices sacré.es pour un rôle marqué par une performance physique au sein d'un biopic anecdotique. Alors qu'on aurait aimé le voir unanimement salué et officiellement récompensé pour son rôle dans le Mud de Jeff Nichols, il va sans doute repartir vainqueur face à Leonardo Discarpaccio de bœuf pour Dallas Buyers Club.


Dix piges en moins.

Est-ce que manger une feuille de laitue et deux tranches de jambon par jour, en tout et pour tout, dans le seul but de ressembler à un estocafiche et d'impressionner la galerie, valait vraiment le coup ? Tout ça pour être immortalisé par un Jean-Marc Vallée certes en nette progression depuis son film breakthrough C.R.A.Z.Y., avec l'abominable Jean-Marc Grondin, mais malgré tout dépourvu de toute patte (quelqu'un a dû les lui couper depuis un fameux bail). On imagine Matthew McConaughey penché sur sa feuille de salade, parfois pendant des heures, à la grignoter millimètre par millimètre et à en apprécier chaque nervure, même très discrète. Franchement ça fait de la peine, et ça devrait rappeler à chacun que le très paradoxal métier d'acteur n'est pas qu'un rêve. Notre homme, au fond du gouffre quand il tournait Sahara en 2005, passa pourtant un été entier près de Pénélopé Cruz. Désormais en haut des charts, la star n'a même plus la force de lever les yeux, seule une belle frisée du marché peut encore le faire se lever de sa chaise roulante. Notre homme, et ça c'est quand même terrible quand on y pense, ne se permettait que trois feuilles de mâche tous les dimanche pour pas crever et tenir jusqu'au clapet endiablé de Jean-Marc Lavée sur le plateau du lundi matin... Inutile de préciser qu'un tel régime, et un tel yoyo d'IMC (Indice Masse Corporelle), même encadrés par les plus grands nutritionnistes du monde, écourtent inévitablement la vie d'un homme d'une bonne décade au moins. Finalement c'est presque la moindre des choses que de refiler une statuette à, sauf notre respect, un futur mort prématuré.


Jared L’Étau.

Retour sur le film, non encore abordé. Comme tout biopic, Dallas Buyers Club nous a appris deux ou trois sous-éléments de l'histoire de la sous-culture gay sud-américaine. Il se vendait donc en contrebande du M&M's dans les années 80, seul médicament capable alors de soulager les malades du SIDA. Toute une industrie parallèle destinée à faire commerce de ce remède relatif était entretenue par des clubs florissants, répartis aux quatre coins des favelas, qui, grâce à leur implication et leur engagement, ont su faire évoluer la prise en charge des malades du VIH, réduits au statut de simples cobayes par des hôpitaux en cheville avec de grands groupes pharmaceutiques tout-puissants. A la fin du film on se dit : "N'aurais-je pas plutôt dû lire la page wiki consacrée à ces fameux clubs qui donnent son titre au film ?" On ne s'était pas dit ça après Hiroshima mon amour, Danse avec les loups ou Shakespeare in Love. C'est le signe que côté ciné la proposition de Vallée est un poil maigre.


Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée avec Matthew McConaughey, Jared Letho et Jennifer Garner (2014)

22 janvier 2013

Django Unchained

On l'attendait depuis longtemps, il est enfin arrivé pour embellir cette rentrée, je parle bien entendu du nouveau cru de Quentin Tarantino, de son tant espéré western-spaghetti à la sauce dé-chaî-né. Film parfait de A à Z, à la mise en scène jouissive et jubilatoire, au casting jouissif et impeccable, à la bande originale jouissive et tonitruante, ce Django Unchained est tout simplement un chef-d’œuvre. Le pied ce film. J'étais mort de rire tout le long. J'avais des frissons qui me parcouraient l'échine depuis la première scène (le générique), quand apparaît le titre, "DJANGO UNCHAINED", écrit et réalisé par "Quentin Tarantino", avec la musique sublime du Django de Sergio Corbucci en fond ("Djangoooo, have you ever been alone ? Djangooooo, have you ever fucked your son ?"), jusqu'à la fin, avec le gros délire sanglant et l'explosion énorme en forme de feu d'artifice délirant, en passant par tout ce qui se passe entre-temps, toutes ces punch-lines fracassantes, cet humour décapant, ce slow-motion tripant, ce hip-hop jumpant, toute cette violence décomplexée, et notamment le caméo de Tarantino himself et la façon dont crève son personnage. Juste jouissif. C'est bien simple, j'avais envie d'applaudir l'écran de ciné toutes les deux secondes, et je l'ai fait d'ailleurs, je me suis pas fait prier, même si je me suis fait tabasser gentiment par un type à la sortie du ciné. Un nazi ou un raciste. Un chien qui n'a rien compris au génie intégral du grand Tarantino, le mec le plus fun du monde, qui vient de réaliser le meilleur film de l'année, et même des trois années à venir, jusqu'au prochain opus signé QT quoi. Même si je me demande comment il va bien pouvoir faire mieux que cette tuerie. Whaoou, merci Quentin. Spike Lee, va crever pauvre con, tu mérites le fouet ! Dans un monde idéal on te foutrait au fond d'une cale en espérant que le bateau coule ! Django Unchained est magnifique, peut-être le meilleur film de son auteur. Ce film est une claque qu'on est trop heureux de recevoir en pleine tronche, et on serait même prêt à tendre l'autre joue pour en recevoir une autre du même genre mais deux fois pire, voire pourquoi pas tendre son joufflu (car c'est comme ça que j'appelle mon gros cul) pour se faire défenestrer et en redemander encore et encore. Tarantino nous ravage les boyaux et le cerveau, et on en redemande comme des cons qui prennent leur pied à deux mains. Le film dure presque 3 plombes mais il passe comme une balle de fusil à lunette entre les deux yeux d'un salopard d'esclavagiste, il passe comme un doigt dans le cul. Joui-ssif.




Voilà en gros ce qu'on peut lire absolument de partout à propos de ce film qui de notre côté ne nous a pas fait "jouir" une seconde. Mais il est difficile de s'en prendre aux fans qui font dans l'exagération et dans le répétitif puisque c'est le régime cinématographique que Tarantino lui-même ne cesse d'installer dans sa filmographie. Et puis l'homme n'est pas le dernier à se faire mousser, quand il déclare par exemple à certains journaux des choses aussi nuancées que : "Je suis à mon apogée". Quand nous avons fait notre édito sur les mégalos d'Hollywood, nous n'avons pas évoqué Tarantino, mais c'est évidemment le pire de tous. Bref, vous l'aurez compris, de notre côté on a comme une grosse dent contre Tarantino, plus ou moins depuis Kill Bill, qui s'est mutée en infection buccale pestilentielle de film en film. Mais avouons-le, si on craignait - et on avait raison - d'être à nouveau accablé par la plate stupidité du cinéaste, et surtout d'être agacé encore une fois par ses effets de manche stylistiques ressassés jusqu'à la lie (car il est difficile de reprocher à quelqu'un d'être intellectuellement aux abois mais plus légitime de lui reprocher une esthétique poussive et bégayante), on ne pensait pas s'ennuyer à ce point devant son nouveau bébé (sachant que quand on parle d'un nouveau bébé de Tarantino il faut imaginer un nourrisson difforme et bodybuildé). A force de répétition (le film est en lui-même d'un répétitif assommant) et d'insistance (on se croirait parfois non plus devant un patchwork de pastiches et d'influences mais devant une parodie par Tarantino de lui-même), feu le "style Tarantino" s'est muté en système, en une machine qui jadis, et même très tôt, était assez bien huilée, et que nous retrouvons déjà bien vieille, en train de rouiller sous nos yeux, de s'encrasser et de coincer, sabotée par son mécanicien en personne. Devant Django Unchained on se demande d'un bout à l'autre où est passée la légendaire "efficacité" de Tarantino, le dernier argument du cinéaste, son ultime bastion, cette qualité de réalisation, ce savoir-faire, ce petit sens du cinéma que l'on pouvait encore vaguement reconnaître à des films pourtant aussi médiocres et puants que Death Proof et Inglorious Basterds. Ici l'ennui est total. Rien ne fonctionne. On regarde sa montre.




Avant même de parler d'ultra-violence, de soif de vengeance primaire et abrutie, de simplisme idéologique épuisant et du reste, il faut dire que Django Unchained est un très mauvais film. Mal fait, mal monté, souvent mal filmé. Tarantino a perdu jusqu'à son art du rythme. Rythme de la musique (jamais aussi mal employée et montée que dans ce film), rythme des dialogues (bien mal écrits, au point qu'on aimerait renvoyer l'élève Quentin à sa rédaction de deuxième cycle pour entendre la version corrigée de ce triste premier jet), rythme des scènes et de l'ensemble du film enfin (puisque le montage est souvent un supplice, et fait parfois place à des séquences d'une parfaite inutilité qui rallongent un déjà trop long métrage tout en échouant à donner le sentiment du temps qui passe, comme cette scène où les deux héros se rendent en plein hiver et avec quelques cadavres sur les bras chez un inconnu qui les invite à manger un morceau de gâteau (...) avant que ne déboule un salvateur intertitre plus prompt à signifier le déroulement des mois ou des années). Même les personnages - le film tient pour héros deux chasseurs de prime, professionnel et amateur, qui abattent des gens sur contrat par simple appât du gain - sont nuls, à part à se délecter des deux gueulantes que pousse Leonardo DiCaprio, de l'accent insupportable de Christoph Waltz, qui se fait une habitude de détacher les syllabes avec emphase et de les prononcer avec du jus de salive dans la bouche, ou du charisme de Jamie Foxx, "premier héros pour les noirs" offert par Tarantino à ceux qu'il entend venger, mais qui se résume à une bonne gueule, deux costumes et beaucoup de connerie (il faut le voir, quatre ou cinq fois d'affilé, mettre la main sur son colt dès que quelqu'un s'approche de sa femme, quitte à mettre la vie de sa protégée en danger par pure stupidité de bourrique sanguine énervée). Django parlons-en, le personnage éponyme, le héros du film. Qu'est-il ? Un mari qui veut sauver sa femme. Soit. Un esclave qui veut se venger quand un brave maître d'école allemand lui en inspire l'idée, d'accord. Et à part ça ? Rien du tout. Aucune épaisseur, aucun caractère, rien qu'une belle coupe de cheveux façon casque et des muscles saillants autour desquels tourne la caméra fiévreuse d'un Tarantino vendeur de fripes et de biscottes. Faut-il vraiment s'extasier devant son épopée aussi interminable qu'absolument dépourvue d'ampleur ? Dur. Et par-dessus tout ce vide Tarantino roule des mécaniques, nous épuise par sa frime risible, ses dialogues plombants, et nous harasse, le comble pour ce dialoguiste et conteur hors-pair conscient de son soi-disant génie au point de l'annihiler par abus de confiance, avec un scénario aux longueurs morbides.




Car l'ennui vient aussi du fond de l'affaire, ce scénario crétin, creux et débilitant à souhait. Tarantino prouve encore et rappelle à quel point il est bovin dans ses raisonnements. Son propos est comme toujours simpliste pour ne pas dire absolument niais. Sa grande idée, on l'aura compris vu qu'il nous la serine péniblement depuis des lustres, c'est qu'il faut se venger des salops en se faisant salop, qu'on peut et qu'on doit devenir mauvais dans un monde mauvais du moment qu'on est gentil au départ et qu'on s'attaque à des méchants. Les grandes dichotomies sont de mise et, sans aucune mise en perspective historique, de même que tous les esclavagistes sont d'ignobles personnages, les héros sont des anti-racistes notoires, comme projetés en 1858 depuis notre ère, mettant un point d'honneur à rendre la monnaie de leur pièce aux salops de ce monde. Par conséquent la violence est gore et répugnante quand elle est le fait des méchants messieurs, cool et jouissive quand elle est celui des gentils justiciers, reflets de ce bon et courageux Tarantino lui-même qui, après avoir vengé les juifs contre les méchants nazis, venge les noirs contre les méchants blancs du haut d'un esprit d'une profondeur qui laisse pantois. Bravo Quentin, c'est très fin. Au moins autant que les longs dialogues qui plombent le film pour délivrer ton idée géniale, digne d'un enfant de 12 ans. Au moins aussi savoureux que ces autres dialogues voués à ne rien dire du tout (c'est la marque de fabrique de Tarantino, les dialogues "à côté du sujet", on le sait, sauf qu'avant il savait à peu près écrire et que les conversations mémorables qu'il plaçait dans la bouche de personnages truculents se sont mutées en un procédé laborieux), ou que ceux qui sont là pour faire grimper en flèche non pas le suspense mais l'ennui du spectateur, quand les personnages débattent pendant des heures de la bonne façon de sceller un contrat dans le Sud des États-Unis. Le pire n'est pas que l'on sache absolument ce vers quoi le dialogue nous mène (comme on s'attend du reste à chaque événement du scénario et à chaque dénouement violent succédant à chaque dialogue sans qualité, et ce dès la première séquence où le docteur Schultz libère Django), non le pire c'est qu'on s'en foute royalement, parce qu'on se fout totalement des personnages et de l'histoire, comme on se fout des scènes de combat à grand renfort de gerbes de sang, surtout depuis qu'existe un jeu comme Red Dead Redemption, où l'on peut s'amuser à créer le même type de situations et à tirer dans les cadavres jusqu'à plus soif, sauf qu'on tient la manette à la place de Tarantino...



 
Et quand on a compris la vaste étendue du propos (fouettons les fouetteurs et massacrons les massacreurs, en gros, quoique non, pas en gros, on est déjà dans le détail de l'idée de QT en croyant la résumer), on peut se lamenter devant sa mise en images et en sons. Il y a quelque chose d'assez pathétique à voir quelqu'un qui ne l'est plus depuis longtemps s'acharner à paraître cool. Surtout quand tout ce qu'il met en œuvre pour y parvenir tombe à l'eau, de la bande son, forcément trop fun et anachronique, mal placée et mal plaquée sur les images (et notamment sur celles qui illustrent les voyages à cheval du duo d'acteurs ponctués par d'incessantes et consternantes apparitions de l'épouse de Django) aux ralentis lourdingues sur des plans insignifiants, tournés peut-être trop rapidement et ne recelant aucune force visuelle, des zooms rapides trop attendus sur les réactions faciales des personnages aux flash-back inutiles et visuellement hideux, en passant par ces rares instants où Tarantino se rappelle qu'il fut aimé pour la structure complexe et retorse de Pulp Fiction et tente de surprendre la routine déprimante de son récit par un montage violent (je pense au découpage de la scène du Ku Klux Klan), mais de façon si bâclée et maladroite (même si on a compris qu'il voulait interrompre brutalement la scène de l'attaque du feu de camp pour glisser une boutade sur le Ku Klux Klan et en ridiculiser l'image), qu'on a l'impression d'assister à un montage non-définitif et qu'on a envie de pleurer.




Sans oublier ces scènes où notre fat et colérique cinéaste fait le malin, quand Django apparaît dans le nuage de fumée (effet digne d'un Michael Bay, et je pèse mes mots) laissé par l'explosion du gros personnage d'abruti joué par notre bon mégalo de cinéaste en personne, ou à la fin du film, quand ce dernier s'extasie derrière sa caméra sur le sourire allbright et les lunettes de soleil de Jamie Foxx, qui embarque sa poule devant la "grande maison de l'esclavagisme en feu" (laquelle renvoie à la "grande maison du nazisme en feu" de la fin d'Inglourious Basterds, sauf que là le héros ne se défoule pas sur l'équivalent esclavagiste d'Hitler mais sur pire que ça, le noir collabo, ce qui nous fait dire que si Tarantino devait tourner à nouveau son film précédent, Eli Roth viderait son chargeur dans le visage d'un kapo, et par conséquent on se réjouit qu'il n'ait pas à le tourner à nouveau). Ces effets pompiers font évidemment appel à des codes de série B et à certains westerns spaghettis, mais en essayant d'être cool au carré, par l'usage au premier degré de ces effets et par l'ironie qu'implique leur reprise consciente et appliquée, et tournant ces séquences comme un pied, Tarantino sombre dans le ridicule le plus insondable.




L'esthétique Tarantinienne fait donc plus que jamais tomber les yeux et se révèle aussi crasse, bête et vulgaire que les idées du bonhomme. Cette bassesse nous pousse à considérer Tarantino en triste pornographe dès ces gros plans, au début du film, où Christoph Waltz remplit des chopes de bière dans un saloon, plans brefs qui ont pour but de créer du rythme, une tension, mais qui n'y parviennent pas, et dont ne restent que l'image de verres remplis de mousse à rabord avant d'être raclés pour en foutre de partout, et le son juteux - comme la bouche de l'acteur Waltz - de cette bière qui gicle, qui mousse, qui remplit et qui déborde salement. Ces plans peuvent d'abord être perçus comme une sorte de tentative étrange de doter les images d'une matérialité, de les incarner, comme une sorte de porte d'entrée offerte au spectateur pour investir la réalité de la fiction, pour s'installer dans un monde concret bien qu'imaginaire et laisser aller notre créance vers ces lieux palpables. C'est un des soucis de Tarantino, qui a beaucoup interrogé la notion même de fiction, ses conditions d'existence et les possibilités de sa remise en question, qui poursuit théoriquement dans cette voie en réécrivant l'Histoire avec une grand H dans des fables politiques, et qui semble vouloir d'ailleurs projeter cette problématique, sérieuse et ludique à la fois, dans son film, via les scènes où le docteur Schultz et Django se préparent à incarner des personnages et à jouer des rôles pour s'introduire dans les plantations - sujet qu'il laisse malheureusement complètement tomber ensuite, soustrayant un intérêt potentiel à son film et entérinant sa criante pauvreté. Mais ces plans et les bruits de succion qui les accompagnent prennent une autre dimension, moins glorieuse et piètrement pornographique, quand, à la fin du film, les mêmes sons reviennent lors du grand massacre dans la maison de "Monsieur Candie", au moment où les sbires de ce dernier tirent à n'en plus finir et sans raison sur des cadavres pour en faire jaillir plus d'hémoglobine qu'ils n'en peuvent contenir à grand renfort de "schpluitz !" ridicules. C'est gras, c'est lourd, c'est bête, lassant et plutôt laid. Mais ça semble encore marcher. Tant mieux pour Tarantino et pour ceux qui se délectent de son artisanat, même si, avouons-le, cette ferveur déférente et béate autour de lui et de films comme celui-là nous fait véritablement froid dans le dos.


Django Unchained de Quentin Tarantino avec Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Jamie Foxx, Quentin Tarantino et Samuel L. Jackson (2013)

15 juin 2012

Mensonges d’État

Ce Scott-là, ce Ridley Scott-là, on n'en parle pas assez. Il est un peu passé incognito. Pourtant Russell Crowe et Léonardo DiCaprio, s'il vous plaît. C'est un peu comme si un cinéaste français reconnu, respecté, bien installé, bref un équivalent de Ridley Scott en France, mettons Bertrand Tavernier (notez que les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d'eau), réunissait enfin et pour la première fois Vincent Lindon et Benoît Magimel ! C'est pas rien. Matez plutôt : Magimel explose dans La Vie est un long fleuve tranquille l'année même où Léonardo Dicaprio, dit le Capétien, crée le buzz à même un paquebot sombrant tête-bêche par mer calme dans Twitanic. Les deux acteurs suivent ensuite la même trajectoire puisqu'après une brève traversée du désert (deux mois pour Das Caprio, vingt ans pour Magimels, mais en Amérique tout va plus vite), faite de boutons d'acné éclatés et de cicatrices faciales lentement résorbées, ils émergent à nouveau en tant que bellâtres, boloss trentenaires méconnaissables, aux dents longues rayant le parquet (cette trajectoire valant surtout pour Magimel). A ma gauche, Crowe, originaire d'Australie, à ma droite Lindon, PACA, tous deux natifs de zones littorales ensoleillées qui leur ont donné cette peau tannée prête à tout incarner et à s'étirer dans tous les sens pour accueillir chaque nouveau rôle. Même carrure ancestrale, mêmes épaules viriles et caffies de tics (l'un a su les dompter, l'autre les cultive et a choisi d'en faire son fond de commerce, vous saurez les reconnaître). Crowe a explosé dans le rôle d'un gladiateur dans Gladiator puis dans celui d'un matheux dans Un Homme d'Exception, Lindon a fait son trou très simplement, en incarnant l'homme du tout venant, celui qui rêve justement d'être gladiateur et de remporter la médaille de Fields mais qui s'en tient à son boulot de bricolo.


Leonardo Dicaprio sur le tournage de Titanic.

Réfléchissez bien : il n'y a qu'un pas entre Scott, qu'on surnomme "l'internet living database", et Tavernier, qu'on appelle "L'encyclo incomplète Tome 1 du cinéma français, de AA à AB". Scott et Tavernier ont tous deux marqué un genre, le film de SF pour Scott (Alien, Blade Runner, rien que ça ! littéralement rien que ça...), le polar noir pour Tavernier (Le Juge et l'assassin, L627). Clin d’œil (ou hasard ?) entre les deux hommes qui s'estiment et se respectent : la planète où se pose le Nostromo au début d'Alien le huitième passager s'appelle L.627 en hommage au film policier du réalisateur borgne hexagonal, alors qu'en 1971 Tavernier n'avait même pas encore eu le fœtus de l'idée du film, réalisé 13 ans plus tard, 13 ans ! soit pile l'âge mental du frère de Ridley Scott, Tony (aka le meilleur ami de Denzel Washington). Que de coïncidences, que de recoupements entre les deux maestros. Et ne faut-il pas voir dans ce film, Mensonges d’État, une métaphore filée et filmée de la relation contrariée d'amour-haine à la "je t'aime, itou" qui unit Scott à Tavernier, les deux reflets d'une même image (déformée à mort), les deux faces d'une même pièce cabossée, puisque les deux personnages du film sont sans cesse éloignés tout en étant reliés par un cordon téléphonique.


"Allo, allo... Tu me reçois ?"

Tout le film consiste en une série d'appels cellulaires entre les deux compères, pour autant de conversations pas très intéressantes vu que ce ne sont que bodies of lies (le titre en VO). Depuis Washington, Russell Crowe ne déblatère que des mensonges d’État à Léo Dicaprio. L'acteur, à la lecture du scénario, a demandé à ce qu'on lui fournisse un kit main libre sans lequel il ne s'estimait pas en mesure de tenir la longueur. Caprio est quant à lui dans le désert, ravi d'avoir rayé une case de plus sur sa liste des "grands réals américains" avec lesquels il "faut" avoir tourné. L'acteur a dressé cette liste à l'âge de 12 ans et il le regrette amèrement quand il se rend compte que ça l'a poussé à jouer avec Baz Lhurmann, Danny Boyle ou Scott Calvaire (et c'est pas un nouveau sobriquet pour Ridley Scott... Scott Calvaire existe vraiment, il a réalisé Rambo Verlaine, le célèbre film sur le poète ultraviolent rescapé du vietnam). Bref nous sommes ressortis éberlués de ce film au script très téléphoné. Mais terminons en réparant une injustice fatale pour le petit dernier de la famille Scott, Bobby, qui s'est donné la mort tout récemment, retrouvé pendu dans son salon avec pour tout dernier message assez lugubre deux télés qui diffusaient en boucles les dvds des films de ses frères (dans un vacarme terrifiant du coup). On cite toujours "Ridley et Tony (Scott)", mais pourquoi ne jamais citer le troisième larron de la famille, qui ne faisait pourtant pas moins de la merde que ses deux frères aînés. Il était maquereau, proxénète, un métier comme un autre, dans lequel il était également très connu et respecté, et nous ne voyons pas en vertu de quoi il ne devrait pas avoir droit de cité, faisant partie de la fratrie autant que les deux autres débiles. On voulait quand même le dire. Mais c'est trop tard maintenant.


Mensonges d’État de Ridley Scott avec Russell Crowe et Leonardo DiCaprio (2008)