Le quatrième film du roumain Radu Muntean est passé un peu inaperçu en 2011 alors qu'il méritait le coup d’œil. Mardi, après Noël raconte peut-être la plus vieille histoire du monde, celle d'un homme trompant sa femme avec une autre évidemment plus jeune, et s'il ne la raconte pas avec la même force et la même exhaustivité, si l'on peut dire, que déployée par Ingmar Bergman dans les 2h40 de Scènes de la vie conjugale, auquel on pense malgré tout par moments, il parvient pourtant à nous intéresser à son récit et à nous plonger dans les plages de la vie quotidienne menacée de ses personnages. Le souci de nous immiscer au cœur de la sphère privée des êtres en passe par une mise en présence des corps qui s'impose dès la première séquence, où nous sommes pour ainsi dire in bed with le couple adultère.
Paul (Mimi Branescu) et Raluca (Maria Popistasu) sont d'emblée mis à nu et même plus qu'à nu puisque rien ne nous sera caché de leur ultime intimité. Si plus personne aujourd'hui n'est heurté par le portrait de deux amants nus allongés côte à côte, la vision du sexe rasé de la jeune femme, quand elle se lève du lit sans que la caméra ne redresse son cadre pour filmer son buste, restant au contraire sur ce sexe découvert, et sur le regard que lui porte l'amant, suscite quant à elle une vague gêne, ainsi imposée en préambule (le sexe de Raluca nous est pratiquement dévoilé plus tôt et plus complètement que son visage), gêne qui donne du poids à cette situation d'adultère quand, quelques secondes plus tard, on retrouve Paul en compagnie de sa femme dans un magasin, raccord sans transition où le personnage passe littéralement de la proximité du sexe nu de sa maîtresse à une situation anodine de sa vie maritale. La nudité initiale de Paul lui-même deviendra quant à elle pesante bien plus tard, quand elle se rappellera à notre souvenir au détour d'une autre scène banale, quotidienne, où l'homme sera nu aux côtés de son épouse légitime, Adriana (Mirela Oprisor), occupée à lui raser le crâne dans la salle de bain, sans que cette intimité-là n'ait plus rien de tant soit peu sexuel.
Mais, tout au long du film, c'est par la permanence d'un dispositif reposant exclusivement sur de très longs plan-séquences en caméra plus ou moins fixe, laissant le champ libre aux (excellents) comédiens et à leurs dialogues et silences, que le cinéaste nous laisse imprégner des situations appréhendées dans toute leur durée et restituées avec le nombre de leurs secrets. Le dispositif ne vire jamais au procédé et ne prend pas le dessus sur le récit, ses tensions et ses pointes d'émotion, au point d'ailleurs que l'on oublie parfois que le film fonctionne sur une succession de plans-séquences pour se laisser prendre par tout ce qui s'y vit.
Quand Paul accompagne sa femme dans un magasin pour acheter quelques vêtements, on est hanté, comme lui sans doute, par la séquence précédente où il était face au sexe nu de Raluca. Effet Koulechov longue durée, où chaque plan-séquence est hanté par le précédent, et où la durée de chacun permet au précédent de sourdre lentement, comme par en-dessous. La gêne et les tensions insoutenables sont palpables quand Paul et Adriana se retrouvent ensemble chez la dentiste de leur fille, qui se trouve être Raluca en personne, la maîtresse de Paul. Et quand le mari avoue tout à sa femme, la scène, filmée comme toujours dans la durée, comme en temps réel, est éprouvante car d'un réalisme exacerbé par la mise en scène quasi documentaire de Muntean. A la toute fin du film, le soir de noël et la veille du jour où Paul et Adriana ont prévu d'avouer leur divorce imminent à leur fille, ces derniers se livrent à une petite chorégraphie rituelle : Paul, disposant les cadeaux de Noël au pied du sapin tandis que ses propres parents occupent sa petite fille qui ne doit rien savoir de ce manège, passe à plusieurs reprises dans le dos de sa future ex-femme qui lui transmet les paquets à l'aveugle, en toute discrétion, sans quitter son enfant des yeux. Le réalisateur saisit le naturel complice de l'ancien couple déchiré, comme si le temps qu'il leur avait fallu pour parvenir à cette entente corporelle, à cette forme de synchronisation parfaite et inconsciente des mouvements, nous apparaissait condensé là grâce à la durée offerte pour les observer.
Mardi, après Noël de Radu Muntean avec Mimi Branescu, Maria Popistasu et Mirela Oprisor (2011)
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