9 décembre 2014

Insomnies

A quelques menus détails près, Insomnies (Chasing Sleep, en VO) est une sorte de remake très sombre du fameux Dîner de Cons de Francis Weber. Jeff Daniels remplace Thierry Lhermitte dans le rôle du mari cocu et abandonné par sa femme. Désœuvré, il passe toute la durée du film à errer dans sa maison, se promenant de pièce en pièce, les bras ballants et la tête bien basse, répondant parfois à quelques coups de fil et recevant régulièrement la visite d'une flopée d'invités désireux de lui venir en aide, en vain. Prof de fac de son état, Jeff Daniels consacre parfois un petit quart d'heure à la correction de copies, mais abandonne bien vite, pour par exemple aller improviser quelques notes au piano. Une jeune étudiante fan de ses cours, endossant vraisemblablement le rôle de Catherine Frot, profite de son état de faiblesse psychologique pour abuser de lui. On apprendra bien vite que sa femme portée disparue le trompe aussi avec un prof de gym dont les traits efféminés rappellent inévitablement ceux de Francis Huster. Hélas, aucun avatar de Jacques Villeret ne sera là pour soutenir notre héros esseulé ni pour mettre une bonne ambiance dans un film décidément bien glauque. Malgré un pitch en tous points similaires à la comédie culte de Francis Weber, Insomnies est en effet un pur thriller psychologique.




A la différence de son modèle français, le personnage campé par Jeff Daniels ne souffre pas d'un mauvais tour de rein, mais d'insomnies répétées. Une impossibilité à trouver le sommeil qui altère grandement sa perception de la réalité. Des visions d'horreur permettent ainsi à l'acteur, déjà reconnu pour ses talents comiques grâce à des films comme Dumb & Dumber ou La Rose Pourpre du Caire, de faire étalage de tout son savoir-faire en brillant dans un nouveau registre : celui de l'effroi. Avec sa barbe de trois jours, ses cheveux en bataille et ses yeux aussi vitreux que cernés, Jeff Daniels porte véritablement le film sur ses épaules. Il est de tous les plans et mérite tous les compliments du monde ! Il parvient brillamment à nous faire ressentir de l'empathie pour son personnage, peu à peu au centre de tous les soupçons. Ceci dit, est-ce normal que cet acteur si talentueux cumule à lui seul, si l'on met bout à bout toutes les scènes de plomberies domestiques de sa filmographie, près d'un kilomètre de bobines à batailler avec des chasses d'eau ? Il doit avoir la tête de l'emploi... L'acteur est à nouveau confronté à de sérieux problèmes d'évacuation dans ce qui est peut-être la scène la plus réussie du film. La tension atteint en effet son paroxysme lors d'un nouveau face-à-face musclé qui rappelle évidemment celui de Dumb & Dumber. Jeff Daniels emploie ici tous les moyens pour réparer une chasse d'eau récalcitrante et faire en sorte que celle-ci daigne évacuer un doigt dégueulasse, retrouvé quelques minutes plus tôt sous l'armoire à linge de la chambre. Un détail macabre qui n'est pas sans évoquer l'oreille coupée de Blue Velvet [smiley avec des lunettes de soleil].




L'ambiance malsaine qui s'empare progressivement du film le transforme en un huis clos que l'on pourrait aisément qualifier de lynchéen tant l'ombre du réalisateur de Mulholland Drive plane sur l’œuvre de Michael Walker. Car si j'ai fait d'Insomnies un remake déguisé du Diner de Cons pour attirer votre attention et répondre à des impératifs éditoriaux, c'est davantage à l'univers de David Lynch que ce film pourrait se rattacher. Voire aux chefs d’œuvre de Polanski, pour le sentiment d'isolation et d'aliénation dont souffre le personnage principal. On pense également à The Machinist, les deux personnages étant en proie au même mal, l'insomnie, et ayant tous deux l'air de partir à la découverte de leurs subconscients dans une descente aux enfers irréversible. Cette conscience, on sait que Christian Bale la fuit à cause d'un sentiment de culpabilité trop lourd qui le pousse à chasser le passé et l'insoutenable réalité. Le personnage de Jeff Daniels est peut-être dans la même situation, qui sait, le film de Michael Walker, contrairement à celui de Brad Anderson, ne donne pas de réponse claire, et c'est peut-être mieux comme ça. Chacun pourra échafauder sa propre théorie devant un film qui nous laisse tout notre temps pour le faire. Insomnies souffre peut-être d'une certaine lenteur, une langueur moite qui participe totalement à son atmosphère très glauque, lourde et figée, mais qui finit un peu par ennuyer. Je conseillerai d'ailleurs volontiers ce film à tous les insomniaques. Assez paradoxalement, Insomnies est à l'évidence un remède efficace contre les troubles du sommeil. Je me suis moi-même endormi comme un loir la première fois que je me le suis mis, avant de le relancer le lendemain, encore plus réceptif à ses modestes qualités.


Insomnies de Michael Walker avec Jeff Daniels, Emily Bergl et Gil Bellows (2000)

12 commentaires:

  1. Il a oublié ma femme.
    Il écrit un article de 30 lignes et il oublie ma femme.
    Ca dépasse tout ce que j'ai pu imaginer.

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  2. J'ai récemment croisé ce bon vieux Jeff Daniels dans cette scène apparemment culte quoique profondément horrible de la série HBO "The Newsroom". Il m'a fait pitié comme jamais.

    https://www.youtube.com/watch?v=RyzDRc34l2g

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  3. Il ressemble un peu à mon tonton là-dedans. <3

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  4. heu Rémi pourquoi "profondément horrible"?

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  5. Je ne sais pas moi. Le jeu de Jeff Daniels ? La mise en scène, avec cette caméra qui tourne autour de lui comme une conne ? La musique ? Le discours ? Tout ?

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  6. La réalisation n'est pas terrible, certes!
    Le reste est très très bon.. le discours y compris...

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  7. Tout ce que raconte Daniels sur ce qu'a été l'Amérique, sur le mode "l'Amérique n'est pas le plus grand pays du monde mais elle l'a putain d'été", peut quand même légitimement faire marrer.

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  8. Il est mignon monsieur Pignon
    Il est méchant monsieur Brochant !

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  9. Trop envie de le revoir...

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  10. Toi toi
    La belle Andalouse
    Aussi belle que mes couilles
    Quand tu bouges les épaules
    Eh bien sache que j'ai la gaule !

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  11. Ah putain la scène de Daniels, c'est pas de la tarte ! (c'est de la merde)

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