21 août 2012

Stand By Me

Rob Reiner, né Robert Reiner le 6 mars 1947 dans le Bronx à New York aux États-Unis, est un acteur, producteur, réalisateur et scénariste américain dont la carrière se divise littéralement en deux avec une cassure nette pile en son milieu. Lancé avec un mocku-fiction encore culte aujourd'hui, This is Spinal Tap, il a ensuite réalisé coup sur coup Stand By Me, Princess Bride et Quand Harry rencontre Sally, enchaînant littéralement les succès (même si le deuxième de la liste est une pure infection) pour poser son empreinte sur les années 80, dont il reste l'un des symboles, au même titre que le groupe Dépêche Mode. Stand By Me signe sa rencontre avec Stephen King, auteur qu'il retrouvera au début des années 90 avec Misery, l'avant-dernier film appréciable du cinéaste, qui ensuite réalisa Des Souris et des hommes d'honneur, l'adaptation du roman de John Steinbeck dans laquelle Gary Sinise flinguait John Malkovitch pour avoir violé une chienne (l'animal). Après cet ultime coup d'éclat, Reiner a tourné le dos aux grands auteurs et nous a enfouis sous une flopée de purges aux relents réactionnaires, dont le dernier exemple en date, Flipped, est peut-être le pire.



Mais revenons sur ce qui est, à n'en pas douter, le chef-d’œuvre de Rob Reiner, derrière Quand Harry rencontre Sally et quelques autres. Armé du livre de poche du King, qu'il ne lâcha pas durant toute la préparation du tournage, Reiner organisa un casting de quarante jours et quarante nuits pour trouver les quatre garçons magiques qui allaient incarner les héros de la bande de son film d'aventure : le premier, Wil Wheaton (Gordie), n'a pas fait une grande carrière, il a notamment joué le flubber dans Flubber ; le second, River Phoenix (Chris), n'est plus à présenter ; le troisième, Corey Feldman (Teddy), a joué dans tous les films pour gosses des années 80 (Les Goonies, Gremlins, etc.) avant que l'âge adulte et une tronche pas possible ne mettent fin à ses rêves de gloire ; quant à la quatrième roue du carrosse, Jerry O'Connell (Vern), il resta longtemps coincé dans les mondes parallèles de Sliders avant de mourir, à la vie comme à l'écran, dans Scream 2. Une véritable harmonie se dégage de cette petite troupe d'adolescents, qui restèrent d'ailleurs longtemps amis, au moins durant le tournage.



L'histoire, racontée en voix-off par Richard Dreyfuss, qui prête ses traits au début et à la fin du film au personnage principal devenu adulte, est celle de ces quatre gamins partis un été à la recherche du cadavre d'un gosse censé avoir été percuté par un train. Traversant le pays en suivant les rails dans ce qui se veut un pur railroad movie, Gordie, Chris, Teddy et Vern rencontrent évidemment tout un tas d'embûches sur leur parcours, dont la présence désagréable (y compris à l’œil du spectateur) de Kiefer Sutherland. Les fans de la série 24 heures chrono devraient se pencher sur le quasi premier film de la vedette du petit écran (avant même The Lost Boys de Joel Schumacher), qui interprétait ici un loubard aussi menaçant que ridicule et était loin de s'imaginer qu'il deviendrait plus tard l'idole des jeunes en prêtant ses traits à un personnage culminant à 24 de QI dans une série dont chaque seconde se déroulerait sur 24 épisodes de 24 heures chacun.



Au gré de leurs aventures (l'attaque d'un chien méchant, la fuite face à un train lancé à toute allure sur un pont, les confrontations régulières avec la bande de Sutherland et ainsi de suite), peu à peu les quatre personnages principaux se dessinent : Gordie a perdu son grand frère (John Cusack) à la guerre et passe ses repas du soir en les quat'z'yeux de ses parents à écouter les lamentations de son paternel qui regrette qu'il ne soit pas mort à la place de son aîné ; Chris a quant à lui un grand frère délinquant et se voit condamné à en suivre le chemin ; Teddy a un père rendu complètement schizo par son expérience de la guerre qui s'amuse régulièrement à lui brûler la moitié du visage sur une plaque chauffante ; quant à Vern, il est principalement obèse. Ces quatre portraits portent la griffe reconnaissable entre mille du King par leur finesse, leur richesse et leur faculté à forcer l'identification.



A revoir le film aujourd'hui, et quitte à verser dans l'uchronie, on peut se demander ce qu'il aurait donné si le script était tombé dans les mains de Gus Van Sant. La nouvelle de Stephen King semblait faite pour lui, du moins dans les grands lignes. Après tout, Stand By Me est un lent road movie situé à Portland et racontant l'histoire d'une bande de jeunes adolescents formant une communauté fraternelle pour fuir des cellules familiales éclatées par l'empreinte de la guerre (pour Gordie et Teddy) ou par le spectre de la marginalité (pour Chris et son grand frère - sans parler du gang de punks errants menés par Kiefer Sutherland) dans la quête insensée du cadavre d'un semblable, mort littéralement fauché en pleine jeunesse par un train... Une bonne partie du cinéma de Van Sant est là dans les termes et on peut se demander ce que le "cinéaste de Portland" aurait tiré de cette histoire. L'aurait-il adaptée dans le cadre hollywoodien comme Rob Reiner ou en aurait-il fait un film indépendant plus audacieux, voire un film expérimental ? Vous me répondrez que si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle et vous aurez raison.



Rob Reiner, qui transforma la nouvelle en un film mainstream dans la lignée des productions Amblin avec peut-être un zeste de noirceur en plus, parvint en tout cas à capter des instants d'enfance, et River Phoenix, qui joua quatre ans plus tard dans My Own Private Idaho de Van Sant, nous gratifiait déjà de quelques scènes poignantes, un peu surjouées mais poignantes, qui nous feront dire et répéter qu'il serait devenu un immense acteur si... Stand By Me fait partie des très bons films pour enfants des années 80. Quand on se rappelle que George Lucas ciblait avec Star Wars le public des moins de 10 ans et avait prévu dès le départ de tout miser sur le merchandising (les jouets) pour gagner du blé, et quand on voit l'âge moyen des fanatiques de ses films à l'époque et aujourd'hui, on se dit que si le film de Rob Reiner sortait en 2012 des tas de freaks de 30/40 ans en seraient malades, arboreraient des t-shirts Stand By Me et se baladeraient en bagnole avec la chanson éponyme de Ben E. King à fond la caisse en lieu et place de la bande originale complète et composée d'une seule chanson de Drive, et ça foutrait sacrément les jetons ! Ce scénario, là encore légèrement fantaisiste, est assez peu plausible, mais après tout on fait ce qu'on veut. A l'époque en tout cas nous étions jeunes et nous avions aimé le film de Rob Reiner, qui s'adressait directement à nous en nous identifiant à ce quatuor d'enfants partis sur les routes pour un voyage initiatique vers l'âge adulte. On aime encore aujourd'hui ce Stand by me et on peut se demander jusqu'à demain si ce n'est que pure nostalgie ou si c'est plus que ça. Au pire on serait raccord avec le film, qui se montrait lui-même nostalgique de la fin des années 50 et du début des années 60 avec son panel de standards du rockabilly et son portrait sinon enchanté disons joliment ouaté de l'Oregon en particulier et de l'Amérique rurale en général comme vaste terrain de jeu naturel. Une chose est sûre, le film convoque forcément la nostalgie du spectateur quant à sa propre enfance, et dieu sait que Rob Reiner a su filmer cette œuvre "à hauteur d'enfant". Le secret pour y parvenir ? Placer sa caméra à hauteur d'1m50 environ en rehaussant un peu la fameuse caméra-tabouret qui a fait le succès des meilleurs films d'Ozu.


Stand By Me de Rob Reiner avec Wil Wheaton, River Phoenix, Corey Feldman, Jerry O'Connell, Richard Dreyfuss, John Cusack et Kiefer Sutherland (1987)