Un bon film d’horreur ne tient parfois à pas grand-chose. Un chouette décor, offrant une ambiance particulière, voilà ce qui peut parfois suffire. C’est en tout cas ce que laisse à penser Session 9, le second long-métrage du réalisateur Brad Anderson, sorti de façon confidentielle en 2001 et qui s’est depuis, au fil des ans, taillé une réputation certes modeste mais bien méritée. L’histoire de ce petit groupe d’ouvriers appelé à désamianter un gigantesque asile psychiatrique désaffecté, et dont l’un des membres va progressivement sombrer dans la folie, peut en effet apparaître comme un prétexte pour mieux nous emmener dans ce lieu incroyable, véritable personnage à part entière de ce film d’horreur psychologique, j’ai nommé le Danvers State Hospital. C’est dans cet immense hôpital psychiatrique aux couloirs labyrinthiques et à la forme de chauve-souris typique des asiles qui étaient construits aux États-Unis à la fin du XIXème siècle, que furent par exemple pratiquées les premières lobotomies. Un lieu que l’on imagine aisément chargé de sales histoires, autre élément avec lequel Brad Anderson joue aussi très intelligemment. Le cinéaste parvient ainsi avec brio à tirer intégralement parti du lieu dans lequel se déroule l'action de son film. Car encore faut-il savoir tirer profit d’un tel décor, savoir le filmer comme il faut, réussir à croquer des images marquantes et parvenir à saisir une ambiance propice à faire monter la tension. C’est sur tous ces tableaux que Brad Anderson brille particulièrement.

Le film pourrait ainsi quasiment ne rien dévoiler de l’intrigue qu'il développe progressivement. Il pourrait tout simplement nous laisser sans que l'on n'ait compris grand chose et avec cette drôle d'impression que rien ne s'est finalement passé, mais que l'on a tout de même été scotché d'un bout à l'autre. Car sa force est ailleurs. Elle réside dans cette tension que le cinéaste parvient brillamment à installer, avec évidemment ce lieu qui rappelle les heures les plus sombres de la prise en charge de la maladie mentale et dont le passé semble peser si lourd sur les épaules des personnages, peu à peu écrasés, étouffés et remontés les uns contre les autres. Des personnages qui cachent d'ailleurs tous un mystère, une faute qu'ils tentent chacun de dissimuler, l'ancien hôpital agissant sur eux comme un révélateur de ces secrets, un dynamiteur, un peu à la façon de la maison hantée du classique de Robert Wise, The Hauting. Et ce lourd passé, nous sommes amenés à le vivre à travers les enregistrements sordides qu'un des ouvriers se met à écouter : on y entend la voix lugubre d’une ancienne patiente atteinte de troubles de la personnalité. Le travail sur le son, dont cette voix et son utilisation sont un bien bel exemple, participe aussi à cette atmosphère poisseuse qui parvient à nous captiver du début à la fin, et renforce le grand pouvoir de suggestion de la mise en scène. La bande-son, très minimaliste et composée de bruits aussi discrets que dérangeants, est idéalement choisie. Les acteurs sont également à saluer, à commencer par Peter Mullan, que l’on a déjà pu croiser chez Ken Loach et qui arrive ici parfaitement à nous faire ressentir le mal-être de son personnage, qui semble bouillir de l’intérieur et perdre davantage pied à chaque scène. Quant à l’expert à Miami David Caruso, sa tronche bizarre sied parfaitement au film et la couleur rousse de sa chevelure à sa photographie bien particulière. Car Session 9 a effectivement une image bien à lui : le film a sans doute été tourné en DV, ou avec je ne sais quelle caméra numérique, et cela lui donne un aspect un peu granuleux et des couleurs étrangement lumineuses qui participent pleinement à son ambiance assez unique.

Sans recourir à des effets gores, et dépouillé de ces réflexes bien lassants chers aux films d’horreur actuels, mais déployant au contraire une intelligence permanente et une vraie économie de moyens de plus en plus rare dans le genre, Brad Anderson signe une œuvre de grande qualité. Un film ô combien recommandable pour les amateurs du genre et que je conseillerais même à tous les friands de thrillers psychologiques et autres curieux. On tient là l’un des films d’horreur les plus réussis de la décennie qui vient de s’achever, m’est avis, et l’un des meilleurs représentants récents du sous-genre que sont les « films de maison hantée ». On pourra seulement regretter que Brad Anderson n'ait depuis pas su confirmer son talent, bien qu'il ait également fait preuve d'un certain savoir-faire dans la mise en place d'une atmosphère putride pour son film suivant, le très remarqué The Machinist, où le corps cadavérique de Christian Bale lui donna un joli coup de pouce pour mettre en boîte de nouvelles images marquantes.
Session 9 de Brad Anderson avec Peter Mullan, David Caruso et Josh Lucas (2001)