Ou quand un titre justifie la réalisation d'un film. Eric Lavaine a eu une idée de fou un soir en allant se pieuter. Faut dire que ce moment-là où on va se pieuter c'est un moment de la journée où on a souvent des éclairs de génie. On cherche à en avoir toute la journée, on court après ces putains d'idées de rêve du matin au soir, et toute la journée durant on est pourtant médiocre. Mais le moment d'aller se coucher venu, dents brossées, réveil enclenché, pyjus enfilé, fraîchement démaquillé, crème de nuit tartinée, pantoufles rangées dans l'entrée, croquettes du chat distribuées pour éviter que notre animal de compagnie préféré ne vienne nous faire chier, bref, à l'instant où on se faufile dans les draps sans les défaire et où s'empare de nous la sensation d'avoir fait tout ce qu'on a pu sans n'avoir jamais brillé, à cet instant où on éteint le néon au-dessus du lit avec ce petit arrière-goût d'amertume, alors surgit l'éclat de lucidité tant espéré, l'issue à tous nos apitoiements, la résolution à tous nos problèmes. L'idée se pointe. Et en général on a une sale tendance à se faire confiance.

Un orteil hors du lit quand même, à deux doigts d'aller choper un crayon et un papelard pour noter tout ça, même au dos d'une enveloppe EDF/GDF s'il le faut, on se résigne, on se tempère, on se raisonne, et surtout on se répète le mot-clé de notre trouvaille pour être certain de nous en rappeler au lever du jour. Think fast ! Ce mot qu'on hésite à griffonner sur le drap avec les ongles, ou à même la tapisserie avec des mokos, voire sur le dos de notre compagne avec nos crocs, ce mot-là, en règle générale, au petit matin, on l'a totalement paumé. C'est le trou noir complet. On se réveille, hagard, avec pour seule perspective d'avenir un gros bol de Cheerios. C'est au milieu de la journée qu'on se rappelle qu'on a eu une belle idée la vieille au soir. Mais impossible de placer des mots dessus. Alors on se console et on fait table-rase de cette contrariété en se disant : "Si je m'en souviens pas, c'est que c'était pas une SI bonne idée". Mais on a tort de penser ça. Car au bout du compte, une fois le travail qui nous préoccupait accompli, l'idée revient et alors on regrette de l'avoir si mochement oubliée en temps voulu. Cette pute d'idée revient à 22h le lendemain du soir où on l'a eue pour la première fois, au moment d'aller se coucher, juste après la fin de "Thalassa" et de "Faut pas rêver". Et alors le même cirque recommence... sans fin.

Sauf que ce soir-là où il a eu SON idée, Eric Lavaine n'a pas sorti que l'orteil de son plumard, il en a jailli comme un léopard pour coucher son flash génial sur le papier, un post-it collé à son frigo connaissant le bonhomme : "Poltergay". L'idée n'était même pas encore de réaliser un remake de Poltergeist avec des pédés à la place des fantômes, l'idée c'était seulement ce jeu de mot. Et le but ? Se faire marrer lui-même le lendemain matin en le relisant. En regardant le film on se réjouit qu'Eric Lavaine n'ait pas plus souvent sauté de son lit le soir venu...
Poltergay d'Eric Lavaine avec Clovis Cornillac et Julie Depardieu (2006)