
Que ce soit dans le choix de la musique (jazz) ou dans la mise en scène (le faux raccord est permanent), si l'on est certes proche du Godard des années 60, il y a tout de même une différence notoire. Tout est un peu plus syncopé, un peu plus délié chez Skolimowsi, qui fait preuve d'une plus grande sécheresse, qui n'hésite pas à tourner des séquences vraiment étranges, presque sans rapport avec l'esthétique de base, et qui tend parfois carrément vers le film à sketches, alternant des séquences plus molles et d'autres vraiment belles, dont on sent que le cinéaste a tourné le film pour elles précisément (la séquence du miroir, celle de la voiture coupée en deux ou la fin). La fin d'ailleurs est un hommage direct à A bout de souffle, avec le huis-clos soudain dans la chambre, avec surtout ce garçon qui a passé tout le film a chercher du fric pour acheter une voiture de course et qui, quand il la possède enfin après l'avoir volée, ne va plus participer à la course dont il a rêvé, préférant finalement rester auprès de cette fille qui le retient avec bonheur et sans forcer dans ses filets. Au final les deux films racontent plus ou moins la même histoire, celle d'un mirliflore en cavale (chez Skolimowski le héros cavale pour cavaler, mais ça lui est vital) qui s'arrête de courir pour une fille à ses risques et périls.

Le plan final est sidérant. A force de courir à en perdre haleine, à force de vitesse, la pellicule se consume et brûle sur le visage de Léaud, immobile devant sa fenêtre tandis que la course a commencé. J'ignorais que Monte Hellman s'était directement inspiré de ce film pour le final sublime de Macadam à deux voies, dont le conducteur (The Driver) finit au contraire par prendre le volant, une nouvelle fois, abandonné de la fille (The Girl) pour accélérer dans le vide avant de brûler à même la pellicule dans la même composition géniale. En reprenant la sublime idée de Skolimowski, c'est une bien belle filiation que revendiquait Hellman dans son plus fameux film. J'ai découvert le cinéma du grand réalisateur polonais (qui nous a récemment offert le très impressionnant Essential Killing), il y a quelques temps avec Le Départ, et il est idéal de connaître ce cinéaste par un film assez passionnant puisque c'est celui d'une Nouvelle Vague en rencontrant une autre, dans un fouillis d'inventions souvent très belles.
Le Départ de Jerzy Skolimowski avec Jean-Pierre Léaud et Catherine-Isabelle Duport (1967)