Excellent film de Jerzy Skolimowski dans lequel on sent à la fois la prégnance d'une esthétique héritée de la Nouvelle Vague Polonaise, puisqu'on retrouve quelque chose des premiers films de Polanski dans le rythme du film absolument rocambolesque, dans certains cadrages très brutaux, et dans la bizarrerie de certaines scènes ; et puis l'énorme influence de la Nouvelle Vague Française. Le film, tourné à Bruxelles, évoque pourtant tout de suite le Paris des premiers films de Godard, notamment A bout de souffle, dans l'utilisation de violents contrastes (les noirs très noirs et les blancs très blancs), dans l'art de traverser à toute allure les rues de la capitale, dans le goût des belles bagnoles aussi et surtout via ce jeune héros de guingois qui en pince pour une jolie fille, interprétée par Catherine-Isabelle Duport, adorable actrice qui jouait déjà aux côtés de Jean-Pierre Léaud dans Masculin/Féminin de Godard. Car c'est avant tout grâce à Léaud qu'on pense à la Nouvelle Vague. D'ailleurs j'en viens à me demander si Léaud n'était pas un grand scénariste en même temps qu'un grand acteur. Dans presque tous les films qu'il a faits, il cuisine toujours sa petite sauce et nous refait toujours les mêmes gags, avec ces changements d'intonation, ces gestes théâtraux et cet humour espiègle. Ça a commencé chez Truffaut bien-sûr, puis chez Godard, qui lui a possiblement inspiré une part de ses facéties et, hormis quelques contre-exemples, chez Eustache notamment, dans le gigantesque La Maman et la putain, Léaud fait son cinéma et continue à le faire encore récemment, chez Assayas ou Bonello : c'est toujours Doinel qu'on a sous les yeux. Et comment s'en lasser ?
Que ce soit dans le choix de la musique (jazz) ou dans la mise en scène (le faux raccord est permanent), si l'on est certes proche du Godard des années 60, il y a tout de même une différence notoire. Tout est un peu plus syncopé, un peu plus délié chez Skolimowsi, qui fait preuve d'une plus grande sécheresse, qui n'hésite pas à tourner des séquences vraiment étranges, presque sans rapport avec l'esthétique de base, et qui tend parfois carrément vers le film à sketches, alternant des séquences plus molles et d'autres vraiment belles, dont on sent que le cinéaste a tourné le film pour elles précisément (la séquence du miroir, celle de la voiture coupée en deux ou la fin). La fin d'ailleurs est un hommage direct à A bout de souffle, avec le huis-clos soudain dans la chambre, avec surtout ce garçon qui a passé tout le film a chercher du fric pour acheter une voiture de course et qui, quand il la possède enfin après l'avoir volée, ne va plus participer à la course dont il a rêvé, préférant finalement rester auprès de cette fille qui le retient avec bonheur et sans forcer dans ses filets. Au final les deux films racontent plus ou moins la même histoire, celle d'un mirliflore en cavale (chez Skolimowski le héros cavale pour cavaler, mais ça lui est vital) qui s'arrête de courir pour une fille à ses risques et périls.
Le plan final est sidérant. A force de courir à en perdre haleine, à force de vitesse, la pellicule se consume et brûle sur le visage de Léaud, immobile devant sa fenêtre tandis que la course a commencé. J'ignorais que Monte Hellman s'était directement inspiré de ce film pour le final sublime de Macadam à deux voies, dont le conducteur (The Driver) finit au contraire par prendre le volant, une nouvelle fois, abandonné de la fille (The Girl) pour accélérer dans le vide avant de brûler à même la pellicule dans la même composition géniale. En reprenant la sublime idée de Skolimowski, c'est une bien belle filiation que revendiquait Hellman dans son plus fameux film. J'ai découvert le cinéma du grand réalisateur polonais (qui nous a récemment offert le très impressionnant Essential Killing), il y a quelques temps avec Le Départ, et il est idéal de connaître ce cinéaste par un film assez passionnant puisque c'est celui d'une Nouvelle Vague en rencontrant une autre, dans un fouillis d'inventions souvent très belles.
Le Départ de Jerzy Skolimowski avec Jean-Pierre Léaud et Catherine-Isabelle Duport (1967)
Je compte bien en faire mon quatre heures sixties un de ces quatre.
RépondreSupprimerBonne critique d'un film dont on ne parle que trop peu, bravo :)
RépondreSupprimerIl me tarde qu'une nouvelle critique vienne remplacer celle-là en tête de blog. Cordialement.
RépondreSupprimerJe suis ébahi par les votes sur ce film O_o
RépondreSupprimerMerveilleux film et entrée idéale pour visiter le monde de Skolimowski. La parenté avec "Macadam à deux voies" est effectivement étonnante mais au-delà de Hellman et de la Nouvelle Vague, on pense beaucoup aussi à un film comme "Mauvais sang" de Carax : rythme heurté mais musical, place des chansons, vitesse, jeunesse etc.
RépondreSupprimerDe Skolimowski, au moins deux autres titres à voir absolument : Walkover et Deep end.
J'avoue mon ignorance concernant le cinéma de Leos Carax. Je n'ai jamais eu la curiosité de m'aventurer à voir ses films, mais je le ferai un de ces quatre, motivé par la comparaison que tu fais.
RépondreSupprimerJ'ai voulu voir Deep End à l'occasion sa ressortie au cinéma mais je n'ai pas eu le temps et je crains de l'avoir raté. Pareil, un de ces quatre ! :)