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16 avril 2012

Tyrannosaur

C'est une histoire de chiens. De chiens morts. Une histoire de chiens qu'on assassine sans remord. L'histoire d'un homme qui a une vie de chien et de chiens qui ont une vie de merde. Peter Mullan EST "Tyrannosaur". C'est son surnom. On l'apprend vers la 80ème minute du film (heureusement, il n'en dure qu'une petite dizaine de plus). Cela permet au film d'avoir un titre "cool", qui a de la gueule, suffisamment mystérieux et sibyllin pour qu'il réussisse à prendre dans ses filets le plus naïf des cinéphages. De toute façon, quel autre titre pourrait-on bien donner à ce film ? Je n'en vois pas beaucoup, à moins bien sûr d'en choisir un susceptible de faire fuir le premier venu. "Noir c'est noir", "Plus glauque tu meurs", "Gris comme l'Enfer", "Un Cafard de tous les diables", "Das Capharnaüm", tout ça me vient sans effort, il me suffit de repenser aux seules premières minutes de ce film sinistre. Un film qui s'ouvre donc par l'homicide plus ou moins volontaire de Bluey, le chien de Peter Mullan. Il n'avait rien demandé. Simplement, son maître a bu quelques verres de trop et, à la sortie du bar, il ne voit rien de mieux à faire que lui donner plusieurs grands coups de pied au cul. Peut-être parce que la pauvre bête traînait quelque part dans le champ de vision de son indigne propriétaire, sans sa permission. Quelques heures plus tard, le pauvre chien, à la tronche bien sympathique et au regard si doux, aura succombé à ses blessures. Le massacre ne fait que commencer.



Vivant seul dans un quartier lugubre de Glasgow depuis la mort de sa femme, Peter Mullan est obligé de tromper sa déprime terrible par la violence et l'alcool. Constamment à cran et sur les nerfs, il s'en prend ensuite à une bande de jeunes, jouant au billard dans le même bar, celui de tous ses exploits. Ils ont le tort de rire un peu grassement et bien trop bruyamment à des blagues de mauvais goût qui impliquent de longues queues devant faire rentrer des boules dans des trous et, en cas d'échec, s'insérer directement dans des trous d'une autre nature. Rien de très folichon, il est vrai. A bout de force, Peter Mullan décide dans la scène suivante d'entrer dans le premier magasin venu et de s'isoler dans un coin pour laisser passer l'orage, les poings serrés, les larmes aux yeux, la rage pour une fois contenue. Il tombe dans la friperie rétro d'une bonne femme catho. Désireuse de venir en aide aux plus démunis, elle tentera donc de sortir notre homme du trou. Si je devais seulement vous faire croquer le pitch du film, je m'arrêterais là. Mais comme vous ne le regarderez jamais et qu'il n'y a que peu de suspense dans cette œuvre sans saveur où la noirceur est sans issue, je vais vous parler un peu du reste.



Un peu plus tard, un gosse, voisin de Peter Mullan, s'étonne de la disparition soudaine de Bluey. Pas à un mensonge près, Mullan lui explique alors que son chien était très vieux. Un mensonge assez mal réfléchi, puisque le gosse était déjà au courant de l'âge du clébard, seulement âgé de deux ans. Essayant de rattraper le coup, Mullan lui raconte donc que pour connaître le véritable âge d'un chien, il faut multiplier par 7. "2 fois 7, 14. 14 ans, ça fait vieux pour un clebs". Drôle d'échange... On apprendra aussi que la catho tournée vers le social est victime de violences conjugales. Frustré sexuellement par une femme au sex appeal inexistant, pas véritablement animé par l'envie de la couvrir de bisous, son hideux époux préfère la couvrir de baffes, ce qu'il fait donc très régulièrement, parfois avant de lui annoncer qu'il va "se masturber dans le lit". Là encore, ça donne de belles scènes. Très touchantes, très humaines. De beaux moments de pur cinéma. Entre temps, Peter Mullan se paiera quelques chiens errant en zig-zaguant à qui mieux mieux dans les ruelles des quartiers sombres de Glasgow avec sa Renault Clio. Ça ne mange pas de pain. Puis vient l'une des scènes-clés du film...



Encore une fois emporté par une irrésistible et implacable furie destructrice, Peter Mullan s'en prend au cabanon en ferraille de son jardin, coupable de sentir le renfermé. Il l'attaque à coups de hache, dans un vacarme terrible. Son voisin d'en face, au moins autant dérangé par ce boucan infernal que le pauvre spectateur innocent, sort alors de chez lui torse nu, la bave aux lèvres, son pittbull, très furax aussi, attaché à lui par le biais d'une chaîne métallique nouée à la taille. Peu commun, mais apparemment tout à fait banal dans les lowlands écossais puisque Peter Mullan s'étonne très peu de tout cet attirail, qui se présente à lui remonté comme une pendule. Contre toute attente, le chien se tire indemne de cet affrontement aussitôt avorté, qui se finit sans heurt ni fracas, chacun regagnant sa chaumière, la tronche remplie d'idées noires, la haine pour son prochain plus viscérale que jamais. Après cela, on ne mise tout de même pas cher sur l'espérance de vie du pittbull. Surtout quand on découvre, peu de temps après, que la bestiole, trop excitée par son débile de maître, a sévèrement amoché le gosse du quartier, en lui arrachant toute la joue gauche et en le défigurant à vie. La fatalité selon Paddy Considine a encore frappé ! Ni une ni deux, à la vue de la tronche saccagée du gamin, Peter Mullan saisit sa batte de baseball et se rue sur le pitbull, pris de court et qui n'en mène pas large. L'animal sans défense éclabousse de son sang le visage d'un acteur habité, survolté, visiblement à la recherche de quelques petites récompenses, à des années lumières de son rôle de papa-gâteau dans Cheval de Guerre et de son personnage de bonne sœur affable dans The Magdalene Sisters.



Après quelques jours passés dans le noir le plus complet de sa maison minable et cafardeuse, Mullan décide subitement de foutre les voiles, vêtu de son plus beau costard. Il prend le premier omnibus venu. L'ultime plan du film nous le montre descendant de cet omnibus, et remontant à pieds une route droite et ensoleillée, bordée d'arbres verdoyants, comme nous n'en avions jamais vu auparavant. Un décor inédit qui annonce vraisemblablement un nouvel horizon. Peut-être une dernière note optimiste ? Je ne sais pas. Je n'y crois pas. Ça serait en tout cas la seule de tout un long métrage qui se donne pour but de nous pourrir la vie. A mon avis, si Peter Mullan va vers d'autres cieux, c'est tout simplement pour éclater de nouveaux chiens. A ma connaissance, il y a dans ce film plus de chiens morts apparaissant à l'écran et plus de meurtres canins réalisés sans trucage que dans le pourtant fameux Dog Holocaust - Dogs for Gods, un film de bien sinistre mémoire pour nos amis à truffe froide, réalisé par l'inusable Robert F. Slatzer, mieux connu pour être l'auteur du très particulier BigFoot, cette étrange série Z où nous suivions les mésaventures d'un jeune verrat s'accoquinant avec le Yéti.



D'ordinaire acteur, déjà vu en frère revanchard dans le très glauque aussi Dead Man's Shoes (une très sombre mais néanmoins efficace histoire de règlements de comptes, louchant vers le pur film d'horreur de type slasher, dans un autre bled terne et gris du Royaume-Uni), Paddy Considine est ici réalisateur et scénariste. Tyrannosaur est donc son bébé. Sans doute l’œuvre à travers laquelle l'artiste multi-casquettes a ressenti le besoin d'expier ses démons intérieurs. Un véritable catharsis brut de décoffrage dont on se serait bien passé. Mais je parle pour moi, car le film semble rencontrer son public et plaire à quelques festivaliers. Peut-être des personnes trop heureuses, aux quotidiens trop roses, auxquelles cela fait parfois du bien de s'infliger un tel supplice. Je ne suis pourtant pas à plaindre. Mais rien n'y fait, Tyrannosaur ce n'est vraiment pas ma tasse de thé.


Tyrannosaur de Paddy Considine avec Peter Mullan, Olivia Colman, Eddie Marsan et quelques chiens en péril (2012)

23 août 2011

Session 9

Un bon film d’horreur ne tient parfois à pas grand-chose. Un chouette décor, offrant une ambiance particulière, voilà ce qui peut parfois suffire. C’est en tout cas ce que laisse à penser Session 9, le second long-métrage du réalisateur Brad Anderson, sorti de façon confidentielle en 2001 et qui s’est depuis, au fil des ans, taillé une réputation certes modeste mais bien méritée. L’histoire de ce petit groupe d’ouvriers appelé à désamianter un gigantesque asile psychiatrique désaffecté, et dont l’un des membres va progressivement sombrer dans la folie, peut en effet apparaître comme un prétexte pour mieux nous emmener dans ce lieu incroyable, véritable personnage à part entière de ce film d’horreur psychologique, j’ai nommé le Danvers State Hospital. C’est dans cet immense hôpital psychiatrique aux couloirs labyrinthiques et à la forme de chauve-souris typique des asiles qui étaient construits aux États-Unis à la fin du XIXème siècle, que furent par exemple pratiquées les premières lobotomies. Un lieu que l’on imagine aisément chargé de sales histoires, autre élément avec lequel Brad Anderson joue aussi très intelligemment. Le cinéaste parvient ainsi avec brio à tirer intégralement parti du lieu dans lequel se déroule l'action de son film. Car encore faut-il savoir tirer profit d’un tel décor, savoir le filmer comme il faut, réussir à croquer des images marquantes et parvenir à saisir une ambiance propice à faire monter la tension. C’est sur tous ces tableaux que Brad Anderson brille particulièrement.



Le film pourrait ainsi quasiment ne rien dévoiler de l’intrigue qu'il développe progressivement. Il pourrait tout simplement nous laisser sans que l'on n'ait compris grand chose et avec cette drôle d'impression que rien ne s'est finalement passé, mais que l'on a tout de même été scotché d'un bout à l'autre. Car sa force est ailleurs. Elle réside dans cette tension que le cinéaste parvient brillamment à installer, avec évidemment ce lieu qui rappelle les heures les plus sombres de la prise en charge de la maladie mentale et dont le passé semble peser si lourd sur les épaules des personnages, peu à peu écrasés, étouffés et remontés les uns contre les autres. Des personnages qui cachent d'ailleurs tous un mystère, une faute qu'ils tentent chacun de dissimuler, l'ancien hôpital agissant sur eux comme un révélateur de ces secrets, un dynamiteur, un peu à la façon de la maison hantée du classique de Robert Wise, The Hauting. Et ce lourd passé, nous sommes amenés à le vivre à travers les enregistrements sordides qu'un des ouvriers se met à écouter : on y entend la voix lugubre d’une ancienne patiente atteinte de troubles de la personnalité. Le travail sur le son, dont cette voix et son utilisation sont un bien bel exemple, participe aussi à cette atmosphère poisseuse qui parvient à nous captiver du début à la fin, et renforce le grand pouvoir de suggestion de la mise en scène. La bande-son, très minimaliste et composée de bruits aussi discrets que dérangeants, est idéalement choisie. Les acteurs sont également à saluer, à commencer par Peter Mullan, que l’on a déjà pu croiser chez Ken Loach et qui arrive ici parfaitement à nous faire ressentir le mal-être de son personnage, qui semble bouillir de l’intérieur et perdre davantage pied à chaque scène. Quant à l’expert à Miami David Caruso, sa tronche bizarre sied parfaitement au film et la couleur rousse de sa chevelure à sa photographie bien particulière. Car Session 9 a effectivement une image bien à lui : le film a sans doute été tourné en DV, ou avec je ne sais quelle caméra numérique, et cela lui donne un aspect un peu granuleux et des couleurs étrangement lumineuses qui participent pleinement à son ambiance assez unique.



Sans recourir à des effets gores, et dépouillé de ces réflexes bien lassants chers aux films d’horreur actuels, mais déployant au contraire une intelligence permanente et une vraie économie de moyens de plus en plus rare dans le genre, Brad Anderson signe une œuvre de grande qualité. Un film ô combien recommandable pour les amateurs du genre et que je conseillerais même à tous les friands de thrillers psychologiques et autres curieux. On tient là l’un des films d’horreur les plus réussis de la décennie qui vient de s’achever, m’est avis, et l’un des meilleurs représentants récents du sous-genre que sont les « films de maison hantée ». On pourra seulement regretter que Brad Anderson n'ait depuis pas su confirmer son talent, bien qu'il ait également fait preuve d'un certain savoir-faire dans la mise en place d'une atmosphère putride pour son film suivant, le très remarqué The Machinist, où le corps cadavérique de Christian Bale lui donna un joli coup de pouce pour mettre en boîte de nouvelles images marquantes.


Session 9 de Brad Anderson avec Peter Mullan, David Caruso et Josh Lucas (2001)