17 mars 2011

Black Christmas

On associe systématiquement Black Christmas au fameux Halloween de John Carpenter. Les deux films sont en effet similaires sur bien des points et le premier a sûrement été une importante source d’inspiration pour le second. Ces deux films ont fondé peut-être bien malgré eux l’un des pires sous-genres du cinéma d’horreur, à savoir le « slasher », c'est-à-dire tous ces films où un individu généralement masqué s’en prend à une bande de jeunes et les liquide un à un. Un sous-genre qui a engendré un nombre incalculable de mauvais films d’exploitation pendant les années 80 avant de s’essouffler au début des années 90 puis d’être relancé grâce au succès de Scream ; le filon s’étant à nouveau épuisé, on espère que le quatrième volet de la saga de Wes Craven ne lui redonnera pas une nouvelle jeunesse. Réalisé en 1974 par Bob Clark, Black Christmas est souvent présenté comme le premier véritable slasher. Dans ce film, une pension occupée par une confrérie universitaire de jeunes étudiantes est prise pour cible par un serial killer. Celui-ci commence par harceler les jeunes femmes au téléphone en leur déblatérant des obscénités puis finit par s’en prendre véritablement à elles.




Le rapprochement avec Halloween peut se faire dès les premières images puisque Black Christmas s’ouvre également par une séquence en vue subjective où nous nous retrouvons donc dans la peau du tueur en train de s’infiltrer dans la maison. Dès cette première scène, l’ambiance est posée : l’atmosphère du film est tout de suite angoissante et elle le restera. L’efficacité de Black Christmas est toujours intacte presque quarante ans après sa sortie, alors qu’entre temps, des centaines de films ont repris la même recette, sans le même savoir-faire. Mais ce qui m’a le plus intéressé dans ce film est l’interprétation que l’on peut en faire, ou en tout cas celle qui m’est apparue et que l’on peut encore une fois rapprocher du film de Carpenter, sorti quatre ans après. On reproche à John Carpenter d’avoir signé avec Halloween une œuvre réactionnaire et puritaine où l’unique survivante est la seule jeune fille qui ne s’est pas adonnée aux plaisirs de la chair, de l’alcool et autres substances illicites. On a ainsi attribué au film une morale douteuse et insidieuse, par ailleurs contredite par tout le reste de la filmographie du cinéaste, aux relents parfois quasi anarchiques, et à laquelle Carpenter en personne s’est souvent défendu d’avoir intentionnellement réfléchi, en regrettant par la même occasion que son film puisse être interprété de cette façon. Sur ce terrain-là, Black Christmas paraît plus significatif et sans doute plus clair. Laissez-moi donc vous dire à présent comment j’ai perçu ce petit jeu de massacre.




Bob Clark s'applique à nous dépeindre les personnalités de ces étudiantes, représentatives des jeunes femmes américaines de ce début des années 70. Il semble nous décrire la nécessité de leur émancipation vis-à-vis des générations passées avec lesquelles elles sont en décalage complet. Ces jeunes étudiantes boivent, clopent, s’amusent et parlent cul crument. Surtout, on voit ces filles faire preuve d’une certaine insolence à l’égard de leurs aînés, et de toutes les figures d’autorités qui se présentent à elles. Celle incarnée par la charmante Margot Kidder (dont le personnage principal de The House of the Devil est volontairement le sosie) est sans doute la plus dévergondée : on la verra se moquer d’un policier benêt ne comprenant pas le sens du mot « fellation ». La première de ces jeunes femmes à mourir est celle dont on sait seulement qu’elle était encore vierge, d’un caractère timide et sérieux. C’était aussi la seule qui prévoyait de retourner chez ses parents pour les fêtes, tandis que ses copines de la sororité ont choisi de festoyer ensemble en restant à la pension, en toute liberté, sans doute en pleine débauche. Le père de cette première victime est la seule figure paternelle que l’on verra dans le film : c’est un homme vieux qui a plutôt l’allure et le physique d’un grand-père, c’est un vieillard lent et apparemment déconnecté du monde dans lequel vivait sa fille disparue.




Bob Clark filme donc les jeunes américaines de ce début des années 70, il filme une jeunesse dont le décalage avec la génération précédente est profond et qui doit à présent s’en affranchir définitivement. Une situation symbolisée par une scène marquante où l’on voit un jeune homme, que l’on sait austère et privé d’amusement, laisser exploser la violence qui l’habite lors d’une répétition au piano face à un jury ridé, immobile et médusé. Le tueur, c’est peut-être lui, cet individu renfermé et enfermé, vieux jeu et appartenant résolument au passé. C’est en tout cas ce que l’on se met à croire jusqu'à la fin du film, rappelant elle aussi la conclusion inoubliable d'Halloween. Mais en réalité, le tueur du film est invisible, on ne le voit jamais, même pas furtivement. Il peut donc d’autant mieux être une entité irrationnelle, une sorte de puissance invisible qui n’existerait que par le sens donné à ses actes. Lors de ses terrifiants appels téléphoniques, le tueur parvient à prendre des voix multiples, des voix d’hommes et de femmes manifestement âgés, dégueulant des obscénités particulièrement brutales. On ne sera pas étonné d’apprendre par la suite que l’appel provient de l’intérieur même de la maison où vivent les étudiantes, un effet de surprise maintes fois réutilisé après ce film (je pense notamment à Terreur sur la Ligne), mais là encore assez significatif. Bien entendu, le tueur s’en prend seulement à des femmes. Et en toute logique, la seule survivante du film est celle qui refuse de se marier, celle qui veut avorter pour continuer sa carrière. Elle est jouée par la mignonne Olivia Hussey, et il s’agit évidemment du personnage le plus dynamique et volontaire, la figure de proue de cette génération qui s'affirme. C'est elle qui tue le reliquat figé de l'étouffante génération passée, c'est-à-dire le jeune homme précédemment évoqué. A travers elle, Bob Clark nous montre la nécessité de ces jeunes femmes de sortir d'un carcan mortifère, étouffant et dépassé, pour mieux se saisir entièrement de l'avenir qui s'offre à elles.




Ce salmigondis personnel mis à part, Black Christmas est avant tout un thriller très efficace en plus d’être un film particulièrement intéressant sur son époque et une œuvre d’un intérêt quasi historique pour le cinéma d’horreur. Black Christmas n’a peut-être pas la même qualité formelle qu’Halloween, pas la même virtuosité dans sa mise en scène, qui est sans doute moins profondément déterminée à surprendre et à faire peur. Mais Black Christmas est peut-être plus riche sur le fond, et il n’en reste pas moins assez brillamment filmé, Bob Clark jouant parfaitement du hors cadre et de la profondeur de champ pour mieux nous flanquer la trouille. Il me revient aussi à l’esprit cette scène toute simple, lors d’un coup de fil du tueur, où la caméra passe d’un visage à un autre, en très gros plan, captant superbement toute la tension grandissante. Une tension qui n’est ici jamais installée par le renfort d’effets lourdingues. On pourra ainsi agréablement noter l’absence des effets sonores chocs, ceux-là même qui n’en finissent pas de pourrir les films d’horreur actuels. Black Christmas est une œuvre ambiguë et subtile, un film assez rare. Il n’a donc clairement pas volé son statut de classique du cinéma d’horreur, et il mérite d’être redécouvert, lui qui à sa sortie fut d'abord éclipsé par le non moins fameux Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper et qui fut ensuite poussé dans l’ombre par le classique de John Carpenter.

 

Black Christmas de Bob Clark avec Olivia Hussey, Margot Kidder et John Saxon (1974)