
J'hésite à désigner ce qui est le plus amazing d'un productorat Hollywoodien sans-gène ou de la panurgerie assumée des spectateurs par-delà les frontières, mais une chose est certaine : dix ans seulement après le Spider-Man de Sam Raimi, la franchise rebootée va faire un carton en salles, sans risque (on n'aura pas confié le job à un "auteur", la jurisprudence Superman Returns n'est donc pas applicable ici).
Spiderman, le super-héros auquel on est censé s'identifier pour rêver un max, n'est autre que le copain geek de Mark Zuckerberg dans The Social Network, un clampin adulescent au visage mal fagoté typique des pires lycéens et coiffé comme Gérard Piqué.
Dix ans déjà que Tobey Maguire nous impressionna par ses bonds de toit en toit, et déjà on veut revoir la même histoire all over again. Pas même une génération d'écoulée, non, nous-mêmes qui étions allés voir Kirsten Dunst roussir retournerons dès aujourd'hui voir quelle tête aura sa doublure... et comparer ! Tout l'intérêt est là, désormais. Hollywood s'est transformé depuis quelques années (faute d'idées originales ou de courage pour aller vers du neuf, peu importe d'ailleurs) en un nouveau Broadway ! Sitôt le spectacle représenté un nombre suffisant de fois, on conserve ainsi les décors, et les rôles sont redistribués. On ne change pas une idée qui marche ! Spiderman vaut bien un Cats en lettres étincelantes, et puis ça reste des bêtes. Plus la peine d'attendre vingt ou trente ans pour reprendre une franchise, ce temps-là serait perdu. Savez-vous que des millions de spectateurs naissent chaque année ? Ceux-là, tous ceux-là aussi ont droit au frisson de découvrir leur Spiderman. Et puis quoi ? Christopher Nolan a bien compris, lui, que l'industrie cinématographique change - et qui sommes-nous pour nous y opposer ? - et il s'est déjà engagé, avant-même la sortie du troisième et dernier opus de son reboot de Batman, à être conseiller attitré sur le reboot (suivant) qui est déjà prévu pour la franchise. Voilà qui est sain et prévoyant, c'est dans l'ordre des choses après tout.
La petite amie de Spiderman est une actrice porno qui s'ignore abonnée aux grosses comédies romantiques sur le phénomène des sex friends et autres fuck buddies. Tu m'étonnes... Ne fais pas semblant d'aimer les livres...
Il nous faut accepter que les choses changent car c'est inéluctable. Notre demande a occasionné un cinéma produit à une vitesse hallucinante et en un siècle, tout l'éventail des idées, suspenses, clichés, mises en scène, twists, psychologies, futurismes et fresques historiques a été traité. Nous sommes allés vite, trop peut-être, et tout ou presque a été fait... Il reste bien quelques coins du monde, quelques recoins de l'Histoire qui mériteraient leurs longs-métrages, leurs séries, leurs remakes, préquelles, séquelles, puis reboots, mais ce sont des secteurs à risque (financiers ou moraux). On risque d'emmerder ou de choquer donc de manquer le public...
Alors on tricote des pullovers avec
les trames de nos sujets favoris. Ceux qui ont toutes les chances de plaire, les best-sellers. Les Karate Kid, Rambo, Piranha, Alien et autres The Thing. Si c'est une franchise, on la reboote, si c'est un one-shot, on le remake, ou mieux, on conserve le titre mais on le réécrit un peu, ou encore mieux, on conserve le titre mais on en fait une préquelle, tout est possible ! Il faut bien continuer d'amuser, de divertir le public. C'est la demande qui fait l'offre.

Il est intéressant cependant de constater qu'en France, on procède différemment. Les yeux de notre industrie sont ouverts, eux aussi, sur cette grande mutation et on n'invente plus beaucoup non plus de côté-ci de l'Atlantique (qui étaient les derniers grands producteurs d'un cinéma populaire original ? Jean-Marie Poiré, peut-être...), mais en France on met en scène des concepts plutôt que des aventures. On a "Les Beaux Gosses", "Les Chtis", "Les "Infidèles", "Les Kailleras"... On attend "Les Roms", "Les Grévistes" et "Marine" pour la rentrée. Ces études de caractères (qui pourraient presque faire office d'études de phraséologie, décortiquant chacune des expressions syntagmatiques "à la mode") sont dans notre tradition (depuis au moins La Bruyère) bien davantage que les aventures épiques. On a bien eu notre Astérix (et ses suites... à quand le reboot ?) mais Chrétien de Troyes n'aura pas engendré tant de Ridley Scott, de Roland Emmerich ou de Wolfgang Petersen que ça. Chercher des Peter Jackson ou des James Cameron par chez nous relève de l'aiguille dans la botte de foin. Nous avons des Musset, des Balzac, des Rohmer, des Resnais et même l'industrie populaire s'affaire autour de caractères, jusqu'à Besson lui-même, notre industriel en chef, du moins jusqu'à ce qu'il ne tourne définitivement américain. C'est ainsi.
Il n'est pas question de porter d'ailleurs de jugement comparatif quant à ces deux manières d'envisager un tournant de l'histoire du cinéma. L'industrie s'adapte à une pénurie d'histoires commercialisables, c'est un fait. Le cinéma d'auteur continuera de satisfaire les plus exigeants d'entre nous tandis que les autres s'acclimateront sans doute de la nouvelle donne et retourneront au cinéma dès 2022 (avec leurs enfants cette fois) pour y voir le premier épisode des aventures de Peter Parker, comment il s'est fait piquer, comment son oncle est mort et comment Mary Jane est jeune et séduisante, éternellement.
Cependant, rien évidemment ne nous obligera plus à jamais et nulle part, presse ou web confondus, mentionner, critiquer, évaluer ou même considérer l'existence d'aucuns de ces produits cinématographiques, de ces spectacles, qui ne sont pas ou qui ne sont plus du cinéma.
The Amazing Spider-Man de Marc Webb avec Andrew Garfield, Emma Stone, Rhys Ifans, Martin Sheen et Sally Field (2012)
The Amazing Spider-Man de Marc Webb avec Andrew Garfield, Emma Stone, Rhys Ifans, Martin Sheen et Sally Field (2012)