20 mai 2012

Moonrise Kingdom

Aujourd'hui, nous accueillons à nouveau notre ami cinéphile Simon, qui a accompli un véritable miracle en nous donnant envie d'aller voir le nouveau film de Wes Anderson, Moonrise Kingdom. Il a su trouver les mots, le ton et les arguments, pour nous motiver à donner une nouvelle chance à ce cinéaste qui, jusqu'à présent, ne nous a jamais véritablement convaincus. Jugez donc :

Ce dernier opus de Wes Anderson a constitué une bien jolie surprise pour moi, n’étant pas vraiment amateur de ses films précédents. S’ils ont indéniablement des qualités et des côtés réjouissants, son obsession de la composition, qui donne à sa mise en scène un côté un peu toc et factice, la dimension très lunaire de ses histoires et de ses personnages qui, couplé à un usage plutôt mode de la musique donne à ses films un aspect « mignon », tout ça me rebutait franchement. Et l’annonce de ce nouveau titre couplé au visuel ci-contre ne me laissait présager rien de très différent.



Et en effet le film s’ouvre comme du Wes Anderson : une famille nombreuse nous est présentée dans sa maison, qui par sa décoration (et ces plans qui montrent chaque pièce comme « en coupe ») prend l’aspect d’une maison de poupée. Les parents (Bill Murray et Frances McDormand) comme les enfants sont plutôt placides, une musique de Benjamin Britten qui passe sur un vieux tourne-disques est écoutée religieusement par les enfants, la fille aînée paraît en décalage et dégage un sentiment d’étrangeté, qui culmine en fin de scène par ce travelling arrière vertigineux qui part de ses jumelles pour surplomber l’océan. On est typiquement chez Anderson, et quand, dans la scène suivante, on atterrit dans un camp de scouts mené par un Edward Norton « rigide mais rigolo », on se dit : « Ok, c’est joli, mais putain ça va être long si c’est ça pendant 1h30 ».



Heureusement il n’en est rien car Anderson va centrer son récit sur quelque chose de très simple : la rencontre amoureuse et la fuite utopique de deux enfants de 12 ans, la fille aînée de la famille en question, Suzy, et un des jeunes scouts, le mal-aimé Sam. Et Anderson, s’il ne perd rien de sa mise en scène hyper composée et détaillée, se montre très inspiré (bien aidé par ses deux excellents jeunes comédiens, surtout lui) pour saisir des choses très intimes, qui résonnent en chacun de nous, un peu à la manière tout aussi inattendue qu’a eue JJ Abrams de nous faire tomber amoureux avec le jeune Joe du personnage incarné par Elle Fanning dans Super 8. Leur rencontre, racontée dans un flash-back après environ vingt minutes de film, donne lieu à une scène absolument sublime, qui se déroule lors d’un spectacle scolaire de fin d’année. L’étrange déambulation solitaire de Sam aux abords de la salle, dans les coulisses, au milieu des jeunes comédiens costumés, jusqu’à la rencontre avec Suzy, alors déguisée en corbeau, leurs regards qui ne se lâchent pas de toute la scène... Par je ne sais quel miracle Anderson parvient à créer un mélange de grande étrangeté en d’empathie totale avec ses jeunes personnages, qui n’est pas non plus sans rappeler les meilleures scènes oniriques de Twixt de Coppola (faut que j’arrête avec Elle Fanning...). Dès cette scène, Anderson a gagné : l’identité de son film est installée et on est avec les deux personnages, dans leur tristesse à chacun et dans leur attirance mutuelle.



Puis vient la fuite en elle-même. Sam et Suzy cavalent dans la nature, dans cette petite île encore très marquée par la présence millénaire de peuples primitifs, dont ils suivent le chemin migratoire. Sam fait profiter Suzy de son expérience de scout en se montrant un excellent homme des bois. Ils se parlent, se confient, se blessent parfois, leur amour grandit et culmine, physiquement, dans une scène de baiser et de pelotage à la fois très émouvante et assez crue, qui va marquer la fin imminente de leur cavale. Car le film a aussi quelque chose de très cruel et même d’assez violent. La violence surgit même parfois physiquement, de façon assez inattendue dans cet univers en apparence aseptisé : un enfant poignardé avec des ciseaux, une flèche perdue qui tue un chien... Nulle gratuité ici, mais la représentation sans concessions de la violence, physique et morale, qu’il y a à quitter l’enfance, surtout quand on n'a jamais vraiment été un enfant, qu’on n’en a jamais vraiment connu l’innocence. Anderson rend tout cela tangible, et c’est d’autant plus chouette que pour moi c’était totalement inattendu venant de lui. Je n’ai absolument aucun souvenir d’une émotion similaire ressentie devant La Famille Tenenbaum, La Vie Aquatique ou A bord du Darjeeling Limited.



Il faut bien le dire (sans vous révéler la suite de l’histoire), la dernière partie du film est moins enthousiasmante. Les problématiques « adultes » du film (notamment personnifiées par Murray, McDormand et un bon Bruce Willis en flic provincial un peu benêt et triste) intéressent moins Anderson, et nous avec du coup ; par ailleurs le rythme très enlevé et un peu fou qui s’empare du film se fait un peu au détriment de l’ambiance et de l’émotion qui saisissaient jusque-là. Mais elle ne suffit pas à effacer la très belle impression laissée par cette première heure, qui fait de ce film le meilleur Anderson à mon goût, et un bien beau film d’ouverture pour le festival de Cannes, qui présente souvent à cette occasion un gros machin sans intérêt.


Moonrise Kingdom de Wes Anderson avec Edward Norton, Bruce Willis, Bill Murray, Frances McDormand, Tilda Swinton, Jason Schwartzman, Kara Hayward et Harvey Keitel (2012)

18 commentaires:

  1. En tant que d'abord-grand-fan du cinéaste (j'avais adoré "La Famille Tenembaum", le 1er film que j'ai vu de lui) et beaucoup-moins-fan-ensuite (quand je me suis rendu compte qu'il faisait toujours le même film et que son "Fantastic Mr Fox" était funestement empaillé), je dois avouer que ce "Moonrise Kingdom" se situe dans une bonne moyenne andersonienne. Sans être génial, le film est franchement agréable et regorge de petites perles fragiles, fourmille de petits détails enthousiasmants.
    Après, son côté éternellement chic, mignon et connivent demeure sa limite, avec son casting all stars qui-semblent-s'amuser-dans-leurs-rôle, qui donne lieu à un final hystéro tout de même bien longuet. La première heure, quant à elle, n'est pas loin d'être merveilleuse on est d'accord.

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  2. Je le materai en dvdrip, le rendez-vous est pris !

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    1. Idem. Et c'est déjà beau d'être arrivé à me donner envie de le downloader :D

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  3. Moi j'ai pas mal aimé le genre.
    La gamine m'a fait penser à Esther, décalée, flippante !

    Je suis vraiment rentré dans le film pendant que ma voisine dormait

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    1. Alors que tu aurais pu en profiter pour entrer dans ta voisine !

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    2. Dégueulasse !

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  4. Oh oui, regardez-le, il vaut le coup. j'y songe encore, des fois, alors que ça fait plus de 2 mois que je l'ai vu.

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  5. Vu hier. Je rejoins complètement le dernier paragraphe de la critique (notamment) et le commentaire de Fredastair. C'est de loin le meilleur Wes Anderson à ce jour (sachant que j'ai cordialement détesté tous les autres). Il y a de jolies choses avec les deux gamins (pas tant la scène du bal de l'école à mon sens que la scène du baiser ou celle où la fille est dans sa baignoire et parle avec sa mère), même si toutes les scènes avec les adultes sont trop andersoniennes, comprendre "super gonflantes". Quant à la mise en scène (toujours à base de plans "en coupe" frontaux, de mouvements latéraux ultra rapides pour changer de "case" bien définies et sur-composées, sur-colorées, sur-musicales et compagnie, à part sur deux ou trois scènes elle me semble toujours aussi nulle. N'empêche que globalement ça reste le meilleur d'Anderson et le premier de ses films que je regarde sans serrer les poings.

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  6. Encore qu'en repensant à la scène du baiser je ne l'aime pas spécialement, d'autant qu'elle s'ouvre avec une danse ridiculo-mignonne des deux gosses sur du Françoise Ardi, typiquement le genre de tic d'Anderson que je peux pas blairer. Son film ne se sauve en fait miraculeusement et in extremis, du moins à mon sens, que grâce aux gamins et surtout à la fille, parce qu'Anderson n'a lâché aucune de ses pires habitudes (sur le plan de la mise en scène, des personnages, de l'humour millième degré jamais drôle etc.), et les acteurs qui s'amusent à jouer à contre-emploi des gens déprimés et mal attifés au bout d'un moment ça devient morbide.

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  7. François Hardy pitié...

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    1. FrançoisE Ardi, s'il te plaît...

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    2. HARDY quand même. Françoise Madeleine Hardy si tu veux être plus précis.

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    3. On m'avait dit de pas dire "Hardy".

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  8. autre son de cloche.....
    http://shangols.canalblog.com/archives/2012/09/25/25185244.html

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  9. J'ai pensé à peu près la même chose que l'auteur de la critique. Je me suis régalé "à la Super 8" et un peu ennuyé avec les parents. Mais le film est le meilleur Anderson, devant Fantastic Mr Fox et Rushmore. Il conserve l'univers et les tics de l'auteur sans pour autant être ni une resucée ni un calvaire. Il dit de nouvelles choses (j'y ai senti, comme dans Super 8, un peu de ce que Spielberg savait faire jouer à des enfants. j'ai même ressenti une certaine envie d'être enfant à nouveau).

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  10. Moi je l'ai de côté, je l'ai dl récemment, mais je sais pas si je finirais par le mater un jour... J'en ai assez peu envie. Comme Cosmopolis... Très peu attiré par ces films. :|

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  11. Pas du tout d'accord avec cette critique. Wes Anderson continue à reproduire son système de mise image ultrastylisé, bien trop cloisonné pour dégager la moindre émotion. Quand un scénario qui semble avoir été écrit par un gosse de sept ans est ainsi mis en scène par un réalisateur obnubilé par le parallélisme de ses images, la magie enfantine ne prend pas et quand la moindre action du film est à ce point prévisible, le récit commence vite à brasser du vide et le spectateur plonge alors dans un ennui terrible. L’histoire de cette amourette entre deux enfants semble être un fantasme de cet auteur maniériste chez qui l’on devine comme un malaise émotionnel qui pourrait presque lui pardonner son imaginaire immature. Mais c’est cette immaturité qui fait que chacun de ses personnages, interprétés pourtant par un excellent casting, devient, paradoxalement, des stéréotypes d’êtres farfelus. Anderson nous avait prouvé, avec son "Fantastique Mr Fox", qu’il avait bien plus de talent dans l’animation, pourquoi ne s’en contente t-il donc pas?

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