Party Girl a pour titre français Traquenard, et ces deux titres réunis résument bien les deux aspects de cette œuvre réalisée par l'immense Nicholas Ray, qui est d'une part un film noir pur et dur et d'autre part un film avec Cyd Charisse, le tout entrecoupé de séquences dansées par Cyd Charisse... Et quand Cyd Charisse danse, on admire. C'est elle qui fait en grande partie le prix du film, au demeurant un excellent drame noir mené de main de maître par Ray, cinéaste de génie parvenu à donner un élan certain et singulier à cette histoire pourtant typique du genre. Le film nous raconte en effet les mésaventures d'un célèbre avocat, Thomas Farrell (Robert Taylor), bel homme boiteux qui s'aide d'une canne pour marcher et qui défend puis séduit une jeune danseuse de cabaret extraordinairement belle, Vicky Gaye (Cyd Charisse...). Mais cet élégant courtisan a le désavantage d'être le brillant avocat de son ami d'enfance devenu parrain de la pègre dans ce Chicago des années 30 marqué par la prohibition et où règne une guerre des gangs meurtrière (une scène de nettoyage d'un gang par un autre aura peut-être inspiré Coppola pour Le Parrain et rappellera l'un des grands épisodes des Sopranos aux fans de la fameuse série). Thomas Farrell est ainsi l'employé et le protecteur juridique d'un gangster gouailleur, colérique et sans pitié, Rico Angelo, incarné par le génial Lee J. Cobb, déjà en grande forme dans 12 Hommes en colère où il incarnait un gueulard enragé, et qui en joue un autre ici, moins attendrissant.
Évidemment, une fois que Thomas Farrell a trouvé chaussure à son pied, expression assez malheureuse en pareil cas, surtout pour comparer Cyd Charisse à une chaussure, elle qui avait des pieds étourdissants et d'autant plus étourdissants qu'ils étaient tout au bout de jambes inimaginablement longues, plus question pour l'avocat de risquer sa vie et de s'avilir au service de Rico Angelo et de ses sbires, guère décidés à laisser filer leur meilleur défenseur avec tous leurs secrets les mieux gardés dans sa besace. Cette captivante intrigue, qui joue de tous les ressorts savoureux du film noir et qui montre Thomas Farrell et Vicky Gaye luttant pour échapper au déterminisme de leur condition, est mise en scène par Nicholas Ray avec son talent habituel, le cinéaste parvenant toujours à nous surprendre avec des scènes fortes et inattendues, comme celle, au début du film, où Vicky découvre sa jeune amie suicidée dans son bain. Nick Ray se joue de nous comme personne, mais toujours avec une intelligence incroyable, toujours de la meilleure des façons car, je finis par en être définitivement convaincu de film en film, c'est un cinéaste qui semblait faire systématiquement les meilleurs choix.
Le meilleur choix que fit Nicholas Ray pour Party Girl fut d'engager et de filmer Cyd Charisse, par qui le film se soulève au-dessus de sa déjà noble condition dans trois séquences particulièrement mémorables. La première n'est pas une scène de danse, il n'y en a que deux dans le film, qui constitueront, sachez-le, ses deux autres moments de bravoure. Non la première est une simple scène de dialogue, préalable au rapprochement entre les protagonistes, où Vicky Gaye et Thomas Farrell se retrouvent la nuit chez ce dernier, après avoir découvert ensemble chez la danseuse le terrible suicide évoqué précédemment. Le héros reçoit la fille chez lui, la fille n'étant pas n'importe quelle fille puisque c'est Cyd Charisse. Cyd Charisse s'approche du canapé au centre de la pièce pendant que Robert Taylor se dirige vers le bar, où il sert à boire à son invitée de premier choix. Cyd Charisse, qui paraît épuisée après le choc du décès de son amie et les quelques heures passées au commissariat (que le cinéaste a réduites à quelques secondes), pose sa main droite sur l'accoudoir du canapé rouge bordeaux qui appelle sa grande et magnifique robe carmin à venir s'y lover, et s'assied lentement sur le bord du fauteuil. Cut.
Au plan d'ensemble sur le salon succède presque trop rapidement, trop brutalement, un plan rapproché en légère plongée sur Cyd Charisse seule, non plus immense et longiligne mais vulnérable, proche, baignée d'un léger flou qui la rend presque atteignable, toujours la main posée sur l'accoudoir, toujours assise sur le bord du fauteuil, regardant maintenant en direction de ses pieds et s'étendant doucement sur le dos, la tête posée sur le dossier, au centre de l'image quoique légèrement en travers du canapé, debout mais allongée, les yeux fermés et la bouche entrouverte, avant de lâcher l'accoudoir pour prendre son front désormais tourné vers Robert Taylor dans sa main, lasse, abandonnée, humaine. Sans m'étendre davantage sur le camaïeu de rouges qui baigne le plan dans le sang versé de l'amie de l'héroïne, ni sur la magnificence propre à la féminité de Cyd Charisse, pas davantage que sur la délicatesse du mouvement de son corps et sur la joliesse infinie de cette femme ainsi filmée allongée, je me contenterai de dire que le raccord - millimétré et pourtant si imperceptiblement brutal qu'il surprend le regard autant qu'un faux-raccord violent - entre le plan d'ensemble où l'actrice vient de s'asseoir et le plan rapproché où elle est sur le point de s'allonger est d'une beauté irrémédiablement insondable qui fait à elle seule l'inestimable valeur de ce film et de cette chose qu'est le cinéma.
Et puis il y a la danse de Cyd Charisse et surtout il y a les jambes de Cyd Charisse. Cette femme, au corps au moins aussi resplendissant que son beau et grand visage, injustement ravissante d'Est en Ouest et du Nord au Sud, accédait aux plus hautes sphères de la grâce et de la beauté par ses jambes venues d'ailleurs, les plus longues et les plus improbables jambes du monde. A l'époque on la surnommait Legs, et on ne s'y trompait pas. Quelle fameuse idée eut Nicholas Ray non seulement de consacrer deux longues séquences aux seuls numéros de danse de l'actrice mais, pour la seconde scène dansée, d'accompagner avec sa caméra Cyd Charisse sur une musique aux sonorités africaines, l'actrice faisant preuve à chacune de ses performances d'une sensualité de panthère à se damner. Comparer telle femme ou telle danseuse à un félin relève du lieu commun, le plus souvent usurpé, mais là, croyez-moi comme jamais, c'est vrai. Quand Cyd Charisse danse, filmée par Nicholas Ray, nous admirons une panthère sublime et, plus surprenant encore, on a soudain envie de faire plaisir à notre compagne en adoptant ce gros matou avec lequel elle nous tanne depuis des mois à la maison.
Le meilleur choix que fit Nicholas Ray pour Party Girl fut d'engager et de filmer Cyd Charisse, par qui le film se soulève au-dessus de sa déjà noble condition dans trois séquences particulièrement mémorables. La première n'est pas une scène de danse, il n'y en a que deux dans le film, qui constitueront, sachez-le, ses deux autres moments de bravoure. Non la première est une simple scène de dialogue, préalable au rapprochement entre les protagonistes, où Vicky Gaye et Thomas Farrell se retrouvent la nuit chez ce dernier, après avoir découvert ensemble chez la danseuse le terrible suicide évoqué précédemment. Le héros reçoit la fille chez lui, la fille n'étant pas n'importe quelle fille puisque c'est Cyd Charisse. Cyd Charisse s'approche du canapé au centre de la pièce pendant que Robert Taylor se dirige vers le bar, où il sert à boire à son invitée de premier choix. Cyd Charisse, qui paraît épuisée après le choc du décès de son amie et les quelques heures passées au commissariat (que le cinéaste a réduites à quelques secondes), pose sa main droite sur l'accoudoir du canapé rouge bordeaux qui appelle sa grande et magnifique robe carmin à venir s'y lover, et s'assied lentement sur le bord du fauteuil. Cut.
Au plan d'ensemble sur le salon succède presque trop rapidement, trop brutalement, un plan rapproché en légère plongée sur Cyd Charisse seule, non plus immense et longiligne mais vulnérable, proche, baignée d'un léger flou qui la rend presque atteignable, toujours la main posée sur l'accoudoir, toujours assise sur le bord du fauteuil, regardant maintenant en direction de ses pieds et s'étendant doucement sur le dos, la tête posée sur le dossier, au centre de l'image quoique légèrement en travers du canapé, debout mais allongée, les yeux fermés et la bouche entrouverte, avant de lâcher l'accoudoir pour prendre son front désormais tourné vers Robert Taylor dans sa main, lasse, abandonnée, humaine. Sans m'étendre davantage sur le camaïeu de rouges qui baigne le plan dans le sang versé de l'amie de l'héroïne, ni sur la magnificence propre à la féminité de Cyd Charisse, pas davantage que sur la délicatesse du mouvement de son corps et sur la joliesse infinie de cette femme ainsi filmée allongée, je me contenterai de dire que le raccord - millimétré et pourtant si imperceptiblement brutal qu'il surprend le regard autant qu'un faux-raccord violent - entre le plan d'ensemble où l'actrice vient de s'asseoir et le plan rapproché où elle est sur le point de s'allonger est d'une beauté irrémédiablement insondable qui fait à elle seule l'inestimable valeur de ce film et de cette chose qu'est le cinéma.
Et puis il y a la danse de Cyd Charisse et surtout il y a les jambes de Cyd Charisse. Cette femme, au corps au moins aussi resplendissant que son beau et grand visage, injustement ravissante d'Est en Ouest et du Nord au Sud, accédait aux plus hautes sphères de la grâce et de la beauté par ses jambes venues d'ailleurs, les plus longues et les plus improbables jambes du monde. A l'époque on la surnommait Legs, et on ne s'y trompait pas. Quelle fameuse idée eut Nicholas Ray non seulement de consacrer deux longues séquences aux seuls numéros de danse de l'actrice mais, pour la seconde scène dansée, d'accompagner avec sa caméra Cyd Charisse sur une musique aux sonorités africaines, l'actrice faisant preuve à chacune de ses performances d'une sensualité de panthère à se damner. Comparer telle femme ou telle danseuse à un félin relève du lieu commun, le plus souvent usurpé, mais là, croyez-moi comme jamais, c'est vrai. Quand Cyd Charisse danse, filmée par Nicholas Ray, nous admirons une panthère sublime et, plus surprenant encore, on a soudain envie de faire plaisir à notre compagne en adoptant ce gros matou avec lequel elle nous tanne depuis des mois à la maison.
Traquenard (Party Girl) de Nicholas Ray avec Cyd Charisse, Robert Taylor et Lee J. Cobb (1958)
Ok ca donne méga envie et du coup ça donne méga envie. Putain. Adopter une panthère c'est pas franchement "facile", crois-en mon expérience, une panthère dans un 15m2, ca a tendance à se faire les griffes un peu partout, notamment sur mon ton futon... Depuis je dors à même le sol!
RépondreSupprimerOu alors faut se tourner vers un couguar, mais toi t'es plutôt du genre chaton tel que je te connais !
RépondreSupprimerComme l'a si bien dit l'inspecteur Franck Drebin, "elle a des jambes à prendre à son cou" :)
RépondreSupprimerPourquoi étais-je persuadé que ce film magnifique était en noir et blanc ? Ce n'est pas là-dedans qu'une bande de malfrats réunis sous une petite ampoule voient leur discussion rythmé par le passage du métro aérien derrière eux ?
RépondreSupprimerSans erreur tu confonds avec Citizen Kane. Un "must have" !
SupprimerNon, la scène que tu décris me parle mais sauf erreur c'est pas dans ce film.
RépondreSupprimerJ'kiffe la tronche de Lee J. Cobb et les guiboles de feu !
RépondreSupprimerTu m'étonnes !
SupprimerTrop envie de le voir ! Il manque le tag "boner" aussi !
RépondreSupprimer:D
Supprimer@Rémi : Pérec pour le rouge du sofa. L'est-ouest-nord-sud de La belle de Moscou... Monsieur a des lettres!
SupprimerPerec se moque (ou son narrateur d'ailleurs, la littérature n'est jamais si simple) de ceux qui s'extasient du rouge clair de la robe sur le rouge foncé du sofa. Sauf que ce n'est qu'une infime partie de la beauté de cette scène, la partie émergée de l'iceberg. La vraie magie de cette scène, c'est le raccord. Tout est dans le raccord et dans le mouvement qui en découle. La chose peut peut-être passer inaperçu, et pourra sembler bien peu de choses à certains, mais si Dieu est dans les détails, il est tout entier dans celui-là.
SupprimerQuand aux quatre points cardinaux de Cyd Charisse, c'était tout à fait involontaire, je ne connais pas (encore) "La Belle de Moscou" (d'ailleurs j'ai lu Perec longtemps après avoir écrit cette critique aussi). A croire que la géographie charissienne inspire par-delà les lieux et les âges.