1 avril 2011

Happy Few

Aujourd'hui nous avons le plaisir d'accueillir une invitée exceptionnelle pour nous parler de ce fameux Happy Few, film français sorti l'an passé et qui a pas mal fait causer de lui. Notre hôte vient tout droit de Normandie, elle répond au doux nom de Nônon Cocouan, et voici ce qu'elle pense du film d'Antony Cordier :

C'est chaud patate. Pas dans le sens où ce serait très osé, même si on voit des fesses et des sexes et des seins en veux-tu en voilà, mais parce que c'est bien mauvais. On ne peut que pleurer devant ce que nous inflige Antony Cordier. C'est affligeant de voir des plans aussi mal cadrés. Ça ne doit pourtant pas être trop compliqué de faire un cadre propre, quitte à ce qu'il soit académique et conventionnel. Ben là non : les têtes sont coupées par le bord du cadre, ou bien on voit un morceau de crâne qui dépasse, ou alors un morceau de cheville, enfin c'est du grand n'importe quoi. Et quand ça a l'air pensé, c'est trop (et mal) pensé justement. Par exemple, un petit plan décadré sur un pied qui vient se poser sur une jambe, genre "matez comme ils sont complices mine de rien"... Quand Cordier se lâche et se laisse aller à des petits mouvements, on a droit à la sempiternelle caméra-portée-gerbante, avec des plans toujours cadrés n'importe comment : Cordier est constant dans sa médiocrité. C'est lourd et c'est moche.


L'Amour selon Antony Cordier

Puis les personnages... Il s'agit donc de deux couples (Marina Foïs/Roshdy Zem et Elodie Merguez/Nicolas Dechauvelle) qui se rencontrent et s'apprécient très vite, très très vite, mais ne croyez pas qu'on va avoir droit à des explications ou des réflexions sur le comment du pourquoi de ces affinités électives, ce serait trop demander. Il faudra se contenter d'un plan - hideux, ça va de soi - sur les quatre échauffés du cul assis autour d'une table, sur une terrasse, un beau soir d'été, en train de se fendre la poire sur fond de musique cool. Ils s'entendent donc super bien, si bien qu'ils finissent par s'échanger sexuellement, la femme de l'un couchant avec le mari de l'autre et réciproquement. Cependant, contre toute attente, il ne s'agit pas d'échangisme, Cordier a bien insisté sur ce point en conférence de presse, il est question "d'attirance interdite", de "liberté", de "droit au plaisir trouvé ailleurs". Voyez ?


Marina Foïs a déclaré que Duvauchelle s'était complètement laissé emporter par la scène et qu'il ne jouait plus du tout la comédie à ce moment-là, elle a même ajouté : "Il m'a ruinée mais j'ai kiffé".

Viennent alors toutes les questions métaphysiques que ces relations impliquent, c'est-à-dire : "- A-t-il un plus gros membre que moi? - Non, non, mais il bande plus longtemps"; "Tu crois qu'ils discutent beaucoup les deux autres ? - Je sais pas, défonce-moi plutôt la raie". Oui, évitons de se poser les mêmes questions qu'Antony Cordier... qui sont autant de questions primordiales, de quoi faire cogiter dans les chaumières. Et alors si on prend les scènes de cul, puisque c'est là que tout se joue... Pas une goutte de sensualité, rien que du cul, pas tellement vulgaire (quoique) mais pas artistique non plus. Du cul mal fait quoi, si mal fait qu'on se demande vraiment comment les personnages font pour y trouver leur compte. Et là le choix des actrices n'est pas très judicieux puisqu'on a peut-être les deux corps féminins les plus laids de tout le cinéma français, c'est pas très ragoutant. Non pas qu'il faille nécessairement se la jouer Closer pour éveiller un quelconque instinct animal, mais là il devient difficile de partager les élans sexuels des personnages quand on a affaire à ça, et surtout, surtout surtout, quand ils sont aussi mal filmés.


Ce que vous croyez être un canapé sous les deux acteurs n'est autre que la verge de Roshdy Zem

Puis il y a vraiment des scènes très moches, comme lorsque Zem, rentrant chez lui après une partie de jambe en l'air avec Élodie Merguez, porte ses doigts à son nez pour vérifier... Non en fait on ne veut pas savoir ce qu'il vérifie. Je suppose que ce type de "détail" se veut révélateur d'une vérité réaliste, d'une crudité... un peu comme quand un film montre une fille pissant accroupie dans la nature, comme ça, gratuitement, juste pour rappeler les vrais besoins de la vie. C'est vrai, c'est fort, c'est Saint Yorre. De la merde.


La chose devient gênante quand Duvauchelle, ayant surpris le couple et, par sa présence, interrompu leurs ébats, aide Roshdy Zem à porter sa propre queue pour la ranger dans son falzar...

Il y a en prime tout un tas de petits trucs très agaçants, censés là aussi faire "vrai", notamment dans les dialogues écrits façon "on parle comme dans la vie, on dit des banalités et autres conneries intersidérales comme dans la vie, et c'est très révélateur" (je me souviens d'un dialogue éloquent lorsque Marina Foïs, ou Elodie Bouchez, peu importe, parle à son amant d'un certain type de bonbon : "...mais si, tu sais bien, les crocodiles, les petits bonbons là !"), quand ce n'est pas directement le récit d'une histoire à crever (voir Jean-François Stevenin qui raconte pendant 10 minutes une histoire dont la morale est, je vous le donne en mille : mieux vaut faire n'importe quoi et être libre que rester sage et s'emmerder. Vous noterez la subtilité de la parabole en écoutant son histoire à coucher dehors si vous tombez par hasard sur le film à la TV). Tout ça est largement agrémenté de situations aussi convenues les unes que les autres, comme quand Zem et Merguez écoutent du Piaf avec des petits écouteurs (ils ont un Ipod, ils sont modernes, ils écoutent sur des petits écouteurs, ils sont reliés, ils écoutent du Piaf, ils sont sensibles. Wouah). Et je n'ai même pas parlé de cette scène insondable et interminable où l'un des couples (Duvauchelle et Bouchez, qui travaillent dans un gymnase) fait écouter à l'autre couple, via leurs téléphones portables et peu soucieux de leur facture de mobile, les bruits que font les gymnastes sur les agrès et en sautant sur les tapis de sol, comme pour être en symbiose avec eux, à distance. Et le deuxième couple rend la pareille au premier en leur faisant écouter par mobile interposé une course de F1 à la télé. Faut le vivre ça, faut le vivre !


Photo de la séance de casting : voila ce qui arrive quand on demande au très pragmatique Nicolas Duvauchelle d'interpréter un personnage qui a "la tête dans le cul"

Le film fait de suite penser au Peindre ou faire l'amour des Larrieux, qui montraient avec combien plus de finesse et de sensualité ce que les corps peuvent évoquer comme désir et comme complexité. Pourtant les corps en question n'étaient pas des canons de beauté, mais ils donnaient quand même bien envie d'aller faire un petit tour à la campagne. Car dans les deux films il est question d'une sorte de retour à l'état de nature, même si les aspects de ce retour ne provoquent pas du tout les mêmes sentiments. Pour conclure, on peut spoiler la fin du film et dire qu'il se sabote tout seul. Dans la dernière partie deux des quatre amants découvrent avec horreur et fracas que les deux autres avaient eu une aventure adultérine secrète bien avant les échanges mutuels et consentis du début du film, ce qui fait basculer cette histoire de soi-disant liberté épanouie vers un merdier incestuo-sentimentalo-dramatique encore plus pitoyable.


Happy Few d'Antony Cordier avec Marina Foïs, Roshdy Zem, Nicolas Duvauchelle et Elodie Bouchez (2010)