5 avril 2011

Le Nom des gens

Je viens de voir ce film qui compte parmi les grands lauréats des Césars et qui m'intriguait non seulement par son titre mais par son ambitieux projet de "comédie politique". Trop ambitieux sans doute puisque le résultat est lamentable. Concernant le premier terme du projet, "comédie", on peut faire une croix dessus. Le film n'est jamais, je dis bien jamais drôle. J'imagine qu'il en aura fait marrer quelques uns, dans les salles de cinéma les plus enthousiastes, heureux de se reconnaître dans l'un des portraits pathétiques et archétypaux de français moyens que Michel Leclerc, le réalisateur, affectionne tant. Peut-être fera-t-il de même marrer tel autre engagé politique du dimanche ravi de retrouver Jospin dans son propre rôle au détour d'un caméo sans intérêt. Mais en vérité il n'y a, m'est avis, strictement rien de marrant dans ce film, strictement rien d'agréable, de plaisant, de piquant, de fin : peau de balle. Donc je n'ai certainement pas maté, en ce qui me concerne, une comédie. Côté politique, force est de constater que le film aborde le sujet, mais de quelle façon ?


J'ai passé les vingt minutes que dure la terrible intro du film à me dire que Zinedine Soualem a l'air fatigué, peut-être déçu par la vie et le cinéma, et franchement ça me fait de la peine...

Le début du film est une véritable épreuve. Normalement ça peut suffire à dégoûter n'importe qui du cinéma. Le début, chez Michel Leclerc, ça dure 20 minutes. L'intro, qui dure donc, je le rappelle même si je l'ai dit il y a une phrase, mais il faut bien en avoir conscience, 20 longues minutes, retrace tout le "parcours" des deux personnages principaux, qui ensuite finiront par coucher puis par s'aimer. Qui sont-ils ? Lui c'est Arthur Martin (Jacques Gamblin, vraiment de plus en plus présent dans des films qui ne le méritent pas et nous le rendent ingrat), la quarantaine, travaillant dans un laboratoire de santé publique, célibataire, lisse, dernier jospiniste en activité. Il porte le nom le plus répandu en France, tout le monde lui parle des cuisines Arthur Martin dès qu'il se présente et encore il a de la chance parce qu'à sa naissance ses parents ont hésité à l'appeler Jacques (c'est la plus grande vanne du film, répétée vingt-six fois). Elle c'est Bahia Benmahmoud, 25 ans, la seule en France à porter ce nom (on nous le répète aussi une trentaine de fois), elle porte des après-ski roses aux pieds jour et nuit et suce des sucettes 24h/24, par ailleurs c'est une abrutie et une "pute politique bénévole" (sic.) qui a décidé de passer sa vie à baiser avec des enfoirés de droite pour essayer de les convertir à la gauche. Pourquoi ? Parce qu'elle s'est fait violer quand elle était petite par son professeur de piano, et comme un jour elle entend dire à la télévision que les victimes de pédophiles reproduisent ce qu'ils ont subi et que la plupart des prostituées ont été victimes d'abus sexuels dans leur enfance, la jeune femme se retrouve au pied du mur avec pour seules alternatives d'avenir la pédophilie ou la prostitution, c'est la télé qui l'a dit. Un personnage qui en arrive à une telle conclusion, même dans un film soi-disant comique, donne des envies de meurtre. Du coup Bahia choisit de se vouer à une carrière de pute. Voilà pour les personnages, qu'on a tout de suite une folle envie d'aimer.


Jacques Gamblin à côté de son double adolescent. Ce genre de scènes, dignes des pires pubs pour des banques à la con, sont légion dans le film, qui n'a pas fini de vous achever.

L'intro raconte tout ça en partant des parents des deux personnages et de leur propre naissance, avec des images en N&B pour lui et en Super8 pour elle (car il est plus vieux --> flinguez-moi...). La grosse idée pour ces flash-backs c'est que le personnage de Gamblin est incapable d'imaginer son père jeune, incapable aussi de trouver une photo de l'époque pour stimuler son cortex cérébral arrêté au point mort, du coup dans le flash-back on voit un vieillard (son père tel qu'il le connaît) épouser une jeune femme (sa mère jeune telle qu'il parvient en revanche à l'imaginer), et ça on sent que c'est une idée qui tenait à cœur aux scénaristes, le réalisateur lui-même et sa femme (qui, pour fêter son César conjugal, a passé toute l'émission des ciné-passionnés de Serge Moati à zieuter le beau cul d'Edgar Ramirez ! Je dis ça mais j'en aurais fait autant !). On sent que c'est une idée qu'ils ont notée dans une marge de leurs carnets de note, surlignée au stabylo rose, puis placardée sur la porte de leurs chiottes à l'aide d'un post-it afin de ne surtout pas l'oublier. Mais le plus fort, c'est que les deux héros du film, tels qu'ils apparaissent dans le récit principal, actuel, au présent, entrent dans l'image de leurs souvenirs et y côtoient leurs doubles du passé pour dialoguer avec eux-mêmes par-delà les années, et principalement pour s'adresser à la caméra et tout commenter avec un soi-disant humour à crever qui ferait se retourner Woody Alien dans sa tombe (s'il était mort) et qui nous inspire vraiment beaucoup de questionnements sur les deux êtres humains qui ont écrit ce torchon entre deux épisodes d'Un dîner presque parfait. Car ce que nos héros commentent en l'occurrence c'est une somme tuante de clichés : lui est né de parents bourgeois de droite, sa mère a réchappé à la Shoah et son père a fait la guerre d'Algérie dans l'armée française, et ils n'aiment pas les gens, uniquement leur confort matériel ; l'autre est née d'un père arabe serviable dont toute la famille est morte tuée par l'armée Française en Algérie et d'une mère soixante-huitarde communiste excitée et libérée, pleine de convictions démagogiques et anti-tout, qui accueillent tous les clochards de la ville chez eux... Y'a vraiment de quoi nous envoyer au trou. C'est crevant intellectuellement...


Jamel Jospin a abandonné la vie politique une seconde fois en voyant cette scène à l'UGC des Halles le mercredi de la sortie.

Ce type de mise en scène, qui se veut osée et originale, et qui n'est qu'un sommet de facilité et de banalité doublé de laideur et de maladresse, dans la droite lignée du Jean-Pierre Jeunet d'Amélie Poulain, cet humour piteux, ces raccourcis narratifs, ces personnages puants à la fois ultra stéréotypés et complètement improbables, et la présence de Jacques Gamblin, tout ça fait parfois penser au triste Le Premier jour du reste de ta vie, en moins répugnant peut-être mais en tout aussi con. Que Sara Forestier ait remporté le César de la meilleure actrice pour ce rôle qui lui a demandé d'interpréter une vraie conne m'importe peu, mais que les scénaristes de ce film, Michel Leclerc lui-même et sa femme Baya Kasmi (on sent bien l'autobiographie planquée derrière tout ça, ou plutôt on la redoute et on ne l'espère pas), aient remporté le César du meilleur scénario original pour ce truc, ça me laisse pantois.

Il se trouve que j'ai des liens familiaux ultra éloignés avec Sara Forestier. On n'est ni cousins, ni issus de germain, mais de loin en loin on a un lien. Aussi je lui dis tout de même bravo !


Le Nom des gens de Michel Leclerc avec Jacques Gamblin et Sara Forestier (2010)