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4 mars 2013

La Porte du paradis

Quand on revoit La Porte du paradis aujourd'hui en pensant à la carrière sabordée de Michael Cimino, on est d'autant plus sidéré qu'on assiste au chant du cygne prématuré de l'un des plus grands cinéastes qui aient vécu, et sans doute au dernier véritable éclat du cinéma américain de studio à grand spectacle. Après l'échec public cuisant du film, on s'est empressé de fermer les portes à Cimino alors qu'il incarnait, dès ses débuts et grâce à cette œuvre en particulier, la quintessence même du cinéma américain. On connait l'histoire. Sous prétexte que son film fut un gouffre financier et causa la perte de la United Artists, Hollywood fit du cinéaste un cas de jurisprudence (comme l'a très bien analysé Jean-Baptiste Thoret), profitant de ce scandale financier pour peu à peu éjecter les artistes audacieux et visionnaires du système et réserver la place, toute la place, aux blockbusters commerciaux rentables à souhait. Sorti en 1980, Heaven's Gate a choisi sa date pour marquer un basculement total entre deux décennies, deux époques et deux âges des grands studios. Le Nouvel Hollywood, âge adulte du cinéma américain, céda ainsi le pas aux années Reagan et aux grosses machines destinées à un public du premier âge. Ainsi s'est clos l'un des derniers grands chapitres du cinéma hollywoodien, sinon le dernier…




Michael Cimino avait dépassé de beaucoup son budget et explosé tous les records de retard de tournage, mais pour accoucher d'une œuvre aussi démesurée que magistrale. Quel film hollywoodien justifie mieux les sommes et les efforts qu'il a coûtés, et d'une façon aussi noble, propre à élever l'âme de ses spectateurs et à les immerger complètement dans son mouvement lyrique virtuose ? On est aujourd'hui ému tant par la beauté du film que par la double mélancolie qu'il représente et suscite. Celle affichée par un James Averill (Kris Kristofferson) sorti d'Harvard pour affronter ses anciens camarades dans une guerre perdue d'avance, guerre des propriétaires capitalistes nantis contre une centaine d'éleveurs immigrés pauvres, et, plus globalement, guerre de la vertu, de la solidarité et de l'amour contre les forces inépuisables du pouvoir, de l'argent et de la tyrannie. Plus que désabusé dans la dernière scène du film, notre héros, vidé de ses dernières illusions et quittant un pays débarrassé de tous ses rêves en ce début de XXème siècle, trouve un écho tragique dans la destinée injuste et pathétique de Michael Cimino lui-même, génie sacrifié sur l'autel de la rentabilité et du profit.




Et génie n'est pas un faible mot. Comme devant la séquence d'ouverture de Voyage au bout de l'enfer, cette gigantesque scène de mariage sublimement orchestrée qui composait en fait toute la première partie du premier chef-d’œuvre de Michael Cimino, on est systématiquement emporté par la grâce extraordinaire que déploie le cinéaste dans les immenses scènes de foule et de mouvement qui scandent son second et dernier grand chef-d’œuvre. Dès l'introduction de La Porte du paradis, qui nous présente la consécration des étudiants de Harvard en 1870, ceux-là même qui seront les acteurs et ennemis d'une guerre civile mineure mais capitale dans l'histoire naissante des États-Unis, au cœur du Comté de Johnson (Wyoming) en 1890, Michael Cimino, d'une ambition à tout rompre, fait preuve d'une maestria littéralement époustouflante.




La chose est célèbre mais ne cesse d'éblouir : cet art du mouvement déployé par le cinéaste dans des travellings aussi maîtrisés que gracieux, qui glissent sans qu'on s'en aperçoive et qui ont le parfum de la facilité, rappelle le génie de Max Ophüls, autant le manège de La Ronde que le bal de Madame de… ou le cirque de Lola Montes (et par conséquent les meilleurs chapitres de l’œuvre de l'un de ses héritiers revendiqués, Stanley Kubrick, autre utilisateur brillant du Beau Danube Bleu de Strauss dans une autre séquence de ballet circulaire harmonieux et gigantesque dans 2001 l'Odyssée de l'espace). Et comme devant les grands films d'Ophüls, on éprouve devant le bal de la promotion de Harvard et devant celui du Comté de Johnson, moins guindé mais plus vibrionnant, avec sa danse en patins à roulettes sur les airs inoubliables d'un orchestre irlandais de violons, un plaisir esthétique quasi indicible, un bonheur de l’œil qui n'est pas totalement communicable dans la mesure où nos sens, avant toute analyse, sont immédiatement sollicités, et où nous nous retrouvons violemment émus et transportés par le mouvement de l'image, la beauté de ce mouvement, de la lumière, des corps et de la musique. Et ce brio, qui frappe aux deux premiers grands instants du récit, l'ouverture et le milieu de l’œuvre, alternant toutes deux - quoique dans un ordre inverse - grâce absolue de la valse en couple et tumulte exalté jusqu'au chaos des emportements d'allégresse en groupe, resurgit lors de la bataille finale, la séquence du bal irlandais apparaissant comme une bulle de temps autonome et hors-norme (irréelle même, quand la salle de bal est vidée comme par enchantement de sa foule éméchée pour réserver l'orchestre aux amants), au sein d'une destinée qui n'aura tenu aucune de ses promesses : la sortie d'école d'une élite politique ayant directement conduit à des jeux d'argent couronnés par un massacre atroce de civils innocents.




Mais le talent de Cimino ne tient pas que dans une mise en scène prodigieuse, il s'exprime aussi pleinement dans l'art du récit. C'est son talent, par exemple, de ne pas tout dire immédiatement, non pas dans une optique de rétention d'informations vouée à tromper le spectateur (comme dans ces films traitres qui dupent sans se poser de question), mais pour donner à ce dernier le sentiment de la vraie vie, des vraies gens qui ne se donnent jamais à lire tout de suite. C'est le personnage de Christopher Walken qui symbolise le mieux ce phénomène. Quand il fait son entrée, c'est un tueur froid que l'on est tenté de croire limité à ce rôle et promis à le rester, aussi notre surprise est-elle réelle quand le personnage s'étoffe et se densifie. Or si Cimino se veut serviteur de la complexité humaine, il ne nie pas ses possibles extrêmes.




On retrouve là son ambition d'embrasser tout le genre humain, à l'œuvre dans Voyage au bout de l'enfer. Ici les diplômés de Harvard se retrouvent en 1890 dans le Wyoming et de même que le combat qui les oppose est une allégorie de conflits moraux plus vastes, ils composent eux-mêmes une sorte de microcosme du genre humain, avec en premier chef le héros honnête et droit, venu défendre le Comté dont il est shérif (Kris Kristofferson), et sa nemesis, l'intellectuel cupide, stupide et assassin, président d'une association d'éleveurs ayant arbitrairement décidé autour d'un pot d'assassiner 125 immigrants accusés de vol de bétail (Sam Waterston). Entre les deux se trouve le personnage le plus passionnant du film, qu'on avait tort de trop vite prendre pour ce qu'il semblait, un tueur impassible sans pitié, cavalier sans nom et mercenaire à la solde des truands, et qui peu à peu se révèle un homme amoureux et pétri de doutes, instable et fragile, qui n'a d'autre certitude et d'autre ambition que son amour pour une femme et son désir de le partager sereinement, quitte à commettre quelques forfaits pour parvenir à ses fins (Christopher Walken). Celui-là, tiraillé, devra faire un choix. Son amour est voué à une putain au grand cœur, cruellement partagée entre deux hommes et deux destins (Isabelle Huppert). Reste l'impuissant ironique, le rêveur soumis, celui qui ne choisit pas, l'inactif voué à tourner fou (John Hurt). Nous tenons peut-être là un précipité du genre humain toute entier.




Ces projections d'humanité nous rendent proches, indispensables même, des personnages riches et sublimes, tous portés par des acteurs admirables (il faut aussi saluer les excellents Jeff Bridges et Mickey Rourke), qui laissent aller leur talent dans des scènes parfaitement écrites et inoubliables (comme l'appel des 125 condamnés ou, dans un autre registre, l'offrande d'un chariot rutilant à une Isabelle Huppert à moitié nue et plus lumineuse que jamais). Avec un sens du romanesque exacerbé, Cimino compose ainsi une vaste épopée humaniste où la ronde des sentiments humains a autant si ce n'est plus d'importance que celle de leurs mouvements. Et pourtant quels mouvements, auréolés d'une lumière laiteuse opalescente signée par le remarquable Vilmos Zsigmond (on pense évidemment à L'homme sans frontière ou à McCabe & Mrs Miller, également éclairés par ce grand opérateur), qui vient sublimer des décors naturels extraordinaires et contribue à soumettre à notre admiration un spectacle romantique et tragique incroyable. Cimino, épris du désir de dénoncer la violence et les morts gratuites, représente éros et thanatos dans un même ballet, une danse majestueuse quoique de plus en plus macabre : les rondes euphoriques des étudiants autour de l'arbre centenaire à Harvard, puis les cercles dansants du bal qui fait tourner les amants et, à l'autre bout de la chaîne, les boucles meurtrières de la tuerie finale, où la cavalerie sous les ordres du gouvernement ne vient plus sauver les innocents mais ruiner leurs efforts, donnent tous cet impressionnant mouvement circulaire, forme parfaite de l'inexorable, à l'ensemble d'un film monumental.


La Porte du paradis de Michael Cimino avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert, John Hurt, Sam Waterston, Jeff Bridges et Mickey Rourke (1980)

18 février 2012

La Taupe

Avant la sortie prochaine de Martha Marcy May Marlene, voici Tinker Tailor Soldier Spy, nouveau venu dans la catégorie des titres à rallonge qui essaient de faire péter un plomb aux Sophie Favier et autres Isabelle Mergault (en règle générale à tous ceux qui ont des fèves à la place des dents), et de séduire les autres à coups d'allitérations fumeuses. Le pire c'est que ça marche ! J'ai voulu voir ce film principalement à cause de ce titre original taré. Mais pas seulement. La bande-annonce mensongère du film avait su me donner envie de le découvrir. C'est chose faite. Et Dieu que la bande-annonce est mensongère… Elle promet un thriller d'espionnage chiadé et haletant alors que La Taupe est probablement le film le plus soporifique de l'année. La grisaille permanente et le statisme tétanisant du film en assurent la caution auteuriale, et lui valent en prime d'être qualifié d'élégant un peu partout. Ce mot ne veut-il donc plus rien dire ? Suffit-il qu'un film soit chiant comme la mort, son scénario inutilement compliqué, les vestons de ses acteurs bien repassés et son image uniformément grise pour qu'il soit "élégant" ? Décors, photographie, costumes, acteurs, tout est gris là-dedans. D'un gris blafard qui vous pétrifie sur place.


La scène trépidante du film : Gary Oldman, toujours les mains dans les poches, apprend à une sorte de traître, en tout cas à un agent qui n'a pas bien fait son boulot, qu'il le renvoie en Russie, l'avion approche lentement au second plan, le "traître" pleure, Oldman le regarde pendant cinq minutes, fin de la séquence.

Et c'est pas l'histoire qui va vous maintenir en vie. On n'y comprend strictement rien, mais c'est peut-être moi, je suis une merde devant ce genre de scénario retors à la mords-moi-le-nœud où chaque personnage ressemble à tous les autres et possède 18 noms minimum. Certains prétendent qu'il faut revoir le film quatre ou cinq fois pour en saisir toutes les subtilités et enfin capter le fin mot de l'histoire dans ses moindres détails, sauf qu'il faudra me payer, et chèrement, pour que je relance un film dénué de tout intérêt historique, de toute portée métaphysique, de toute émotion esthétique et de tout plaisir cathartique. Pour ce que j'en retiens, ou plutôt pour ce que j'ai compris donc, c'est l'histoire, durant la guerre froide, d'agents secrets et autres espions anglais qui sont bien embêtés parce qu'ils ont une taupe au guichet. Vous trouvez ça court ? Moi aussi ! En gros ils sont cinq ou six, ce sont les dirigeants ou des membres actifs du Circus, et il y a une taupe, un traître à la solde des Russes, infiltré parmi eux, "there is a mooooole at the top of the circus". Il faut trouver l'intrus. Voila. Et ça déblatère d'un côté, de l'autre… Au final le grand traître c'est (je vais vous ruiner le film, mais croyez-moi c'est un service que je vous rends) Colin Firth, qui ressemble assez à Chandler Bing dans ce film, le Chandler Bing obèse et au visage cubique des dernières saisons de Friends. Son personnage est non seulement une taupe mais c'est en prime un sacré renard puisqu'il baisait la femme de Gary Oldman, pour le foutre dedans jusqu'au bout et puis pour faire soi-disant diversion, là encore, allez piger.


Comment cacher sa grosse gaule, par Colin Firth, best actor award winner 2011

Ce qui est sûr c'est que si Colin Firth fut sacré aux Oscars pour son rôle d'héritier de la couronne d'Angleterre dans Le Discours d'un roi, il vient de s'enterrer en la trahissant dans un film où on ne se souviendra de lui que pour cette séquence où Gary Oldman le surprend dans son salon en rentrant chez lui, le prenant la main dans le sac alors qu'il vient juste de tringler sa femme, et où ce grand espion et fin dissimulateur tâche de mystifier son vieux patron par une excuse bidon tout en essayant vaille que vaille de renfiler ses chaussures sous la table. A moins qu'il ne fasse exprès de se faire choper ? On s'en tape ! Toujours est-il qu'il est magnifique dans cette scène où ses chaussettes couleur taupe lui volent la vedette, observé dans sa pathétique manœuvre par un Gary Oldman qui réagit en.. non il n'a aucune réaction, ni dans cette scène ni dans aucune autre. Les acteurs en font paradoxalement des caisses sans broncher. C'est-à-dire qu'ils ne bougent pas un sourcil mais qu'ils en font des kilos dès qu'ils clignent de l’œil, chacun de leurs cils pesant semble-t-il une gigatonne. En particulier Gary Oldman. Pour ce qui est de son enveloppe corporelle, c'est sa statue de cire du Musée Grévin qui est filmée, et pour la voix, quoi qu'il dise il déclame avec un accent anglais surdoué insupportable, tel un acteur shakespearien du XVIème siècle, mais sous-doué l'acteur, vu qu'il détache chaque syllabe comme un abruti. Le comédien ne quitte strictement jamais la pause qu'il tient sur l'affiche. Vous pouvez faire défiler dix décors de bureaux enfumés dans son dos en laissant sa photo en surimpression au premier plan et vous tenez l'intégralité du film !


John Hurt mérite mieux que cet éternel rôle de vieux croulant... Lui aussi en fait des bombonnes sans jamais lever son cul de sa chaise. Derrière lui, Gary Oldman prend littéralement racine.

Le jeu des acteurs est non seulement fatiguant mais il rend le film encore plus figé et mort qu'il n'est. On se fout à peu près à 100% de savoir qui est la taupe. Si c'est ça le renouveau du film d'espionnage, autant vous dire que le genre est mort une seconde fois ! Le titre anglais, le fameux Tinker, Tailor, Soldier, Spy, énumère les noms de code des traîtres, ou des types qui n'ont pas bien fait leur boulot d'agent, si j'ai bien pigé (loin d'être sûr), l'intitulé se veut donc un massive spoiler unique en son genre, et le film aurait dû s'appeler Tinker Trailer Spoiler Spam ! C'est comme si Seven s'était appelé "John Doe", ou si Hannibal s'était appelé "Hannibal"... Ceci dit ça me paraît louche ce que j'avance là sur le titre original de La Taupe, j'ai pas dû bien piger. Mais je suis pas fou, à un moment, à la fin du film, on voit bien un des agents secrets anglais qui observe à la jumelle ses potes qui entrent dans un bâtiment discrètement, et il énumère leurs blazes : Tinker… Tailor… Soldier… Shpatz... Donc ça reste un spoiler, à moins que je n'aie vraiment rien compris ! Mais j'en ai, alors là, mais rien à foutre.


La Taupe de Tomas Alfredson avec Gary Oldman, John Hurt et Colin Firth (2012)

21 janvier 2012

Red State

Kevin Smith a fait monter la sauce pendant des mois. Son prochain long métrage, avait-il fièrement annoncé en 2006, serait un film d'horreur. Il avait laissé diffuser des images au compte goutte. Le synopsis ne fut jamais clairement dévoilé. On ne savait pas si Kevin Smith allait bercer dans le gore et le second degré, histoire de choquer un peu sans véritablement surprendre, ou s'il allait plutôt nous livrer une œuvre plus classique, s'inscrivant donc à contre-courant d'une certaine mouvance actuelle et se prenant au sérieux, peut-être pour notre étonner positivement, qui sait ? Son film allait-il être un simple défouloir pour le comique obèse pas drôle qu'il est, ou bien serait-il un moyen propice à véhiculer un message engagé impossible à faire passer autrement ? Les premières images nous informaient tout de même sur ce point : son film allait s'emparer du fait religieux, comme il avait déjà pu le faire avec Dogma, et ne serait donc pas une coquille vide. Tout cela faisait que, quand même, malgré le fait que Kevin Smith soit un cinéaste de pacotille qui nous a récemment submergé de navets infâmes (je pense par exemple à l'infect Top Cops), on était tout de même bien curieux de découvrir son "film d'horreur". Alors, qu'en est-il, finalement, de ce film qui a connu une drôle de sortie, en étant d'abord disponible en VOD, et qui s'est par conséquent très prématurément répandu sur la toile ?


Michael Parks campe un personnage paraît-il inspiré du nageur multi-médaillé Michael Phelps.

Hé bien il n'y a pas grand chose à dire de Red State... Et ce film aura bien du mal à faire parler de lui après sa sortie autant qu'il a essayé de créer le buzz avant, ce que l'on peut même déjà constater aujourd'hui. Quid du synopsis ? L'action de ce très long métrage (1h28), grossièrement divisé en deux parties, se déroule dans l'un des nombreux trous de balle des États-Unis : une petite bourgade du Midwest qui est le théâtre des manifestations régulières d'une bande de fanatiques religieux menée par un chef illuminé, campé sans suffisamment d'intensité par une sorte de sosie sans saveur de John Hurt (Michael Parks). Nous commençons par suivre une bande de jeunes tocards qui vont à un rendez-vous dans l'espoir de faire un truc à trois avec une meuf dénichée sur un site internet de type adopteunkeum. Évidemment, il s'agissait d'un attrape-couillons, comme ce genre de sites en regorge (je le sais, j'en ai déjà été victime !), et nos trois glandus se retrouvent à la merci des fanatiques religieux, des anti-homosexuels notoires qui vont les torturer puis les tuer au cours d'une cérémonie débutée par un discours effroyablement long énoncé par le grand manitou. La deuxième partie du film est davantage focalisée sur le personnage incarné par John Goodman, un vieux flic fatigué qui se retrouve aux commandes d'une intervention musclée visant à mettre hors d'état de nuire la petite troupe d'illuminés (pourquoi n'y ont-ils pas pensé avant ? Laissez pisser, il s'agit là de l'un des nombreux trous béants du scénario). Nous assistons donc à l'interminable siège de leur repaire, où l'un des jeunes tocards est encore en vie et tente de s'échapper, et cela donne lieu à la scène de fusillade la plus longue et ridicule de l'historie du cinéma.


A noter : la prestation solide de John Goodman, parfois assez impressionnant, et qui semble afficher un niveau de cholestérol très inquiétant. Je me fais du souci pour lui.

Red State est en effet l'occasion de constater la pauvreté de la mise en scène de Kevin Smith, incapable de développer la moindre tension, d'instaurer le moindre rythme à son film qui pâtit de grosses longueurs, qui se traîne terriblement. Manifestement à court d'idée, le réalisateur mafflu à l'éternel pantacourt se rabaisse à des tics visuels très chiants, comme par exemple cette caméra vissée au torse des personnages en fuite et en pleine panique, les filmant donc en contre-plongée dégueulasse, avec en outre cette insupportable image légèrement saccadée digne des pires films du genre. Malgré tout cela, grâce à sa façon très frontale de critiquer l’extrémisme religieux existant dans son pays, Red State se place tristement comme un film d'horreur pas totalement inintéressant et gratuit, fait suffisamment rare de nos jours pour être souligné. Mais cela s'arrête là, car si les intentions sont louables, à l'écran, tout ça est tellement laborieux et lourd qu'il me faut beaucoup d'indulgence pour relever ce petit aspect positif du film. Car Red State est un bien triste film, ponctué par des notes d'humour qui tombent totalement à plat (je pense par exemple à la mort ridicule de Kevin Pollack) et, comme si cela ne suffisait pas, le tout est plombé par une conclusion sur-explicative, qui vient nous montrer que Kevin Smith ne s'en prend pas seulement à l’extrémisme religieux mais qu'il veut aussi dénoncer certaines dérives politiques de son pays. On attendait que lui... On peut tout de même saluer la volonté du cinéaste ventripotent de changer de registre, mais on se demande s'il ne faudrait pas tout simplement qu'il entame un régime Dukan et change carrément de métier. Son Red State est un film d'horreur satirique particulièrement moche, balourd et vain, dont je fais bien de vous parler sitôt après l'avoir vu, car d'ici quelques heures, je ne m'en souviendrai plus.


Red State de Kevin Smith avec John Goodman, Melissa Leo et Michael Parks (2011)

20 août 2011

Melancholia

Malgré la plaie ouverte par le terriblement médiocre Antichrist, et au préalable entaillée par la plupart des autres films de Lars Von Trier, nous nous sommes laissés attiser par ce fameux Melancholia, avec sa pluie de critiques élogieuses, décrit par la majeure partie de ses spectateurs comme absolument sidérant, et nous sommes donc allés le découvrir au cinéma. Félix nous a accompagnés mais il ne s'exprime plus que par râles depuis qu'il est sorti de la séance. Ça va faire trois jours, on commence donc à s'inquiéter. Mais pour l'heure, Nônon Cocouan et moi-même allons vous donner nos impressions sur ce "chef-d’œuvre" du cinéaste danois, et à cette occasion nous allons spoiler tout ce qui peut l'être.

Le film est scindé en deux parties. La première sur Justine (Kirsten Dunst), le soir de son mariage, qui, alors qu'elle s'apprête à vivre une superbe fête pour célébrer son union avec un mari fou d'amour, est terrassée par la mélancolie (qui ne semble pas la submerger pour la première fois puisqu'on lui intime de ne pas "recommencer") au point de régulièrement s'éclipser et de rendre folle de rage sa sœur, qui a tout organisé. La deuxième partie est consacrée à la sœur donc, Claire (Charlotte Gainsbourg), dans son château et au sein de sa famille (Kiefer Sutherland et leur petit garçon), qui recueille la neurasthénique Justine, complètement abattue par la maladie mélancolique, tandis que tous attendent le passage de Melancholia, une planète qui va bientôt faire le tour de la Terre. Sauf que Claire est angoissée, persuadée que la planète ne va pas faire que passer et puis s'en va, mais qu'elle va bien s'écraser sur son monde.




Il y a bien quelques trucs pas mal dans ce film, mais globalement c'est plutôt mauvais, disons raté, assez plat malgré le fort potentiel d'un grand nombre de scènes. Toute la première partie ressemble à une sorte de Festen (Thomas Vinterberg) plein aux as, sauf que Lars Von Trier ne prend pas le temps de bien saisir les petits travers de chacun de ses personnages, il nous les balance par à-coups et les veut très caricaturaux. On se fout assez rapidement d'eux puisque tout tombe à plat (Cf. le père avec ses blagues sur les cuillères), ou n'a aucune saveur (Cf. les coups de gueule de la mère, la brève séquence de dispute avec le patron, etc.). Ceci dit ça peut fonctionner un temps, si on aime beaucoup les acteurs. Et on aime plutôt bien John Hurt, Kiefer Sutherland (malgré le triste tour qu'a pris sa carrière), Stellan Skarsgard et Udo Kier. Même Charlotte Gainsbourg tient bien son rôle de grande sœur rigide et pas gaie... Et puis il y a surtout Cannes Film Festival Award Winner Kirsten Dunst. Elle a une présence assez fascinante, il faut bien le dire, puis elle est extrêmement jolie avec son petit sourire, ses moues espiègles, ou son regard qui s'éteint soudainement quand la mélancolie la rattrape, et elle est en outre assez bonne, soyons clairs (Cf. la dernière image de l'article). Ce qui est fort dommage en revanche et qui plombe royalement le film, c'est qu'au bout de quelques scènes Von Trier la traite avec aussi peu d'égards et de cohérence que ses autres personnages : de mélancolique elle devient rondement conne, comme quand elle baise soudain avec un inconnu (à cheval sur lui, usant d'un mouliné de l'épaule qui évoque les scènes où elle est sur son canasson noir, cette analogie vous fait une belle jambe, hein ?), en plein milieu du jardin (un terrain de golf 18 trous qui passe soudain à 19 trous), dans sa robe de mariée, séquence placée là pour traduire le besoin qu'éprouvent les mélancoliques de ressentir une jouissance corporelle niant l'autre... ou encore quand elle envoie chier son patron dans un règlement de compte à la Festen donc, qui n'est pas franchement passionnant.




Ce qui est stupide là-dedans, c'est que tout cela va presque à l'encontre de sa mélancolie. Non pas que ces agissements ne soient pas dignes d'un personnage atteint de cette affliction - Von Trier semble s'être lourdement renseigné sur son sujet (étant par ailleurs lui-même mélancolique, selon ses propres dires) et son film égraine toutes les informations scientifiques que vous dénicherez en vous penchant à votre tour sur la question - mais dans la mesure où le trouble de Justine serait plus pesant et plus intriguant si tout autour d'elle n'était pas si misérable, car en l'état on ne peut que comprendre qu'elle ait les boules, et dès lors son angoisse n'est plus inexpliquée : elle a une vie de merde, basta. Enfin sauf en ce qui concerne son mari, qui est gentil et sympathique, trop pour Von Trier qui l'éjecte de son film en deux coups de cuillère à pot, c'est plus simple. Le cinéaste, qui avoue de façon assez remarquable que son film est un copié-collé de choses vues, entendues, et "volées" (des peintures de Bruegel au Tristan et Isolde de Wagner en passant par le château shakespearien et le terrain de golf de La Notte), se revendique d'Antonioni et de Bergman, et autant dire qu'il a de gros gros progrès à faire concernant le traitement de la psychologie de ses personnages...




On a donc une première partie pas totalement mauvaise, avec une structure d'ensemble qui fonctionne à peu près, des petits trucs d'acteurs, quelques jolis plans, des répliques cinglantes, ça se regarde, mais finalement tout est assez inconséquent, ça reste des trucs scénaristiques vus et revus (ou qu'on aurait préféré ne pas voir, comme quand la mariée va pisser en soulevant sa robe sur le green du parcours de golf...), et quand le jeune marié finit par se barrer, on a presque envie d'en faire autant. Cette tout de même accablante cérémonie bourrée de clichés et de fatuité (Von Trier dit s'être probablement et involontairement inspiré de la scène d'introduction de Voyage au bout de l'enfer, il y a de quoi rire), déplie un éventail de personnages têtes-à-bouffes, de la mère hystérique interprétée par l'affreuse Charlotte Rampling à ce personnage joué par Udo Kier qui se cache la vue dès qu'il passe devant la mariée parce qu'elle lui a soi-disant ruiné son mariage quand elle était enfant (gimmick d'une nullité totale...), jusqu'à l'époux de la sœur, Jack Bauer, qui ne pense qu'au fric dont il regorge et qui ne supporte pas les frasques de sa belle-famille (on le comprend). Après quoi nous passons à la deuxième partie.




Et le film se concentre alors sur Claire, Charlotte Gainsbourg, la pauvre Gainsbarre, qui n'est déjà pas un canon de beauté d'ordinaire mais dont on croirait ici qu'elle n'a pas dormi depuis trois mois. Encore faut-il avouer qu'elle n'est pas du tout insupportable, ce qui relève déjà de l'exploit la concernant. Une aubaine d'ailleurs que les rôles ne soient pas inversés, car Gainsbourg dans le rôle d'une mélancolique neurasthénique nous aurait achevés. Son problème à elle n'est pas d'être mélancolique mais de se faire de la bile dès qu'elle pense à l'immense planète jadis cachée par le soleil qui se rapproche de la Terre et qui fascine son mari et son gamin, impatients de découvrir ce qui s'annonce comme le plus grand moment de l'Histoire de l'humanité. A noter une bonne idée de scénario quand Sutherland est tout fier de présenter à sa femme l'invention dérisoire mais ingénieuse de leur fils qui consiste en une simple boucle de fil de fer destinée à évaluer à l’œil nu la distance de la planète approchant. Et donc on passe de Festen à euh, peut-être une sorte d'Antichrist pas dégueulasse, dans le grand manoir situé à l'écart de tout et entouré de nature. La catatonie de Justine se mélange alors à l'angoisse sourde et tenace de Claire, et il y a quelques trucs pas mal là encore, mais franchement, tout ça ne va pas bien loin. On régresse même quand Justine acquiert une sorte de prescience des choses, prétendant qu'elle "sait tout" et prouvant ses talents d'oracle en donnant à sa sœur et au chiffre près le nombre de grains de maïs contenus dans un pot, que les invités devaient deviner à l'issue de la cérémonie de son mariage. Il parait que dans l'Antiquité, les mélancoliques étaient effectivement considérés comme des sortes de devins, Von Trier a tout prévu, on l'a dit, il a tout lu sur ce thème et tout casé dans son film, mais là ça ne fonctionne pas du tout, ça rend simplement le personnage de Justine très con, voire infiniment désagréable, et ce don rendu exagérément explicite annule les pensées du spectateur qui songeait grâce au film à la mélancolie comme forme de lucidité impénétrable (Justine désirant la fin de tout et niant de façon autoritaire la possibilité de l'existence d'une vie ailleurs dans l'univers), pour leur opposer un très peu crédible et inutile talent de divination fort dommageable pour l'adhésion au personnage et au propos même de la fiction. Puis il faut bien le dire, tout ça est assez chiant. Toute la fin est un peu bâtarde : parfois Lars Von Trier saisit bien les derniers instants ambivalents censés précéder la fin du monde (enfin à priori, puisqu'on a peu de témoignages de cataclysmes), dans un mélange de frayeur et d'apaisement, un amalgame de foi absolue (la cabane de l'enfance en opposition au désastre) et de nihilisme, souvent il tue l'ensemble par les réactions bidons des personnages (la crise de larmes de Gainsbourg entre autres) et par un regard pas très fin sur son sujet.




L'ensemble donne vraiment l'impression que Lars Von Trier est certes un cinéaste pour le moins atypique, plus doué qu'un certain nombre de ses congénères, qui a des idées et un savoir-faire non-négligeable mais qu'il s'embourbe dedans, essayant d'être à la fois un grand symboliste et une sorte de naturaliste classieux. Il s'empare bien de l'angoisse et de la mélancolie, mais on a le net sentiment qu'il n'y a pas grand chose derrière, et après une scrupuleuse et esthétisante mise à plat du sujet, ne reste qu'un ennui assez profond. Le cinéaste, qui prétend ne pas tellement aimer son propre travail, dit que si le film touche les mélancoliques et leur paraît juste, ce sera déjà une réussite. Mais l'objectif semble un peu facile. L'idéal serait plutôt de toucher ceux qui sont étrangers à ce sentiment accaparant et destructeur. Y'en a-t-il seulement ? Ne sommes-nous pas tous, un jour ou l'autre, mélancoliques ? A des degrés variables bien entendu. Mais tout un chacun, et le cinéaste l'affirme, a déjà éprouvé les affres de la mélancolie, ne fût-ce qu'un instant, aussi n'y a-t-il aucun mal pour le quidam à se reconnaître par bribes dans les sentiments dépeints par le film ou à se laisser vaguement happer par celui qu'il provoque et que son titre ne laisse pas d'annoncer. On dit souvent que le rire est plus difficile à obtenir chez le spectateur que les larmes, aussi l'abattement quêté par Von Trier est-il plutôt aisément atteignable, ce qui ne fait que retirer du mérite au cinéaste. Qui plus est, hormis quelques moments de torpeur ainsi facilement provoqués par l’œuvre, on s'emmerde un peu, ou du moins reste-t-on relativement indifférent. C'est dommage parce que Von Trier, en touchant du doigt ces craintes ou ces angoisses injustifiées, incompréhensibles mais opiniâtres qu'on connait tous plus ou moins, pourrait aller beaucoup plus loin, imaginons-le ! mais non, ça s'arrête là.




Pour le côté "sidérant" du film, sur lequel à peu près tout le monde s'accorde avec un enthousiasme débordant, il concerne principalement le début de l’œuvre, les premiers plans, dont nous vous ferons la grâce tant nous sommes épuisés de les croiser dans les journaux et partout sur la toile, de longs plans très ralentis et très composés qui illustrent le récit à venir (prémonitions de Justine, ces images ouvrent le film et en donnent le ton). Ça dure assez longtemps, sur un morceau de Wagner, et effectivement ça peut paraître "beau", car le ralenti, la longueur des plans et l'étrangeté des images leur confère une persistance sur tout le reste du film assez troublante, en tout cas on peut trouver ça sublime jusqu'à ce ça fasse franchement penser à (coucou Malick) de grosses pubs pour parfums. Ok, Justine est publicitaire, et c'est censé justifier cette imagerie grossière, mais si elle avait été productrice d'engrais à base de fientes, ces images auraient donné quoi ? Peut-être quelque chose de plus beau remarquez, ou bien des plans comme ceux qui nous présentent des insectes grouillants sortant de leurs terriers à l'approche de la catastrophe et que Von Trier laisse, eux aussi, tomber à plat. Parmi ces motifs ou idées énoncées, voire énumérées, lancées en l'air au petit bonheur la chance par le cinéaste et qui ne retombent jamais, quid du cheval de Justine qui refuse de passer outre le pont vers la forêt, et de mille autres étapes du scénario qui s'accumulent sans donner suite. A vrai dire ce n'est que pire quand l'idée retombe, dans un gros plat décevant, comme cette séquence où la jeune femme semble s'offrir, nue sur le rivage d'un lac, à la planète Melancholia, scène dont Von Trier ne tire qu'un beau tableau (ou un beau cliché à la Helmut Newton, plastique et glacé), rien d'autre, aucune puissance, aucun souffle, aucune implication, aucune émotion, rien. Mais pour en revenir aux plans matrice du début du film, malgré tout reconnaissons que c'est presque séduisant, que c'est un peu fascinant, surtout pour les attitudes qu'ont les personnages, leur mouvement étiré jusqu'au malaise. Mais c'est trop léché, trop affecté pour que cela "sidère" véritablement. Donc l'un dans l'autre ce Melancholia n'est pas franchement une réussite. Il y a des choses, des plans, des bribes d'idées, un bréviaire psychologique sur le phénomène de la mélancolie, un symbolisme brut de décoffrage, du romantisme allemand, des acteurs, des attitudes, mais plof. Comme toujours chez LVT quoi, rien de nouveau sous le soleil, même s'il abandonne à bon escient le côté dégueulasse d'Antichrist ou le misérabilisme de Breaking the Waves. Ce cinéaste n'est sans doute pas le génie qu'on dit et Dogville reste la vague exception dans sa filmographie qui confirme la règle.


Melancholia de Lars Von Trier avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Charlotte Rampling, Udo Kier et John Hurt (2011)