16 mars 2012

Bellflower

Envoyé spécial de prestige, Joe, rédac' chef de C'est Entendu, vous fait part de son avis tranchant sur ce film qu'il est allé voir en avant-première !

Bellflower
raconte l'histoire de Woodrow et Aiden, deux américains du Wisconsin, paumés en Californie et n'ayant pour unique occupation que la conception d'un lance-flammes et d'une bagnole post-apocalyptique inspirés par leur film favori (Mad Max 2) et par le personnage de Lord Humungus, le seigneur de guerre monstrueux auquel s'opposait Mel Gibson dans ce "culte" navet. Ces deux losers rencontrent vite Milly, une blondinette écervelée, et sa copine Courtney, qui n'a rien d'autre à offrir que ses nichons , lors d'une soirée de beuverie à deux balles (les personnages-acteurs passent de toute façon l'intégralité du film à boire). S'ensuivra une escapade "romantique" de Woodrow et Milly le temps d'un court road trip au Texas tandis qu'Aiden travaille sur l'attirail. Tout bascule, si l'on peut dire, lorsque la relation amoureuse des deux tourtereaux prend fin quelques jours ou semaines plus tard quand Woodrow trouve Milly en train de se faire trombiner chez lui par un autre type.


Voilà à quoi ressemble une romance de nos jours : deux trisomiques ivres dans une non-relation "mignonne".

Si j'ai pris la liberté de vous dévoiler une bonne partie de "l'intrigue", c'est parce que la médiocrité du scénario de Bellflower est telle qu'aucune notion de suspense ou d'anticipation ne survient jamais chez le spectateur. Pas seulement parce que tout est cousu de fil blanc, cliché, déjà-vu et indigne de votre intérêt, mais parce que le film démarre sur un flashback à rebours, qui donne au spectateur à voir, à l'envers, les principaux évènements et images qu'il s'apprête à dérouler. Une faute de goût, ai-je vite pensé, mais j'étais loin de me douter qu'en voyant certains éléments (ré)apparaitre à l'écran, là où le montage les aurait dû conserver, le public de la salle de cinéma se verrait surpris de les "découvrir". A faute, faute et demi puissance douze, puisqu'une bonne part de ces éléments-clés, dévoilés je le rappelle dès les premières secondes, se révèle vite imaginée, fantasmée par un Woodrow bien amoché, qui après avoir découvert le pot-aux-roses-fesses de sa Milly en pleine extase extra-confidentielle, se fait renverser à moto et finit avec la tête au carré et de vilaines idées dedans... mais je perds le fil, comme lui,... ah oui ! La médiocrité.



Aiden rêve d'être un hippie et de convaincre Woodrow. Cet anachronisme est choquant à l'heure où d'autres, de véritables cinéastes, ont su filmer les angoisses pré-Apocalyptiques avec un sérieux de rigueur.

Evan Glodell, réalisateur, scénariste, producteur et acteur principal était là, à cette avant-première qui expliquait, dans un américain dégueulasse (car à ce degré de tics langagiers bas-de-plafond, avec un débit syncopé et l'air de n'avoir aucune idée de ce qu'il fout là, on ne peut pas considérer que ce déchet de l'humain-là parlait anglais, ce qui avait d'ailleurs l'air de mettre très mal à l'aise le traducteur angoissé à ses côtés), perdu dans la nullité de sa réflexion, qu'il avait galéré pendant 7 longues années à Hollywood, n'y trouvant pas la gloire, avant de comprendre que le cinéma... MAIS SI BIEN SÛR c'était un métier pour lui et de réunir tous ses copains afin de les convaincre de mettre trois ans de leur vie et tout leur argent dans un film. Ce film. Un type derrière moi, à la fin du film a dit "Dire que le gars s'est ruiné pour ça...". Car en effet, si le film a été diffusé à Sundance (en Janvier 2011, où il a fait grand bruit), il n'y a rien gagné et son succès d'estime (même Les Cahiers du Cinéma ont aimé) pourrait être suivi d'un succès public tant ce qui est prôné à l'image va de pair avec ce qui plait, à priori, aux décérébrés qui prennent l'indépendance américaine au sérieux.


Pour vous donner une idée, dîtes-vous que ce film est à Drive (auquel certains le comparent déjà) ce que Faster Pussycat Kill Kill est à Easy Rider. Sauf qu'on voit pas tant de nichons que ça (mais ceux de Courtney, je les palperais volontiers).

Cependant, je pense que le film ne se vendra pas en salles. Parce qu'il ne fait preuve d'aucun charme et d'aucune élégance,... ce qui vu son propos ne devrait pas être un argument majeur, je vous le concède. Pourtant, le charme peut se cacher en d'innombrables lieux et se révéler après étude approfondie mais je prends le pari qu'aucune étude ne révèlera jamais rien de charmant à propos de Bellflower. Fait de bric et de broc, tourné par des branquignoles ahuris avec des caméras de fortune (ça n'est qu'un détail), c'est souvent avec une caméra à l'épaule, décadrée, branlante que sont filmés les rien-dits de Bellflower. Quand la caméra n'est pas trop occupée à faire des bonds au rythme des pas du cadreur ivre, quand l'image n'est pas simplement floue, en surbrillance ou en plan trop rapproché (les plans larges sont pratiquement exclus du film, en dehors peut-être de celui sur le fantasme d'une explosion nucléaire), on peut suivre à l'écran les aventures désespérément égocentriques et adolescentes d'une "bunch of fucking losers" comme dirait un américain, d'ailleurs. Woodrow EST Glodell EST Quixote. La bagnole et le joujou-à-flammes construits pour le "bien" du film l'ont avant tout été, on le sent, pour son propre plaisir et le film est l'écho chimérique de ce projet fantasmé, conçu envers et contre tout mais surtout pour rien. Un coup pour rien. De la même façon que Woodrow et Aiden ne feront rien de leur matériel (le fantasme dans le fantasme, celui du Woodrow cabossé qui s'imagine en Lord Humungus défiguré, brûlant les possessions de Milly l'infidèle, puis débarquant en trombe dans sa caisse maxi modèle pour ravager la blonde à même le sol, avant de laisser Courtney, sa groupie éplorée, se flinguer sans ciller, ce fantasme et celui qui clôt le film d'un saut vers l'apocalypse de la psyché, de la mort du loser pour devenir un seigneur, ne sont de facto que des fantasmes : en réalité, la voiture et le lance-flammes ne sont que des jouets futiles), Glodell ne fait rien de son film.



Le film a couté 17000 dollars. La moitié du budget est allée dans la voiture...

Ça n'est pas faute d'essayer, pourtant. On sent une envie mais on sait d'emblée (dès l'introduction à rebours et les premiers dialogues ineptes) que rien ne permettra à cette envie d'aboutir, ni les piètres compétences de Glodell et son équipe en matière d'écriture (la pauvreté du scénario n'est rien face à l'idiotie des dialogues plats, adolescents pipi-caca, au niveau zéro de l'humanité) ni le courage insuffisant dont fait preuve le cinéaste pour mener ses embryons d'idées à bon port. On peut aisément sentir poindre une once de chronique sociale, de cette jeunesse américaine désœuvrée, illettrée, ivre de rien et saoule de tout ce qui lui passe par l’œsophage, mais que nous en dit-on ? Si Glodell s'était révélé, avant la projection, différent du personnage qu'il campe, s'il avait dévoilé une vision, s'était montré moins nul, s'il s'était exprimé correctement, on aurait pu croire à cette chronique-là, mais à repenser à son apparition, on ne peut qu'exclure ce thème de ses projets. Le pauvre type aura donné dans la chronique sociale sans même le savoir ! Ces gosses paumés qui n'ont pour rêve qu'un fantasme d'apocalypse sont bien tristes à voir évoluer, tels des pantins sans cervelle, tous autant qu'ils sont qui ne parviennent à rien, ni à aimer, ni à se faire aimer, ni à être fidèles ni à être cohérents, ou sobres, qui ne savent pas agir sans violence, ne semblent pas avoir d'emploi (mais vivent dans des appartements et conduisent des voitures et font des achats quotidiens)... Ou de parents. Aucune figure d'autorité, ni police ni adulte de quelque sorte : on est en plein dans le fantasme. Un fantasme halluciné que Glodell voulait peindre avec psychédélisme, en impressionniste, citant Jim Morrison dans le texte et jouant sur la focalisation des plans comme il joue avec son lance-flammes : au jugé et sans filet. Seulement, rien dans le sujet de cette violence sourde n'appelle à la rêverie et au psychédélisme. On ne souhaite qu'une chose : que Woodrow devienne effectivement Humungus, qu'il saute le pas, que le rêve devienne réalité et que l'Apocalypse ait lieu. C'est sans doute là que le film déçoit le plus puisqu'après avoir ouvert les vannes, Glodell fait marche arrière et noie toute possibilité d'action dans un verre d'eau tiède.


...l'autre dans la bière.

Peut-être est-ce là d'ailleurs son véritable sujet : non pas la décadente errance d'éternels adolescents américains sans autre borne que le médiocre personnage secondaire d'un film indépendant raté elle-même, mais ce qui la met en images : le cinéma indépendant américain qui se regarde le nombril et ne traite que de lui-même. Ce cinéma "indie" puisqu'un parallèle avec les musiques dites "indie-rock, pop ou folk" actuelles (lesquelles partagent cette passion du rien-dit, de l'égocentrisme et du culte rétromaniaque du médiocre) peut être aisément fait. La (trop) longue séquence finale, au cours de laquelle Aiden essaie (encore !) de convaincre Woodrow de partir avec lui à l'aventure, avec le lance-flammes et la voiture, cette discussion qu'ils ont et qui aurait dû être le point de départ du film et non pas sa non-fin, résume parfaitement les défauts insurmontables de tout ce cinéma-là. Avec un vocabulaire monosyllabique, Aiden répète une dizaine de fois sa thèse, sachant peut-être que neuf fois de plus ne sont jamais neuf fois de trop pour faire rentrer une idée dans le crâne de son idole, c'est à dire son meilleur copain, un loser terminal, l'idée selon laquelle ils pourraient partir, tous les deux, sans le sou, du jour au lendemain, et advienne que pourra, même si l'Apocalypse ne vient jamais, et qu'ils auraient l'air cool dans leur voiture qui a l'air cool, avec leur lance-flammes qui a l'air cool ("looking cool" est effectivement répété dix fois). Cette proposition même pas bardée d'homoérotisme est celle d'un gamin à son copain de jouer le jeu des apparences au lieu de continuer à attendre Godot. Une profession de foi des "valeurs" du cinéma indépendant américain (et de la musique indépendante, partout), dans une large majorité : plutôt que de végéter, photographions le vide, photographions ce qui ne l'est jamais (c'est à dire notre propre ineptie, notre propre existence plane), faisons-le avec des moyens insuffisants, sans idée ni technique, et vendons-le à nos semblables, ils sont suffisamment nombreux pour qu'il existe un marché. On en viendrait presque à se poser la question de savoir si tout le monde a le droit de posséder une caméra. Certains devraient se cantonner au caméscope.


Bellflower d'Evan Glodell avec Evan Glodell, Jessie Wiseman et Tyler Dawson (2012)