Affichage des articles dont le libellé est Emily Browning. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Emily Browning. Afficher tous les articles

22 juillet 2019

Golden Exits

Alex Ross Perry se prend sans doute pour le digne héritier de John Cassavetes et Woody Allen, il n'en est pourtant que l'un des rejetons dégénérés. Le jeune cinéaste a beau être productif et enchaîner les petits films malodorants comme des pets fumeux, il n'est qu'au tout début de sa carrière et se répète déjà en boucle. On tient donc un nouveau film peuplé de personnages impiffrables qui se regardent le nombril et se livrent tour à tour à des séances de psychanalyses épuisantes. Tout se passe à Brooklyn, un quartier que le réalisateur filme comme s'il s'agissait de la septième merveille du monde, les américains étant décidément les meilleurs pour vendre les cloaques qui leur servent de mégapoles. Une jeune femme venue d'Australie, incarnée par Emily Browning, débarque à New York pour quelques mois afin d'aider dans son travail d'archivage un quarantenaire marié dont la particularité est d'avoir une énorme teub suintante et turgescente à la place du cerveau. Mais, à vrai dire, littéralement tous les personnages masculins deviennent obsédés par cette fille dès qu'ils la croisent et nous assistons à un enchaînement de scènes de basse-cour où l'on croirait observer des vieux chiens efflanqués renifler à tour de rôle le postérieur d'une femelle en chaleur sur les quais du vieux port. Un spectacle passionnant.




Pendant ce temps, les autres femmes s'interrogent sur la Vie, à travers des dialogues qui donnent envie de se pendre, de prendre immédiatement en grippe les personnages et leurs interprètes et, accessoirement, de détester l'humanité toute entière. Golden Exits est une horreur absolue qui pourrait faire haïr le cinéma à n'importe qui. Il faut tenir les enfants éloignés de ça. Alex Ross Perry nous livre une triste caricature de film d'auteur indépendant, avec des acteurs minables qui récitent leurs textes indigestes comme s'ils étaient menacés de mort, affalés sur leurs fauteuils dans le salon cosy de leur chic appartement, un énorme verre de Cabeurnet-Souvignone à la main. Chloë Sevigny fait particulièrement peine à voir là-dedans, avec ses airs de vieilles camées névrosées (ce qu’elle est in real life si sa page Wikipedia est exacte) que l'on a envie de voir disparaître à tout jamais. Si une civilisation extraterrestre tombe par hasard là-dessus, il est évident qu'ils débarqueront avec les intentions les plus belliqueuses à notre égard. A cause de ce con de film !


Golden Exits d'Alex Ross Perry avec Emily Browning et d'autres fumiers (2017)

10 mai 2014

Pompéi

Critique IRT (in real time) de Pompeii (prononcez « Pompé2i », comme «M2iB»). Critique IRT donc d’un film IRT. Oui car je l’ignorais mais Kiefer Sutherland joue dans ce film, et l’acteur réclame que tout ce qu’il tourne soit découpé en 24 épisodes d’une heure (dont 18 minutes de pub aux USA) et se déroule IRT. Paul W. S. Anderson, le réalisateur, n’a pas pu obtenir des studios de faire durer le film un jour, mais il a vite soulagé son acteur en obtenant de ses financiers que le récit s’étende grosso modo sur 24 heures de temps et que le film soit tourné de manière à donner l’impression au spectateur qu'il se déroule en temps réel. On a même droit, à intervalles réguliers, à la petite horloge jaune sur fond noir qui vient interrompre l’action pour décompter les secondes avec cet effet sonore aussi insupportable qu’inoubliable, imitant autant le tic-tact d’une bombe à retardement que les battements d’un cœur sous 700 bars de pression : skun-tcha, skoun-tcha ; skun-tcha, skoun-tcha, ad libitum.


"Mate un de mes films, Sátántangó par exemple, ça va te buter et j'aurai la paix fumier..."

Kiefer Sutherland incarne le grand méchant du film, à la tête d’une légion romaine qui, dans l’introduction, massacre un campement de rebelles celtes, une tribu d’adorateurs des chevaux et des cheveux, donc des écolos, donc des gentils. Un petit garçon est évidemment témoin de tout ça et voit, au ralenti, son père et sa mère se faire tuer. Il se réveille le lendemain du génocide (car il sera le dernier de sa lignée, c'est toujours plus terrible) sous un tas de cadavres et finit planté, les sourcils froncés, devant un bel arbre où les romains ont mis ses ancêtres à sécher comme des sauciflards humains. Séquence suivante, deux gros lards de romains à bouclettes en toges violettes, avec du laurier dans les oreilles et un grain de raisin au bout de chaque crayon, matent des combats de gladiateurs dans un semblant d’arène en plein cœur de Londinium. « J’en ai raaaaaaaaas le cul de ces Thraces de merde, je veux du nouveau ! », déclare le plus laid des deux. Soit mais fallait pas jouer dans un péplum vérolé qui prend ses bases sur l’ouverture du script de Conan le barbare, qu’on croit revoir vingt ans après, remaké par des bras cassés dans une esthétique hideuse qui croit devoir s’inspirer du 300 de Zack Snyder, et surtout avec un sérieux pitoyable aux antipodes des excès ironiques et bravaches de John Milius, qui faisait tuer un chameau innocent à son Schwarzenneger d’un seul coup de poing idéalement placé pour mieux nous dérider. Au lieu de ça, Paul W. S. Anderson espère nous identifier à un énième idiot du village comme Hollywood nous en fournit tant ces derniers temps, j’ai nommé Kit Harington, surnommé tout au long du film "le Celte". Son entrée en scène, qui est aussi son entrée dans l’arène, pectoraux luisants toutes voiles au vent et barbe de trois jours finement taillée à la serpe, ainsi que les gros plans sur sa tronche de cake en train de hurler au ralenti en filant des coups d’épée dans ses dix adversaires balayés en deux temps trois mouvements, donnent le ton. Comment peut-on encore tourner des conneries pareilles ?


Ce type-là, marchand d'esclaves couard et perfide, qui soudoie un garde pour monter seul dans un bateau au moment de l'éruption, finit par recevoir une énorme boule de feu sur les anglaises.

Troisième séquence et le Celte, ce débile profond, prénommé Milo (non, pas comme Michael Caine dans Le Limier, plutôt comme un clebs de compagnie), réduit en esclavage et tiré à l’aide d’une chaîne par un type désagréable qui grogne à chaque fois qu’il donne un petit coup sec sur ladite chaîne, va soigner un cheval blessé (en fait lui rompre la nuque d’un coup sec pour abréger ses souffrances). Dame Cassia, pintade locale jouée par une Emily Browning tout simplement effrayante, aime aussi beaucoup les chevaux (comme on le verra plus tard dans une belle scène aux côtés de son fidèle écuyer noir, Félix, qui sera la première victime du volcan ; on ne peut pas tout faire, être un valet noir de troisième zone dans un grand spectacle hollywoodien et espérer survivre à la première demi heure), descend de son carrosse et vient aider l’esclave celte à tenir le canasson pour qu’il puisse lui rompre l’anévrisme sans difficulté, tombant aussitôt amoureuse de ce bellâtre au grand cœur et aux gros muscles. Après une bagarre de chambrée entre notre Celte et un Thrace très costaud (pas jouasse depuis que son nouveau coloc a tué son frère, prénommé Female, dans un combat de cage), Milo fait la rencontre d’Atticus (non, pas comme Gregory Peck dans To Kill a mockingbird, plutôt comme un esclave noir). Atticus est un gigantesque esclave, noir. Scarifié, les yeux écarquillés dès qu'il cause et la voix sortie en ligne droite des tréfonds de son propre slip (alors qu’il n’en porte pas), notre gladiateur émérite est interprété par Adewale Akinnuoye-Agbaje (qui non content d’avoir un nom compte putain de triple au Scrabble, joue la comédie comme quand on a quatre ans et demi et qu’on fait semblant d’être méchant, donc toujours très énervé, dents serrées et grimace merdique à la clé). Et pendant ce temps le volcan commence à se réveiller en douceur.


Je me demande si un seul type dans l'histoire de l'humanité a déjà parlé en faisant cette moue, même un type vraiment furax.

Chaque réplique qu’échangent Milo et Atticus est un délice d’innovation. « Ne t’inquiète pas le Celte, si je voulais te tuer, je l’aurais déjà fait ». Bien envoyé. Dans les dents. D’ailleurs tous ces gens ont des dents parfaites, d’une blancheur éclatante, divinement alignées, fou pour des esclaves et pour l’époque non ? En même temps les deux créature féminines du film sont donc Emily Browning et Carrie-Anne Moss, deux êtres de sexe féminin dont le morphotype me semblait pourtant assez clairement estampillé XXIème siècle. A quand Jennifer Aniston en Marie-Antoinette ? Ou Nicole Kidman, avec sa vieille tronche entièrement fondue et remoulée, dans la peau de Grace Kelly ? Mais revenons à nos deux gros cons. Voilà que débarque une scène de baston très longue dans l’arène, mais qui n’est qu’un entraînement, une répétition générale avant le combat du lendemain devant un public en délire. Ou comment faire deux scènes avec une seule histoire de remplir, d’en donner pour son argent au spectateur mâle en sueur venu en prendre plein la vue, et de ne pas montrer quand même qu’une foule de citadins cramés par la lave, car au fond c’est juste ça Pompéi. Bel échange ensuite, de retour dans la geôle : « Je peux te faire une promesse. Quand tu mourras, le souffle viendra de devant, et il viendra de ma main ». Réponse de Milo à son adversaire du lendemain : « Je peux te faire une promesse aussi, quand tu mourras, ta mort sera rapide, et elle viendra de ma main ». Échange de regards entendus et fondu au noir (au sens technique du terme, pas au sens d'un fondu sur Adewale Akinnuoye-Agbaje).


J'ignore qui fait le plus peine à voir.

Retour de Kiefer Sutherland, toujours aussi bon comédien, qui a bien fait de signer pour une 9ème saison de 24 étant donné l’odeur fétide qui se dégage de sa filmographie en décomposition depuis une bonne quinzaine d’années. Il prend ici un accent pointu qui, couplé à sa voix rauque, lui donne un air con de première qualité. Mais on sent que son personnage ne sera pas très fouillé, tandis que du côté des gladiateurs trépanés ça discute sec en taule : « Ton bras gauche est plus faible que le droit » lance Atticus dans un éclair de génie. « Sans déc’ ! » répond l’autre, à cran. Après quoi on a droit à la minute clins d’œil appuyés à mes films préférés dont les dvds sont affichés sur trépieds dans mon entrée de Paul W.S. Anderson. C’est d’abord le gladiateur noir qui lâche « Why so serious ? », réplique fétiche du Joker de Nolan, puis la servante, noire elle aussi, d’Emily Browning, qui parle du héros à sa maîtresse en l’appelant « l’homme qui murmurait à l’oreille des chevals ». Fin de la minute clins d’œil de dingues, travaillée au cordeau, puisque nous découvrons désormais que Kiefer Sutherland, aka le sénateur Corpus, probablement menacé par un attentat terroriste, comme tout sénateur dans un film impliquant Kiefer Sutherland, veut épouser Dame Cassia, évidemment éprise quant à elle de Milo, l’esclave celte condamné aux fers. Et, dans ce remake misérable du Gladiator de Ridley Scott, bientôt teinté de relents de l’ineffaçable 2012 de Roland Emmerich, on sent se profiler un combat à mort entre les deux queutards dans la ville en flammes, tel celui qui opposa Leonardo DiCaprio à Billy Zane sur le Twitanic englouti de James Cameron.


Le taulard enfermé depuis un brin trop longtemps.

Retour dans la cellule des deux gladiateurs et premier tremblement de terre, minime encore, mais suffisamment fort pour faire tomber un gode grossièrement taillé, et à visage humain, que notre ami Atticus avait érigé bien en évidence contre un mur de la pièce, sur une sorte d'autel, entouré de quelques chandelles comme autant d’invites à la relaxation. Kit Harington, qui vient de recevoir quinze coups de fouet pour avoir parlé non seulement à un cheval mais à Dame Cassia, et que son nouveau pote soulageait à l’instant de ses douleurs en lui épongeant gentiment le dos, fait une grimace inimitable en découvrant le pot aux roses. Malaise. Puis la conversation repart comme si de rien n’était quand Djimon Hounsoun II, tout en ramassant le godemichet pour le remettre à sa place, et sans épargner à son collègue de zonzon un regard ô combien concupiscent, raconte à son frère ennemi que Rome lui a pris toute sa famille et qu’il les rejoindra tôt ou tard dans le royaume de Zeus. S’ensuivent d’interminables scènes de combat, si longues qu’il ne reste bientôt plus que 35 minutes (sur 1h45) au Vésuve pour rétamer Pompéi. Ou un peu moins, puisqu’en voyant un énorme champignon de fumée et de cendre sortir du cul du volcan, et alors que le sol se dérobe sous ses pieds, Milo n’a qu’une idée en tronche, continuer à cogner sur le bras droit du grand méchant (sur le serviteur du sénateur si vous préférez, il ne cogne pas littéralement sur le membre supérieur droit de Kiefer Sutherland), qui jadis tua son papa.


Le fameux gode en glaise d'Atticus.

Je vous passe la fin en real time mais en accéléré : le volcan casse l’ambiance et le champion de Pompéi et des zonards sauve la belle Cassia de la prison où le sénateur l’avait cloîtrée (ils auront quand même le temps de regarder la servante noire tomber dans un éboulement). Quant à Atticus, il aperçoit une mère séparée de sa fille dans la foule et sauve l’enfant du tsunami qui s’abat sur la ville, en bon samaritain qu’il est, nous donnant droit au fameux regard terrifié par-dessus l’épaule de l’acteur noir qui va bientôt crever (pour lequel tout cinéaste doit payer des royalties à Roland Emmerich). Millième jabar dans l’arène, sous les projections du volcan, où le héros crie le nom du méchant qui ne se tient pourtant qu'à cinq mètres de lui, où ledit méchant se barre pour échapper aux éruptions du volcan en promettant à ses centurions très cons 100 dinars s’ils tuent son ennemi juré quitte à y passer aussi, et où le bon copain noir se sacrifie enfin pour le héros, tuant le bras droit très costaud mais muet (ou juste très bête) du sénateur. Combat terminal du gentil contre le méchant, puis baiser final du couple héroïque qui préfère sauver un cheval que se sauver lui-même et qui finit très logiquement en cendres (un peu comme si Jack et Rose, à la fin du blockbuster de Cameron, avaient préféré se geler les amandons en couple pour ne pas faire couler l'armoire).


Quand Paul W. S. Anderson a textoté Roland Emmerich pour lui demander s'il pouvait utiliser son plan-signature, Emmerich a répliqué : "Tu ferais mieux de pas signer le chèque si t'as pas le fric en caisse".

Il fallait bien Paul W. S. Anderson, véritable cas clinique, pour filmer le déclin d’une population assez conne elle-même pour aller s’installer au pied d’un immense volcan en activité. Le réalisateur de Mortal Kombat, d'Event Horizon, des trois (et bientôt quatre) Resident Evil et d’Alien W. S. Predator, est forcément un type pas totalement réfractaire à l’idée de recevoir des jets de pierre et autres torrents de boue. On raconte que, lors de quelques avant-premières électriques de ses précédents films, des gens auraient lancé des cigarettes incandescentes sur ses vêtements dans l’espoir qu’il prenne feu. Un type particulièrement décidé lui aurait même envoyé une véritable torche enflammée, objet pourtant pas évident à introduire discrètement dans un UGC. En tout cas, et ça ce n’est pas une rumeur, sur le tournage du film, Kiefer Sutherland, qui n’a pas non plus dix tonnes de scènes et qui les a toutes mises en boîte en une journée, a déclaré aux journalistes : « I'm federal agent Jack Bauer, and today is the longest day of my life ». Impossible de savoir s’il a dit ça par simple habitude ou si vraiment cette journée de tournage était pire que les pires 24 heures de la vie de merde de Jack Bauer.


Pompéi de Paul W. S. Anderson avec Kit Harington, Kiefer Sutherland, Emily Browning, Carrie-Anne Moss et Adewale Akinnuoye-Agbaje (2014)

18 novembre 2011

Sleeping Beauty

Nônon Cocouan, rédactrice récurrente du blog et critique affutée, se joint à moi pour vous parler de Sleeping Beauty.

Ce film est d'une nullité insondable. C'est un film de la pire espèce, qui se prend pour ce qu'il n'est pas, et ça se voit… Je ne dis pas que c'est le film le plus mauvais qui soit, il y a bien pire évidemment, je dis simplement que c'est le genre de film que nous maudissons parce qu'il est vide, scolaire, pompeux et prétentieux au possible, et peut créer chez le grand public une haine profonde du cinéma d'auteur, justifier l'expression si laide et si exaspérante, souvent employée à tort mais malheureusement parfaitement adéquate ici, de "branlette intellectuelle". Julia Leigh, l'écrivaine australienne qui a réalisé cette parfaite purge, semble s'astiquer le ciboulot et s'exciter sur trois idées étalées par une mise en scène qu'elle voudrait moderne - comprendre froide et contemplative, avec de longs plans-séquences fixes - sans se rendre compte que la théorie ne suffit pas à faire un bon film.



Il est évident que la réalisatrice souhaite éviter les écueils d'une narration un peu trop classique en laissant de côté des scènes trop explicatives ou informatives, sauf que ce qu'elle conserve ressemble finalement à une succession de scènes coupées sans le moindre intérêt, autant de séquences qui ne pourraient même pas servir de transitions dans un film réussi et qui sont en fin de compte dénuées de réel intérêt plastique ou émotionnel. En gros elle ne parvient jamais à surmonter la difficulté du cinéma moderne et se vautre dans son piège le plus évident, celui de l'insignifiant pur et de la vacuité, un cinéma moins de scénario que d'idées mises en images en tant que telles via un symbolisme accablant et une esthétique sans vie. L'effet scène coupée concerne surtout la partie du film concentrée sur le quotidien creux de l'héroïne, à quoi s'oppose un autre régime narratif, que l'on appellera "porno chic" et qui réunit les actes de prostitution dans un milieu bourgeois, avec des plans plus léchés et un esthétisme forcené qui n'apportent aucune plus-value au film. C'est forcément là qu'on attendait la réalisatrice, sur ces scènes dangereuses où la belle au bois dormant est aux prises avec des vieillards lubriques : manifestement Julia Leigh veut jouer de la comparaison entre corps jeune et corps vieux dans tous ces moments répétitifs où un client joue avec sa pute comme avec une poupée, où tel autre l'insulte en la léchant faute de mieux et où un troisième essaie de la porter avant de tomber, le tout constituant une métaphore filée sur l'impuissance, une métaphore trop filée et rapidement lourdingue. La réalisatrice, pour ne pas tomber dans le voyeurisme, en fait des tonnes sur sa pseudo-froideur dans des séquences où rien n'affecte la pellicule. C'est à se demander comment Julia Leigh parvient à réussir ce prodige de ne strictement rien produire avec un tel sujet... Ni dégoût, ni désir honteux, ni abjection, ni rien.



Au point qu'il nous est difficile de bien comprendre comment la grande majorité des gens qui ont vu le film peuvent le qualifier d’œuvre "dérangeante", car rien ne dérange dans ce scénario faussement social et prétendument provocateur (à part éventuellement la scène où l'héroïne se fait lécher le visage par un triste type tandis qu'elle dort, et encore). Pour en revenir à des considérations plus générales, sur le papier on a des personnages désaffectés, a-psychologiques, pris dans une histoire elliptique et lâche qui voudrait embrasser un sujet lourd et délicat filmé avec distance… Concrètement on ne comprend d'abord pas grand chose au projet, on ne comprend pas beaucoup plus les détails de l'histoire, le regard de la cinéaste est d'un superficiel accablant, le tout d'un ennui et d'une indigence artistique comme intellectuelle qui laisse béat, qui laisse surtout platement et irrémédiablement insensible. La raison principale du désintérêt total que l'on porte à la beauté dormante du titre et à son parcours, c'est qu'on se fout éperdument du personnage et de ceux qui l'entourent, quand on n'espère pas carrément qu'une bombe explose au milieu du plan et qu'on en finisse avec ce trop long métrage poseur et interminable. Je dis ça en particulier pour l'ami de l'héroïne, nommé Birdyman (si c'est bien seulement son ami, je n'en suis pas sûr car encore une fois on ne comprend pas tout à l'histoire), qui lui propose de regarder un porno comme d'autres proposent de faire un scrabble (le sexe est banalisé, neutralisé, on aura BIEN pigé l'idée). On ne comprend pas davantage les liens qui les unissent quand elle le demande en mariage et se couche près de lui nue en pleurant, pour l'écouter déblatérer des tirades allégoriques désespérantes devant un documentaire sur des rats.



On ne comprend rien mais c'est en réalité parce qu'il n'y a rien de particulièrement riche à comprendre. Ou plutôt n'y a-t-il que cela à faire, essayer de tirer des interprétations plus ou moins fumeuses de ce scénario nébuleux, et paradoxalement, au bout du compte, on ne comprend que trop où veut en venir la réalisatrice avec ce film ni fait ni à faire. On ne comprend que trop ce qu'elle veut déballer avec le portrait de cette fille sans émotions apparentes, détachée de son propre corps, qui se vend pour payer ses études et qui est à ce point déconnectée du monde affectif qu'elle propose à des types rencontrés en soirée de les sucer pour ensuite les demander en mariage. On ne comprend que trop que cette fille handicapée émotionnellement profite de son corps soi-disant parfait pour s'en sortir en fréquentant des types handicapés physiquement (impuissants) et contraints de payer pour côtoyer un corps désiré ; on ne comprend que trop la minuscule idée qui a foutu le boxon dans le cerveau de la réalisatrice, ce gros gloubi-boulga sur le sujet du corps, du désir et de la jouissance qui pourrait être intéressant avec quelqu'un d'autre derrière la caméra. On ne s'attend que trop à voir la fille péter un plomb vers la fin du film et voir son trop-plein affectif déborder dans une crise de larmes violente…



Tout cela est cousu de fil blanc, clair comme de l'eau de roche, fabriqué, factice. A l'image de la mise en scène. Le risque est grand à réaliser un film très formaliste et très épuré quand les plans sont aussi immensément laids (certains cadrages font mal) que sans intérêt, et quand le propos est aussi lourdement surligné. Chaque personnage est un concept de personnage, énigmatique et silencieux, prononçant des phrases tantôt absconses et d'un sibyllin à toute épreuve tantôt navrantes de simplicité, des freaks loufoques et improbables dont on n'a strictement rien à faire et qui se veulent originaux alors qu'on a le sentiment de les avoir déjà croisés dans un tas d'autres films aussi désespérants que celui-là (je pense par exemple à Canine, pour prendre un film dont j'ai parlé ici récemment). Tout ce que tente Julia Leigh avec une fierté ostentatoire tombe à plat dans un bruit sourd, celui que fait le guano, l'excrément visqueux et blanchâtre de l'oiseau-marin, en s'écrasant sur la visière cartonnée de la casquette des touristes. Je pense par exemple à cette scène dans un bar, la nuit, où Emily "chuppachups" Browning dit à un type : "J'ai très envie de sucer votre bite". Julia Leigh aimerait que cette phrase nous choque et nous surprenne dans la bouche d'une telle femme-enfant, dont le corps immaculé est d'une blancheur inquiétante et qui mesure 1m10 bras levés, mais ça ne marche même pas, car l'actrice, ainsi salement filmée, n'a plus que le visage vulgaire de toutes les top modèles hollywoodiennes actuelles - contrairement à Mia Wasikowska, initialement prévue dans le rôle et qui s'en est intelligemment tenue écartée pour préférer jouer dans le dernier Gus Van Sant. On ne s'étonne ni ne s'émeut donc de voir Emily Browning désirer sucer des bites au hasard, c'est quand même un comble...



L'actrice justement, parlons-en, elle qui a un visage si "plastique" qu'elle peut fasciner, y compris dans un film aussi dénué de sensualité. Son visage est si intriguant que nous la fixons régulièrement pour tenter de cerner d'un seul coup d’œil enfin l'ensemble de sa physionomie et de percer ce qui dans ses traits retient notre regard, et c'est ainsi que nous tenons le coup devant un film insupportablement pontifiant et creux, grâce au seul pivot d'observation que représente cette comédienne. On peut peut-être affirmer qu'avec une actrice moins originale le spectateur ne tiendrait pas plus d'un quart d'heure devant cette somme de banalités, de faiblesses, de clichés et d'images laides. On sait que Julia Leigh a vu et aimé l'immense Eyes wide shut de Kubrick, on l'a vu et aimé nous aussi, mais qu'elle le revoie, par pitié, ou n'essaye plus jamais de s'en inspirer. Et si notre amie veut traiter du désir, de la jouissance, des corps utilisés comme moyens ou réduits à de simples valeurs marchandes, qu'elle aille voir Vénus noire, ou L'Apollonide, et constate son échec cuisant dans un domaine où la concurrence contemporaine l'enterre six pieds sous terre.


Sleeping Beauty de Julia Leigh avec Emily Browning (2011)