30 novembre 2011

Hara-kiri

Il m'a manqué un petit quelque chose pour adorer plus franchement encore cet Hara-kiri de Kobayashi - grand cinéaste japonais auteur de Kwaïdan, sorti un après, en 1964 - c'est pourtant un très bon film, et déjà c'est pukku. Avec ce film, le cinéaste japonais critiquait férocement le pouvoir tel qu'on le conçoit dans son pays en s'attaquant à la féodalité et au code d'honneur de l'ère grandiose des Samouraïs. Hara-kiri raconte l'histoire d'une chaude journée - le 23 juin 1630 - de Hanshiro Tsugumo (Tatsuya Nakadai), un Rônin, samouraï sans maître, désœuvré et miséreux en ces temps de paix. Parvenu dans la résidence d'un seigneur, Hanshiro lui demande l'hospitalité pour commettre le hara-kiri, dernier recours du samouraï sans contrat déshonoré, dans la cour de son château. Pour le dissuader, le chambellan de la seigneurie raconte à Hanshiro l'histoire d'un autre rônin qui vint faire la même demande en espérant qu'on l'engage et qui, face au refus du seigneur, fut contraint de faire seppuku avec un sabre en bambou, ayant vendu son véritable sabre pour survivre à la famine.




Mais, et c'est là que j'en dis trop sur l'histoire et que ceux qui ne veulent pas se laisser gâcher le suspense peuvent sauter vers le paragraphe suivant, qui ne dévoilera rien, Hanshiro révèle alors au chambellan qu'il connaît bien l'histoire de ce rônin, et pour cause puisqu'il n'était autre que son gendre, et il raconte comment il a commencé à le venger et, pour ce faire, tranché les chignons (humiliation suprême) des trois samouraïs responsables de sa mort. Horrifié et choqué par les crimes de son hôte, le chambellan ordonne à ses hommes de le tuer, mais Hanshiro se défend dans un combat final magnifique, dont il ressort vaincu, abattu d'une balle de fusil, non sans avoir démoli la grande armure de samouraï exposée comme un trésor dans le château, symbole fier et désincarné de la puissance et de la droiture du code d'honneur des samouraïs. Afin de préserver ce code et de ne pas déshonorer le bushido, le chambellan force ensuite les survivants du combat, ses propres soldats, à se supprimer, afin que le secret de cette journée soit préservé, que rien ne vienne faire outrage à l'ordre des samouraïs, et pour mieux préserver les apparences d'un honneur dont Hanshiro a démontré la bassesse et la cruauté.




Cette mise à mal de l'absurdité du code d'honneur samouraï, soit du plus grand chapitre de l'Histoire nippone, sorte de paroxysme sidérant de la culture japonaise, ne manque pas de panache et se déploie dans une tension palpable, qui passe notamment par l'acteur principal, Tatsuya Nakadai, superbe d'intensité et de présence d'un bout à l'autre de l’œuvre. Tenant Kenji Mizoguchi pour le plus grand cinéaste japonais de tous les temps, et donc pour un réalisateur plus génial encore que le pourtant immense Akira Kurosawa, je pourrais reprocher à ce film de manquer cependant de vie, sinon à l'intérieur du cadre, du moins dans les mouvements de ce dernier. Car si l'acteur Nakadai insuffle au film une énergie ravageuse, j'aurais préféré que la mise en scène de Kobayashi fût directement à l'origine de ce souffle, car on peut lui trouver un statisme et une rigidité conformes au code qu'il dénonce et dont il pointe si génialement les faiblesses.




Co-écrit par Shinobu Hashimoto, le scénariste de Rashomon et des Sept Samouraïs, le film de Kobayashi donne souvent l'impression d'être une œuvre de Kurosawa - on a vu pire comme critique - très stable, très nette, très lente, très marquée jusque dans sa stature par cette culture japonaise qu'il représente avec fascination. Il y a finalement plus de vie dans la rage contenue de l'acteur principal ou dans le visage de tel enfant saisi sur le vif que dans la caméra qui les filme. Chez Mizoguchi la vie va et vient dans un mouvement permanent entre ce qui se passe dans l'image et ce que cette dernière crée, comme dans Les Amants crucifiés, quand Moheï court embrasser la cheville de sa maîtresse qu'il aime en bas de la colline, suivi par un travelling que je n'oublierai jamais et qui me bouleversera toujours, ou comme dans Les Contes de la lune vague après la pluie, quand les enfants sont séparés de la mère et de la tante au début du film, et que la caméra court avec eux en travelling le long de la plage et des éclaboussures que font leurs pieds en frappant l'eau : il y a une là une puissance et une beauté rarement égalées dans l'histoire du cinéma.




Mais c'est une autre affaire, et je cesse de digresser pour revenir au film de Masaki Kobayashi, qui est néanmoins un excellent film, dont l'esthétique froide et statique est cependant vibrante, subtile et violente, par exemple dans les changements brutaux d'échelles de plans quand, aux cadres larges sur les espaces vides épurés, succèdent des cadrages très rapprochés sur les visages en sueur recelant quantité d'expressions bouillonnantes. Un plan en particulier m'a interpellé (beaucoup de plans valent le détour, par leur justesse ou par leur rudesse, peu importe, je veux parler d'un plan qui m'a semblé dénoter vis-à-vis des autres, changer de ton, changer de rythme, créer un vrai mouvement par lui-même), c'est un plan sur des herbes hautes balayées par le vent, durant le flash-back du combat contre le troisième coupable. Ce plan m'en a évoqué un autre, dans Sous la pluie, un film de 1999 de Takashi Koizumi (ancien premier assistant de Kurosawa, qui tourna le dernier scénario de son maître après sa mort). Ce film-là, très simple mais tout-à-fait intéressant, parlait aussi d'un samouraï déchu en quête de maître car soucieux de se racheter un honneur et de nourrir sa famille. Tout le film était droit, posé, épuré, lent et tranquille. Sauf un plan, où l'on voyait un genre d'oiseau à grandes pattes, debout au milieu d'une rivière traversée dans le plan précédent par le rônin et son épouse partis en exode. La caméra filmant cet oiseau en équilibre sur une seule patte était quant à elle en déséquilibre notoire et tremblotait au-dessus des tourbillons de l'eau. C'était un très bête plan de coupe, peut-être réalisé par un assistant, et sans doute que le tremblement de la caméra n'était pas voulu au départ, voire qu'on l'avait regretté au montage, mais il était aussi rassurant que touchant au milieu d'une série de plans fixes et stables, maîtrisés, et c'était de très loin le plus beau plan du film. Il en va peut-être de même pour le plan de coupe sur les herbes hautes fouettées par le vent de Kobayashi, dont le film est par ailleurs remarquable et qui compte bon nombre de plans admirables. Un film que je vous recommande avant d'aller découvrir le remake de Takashi Miike.

P.S. A ceux qui m'auront lu jusqu'au bout, je dis merci pukku.


Hara-kiri de Masaki Kobayashi avec Tatsuya Nakadai, Akira Ishihama et Shima Iwashita (1963)