23 mai 2011

Entre les murs

En 2008, bonne ambiance sur la Croisette. Président dilettante, Sean Penn avouera trois mois après le festival n'avoir vu que deux films de la sélection. Faut dire que le jury avait mieux à faire. Quatre hommes, quatre femmes, quatre couples. Pas besoin de faire un dessin ni de préciser que c'est le malheureux petit Apichatpong qui a tiré le gros lot, à savoir Marjane Statrapi. En tout cas la présence en tant que jurées de Natalie Portman et d'Alexandra Maria Lara aura facilement détourné le président et ses hommes des films et de la compétition, on les comprend. Mais ça n'enlève rien à la qualité du film primé, le premier français lauréat à Cannes depuis 1987 et Sous le soleil de Satan de Pialat. Créant la surprise, le film quasi-documentaire de Laurent Cantet a séduit le jury à l'unanimité. Étonnant qu'un film où l'on passe deux heures enfermé dans la salle de classe d'un collège français tendant vers la ZEP ait pu toucher l'ensemble d'un jury cosmopolite dont les membres n'ont jamais mis les pieds dans un collège. Nul doute que cela tient à l'universalité du sujet et à la force d'immersion de la mise en scène : Cantet semble choper la vérité et le naturel sur le vif, d'où l'aspect documentaire du film et sa capacité à nous captiver. C'est étonnant mais Entre les murs (retitré "Intramuros" au Québec), même pris en cours, même déjà vu, a le don de nous scotcher, comme Die Hard 3 de McTiernan, avec lequel il partage de nombreux points communs, mais nous n'en dirons pas plus.


Sur le tournage, Laurent Cantet, avoue qu'il a "eu peur" et qu'il a pensé à "instaurer des quotas", des propos que je refuse de "conditionner".

Tous les personnage du film sont intéressants et attachants. A la fin on signerait volontiers pour une année scolaire de plus avec eux. Et quand Souleymane passe en conseil de discipline et se fait exclure du collège, on est triste pour lui, pour nous aussi parce qu'on ne le verra plus, et on se dit qu'il mériterait tellement mieux. Cantet arrive à faire d'un conseil de discipline un bon moment de cinéma, ce qui n'était pas donné. Il arrive même un instant à nous donner envie d'enseigner dans ce genre d'établissement et d'avoir affaire à ces élèves bourrés d'énergie, impertinents et même carrément épuisants. On plaint le professeur en même temps qu'on aimerait être à sa place, et ça c'est fort. On peut prétexter que ça ne se passe peut-être pas tout à fait comme ça dans une classe comme celle-là, n'empêche qu'on a la conviction en regardant le film d'être face à la vérité et que le cinéaste nous plonge au cœur des choses.


François Bigoudi alias l'Enclume du PAF

Ce film réussit en outre le prodige de nous intéresser à François Bégaudeau, écrivain, chanteur, acteur, journaliste, réalisateur, critique, producteur de cinéma français et ex-prof de français en ZEP, né le 27 avril 1971 à Luçon, en Vendée. J'avoue avec mon air con et ma vue basse qu'aussitôt après avoir vu le film j'ai acheté le roman de Bégaudeau qui l'a inspiré. Ça ne m'était plus arrivé depuis Les Dix commandements de Cecil Blount DeMille, qui m'avaient poussé en 1956 à acheter la Bible, roman illisible et décousu qui m'a franchement déçu. Le livre de Bégaudeau était pas mal mais il n'avait pas les qualités d'un film : un film ça se mate en une heure et demi, sur un écran... bref il n'avait pas les qualités toutes bêtes d'un film. Son livre n'avait pas le corps du film, c'était un squelette et Cantet en a fait un obèse sympathique et inoubliable. Aussi mon amour pour Bégaudeau n'a duré que deux semaines, après quoi je me suis rendu compte qu'il était sur toutes les télés du monde, prompt à donner son avis sur tout avec un aplomb un peu puant. En revanche je regrette de ne pas avoir pu me foutre un nouveau Cantet sous la dent depuis cette Palme méritée. D'habitude on dit : "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles", mais on se fait un peu de souci pour le réalisateur qui n'a pas donné signe de vie depuis son prix. Espérons qu'il n'a pas été confondu avec Bertrand Cantet, le chanteur meurtrier de Noir Désir qui a ramassé sa femme.


Entre les murs de Laurent Cantet avec François Bégaudeau (2008)