10 juin 2011

Les Chemins de la liberté

Peter Weir est un cinéaste qui prend son temps, et c’est une denrée de plus en plus rare à Hollywood. Dans la vie et dans ses films, c’est à l’évidence un type qui n’aime pas se presser. Le réalisateur australien, officiant aux Etats-Unis depuis maintenant près de 30 piges, a donc mis 8 ans avant de sortir un nouveau film après son fameux Master and Commander. Si ce dernier n’avait pas été un franc succès, on aurait ainsi pu dire que le cinéaste a vécu une longue traversée du désert, à l’image, littéralement, de son groupe de personnages dans le film qui marque son retour tant attendu : Les Chemins de la liberté (The Way Back en vo, soit Le Demi-Tour en québécois). Peter Weir retrace en effet le périple d’une bande de prisonniers échappés d’un camp de travail sibérien en 1940 et bien décidés à regagner un pays où ils seraient libres. D'où le titre, astucieux. Ces hommes, partis du nord de la Sibérie, se donnent ainsi pour objectif d’aller à pieds jusqu’en Inde, après avoir constaté avec effroi que la Mongolie était désormais une alliée de l’Union soviétique et ne constituait donc plus une terre d’accueil en accord avec leurs désirs de liberté. D'où le titre, là aussi astucieux. Plus tard rejoints par une jeune fille de 15 ans mais qui ressemble déjà à une catin avec 15 ans d'expériences sexuelles intenses, ces grands randonneurs devant l’éternel traverseront quasiment tous les types de paysages possibles, des montagnes enneigées de la Kolyma à l’étendue désertique de Gobi, en passant par les steppes arides d’Asie centrale et les eaux limpides du Lac Baïkal, offrant ainsi à Peter Weir l’occasion de nous croquer avec un savoir-faire évident des images de toute beauté, sans jamais aller jusqu'à la véritable contemplation.


Peter Weir, l'homme au béret, se mime ici en train de palper le cul de Saoirse Ronan, aux côtés d'un conseiller, spécialiste en climatologie et en culs juvéniles. Vieux pervers.

Évadés de leur camp en pleine tempête et dans un froid polaire, les personnages devront en outre faire face à quasiment tous les grands types de climats enregistrés sur le sol terrestre, puisqu’ils devront aussi affronter la chaleur la plus extrême ainsi que des ours libidineux au cours de leur folle randonnée. On raconte que le vétéran Peter Weir a passé tout le tournage du film avec un manuel de géographie physique sous un bras et le livre controversé de Slawomir Rawicz, A Marche forcée, sous l’autre. Bien qu’il prenne quelques libertés avec le second, le réalisateur natif de Sydney illustre le premier avec application et passe strictement tous les climats en revue, à l’exception des climats tropicaux et subtropicaux. Le metteur en scène aux allures de vieux prof de lycée fatigué nous livre donc un film pluridisciplinaire à recommander à tous les enseignants d’Histoire-Géographie, ces derniers pourraient le diffuser en classe pour tuer le temps en attendant les grandes vacances.


Communiste à la ville comme à l'écran, l'acteur n'a pas souhaité retirer son tatouage bien qu'on lui ait dit que le camarade Staline n'a pas fait que du bien à son idéologie chérie.

Avec un classicisme élégant, efficace mais rarement surprenant, Peter Weir s’attarde surtout à nous dépeindre les caractères de ces personnages auxquels on s’attache progressivement. Comme c’est désormais rarement le cas dans les films américains, ces individus et leurs secrets nous sont dévoilés sans hâte et avec subtilité, ce qui participe à rendre le film captivant du début à la fin, bien qu’il dépasse les 2 heures. On peut toutefois reprocher au héros, le meneur de la troupe, d’être un peu lisse. Il est d’ailleurs incarné par un acteur dont le nom m’échappe (d'après l'affiche, je dirai qu'il doit s'agir de Jim Sturgess). Peut-être aussi est-il légèrement éclipsé par celui campé par le charismatique Ed Harris, impeccable dans le rôle d’un vieux briscard simplement guidé par son instinct de survie, et par le personnage le plus haut en couleurs du film, le chien fou de la bande, sous les traits de l’imprévisible Colin Farrell. L’acteur irlandais marche ici sur des œufs avec ce personnage difficile de bandit endurci, fervent communiste malgré son séjour au goulag, arborant sur le torse un impressionnant tatouage à l’effigie de Staline et Lénine. Colin Farrell parvient à ne jamais tomber dans la caricature, et cela serait de mauvaise foi de dire qu’il n’est pas crédible dans le rôle de cet impitoyable criminel russe croyant encore en son pays. Ces personnages sont si bien dessinés que lorsque l’un d’entre eux vient à mourir, à bout de force, sa mort est toujours poignante. La mise en scène discrète de Peter Weir brille particulièrement dans ces moments émouvants, toujours traités avec délicatesse, recul et simplicité, sans effets faciles et tire-larme comme c’est en général la règle dans les productions américaines.


Colin Farrell aurait affirmé que pour lui, Ed Harris était l'exemple à suivre. Cette déclaration amicale envers l'acteur-réalisateur pose problème lorsqu'on se rend compte que Farrell apparaît souvent derrière lui, tentant de l'imiter du mieux qu'il peut. Sur ce plan, c'est quand même pas mal réussi.

Peter Weir s’applique aussi à nous décrire la survie de ces personnages au cours de leur interminable périple, sans toutefois rentrer dans les détails ni s’approcher d’un style documentaire. Pourtant, on aimerait parfois bien en savoir plus, connaître le menu de chacun de leurs repas, les endroits où ils choisissent de dormir, etc. Et cela est davantage une preuve de la réussite du film que d’une insuffisance quelconque. Le cinéaste met aussi de côté son penchant réaliste lorsque notre bande de taulards se retrouvent nez-à-nez avec une jeune fille fraîchement échappée d’une ferme collective et désireuse de faire la route à leurs côtés. En réalité, nul doute que la jeune fille subirait les assauts de ces ex-taulards qui n’ont pas vu le moindre cul si joliment bombé depuis des années ! De la même façon, on pourra également trouver les randonneurs un brin grassouillets...


Magie du cinéma : pas une seule seconde du film n'a été tournée sur le territoire russe.

La fin du film, trop rapide et maladroite, déçoit quelque peu. On ne peut s'empêcher de penser que Peter Weir aurait dû stopper son film un quart d'heure avant (dans la hutte tibétaine, où les survivants échangent sur leurs projets, avec l'assurance que le pire est derrière eux), ou qu'il aurait carrément dû enchaîner sur une heure supplémentaire nous dépeignant la traversée de l'Himalaya (ici croquée en quelques secondes !), mais au risque de lasser. Peut-être aussi que le cinéaste n'a pas pu faire tout ce qu'il souhaitait... Bien qu’il manque un je-ne-sais-quoi pour faire de ce film une réussite totale Les Chemins de la Liberté est tout de même une œuvre hautement recommandable, surtout par les temps qui courent. Après l’avoir vue, vous jurerez avoir marché pendant deux plombes ! Sacré Tuper Ware !


Les Chemins de la liberté de Peter Weir avec Ed Harris, Colin Farrell, Jim Sturgess et Saoirse Ronan (2011)