
Fait rare pour un long-métrage de ce genre, Runaway Train reçut trois nominations aux Oscars, et non des moindres, puisque deux d’entre elles étaient destinées à ses deux acteurs principaux : Eric Roberts et Jon Voight. Ce dernier s’est d’ailleurs tellement investi dans son rôle qu’il aurait passé deux ans emprisonné, dans les conditions réelles d’une détention lambda, ceci afin de mieux se plonger dans son personnage et parfaire ses talents de comédien, fort d'un véritable vécu auprès de taulards de la pire espèce. L’expérience n’a pas été vaine puisque l’acteur est littéralement habité par son rôle et livre une performance incroyable, en nous offrant même quelques moments d’anthologie. Son personnage nous est présenté comme venant de passer trois ans enchaîné, et nous n’en doutons pas une seule seconde grâce à sa prestation impressionnante. L’acteur apparaît ici dans un rôle également intéressant dans le sens où il doit être l'exact opposé de celui qu'il campe dans Délivrance où il est, au commencement du film en tout cas, l'homme civilisé par excellence, doté d’un charme et une allure presque féminines. Jon Voight incarne ici une véritable bête sauvage, assez éloignée de l’humain, d'une laideur rappelant celle de sa fille transsexuelle Angelina Jolie. Eric Roberts s’en tire très bien aussi, dans le rôle assez difficile d’un benêt aussi costaud que naïf, mais brave et courageux, un rôle qui semble avoir été écrit pour lui et sa vieille gueule cassée, d'une laideur rappelant celle de sa sœur Julia Roberts.

L’autre vedette du film est bien entendu le train fou, véritable personnage à part entière, autrement plus impressionnant et cinégénique que celui pourtant plus long et plus gros (bref, plus américain) du triste film de Tony Scott. Andrei Konchalovsky sait brillamment filmer son engin et le rendre spectaculaire, notamment lors de sa première véritable apparition, accompagnée d’une musique grandiloquente, mais aussi dès le générique, qui rappelle étrangement celui de Das Boot, sauf que la forme sombre d'un sous-marin envahissant progressivement une immensité verdâtre est ici remplacée par un train rouge écarlate fendant la nuit en deux avec fracas. Le train est aussi métamorphosé suite au premier accident qu’il provoque, qui lui donne une apparence encore plus monstrueuse, comme si des tentacules s’échappaient de sa locomotive, un aspect que le cinéaste exploite également à merveille. De plus, le train de ce film est réellement « unstoppable » contrairement à l’autre tas de ferraille du film de Tony Scott au titre mensonger (ça c'était simplement histoire de vous spoiler Unstoppable et son happy end pourri). En réalité, Konchalovsky réussit partout là où Tony Scott échoue lamentablement, et fait infiniment plus encore. Il nous gratifie d’images superbes, profitant de son histoire minimaliste et limpide pour l’illustrer de quelques très belles idées de cinéma. Je pense tout particulièrement à ces nombreuses séquences presque abstraites, où nous pouvons admirer ce trait noir traverser des toiles blanches à toute vitesse, d’une beauté quasi surréaliste. Ce train inarrêtable qui parcourt les paysages enneigés, avec des obstacles qui se présentent à lui tour à tour, est peut-être une belle métaphore de ce cinéma-là, dont l'objectif est de nous tenir en haleine coûte que coûte, en nous menant de surprise en surprise, épreuve après épreuve.
Runaway Train apparaît comme le film d’action par excellence, renfermant en lui des archétypes du genre comme le récit d’évasion, mais je pense surtout à la superbe première demi-heure du film, qui est une vigoureuse chronique de prison, très sombre et brutale, où le cinéaste prend son temps pour nous présenter ses personnages, un temps que l’on ne prend plus aujourd’hui. Mais Runaway Train est plus qu’un simple film d’action terriblement efficace, il s’agit aussi d’un véritable film d’auteur, accompagné d’une méditation romantique et assez profonde sur l’homme et la machine (rien à voir avec l’héroïsme à la mord-moi-le-nœud d’Unstoppable). Cette méditation est d’ailleurs joliment illustrée par la citation de Shakespeare, tirée de Richard III, qui vient clore le film : « No beast so fierce but knows some touch of pity. But I know none, and therefore am no beast ». L’ultime plan du film (ALERTE : arrêtez-vous là si vous comptez le voir) est d’ailleurs très marquant : on y voit le plus dangereux des taulards foncer droit vers sa mort, enfin libre comme l'air, tandis que le chef de la prison, celui-là même qui l’a déshumanisé et qui réduit ses prisonniers à l'état d'animal, s'apprête à crever enchaîné, plongé dans l'obscurité d'une prison à grande vitesse.

Comment ne pas être scotché devant ce film ? Dès les premières images de son générique aussi simple que géniale, jusqu’à sa conclusion terrible, magnifiée par la musique grandiose de Vivaldi, on est littéralement cramponné à notre fauteuil face à cette œuvre d’une intensité rarement égalée. Runaway Train est à mon sens l’un des plus grands films d’action jamais faits, une œuvre plutôt méconnue et certainement sous-estimée des années 80 que je vous invite donc chaudement à redécouvrir. Il est finalement très idiot de ma part d'avoir comparé ce film souvent proche de l'absurde à la dernière daube signée Tony Scott, puisqu'il serait plus significatif de rapprocher Runaway Train d'œuvres comme Vanishing Point ou Macadam à Deux Voies. Et je suis tout à fait sérieux lorsque j'écris ça, soyez en sûrs.
Runaway Train d'Andreï Konchalovsky avec Jon Voight, Eric Roberts et Rebecca DeMornay (1985)