15 décembre 2020

Enragé

Selon l'Office québécois de la langue française, la rage au volant est l'agressivité excessive de certains conducteurs qui, à la suite d'une altercation, tentent de blesser ou de tuer un piéton, un autre conducteur ou un des passagers. Enragé nous narre un cas classique de rage au volant. Tu klaxonnes un type qui tarde à redémarrer quand le feu passe au vert et ça se termine en un véritable bain de sang, avec meurtre de sang froid devant une foule de spectateurs médusés, prise en otage de toute ta famille et pas mal de cadavres laissés en chemin, sans compter toute la taule froissée... Bon, admettons qu'on tient là un cas assez extrême de rage au volant, mais le film de Derrick Borte a au moins le mérite de nous sensibiliser sur ce sujet brûlant. Les termes de "road rage" sont employés au moins dix fois dans les dialogues, et il faut voir le générique d'ouverture, véritable spot de prévention de la Sécurité routière, qui nous propose une petite compilation d'épisodes de rage au volant tout bonnement édifiante. C'est à vous dissuader de prendre la route...


 
 
L'attraction du film se nomme évidemment Russell Crowe. L'acteur néo-zélandais est impressionnant là-dedans. Dans le premier sens du terme. Pas vraiment pour son jeu, mais pour son physique. On dirait un énorme ours mal luné. Il fout les j'tons. On ne sait pas s'il a pris du poids exprès pour le rôle ou s'il s'est juste laissé aller depuis quelques temps... Il paraît loin le temps où Maximus faisait chavirer les cœurs et récoltait les Oscars coup sur coup. Peut-être aussi que la mise en scène de Derrick Borte (définitivement pas un nom de star) fait tout son possible pour rendre le comédien plus imposant qu'il ne l'est en réalité, tire partie de sa corpulence nouvelle. On peut en tout cas regretter que le réalisateur n'exploite pas assez sa voix, sa grosse voix de contrebasse. Ce n'est pas un chat qu'il a dans la gorge ce type-là, c'est tout l'effectif du Chat va mieux, le bar à greffiers tendance qui vient d'ouvrir dans mon quartier (timing parfait). Mais les scènes de dialogues sont trop rares pour en profiter. Le fan de Crowe a de quoi se sentir un peu frustré.
 


 
Face au monstre, une de ses compatriotes, Caren Pistorius, une actrice bien choisie, au charme tout à fait banal mais bien réel, crédible en mère de famille débordée et en plein divorce. Il fallait bien une jolie dame gracile et ordinaire pour contrebalancer le colossal et effrayant Russell Crowe. Pour tout le reste, Derrick Borte ne fait pas dans la dentelle. Il n'y a là strictement aucun mystère, toute forme de suspense est évacuée dès la première scène, qui nous montre un Russell Crowe remonté comme une pendule défoncer une porte d'entrée à coups de marteaux puis commettre un gros carnage à l'aide du même outil avant de répandre un bidon d'essence sur le sol de ce qu'on suppose être la nouvelle maison de son ex-femme et de laisser tout un quartier en feu derrière lui. Car le gros Russell, qui nous rappelle un peu le Michael Douglas de Chute Libre, campe un homme qui a tout perdu suite à son divorce. Le film cherche manifestement aussi à nous sensibiliser là-dessus, à la cause des hommes aux abois, abandonnés et ruinés par leurs femmes. Il y a la détresse du personnage campé par Crowe mais aussi celle, hors champ, de l'ex-mari de l'héroïne, qui n'est pas dépeinte comme irréprochable (n'a-t-elle pas créé un monstre, elle aussi, en préférant s'acoquiner avec son avocat ?). On ne sait pas trop comment interpréter ce versant-là de cette œuvre décidément très engagée et ambiguë...



 
Avec son scénario de malheur où les forces de l'ordre sont étonnamment absentes ou incompétentes et où les personnages finissent par reproduire connement une stratégie ayant fait ses preuves à Fortnite mais qui s'avère moins efficace IRL (véridique !), Derrick Borte joue à fond la carte du thriller horrifique, simple, direct, bas de plafond. Vous pouvez laisser vos neurones en veilleuse pendant 90 petites minutes, rien à craindre. Horrifique aussi car le film est d'une violence assez surprenante. On ne s'attend pas à ça. Russell Crowe campe un psychopathe pur jus qui ne dénoterait pas en boogeyman inarrêtable dans un slasher lambda. Ses explosions de violence sont aussi sanglantes et inventives que soudaines et presque déplacées... Pour l'anéantir, il faut bien sûr être capable de la même fureur, sans oublier de placer une petite phrase qui tue avant de l'achever, une punchline qui nous conforte dans l'impression bizarre de mater un vieux truc ricain venu des années 80-90 (curieusement, le scénar s'avère aussi très proche du Red Eye de Wes Craven). Si l'on creuse assez loin, par amitié pour Russell, nous pourrions dire que le côté très primaire assumé du film constitue à la fois son petit charme et sa grosse limite. C'est très très bête mais certains pourront peut-être éprouver un plaisir régressif devant ça. Jamais autant cependant qu'à dû en ressentir l'ancienne vedette du Colisée en prêtant ses traits fatigués à ce sociopathe XXL.
 
 
Enragé de Derrick Borte avec Caren Pistorius, Russell Crowe et Gabriel Bateman (2020)

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