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30 juin 2021

Come True

Faut-il avoir bien peu d'amour propre pour conclure son film de cette façon ? Un mouvement de caméra laborieux qui aboutit misérablement sur l'écran d'un portable posé sur l'abattant d'une cuvette de toilettes... C'est pourtant ça, le dernier plan, le one perfect shot final, de Come True : un portable sur des chiottes. L'affichage du téléphone nous révèle un message sibyllin qui vient parachever le twist ridicule et très lourdement amené de ce tout petit film de genre, SF mêlée d'horreur, à l'allure peut-être clinquante mais en réalité tout juste bon à se faire remarquer par des âmes charitables au milieu des programmations médiocres de festivals de cinéma fantastique. On aurait pourtant aimé s'enthousiasmer pour le deuxième long métrage du canadien Anthony Scott Burns qui, sur le papier, nous propose une plongée dans les tréfonds de nos cauchemars et donc de notre inconscient : on y suit une adolescente en fugue (Julia Sarah Stone, très stone), aux nuits agitées, qui trouve refuge chez une équipe de scientifiques menant des expériences sur le sommeil...



 
Dès l'apparition du titre, qui rappelle le superbe générique d'ouverture d'Halloween III, et pendant les premières minutes, j'y ai cru, très sincèrement. Quand il ne filme pas des teuchios anonymes, Anthony Scott Burns est capable de nous intriguer, de torcher quelques jolis plans, de développer un semblant d'atmosphère. A grands renforts de nappes synthétiques, qu'il a en partie composées lui-même et qui nous rappellent quelques bandes sons bien connues, il cherche visiblement à nous choper, à mettre en place quelque chose, une ambiance. C'est assez facile, en fait, et cela n'accouche jamais de grand chose hélas. On s'accroche en vain à l'esthétique plutôt soignée de l'ensemble, reconnaissant à Anthony Scott Burns, également chef opérateur et monteur, un certain savoir-faire qui fait de son film une œuvre jamais désagréable à la vue et aux oreilles (à condition d'aimer le bleu et les sonorités électroniques). Mais ça ne suffit pas... On relève peut-être du savoir-faire mais l'imagination du cinéaste apparaît défaillante et limitée : son premier long était un remake et celui-ci n'en fera jamais l'objet. Malgré le laisser-passer onirique, il s'enfonce dans un imaginaire somme toute assez dérisoire, évoquant davantage les récents slashers inspirés de meme internet (Slender Man), des clips darks ou autres cinématiques de jeux vidéos horrifiques que les plus belles heures du cinéma fantastique. On se dit que le réalisateur, seul à la barre, aurait peut-être gagné à être accompagné par un pote raisonnable, là pour le recadrer, pour lui tapoter sur l'épaule gentiment et lui dire "tututut, ça, c'est pas la peine". Hélas...



 
Et puis le film s'étire. S'agitent autour d'écrans cathodiques vintages et de concepts fumeux des personnages antipathiques et inintéressants, la palme revenant au nerd en chef incarné par le très fade Landon Liboiron, tandis que le cinéaste multiplie les scènes qui ne servent à rien si ce n'est à dépasser la case "moyen métrage". Dans ce marasme, on relève également les références, les clins d’œil plus ou moins appuyés, glissés là pour flatter le spectateur et lui dire "hey, on aime les mêmes choses". On remarque très bien l'affiche de Terminator placardée dans l'un des bureaux des nerds, on identifie sans souci La Nuit des morts-vivants de Romero que va voir l'héroïne au cinéma, il est vivement conseillé à notre ado rebelle la lecture de Philip K. Dick, "ses concepts vont te retourner le cerveau", et enfin, les personnages se surnomment en référence au Rocky Horror Picture Show, accompagné d'un "t'es une fille brillante de connaître ça". En réalité, on pense surtout à un simili Drive, avec ce romantisme urbain maniéré, toujours épaulé d'une musique électronique, signée Electric Youth, déjà présent sur la tracklist du film de Nicolas Winding Refn (je ne suis pas un hater de Drive, mais ce rapprochement n'est ici pas un compliment, tant il convoque surtout une certaine vacuité et un esthétisme facile commun aux deux titres). Le scénario de Come True avance, tout doucement, sans l'assurance flippante d'un somnambule, mais avec la gaucherie d'un ado mal réveillé, mal luné. Il nous perd donc en cours de route, avant de finir droit dans le mur, avec une révélation qui finit de nous convaincre de la vacuité terrible de l'ensemble. Un smartphone sur l'abattant des WC, c'est donc ce qui nous attend à la toute fin des très longues 105 minutes que dure Come True, une bien triste récompense pour tous les curieux encore à la recherche des dernières pépites du cinéma de genre. 
 
 
Come True (Bad Dreams) d'Anthony Scott Burns avec Julia Sarah Stone et Landon Liboiron (2020)

21 août 2018

Seconds

Seconds comme cette seconde chance à laquelle nous sommes tous supposés avoir droit. Arthur Hamilton n'a rien fait de mal et n'a pas particulièrement raté sa vie mais la promesse étrange d'un vieil ami qu'il croyait disparu va éveiller chez lui un fol espoir et lui faire croire en l'impossible, en cette seconde chance, justement. Change de nom, de visage, de vie ! C'est à sa portée, à condition qu'il se rende à cette curieuse adresse griffonnée sur un bout de papier qu'un inconnu lui a glissé à la hâte à la gare, puis qu'il accepte de tout abandonner, strictement tout, lors de cette opération diabolique, celle qui va transformer ce banquier d'une cinquantaine d'années, fatigué et bedonnant, en un bel homme en pleine possession de ses moyens, peintre établi, demeurant dans une grande villa de Floride...




Voici le point de départ de Seconds aka L'Opération diabolique, de John Frankenheimer. Un film fou et inclassable sorti en 1966 et repris dans nos salles en 2014 pour une seconde chance salutaire. Ce titre marque l'apogée d'un réalisateur charnière, génie éphémère du cinéma américain des années 60 ayant participé à ouvrir la voie au Nouvel Hollywood. Seconds est le troisième volet d'une trilogie admirable, préfiguratrice des nombreux films de complot à venir, de ces thrillers paranoïaques qui fleuriront pendant les seventies (A Cause d'un assassinat, Conversation secrète, Les Trois jours du Condor, etc). Ce triptyque glaçant signé John Frankenheimer se constitue d'Un Crime dans la tête, de Sept Jours en Mai et de Seconds, dont on préférera largement le titre original, étant donné que la version française le cantonne sous des allures de série b qui ne lui siéent guère.




Thriller paranoïaque teinté de science-fiction dystopique, louchant également vers l'horreur pure et le film noir, Seconds est avant tout un drame existentiel étonnant qui parvient à nous faire pleinement ressentir la crise que traverse son personnage principal (successivement incarné par John Randolph puis Rock Hudson), un homme plongé dans un mal être profond difficilement identifiable mais que l'on ressent dès la première image, dès ce générique terrible concocté par le grand Saul Bass, nous proposant des images déformées des parties d'un visage insaisissable, en détresse.




Saul Bass n'est pas le seul invité de marque que l'on retrouve au générique puisque la musique du film est signée par le talentueux compositeur Jerry Goldsmith, ici tout particulièrement inspiré, qu'il s'agisse d'ajouter à l'anxiété étouffante développée par la mise en scène survoltée de John Frankenheimer, à grands renforts de violons ou d'orgues dissonants, ou de se montrer plus délicat quand il est nécessaire d'apporter une touche d'ironie ou de mélodrame, en accompagnant l'image par de plus subtiles mélodies au piano. A cette fine équipe, il faut également ajouter l'expérimenté directeur photo James Wong Howe, célèbre pour avoir collaboré avec Fritz Lang, Michael Curtiz, Josef von Sternberg mais aussi Martin Ritt pour l'excellent Hud. Il participe grandement à donner à Seconds une allure éclatante avec ce noir et blanc contrasté et classieux qui rappelle les plus grandes heures du film noir et qui parvient assez miraculeusement à toujours rester en harmonie avec les directives d'un John Frankenheimer en roues libres.




Bien qu'il appartienne clairement à sa décennie, notamment par sa manière ironique de dépeindre le mouvement hippie lors d'une longue scène de débauche déconcertante, et bien qu'il fasse partie de ces films singuliers, remplis de fulgurances folles, annonciateurs de l'âge d'or du Nouvel Hollywood, Seconds dégage aujourd'hui quelque chose d'intemporel. Déjà, dans sa façon de nous saisir et de nous sidérer régulièrement, de la première à la dernière image. Il faut dire que John Frankenheimer y va franco et déploie une débauche d'effets qui pourraient presque devenir indigestes s'ils n'étaient pas si efficaces et en pleine cohérence avec ce qu'il nous raconte. Film sur la perte de repères, sur le brouillement des rapports avec la réalité et la perception que l'on a de soi et de son environnement, Seconds est un drame existentiel qui dépasse le seul mal être de son personnage principal et la critique du rêve américain pour toucher à quelque chose de plus universel. Son extravagance formelle fait ainsi totalement sens, d'autant plus que John Frankenheimer sait aussi se poser lors de scènes qui en deviennent tout aussi troublantes et émouvantes (on pense par exemple aux retrouvailles avec la femme que le personnage a délaissée, très simplement filmée en champ/contre-champ).




Ce qu'il y a d'étonnant est que John Frankenheimer ne nous laisse pas la possibilité de douter du scénario absurde qu'il met en image, nous croyons en l'existence de cette organisation secrète et à son pouvoir de changer du tout au tout un individu désireux de passer à une autre vie, tout comme nous ne doutons pas une seule seconde que le personnage principal, d'abord incarné par un John Randolph tout suintant, puisse ensuite prendre les traits avantageux et très clean d'un Rock Hudson au faîte de son charisme viril. Le cinéaste prend là un risque de taille, il peut perdre le spectateur avec ce choix si radical, et ce fut le cas en 1966 où Seconds fut un échec public et critique cinglant, mais ce changement d'acteur cristallise bien toute l'énorme bizarrerie du film et s'avère plus judicieux et significatif que d'autres solutions a priori plus simples qui étaient également envisageables (Frankenheimer pensait d'abord embaucher Kirk Douglas, qu'il avait déjà dirigé pour Sept Jours en Mai, en jouant sur son maquillage et sa posture, avant et après l'opération). Le réalisateur parvient également avec un talent rare à nous faire traverser tout un spectre d'émotions, de pur ressenti de spectateur, nous sommes tour à tour dérangé, haletant, déconcerté, interrogateur, perdu, ému et tétanisé face aux images, à l'histoire, bref, à l’œuvre étonnante qu'il nous propose ici.




Les 45 premières minutes sont d'une efficacité redoutable. Des passages de délires oniriques sont d'une inventivité formelle encore fascinante aujourd'hui. La scène d'ouverture, filature stressante au beau milieu des allées et venues incessantes de la grande gare centrale de New York, nous saisit à la gorge d'entrée de jeu, à l'image des acteurs, littéralement saisis eux aussi par le procédé de Snorricam utilisé à bon escient par un John Frankenheimer toujours friand d'expérimentations. On adore ensuite tous les passage au sein de l'Organisation, d'un humour noir mordant, la société secrète étant montrée comme s'il s'agissait d'une simple compagnie d'assurance bienveillante, aux arguments implacables, qui promet une nouvelle vie à ses "clients" et dissimule ses activités derrière les lieux les plus banals et triviaux, comme un abattoir ou un pressing. La conclusion s'avère à la hauteur du malaise qui plane tout le long et constitue un ultime sommet dans la psychose identitaire. Plus de 20 ans avant la première adaptation cinématographique de Philip K. Dick, écrivain qui régnera pour le meilleur et pour le pire sur le cinéma de SF, on retrouve aussi quelque chose de très dickien dans les thèmes abordés et les situations dépeintes. Le fantôme du chef-d’œuvre de John Frankenheimer paraît ainsi hanter bon nombre de films de science fiction bien plus récents et qui, souvent, ne lui arrivent pas à la cheville, ce qui participe à cet effet intemporel. Seconds est le point final d'une des meilleures trilogies thématiques qui soient et s'avère être le plus grand film d'un cinéaste qui, s'il avait su maintenir ce niveau-là plus longtemps, serait aujourd'hui considéré tout autrement. Un sacré film.


Seconds (L'Opération diabolique) de John Frankenheimer avec Rock Hudson et John Randolph (1966)

1 juillet 2013

The Box

Après Donnie Darko, on attendait tous le nouveau bébé de Richard Kelly. Il a bien sorti Southland Tales mais personne ne l'a vu. Donc on attendait toujours le film d'après Donnie Darko. Or, que constate-t-on devant The Box ? Que Richard Kelly a subi le sort de l'avion dans son premier film phare : il s'est crashé. Commençons par le début : toc, toc, toc. Qui est là ? Frank Langella. J'ai une mallette et une proposition indécente pour vous. Ok, je t'ouvre, je suis trop conne, je suis Cameron Diaz (truisme). En quoi consistent les termes de ce dilemme machiavélique ? Une valise contenant 500$ (soit 238€) offerte à celui qui osera appuyer sur le bouton rouge d'une grosse boîte, lequel bouton, une fois actionné, entrainera la mort d'un être humain au hasard dans le monde. Pour ce qui nous concerne le défi serait vite relevé. Nos loyers respectifs coûtent la bagatelle d'environ 600 doublons par tête de pipe. Et cinq cent dollars américains c'est pile ce qui nous manque pour finir le mois en général. En outre on a déjà tué un ouvrier de la DDE un matin brumeux sur l'autoroute, qu'on a retrouvé sous notre capot en arrivant chez nous après cinq heures de trajet. On a mal dormi de toute une nuit mais en buvant deux ou trois verres de lait sucré (le lactose permet d'endormir les bébés), c'est passé et finalement on a pu pioncer. Donc nous sommes rodés.


Un billet de 500 dols ou la vie d'un quidam ? James Marsden et Cameron Diaz hésitent. Ils n'ont pourtant pas hésité à saloper leur appartement avec un papier peint susceptible d'ôter la vue et la vie. Le cinéaste se focalise sur cette tapisserie à motifs "ruche d'abeille" typique des 70s qui nous accapare totalement et qui nous pousse à nous questionner sur cette génération dorée qui avait un goût de chiotte à tout rompre mais qui avait aussi le génie d'aller marcher sur la lune.

Quand, en 2010, t'as Cameron Diaz qui fend ton affiche en deux, quand c'est la star de ton film, quand c'est ton argument sexy, t'as quelques wagons de retard et tu fais pitié. Cameron Diaz a accepté le rôle parce qu'elle y voit double et qu'elle a cru lire "The Botox" sur le scénario. Elle s'est dit : "Ouais je m'en injecte un biberon tous les matins, donc porqué no". Quand la star féminine alléchante de ton film c'est Cameron Diaz et quand son personnage de prof de lycée souffre d'un horrible pied-bot qu'elle exhibe sous le nez de ses étudiants écœurés, t'as tout simplement un petit grain. Quand la star masculine de ton film c'est James Marsden, que tout le monde confond avec Michael Madsen, Guy Pearce et Mads Mikkelsen, t'es dans le tiers monde du cinoche mais t'as au moins sous la main un acteur qui assure ses propres cascades sans être assuré.


Ne vous y trompez pas, elle commence par les prendre en traitre en leur montrant son pied normal, et pourtant y'a déjà un étudiant qui détourne la tronche au premier plan, dégoûté par la vie.

La première heure de ce film situé dans les années 70 sans aucune raison apparente nous montre tous les personnages qui déambulent devant le bouton rouge en le jaugeant et en roulant les épaules comme des sardines serrées dans une boite entre l'huile et les aromates, hésitant à appuyer une bonne fois pour toutes sur le champignon quitte à se foutre dedans, comme un candidat de Question pour un champion qui connaît pas la réponse mais qui l'a sur le bout de la langue, excité en prime par un Julien Lepers dopé à mort. Dans ce film Lepers c'est Frank Langella et il a la gueule défoncée (il en manque la moitié, et on se rend compte qu'il y a des trucs essentiels sur un visage en le regardant), car c'est en fait un extra-terrestre envoyé là pour... on s'en rappelle plus. Le film est tiré d'une nouvelle de feu Richard Matheson, le célèbre pourvoyeur d'idées en or et/ou en contreplaqué du cinéma de genre hollywoodien quand ce dernier s'est enfin lassé de Stephen King ou de Philip K. Dick. C'est à ce génial vivier humain de scripts que l'on doit par exemple Duel, Je Suis une légende, L'Homme qui rétrécit, et ainsi de suite. C'est l'homme de la situation quand il s'agit de trouver une idée simple, accrocheuse et cinégénique qui s'étalera sur 90 minutes. Mais parfois ses idées sont trainées dans la boue, la preuve.


The Box de Richard Kelly avec Cameron Diaz et James Mardsen (2009)

17 avril 2013

Time Out

Time Out est de A à Z le bébé d'Andrew Niccol. Andrew Niccol, à ne pas confondre avec Mike Nichols, le réalisateur des excellents Carnal Knowledge ou La Guerre selon Charlie Wilson, à ne pas confondre non plus avec Jeff Nichols, jeune cinéaste américain très talentueux et ultra prometteur, auteur de Shotgun Stories et de Take Shelter, ni avec Nicolò Cherubin, latéral gauche du Bologne Football Club 1909, auteur de trois buts depuis le début de sa carrière professionnelle. Non Andrew Niccol est le triste bonhomme à l'allure de banquier malade qui, après avoir fait briller une lueur d'espoir dans l’œil des amateurs de science-fiction avec Bienvenue à Gattaca, s'est rendu coupable de deux étrons cinématographiques : S1mOne, film qui a contribué à faire passer Al Pacino de la vie à la mort, puis l'infâme Lord of War, navet pseudo politique et visuellement affreux avec au premier plan un Nicolas Cage maniaco-dépressif sous l'emprise de la coke. Voilà qui se cache derrière le nom d'Andrew Niccol, un réalisateur médiocre qui creuse sa propre tombe avec énergie, et Time Out ("In Time" en VO, merci aux distributeurs français d'avoir rendu le titre beaucoup plus clair) est son bébé, il l'a écrit et réalisé : accrochez vos ceintures, ça vole en rase-motte !


Dommage qu'Andrew Niccol ait choisi pour décor de son film d'action et de science-fiction futuriste les rangées de garages d'un immeuble de la banlieue de Roubaix.

Le projet de ce nouveau film d'anticipation, pessimiste par définition, s'annonçait bien mal, entre autres à cause de la présence en tête d'affiche du pâle Justin Timberlake, le rappeur blanc adulescent embauché comme sextoy humain chez Giorgio Armani. Et le couac filmique annoncé sur le papier se concrétise à l'écran sous la direction d'un Niccol qui n'a pas décidé d'être doué ! L'histoire repose entièrement sur une seule idée, à priori pas bête et finalement très conne, comme souvent dans ce genre de film (l'idée ultra symbolique qui tient sur un feuillet de PQ étant l'apanage des maîtres du genre, de Richard Matheson à Philip K. "Huge" Dick, mais tout le monde n'a pas leur talent). L'idée de Niccol ? "Le temps c'est de l'argent". Vieil adage s'il en est, pris au pied de la lettre par un cinéaste dont les neurones jouent des coudes sous nos yeux. Mais comment adapter cette mise à plat d'un proverbe universel à un scénario de deux heures ? Niccol est aux manettes et il a la tronche dans le guidon, jugez plutôt : dans le film les gens ne vieillissent que jusqu'à l'âge de 25 ans, âge à partir duquel leur corps n'évolue plus et reste à jamais le même. La mère de Justin Timberlake semble avoir le même âge que son jeune fils alors qu'elle se paye la cinquantaine en réalité. Mais pourquoi avoir engagé Olivia Wilde ? Pourquoi avoir casté cette actrice bangbros au rabais, sosie d'Anita Dark qui à moins de 24 ans semble plastifiée de la tête aux pieds, pour incarner la mère du héros ? Cet élément de scénario était déjà assez difficile à accepter comme ça pour ériger un tel rempart à notre crédulité. Voir Justin Timberlake dire "Merci m'man !" à une playmate au look de gogo danseuse trash transsexuelle qui lui sert son bol de chocapic matinal en tenant une bouteille de lait coincée entre ses deux plastic boobs en pneus réchappés, bizarrement ça ne passe pas. Par ailleurs le scénario ne dit rien des complexes d’œdipe morbides que ce mode de vie futuriste doit engendrer, ni des ravages psychologiques que doit provoquer chez certaines jeunes filles la seule idée de triquer à mort sur leur grand-père, ou chez certaines arrière-arrière-arrière-grand-mères bodybuildées celle de faire danser le slip de leur ptit ptit ptit ptit ptit fillot, mais passons.


"Salut m'man !"

Toujours est-il que les gens doivent donc gagner du temps en guise d'argent, à la sueur de leur front, travaillant d'arrache-pied pour recevoir non pas un salaire en cash mais quelques heures, voire quelques minutes, avec lesquelles ils sont supposés acheter tout ce qui se vend sans oublier d'en garder sous le coude pour ne pas passer l'arme à gauche au moindre découvert bancaire. Ils ont tous un compte à rebours luminescent incrusté dans l'avant-bras (cf. l'affiche du film) - qui rappelle les tatouages par lesquels les nazis marquaient les juifs des camps, mais le scénario ne fait rien de cette idée que Niccol n'a manifestement pas fait exprès d'avoir - et si ce compte à rebours atteint zéro, son porteur meurt comme d'un arrêt cardiaque. Dans ce monde-là les riches sont immortels et les plus pauvres crèvent à 25 balais et une seconde, pour résumer.


A en juger par le torticolis que s'inflige Timberlake, Amanda Seyfried, qui ne vieillit pas non plus mais dont la coupe de cheveux a environ mille ans, ne lui convient pas comme female partner.

C'est d'ailleurs sur cet écart entre les plus riches et les plus démunis que s'étend Niccol, heureux d'étaler ses trois idées : les pauvres de la banlieue périphérique vivent le plus vite possible (idée dont le réalisateur ne fait pas grand chose non plus du reste) et subsistent difficilement à l'aide de secondes grappillées ici ou là tandis que les super-riches du centre-ville s'ennuient à mourir et se dorent la pilule pendant les siècles des siècles. C'est tout ce que le film tire de son thème initial, une parabole enfantine et usée jusqu'à la corde sur les inégalités et l'injustice sociale. Après avoir reçu en don un milliard d'années (un peu plus, un peu moins, qu'est-ce qu'on s'en fout) de la part d'un jeune-vieux riche lassé de vivre, Timberlake voit sa mère mourir dans ses bras à une seconde près à cause d'un bus raté. La poisse. Tarder à déposer son chèque de paie n'est pas un projet dans ce monde de merde. La jeune maman de Justin, aux mollets et au cul galbés par des jours et des nuits de fitness hardcore, au visage creusé par les régimes et les anabolisants, aurait dû courir plus vite vers son fiston plein aux as prêt à lui refiler un peu de son fluide temporel, mais elle se traîne, trottine à deux à l'heure et s'éteint à un mètre des bras et de la verge tendus de son bambin incapable de se retenir de raidir devant un tel phénomène malgré le lien de famille étroit qui les unit... Contrarié par ce décès, Timberlake décide de s'infiltrer dans le centre-ville, fort de sa nouvelle fortune tant convoitée par les affamés du temps, afin de foutre la merde dans le système avec l'aide d'une gosse de riche au physique pourtant très pauvre, pressée quant à elle de vivre l'aventure. Il vaincra à coups de bras de fer (véridique) et de courses à pied, puis il partagera la richesse des milliardaires - soit des centaines et des centaines d'années de vie - avec tous les pauvres de son quartier. C'est pitoyable.


Timberlake n'est pas près de franchir la Ligne Seyfried !

Pour finir, une trivia allociné m'apprend que c'est le film le plus cher dans lequel ait joué Justin Timberlake, après Shrek le troisième et ses 160 millions de dollars flingués en airbooks, en palettes graphiques et en club sandwichs destinés à nourrir les geeks obèses qui se dépatouillaient de leurs gros doigts boudinés sur tout l'appareillage Apple offert par leurs patrons pour accoucher de gros connards verts. Justin T. a prêté son filet de voix pour ce film d'animation, malheureux de ne pas pouvoir faire reluquer sa plastique de rêve à des enfants condamnés à s'extasier devant l'âne de merde et le chat poté de mes deux. Time Out a coûté 40 millions de dollars, sachant que le seul effet spécial du film c'est le beeper implanté sous la peau du bras de l'acteur. Et si, comme a voulu me l'apprendre le bienveillant et si éclairé Andrew Niccol, "le temps c'est de l'argent", entendu que je n'ai pas dépensé un kopeck pour me procurer sa connerie de film, je m'estime en droit de lui réclamer mon dû : une heure et demi. Une heure et quarante et une minutes précisément, fusillées par ce ramassis de lieux communs estramassés dans un scénario infâme, mis en scène par ce qu'il faut bien appeler un pur zonard.


Time Out d'Andrew Niccol avec Justin Timberlake, Cillian Murphy et Olivia Wilde (2011)