
J'ai entrevu Shrek 2 chez des faux amis qui foutaient ça à leurs gosses à la télé pour bouffer tranquille. J'ai plus jamais revu ces gens et je leur ai tout récemment expédié un colis de mon chien dans du papier journal enflammé. Les pauvres mômes ne pigeaient rien devant le film. Ils étaient fascinés bien entendu. Les gosses sont si cons... Et puis c'est vrai que c'est fascinant ces images de synthèse façon Pixar, c'est monstrueusement laid, c'est raté, c'est lent et risible, mais ça fascine les peuples du monde entier. Les gamins étaient captivés (comme ils l'auraient été par n'importe quelle connerie animée), mais ils ne riaient pas ni ne pigeaient un traitre de mot à toutes ces vannes. Pourquoi ? Parce que ces films-là ne sont pas faits pour les gosses mais bien pour les gros trentenaires tchiplés tous bercés aux mêmes films populaires, tous abreuvés des mêmes séries télé, tous branchés sur MTV, tous tanqués devant youtube, en somme tous drogués aux mêmes référents et qui se réjouissent d'affirmer que "non, ces films ne sont pas pour les enfants", mais bien pour eux...

C'est un cinéma du référent permanent, de la citation érigée en système. Et c'est pareil partout. Il y a toutes sortes de référents dans ce cinéma populaire actuel, axés principalement sur deux axes. La chanson d'abord, notamment dans des films "indés" dont on a déjà beaucoup parlé ici, comme Garden State, Little Miss Sunshine, Juno, tout le cinéma de Wes Anderson, et j'en passe. Les exemples foisonnent, par exemple les très récents Nick and Norah's Infinite Playlist, dont le titre a tout dit, ou Good Morning England, film qui fait des ravages chez les jeunes gens qui l'adorent en tout premier lieu pour sa "BO de dingue". Et d'un autre côté il y a les références incessantes au cinéma lui-même ou aux séries télé, ce dont Quentin Tarantino ou Michel Gondry font leur fond de commerce. Ces deux-là pourraient se donner la main, ça serait tout naturel, réunis par leurs faces de pioche et leurs goûts de chiotte. S'il n'y avait qu'eux...

Shrek joue dans cette catégorie-là. Chaque scène, chaque blague, est une simple référence, parfois plate, souvent évidente et directe, pas même enrobée d'un zeste d'humour ou de la moindre trace de recul, de raffinement, ou de finesse. Les types très malins qui sont derrière ces films et qui savent comment engranger des milliards de dollars sur le dos des petites gens se contentent très bêtement de placer des références et autres citations tous les deux plans, qui, parce qu'elles évoquent quelque chose de déjà connu, déjà consommé et déjà apprécié au spectateur, lui inspirent immédiatement, machinalement, rires et passions. C'est un drôle de phénomène quand on y pense... Les types sont là, le cul vissé à leur fauteuil, et il suffit qu'on leur balance une référence ou une chanson qu'ils connaissent et qu'ils aiment pour que celui qui les balance soit aussitôt adopté, voire adoubé, sans conditions. Nous avons les mêmes goûts, aimons-nous sans réserve. Drôle de comportement. Le pire c'est que ces cons-là nomment parfois ces référents populaires et évidents des "private joke(s)", blagues si privées que tout le monde les reconnaît et les adore également, que toute une salle se marre comme une seule et énorme baleine, que des milliers d'autres types dans la confidence de cette blague et fans des mêmes chansons s'esclaffent et se dandinent tout pareil dans tous les cinémas du monde entier et par-delà les océans. A chaque nouveau Shrek (et d'ailleurs pourquoi appeler celui-là "Le troisième" ? Tas de trisos...), de nouveaux films à grand public et à grand succès sont parus, et de nouveaux référents permanents sont exploités, cités à tout va, partagés par tous et que tous croient si "privés" qu'ils en viennent à se sentir en connivence intime avec des producteurs aux dents longues rodés pour calibrer leur artisanat au plus grand nombre de cons.
Shrek Le Troisième de Pixar avec Eddy Murphy et Alain Chabat (2007)