
Je l’avoue sans honte, c'était mon premier Mouret. Contrairement à Rémi, Félix et probablement pas mal d'entre vous, je ne suis donc ni connaisseur ni fan de son œuvre, et donc incapable de situer ce film par rapport aux précédents, dont l'apparente "frivolité" me rebutait un peu. Erreur, mec, erreur !

Le premier talent de Mouret est d’éviter les écueils du « film à sketche » : contrairement à ce que le premier regard pourrait laisser penser, L’Art d’aimer n’est pas une accumulation de scénettes désordonnées visant à illustrer son sujet. Le film est très tenu, fluide, structuré et maîtrisé, mais aussi envahi d’inspirations visuelles et narratives très belles, qui évitent au film de tomber dans une certaine facilité, une certaine routine. En ce sens le début est exemplaire : le film s’ouvre sur le thème de la musique, ces musiques qui résonnent en nous quand on tombe amoureux. Et de façon tout à fait originale Mouret fait cohabiter ces musiques (et la voix off qui les évoque) avec de grands aplats de couleurs vives, qui envahissent tout l’écran. Ces aplats sont les premiers plans du film, comme s’ils en retardaient le démarrage, tout en en donnant le ton. De la même façon, le film sera constamment constellé de détails, de petites idées (de mise en scène, de dialogue, de jeu) qui viendront casser sa « petite musique », son rythme et sa mécanique apparemment bien huilés, pour lui donner sa vraie identité, très forte.


La suite de cette première partie est également étonnante, on s’en rend compte à la lumière du reste du film : uniformément grave et douloureuse, à travers le personnage de Stanislas Merhar, elle est en décalage avec l’apparente légèreté des parties suivantes, qui sont liées entre elles par certains de leurs personnages et par leur ton, nettement dominé par la comédie de prime abord. Commencer le film par une scène aussi singulière est un geste fort, mais aussi une façon de le situer sur un registre pas seulement léger, mais aussi profondément émouvant. Une émotion qui transpirera des scènes suivantes : malgré la cocasserie des situations, la plupart des personnages sont sensibles, sincères, à l’écoute de l’autre autant que de leur désir… Le film brasse par ailleurs des thèmes et des sujets importants, souvent délicats à aborder (la maladie, la fidélité, l’érosion du désir…), avec une grande sincérité et une grande justesse qui les font fortement résonner dans le spectateur (en tout cas ce fut largement mon cas…). Pourtant le film n’est jamais mielleux, et fait penser que, sur le fameux terrain des films « aussi drôles que bouleversants », il y a peut-être une alternative à Intouchables (même s’il y a quelques 0 d’écart entre les nombres d’entrées des deux films, le beau démarrage du Mouret a quelque chose de rassurant).

Puisque le seul point commun entre l’un et l‘autre est probablement la présence de François Cluzet au générique, il faut parler des acteurs. Si l’ensemble est donc très tenu et cohérent, si le style de Mouret est très visible à tout moment, particulièrement dans sa direction pas du tout naturaliste et parfois assez théâtrale (ce qui est loin d’être forcément un défaut) des comédiens, il y a bien sûr des variations d’intensité, comique et dramatique, au sein du film. Et les acteurs y sont pour quelque chose. Si Ariane « Bobeuh Guédiguiang » Ascaride est moins insupportable que dans les films de son gars, si l’infâme Judith Godrèche et Julie « Paul le poulpe » Depardieu bénéficient d’une des histoires les plus drôles du film et Gaspard « Scarface » Ulliel d’une des plus émouvantes, il faut bien dire que François Cluzet et Frédérique Bel sont absolument exceptionnels, à tout moment, sur chaque geste, chaque mot. L’exploit n’est pas mince : leur histoire a quelque chose d’un peu ridicule, les situations quelque chose d’un peu boulevardier, et pourtant à chaque instant on y croit, à chaque instant on rit, et pour finir l’émotion affleure. Et puis il faut bien le reconnaître : à chaque instant on a envie de plonger la tête dans le décolleté de Bel, particulièrement dans la nuisette de sa première scène.
Le film est très court, et donne l’impression de l’être encore plus. La fin cueille presque par surprise, comme si le film était fauché dans son bel élan, et même si ça a quelque chose de frustrant cette surprise est presque un plaisir supplémentaire, celui de sentir qu’on n’a pas eu affaire à un scénario à la structure calibrée. On se sent à la fois ému et léger, sans pour autant avoir eu l’impression d’assister à quelque chose d’anecdotique : le film est l’étude, la critique et l’éloge du sentiment amoureux et du désir, ce qui n’est quand même pas rien. Et il fait ça drôlement bien.
L'Art d'aimer d'Emmanuel Mouret avec François Cluzet, Frédérique Bel, Louis-Do de Lencquesaing, Gaspard Ulliel, Élodie Navarre, Julie Depardieu, Judith Godrèche, Stanislas Merhar, Ariane Ascaride, Pascale Arbillot et Philippe Torreton (2011)
L'Art d'aimer d'Emmanuel Mouret avec François Cluzet, Frédérique Bel, Louis-Do de Lencquesaing, Gaspard Ulliel, Élodie Navarre, Julie Depardieu, Judith Godrèche, Stanislas Merhar, Ariane Ascaride, Pascale Arbillot et Philippe Torreton (2011)