17 septembre 2011

Les Femmes du 6ème étage

L'histoire que nous raconte Les Femmes du 6ème étage se déroule dans les années 50. C'est sans doute pour ça qu'il ne faut pas s'étonner d'admirer des décors vétustes, façades abîmées et intérieurs fatigués, éclairés par une lumière terne qui se garde bien de gâcher l'absence de vivacité des couleurs, ce camaïeux de pastel avec une prédominance de gris, de noir, de marron caca d'oie et de jaune pisse. Rien de plus normal. Nous sommes dans un film d'époque, l'époque est ancienne, donc tous les éléments qui la composent aussi. C'est bien connu, à l'époque les gens vivaient dans de vieux habits, habitaient de vieux appartements, et ils utilisaient des objets patinés par le temps, voire même cassés parfois, car anciens et usés avant même que d'avoir été inventés. Et vu que l'époque était en noir et blanc (d'après les photographies et vidéos qu'on a pu sauvegarder en tout cas !), les couleurs n'y existaient pas, en tout cas pas de façon franche. Le jaune, oui, mais sépia s'il vous plaît ! Le rouge, non. Le rouge n'existait pas dans les années 50, trop coloré comme couleur. Le rouge est apparu sur terre à l'époque du technicolor, pour s'en assurer il suffit de regarder des films ou des photographies des années 60, où l'on voit bien que les objets sont très colorés, beaucoup plus que ceux aperçus sur les photographies en noir et blanc des années 50. Le bleu n'existait pas non plus dans l'immédiat après-guerre, ou alors un bleu pâle, délavé, un bleu ancien quoi, cqfd. Du gris, en fait.



Le film a sans doute été tourné dans un musée, dans des lieux anciens, avec des fauteuils sur le point de s'éventrer, des tapisseries décolorées, des costumes figés par la naphtaline, ceux-là même que les gens portaient à l'époque. Quand on visite un tel musée on se demande comment nos ancêtres ne se lassaient pas d'habiter des lieux qui sentaient le renfermé, de porter des vêtements cartonnés et d'utiliser des outils vétustes. C'est quand même fou de penser qu'à l'époque rien n'était neuf du coup, tout était vieux déjà. Si on pousse cette logique imparable jusqu'au bout on est les premiers êtres humains à fréquenter des objets propres, des choses en bon état, puisque tous les êtres humains d'avant vivaient forcément dans le passé, entourés de choses vieilles par conséquent. Tout ça se tient. C'est d'une logique imparable et je félicite le dos courbé Monsieur Philippe Le Guay, le réalisateur de ce film, pour avoir su rester fidèle à cette logique en filmant ses personnages du milieu du siècle dernier dans des costumes moisis, rongés par les mites, déambulant dans des décors poussiéreux calcinés par le temps.



Dans ce vieux décor pourri d'époque donc, Les Femmes du 6ème étage raconte l'histoire d'un couple de bourgeois vivant à Paris. Ils traitent leur bonniche septuagénaire comme une vieille savate. On les comprendrait presque parce que la vieille est insupportable. J'ai passé dix minutes à prier pour qu'elle dégage du film et quand mon vœu a enfin été exaucé ce fut un soulagement terrible... Nos deux connards embourgeoisés engagent donc une nouvelle servante pour leur repasser le linge, laver le sol, faire la vaisselle, astiquer les chiottes, récurer la baignoire, lessiver le parquet et préparer le petit déjeuner de "Monsieur", qui met un point d'honneur à ce qu'on l'appelle ainsi. Sur les conseils de ses bonnes amies, autant de "Madame de" (mes deux) enfarinées et bardées de rubis, la maîtresse de maison, qui tient à ce qu'on l'appelle "Madame" comme Monsieur, et qui est interprétée par Sandrine Kiberlain, décide d'engager une espagnole peu coûteuse, à condition qu'elle soit "propre" bien que d'origine ibérique, ce qui n'est apparemment pas facile à dénicher. "Monsieur", joué par Luchini (quand on sait combien cet homme peut être drôle et spirituel, et combien il est érudit, on a envie de le supplier d'arrêter de tourner dans des conneries pareilles), Monsieur donc fait passer à la nouvelle bonne le test ultime de la bonniche idéale : elle doit lui préparer un œuf coque, trois minutes et demi de cuisson, trop c'est raté ("œuf bouillu, oeuf foutu"), pas assez c'est pire. Il casse le dessus de la coquille, y trempe sa cuillère, la musique grimpe, le suspense est à son comble, c'est LA scène d'action du film, une séquence au suspense haletant qui nous rappelle si besoin est que Philippe Le Guay est un professionnel de la profession.



Mission accomplie haut-la-main, l’œuf coque est à se damner, Conchita est prise. Contrairement à la vieille servante du début du film et contre toute attente, elle sait compter jusqu'à trois et demi. Puis "Monsieur" va tout d'un coup devenir aidant et gentil avec la caste des servantes, et prendre conscience de la difficile condition des bonniches espagnoles. Pourquoi ? Parce que sa bonne est bonne. Il la trouve bonne. C'est une bonne, normal, mais en plus d'être bonne elle est bonne. Et pour cause elle est jeune et mince, contrairement à toutes les autres bonnes espagnoles de l'immeuble qui sont autant de vieillardes à varices ou d'obèses à barbe, donc elle est particulièrement bonne. Puis à côté de la nordique Sardine Kiberlain, récemment à l'affiche de Romaine par moins trente sans maquillage, une espingouine ersatz sans relief de Pénélopé Cruz on la trouve forcément bonne. Luchini tombe donc amoureux de sa bonne et décide par conséquent d'aider les femmes de ménage de l'étage au-dessus (le 6ème si vous avez bien lu le titre) en payant un plombier moustachu afin qu'il répare les cabinets à la turque des espagnoles (qu'un plan bien senti au début du métrage nous présente débordant de fientes). Monsieur prête même son téléphone à une grosse barrique du 6ème étage qui veut appeler au pays pour savoir si son neveu, bizarrement prénommé Pep' Guardiola (clin d’œil du réalisateur Philippe Le Guay au sélectionneur de la Mannschaft ?), est né avec ses dix doigts. Le bourgeois gentilhomme ira jusqu'à permettre à sa bonne sacrément bonne, dont la chambre de bonne est dépourvue d'eau courante, de prendre son bain chez lui, profitant de l'occasion pour la reluquer sans scrupule tant elle est bonne. Tout cela est passionnant.



A la quinzième minute, "l'héroïne", entre guillemets, la bonne méga bonne, appelle à l'aide les autres espagnoles de l'immeuble, qui sont bizarrement toutes de sa famille (à moins que l'Espagne ne soit une immense famille consanguine ?), pour venir l'aider à nettoyer la grande baraque des bourgeois. Les blew grana rappliquent, elles mettent un tube de Dalida à la radio et font le nettoyage à sec en dansant et en chantant, la banane aux lèvres. Ma grand-mère faisait les ménages et je peux vous assurer qu'elle chantait pas "Itsi Bitsi Petit Bikini"en lavant le carrelage de ses enfoirés de patrons qui la sous-payaient et qui la traitaient comme une merde. Normalement, si c'est que de moi, j'arrête le film à ce moment-là. La scène est immonde et elle arrive pile à la quinzième minute (la barre fatidique au-delà de laquelle j'éteins mon lecteur devant les pires saloperies de cet acabit). Mais j'ai tenu. Je ne sais pas pourquoi. Au bout de 37 minutes j'ai quand même fini par tout éteindre. J'en ai plus que marre de m'envoyer entièrement des chiures pareilles. Je demande franchement qui peut bien trouver son compte dans un film comme celui-là ? Je ne parle pas des papas et mamans qui sont allés le voir au cinéma, accrochés par Luchini ou par le contexte des années 50 qui leur évoque leur propres parents, et qui en sortant ont lâché un collégial "Ouais enfin c'était pas maaaaaal", soucieux de ne pas se plomber davantage le moral en repensant aux 8€50 X 2 qu'ils viennent de jeter aux ordures et aux 90 minutes de supplice qu'ils ont perdues devant un navet maxi modèle. Je parle de tous les autres français dans tous les autres cas de figure. Comment peut-on décemment trouver son compte devant un film pareil, qui n'est ni intéressant, ni bien joué, ni bien écrit, ni bien filmé, ni gai, ni savoureux, ni instructif, ni drôle, ni croustillant, ni dépaysant, ni divertissant, bref qui n'a strictement et définitivement aucune qualité. Comment peut-on ?


Les Femmes du 6ème étage de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain et Carmen Maura (2011)

11 commentaires:

  1. C'est que c'est une plaie ce film. Une petite plaie, pas un gros carnage, mais je suis quand même étonnée de voir les critiques positives qu'il a reçues et encore plus quand on lit qu'il évite les écueils. Parce qu'alors, les écueils, les clichés, et autres lieux communs pullulent dans ce film. Ils ont bien sur un fond de vérité (la situation des immigrés espagnols etc etc), mais les balarguer comme ça en les pimentant de petites scènes sympathiques (parfois effectivement sympathiques essentiellement grâce à Luchini et Kiberlain, parfois affreuses, exemplairement celle que tu cites où on voit les femmes de ménage chanter en récurant les chiottes de leurs cons de patrons), c'est nul et fatigant. Puis le retournement du patron, à qui il suffit de faire cuire un œuf pour qu'il devienne véritablement altruiste et compatissant (je passe sur la métaphore lourdingue), c'est faiblard.

    Le plus bête c'est peut-être quand on y voit une référence à cet Obscur objet du désir de Bunuel. La fascination soudaine du bourgeois pour la bonne, Conchita, jouée par deux actrices qui se ressemblent un peu (version Angelina Molina, pas Carole Bouquet)... Inutile de développer ce parallèle, ce serait faire trop d'honneur à Philippe le Gay.

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  2. Lucchini je pense que ses spectacles et ses passages télés, ça lui paie pas sa vie, alors il fait des films de merde (c'est pour ceux-là qu'on l'appelle, parce que les gens - réals ou spectateurs - ne voient que le Lucchini agitateur marrant et pas l'érudit) pour se payer des vacances à la Baule. Franco je le blâme pas. C'est un exécutant, un acteur. Il pourrait faire comme son idole, Céline, et travailler pour l'argent tout en se donnant corps et âme à son travail, en jouant comme si sa vie en dépendant, il ne le fait pas, et certainement parce qu'en tant qu'exécutant il sait que même s'il jouait comme une bête, le film resterait une grosse grosse grosse merde.

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  3. Et puis comment veux-tu jouer corps et âme dans un tel taudis de film...

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  4. En regardant les quatre photos à la suite on se rend bien compte que Luchini est là sans y être :)

    "On devine à sa courtoisie qu'il est absent"...

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  5. Je l'ai vu..Bah,c'est pas une grande production qui nous vient des States...,le scénario est attendu...mais..Je vous trouve durs..Luchini est un grand acteur et joue terriblement bien ce film,frais,distrayant,bien ficelé,léger et attendrissant...Les décors?Mais,pauvre idiot,n'avez-vous pas remarqué que ce côté roman-photo,bd est voulu?Je vous souhaite d'avoir le quart du tiers du début du dixième du talent de ces acteurs et de ce réalisateur..C'est un film de coeur qu'il faut regarder avec le coeur et pas de votre hauteur de frustré...

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  6. C'est un pur film de merde :)

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  7. AVDB > Ta première phrase ("Bah, c'est pas une grande production qui nous vient des States...") suffit à décrédibiliser tout ton propos, qui n'avait pas besoin de ça.

    Frais ? Je dirais poussiéreux. Distrayant ? Je dirais mortellement chiant. Bien ficelé ? Il m'a effectivement ligoté dans un abattement sans pareil. Léger ? Un peu lèg' oui. Attendrissant ? Ryan Air a répondu.

    Le côté roman-photo bd est voulu ? Et alors ? Est-il génial parce que voulu ? Et quel rapport entre un décor minable, des costumes moisis et la bande dessinée ?

    Je me souhaite aussi de n'avoir pas le quart du tiers du début du dixième du talent (non pas des acteurs, j'ai dit que Luchini était super - même s'il ne l'est pas dans ce film -, mais tu n'as pas dû bien lire) du réalisateur de ce film, si un tel talent doit accoucher d'une pareille daube.

    Je n'ai pas regardé ce film avec mon cœur, mea culpa... C'est que je suis trop fustré, tu m'as percé à jour. Bravo. Je t'applaudis.

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  8. Il est CHAUD ce film :(

    Mais ça passe mieux quand t'es à côté d'un fan hardcore de Luchini !

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