

Le film a sans doute été tourné dans un musée, dans des lieux anciens, avec des fauteuils sur le point de s'éventrer, des tapisseries décolorées, des costumes figés par la naphtaline, ceux-là même que les gens portaient à l'époque. Quand on visite un tel musée on se demande comment nos ancêtres ne se lassaient pas d'habiter des lieux qui sentaient le renfermé, de porter des vêtements cartonnés et d'utiliser des outils vétustes. C'est quand même fou de penser qu'à l'époque rien n'était neuf du coup, tout était vieux déjà. Si on pousse cette logique imparable jusqu'au bout on est les premiers êtres humains à fréquenter des objets propres, des choses en bon état, puisque tous les êtres humains d'avant vivaient forcément dans le passé, entourés de choses vieilles par conséquent. Tout ça se tient. C'est d'une logique imparable et je félicite le dos courbé Monsieur Philippe Le Guay, le réalisateur de ce film, pour avoir su rester fidèle à cette logique en filmant ses personnages du milieu du siècle dernier dans des costumes moisis, rongés par les mites, déambulant dans des décors poussiéreux calcinés par le temps.
Dans ce vieux décor pourri d'époque donc, Les Femmes du 6ème étage raconte l'histoire d'un couple de bourgeois vivant à Paris. Ils traitent leur bonniche septuagénaire comme une vieille savate. On les comprendrait presque parce que la vieille est insupportable. J'ai passé dix minutes à prier pour qu'elle dégage du film et quand mon vœu a enfin été exaucé ce fut un soulagement terrible... Nos deux connards embourgeoisés engagent donc une nouvelle servante pour leur repasser le linge, laver le sol, faire la vaisselle, astiquer les chiottes, récurer la baignoire, lessiver le parquet et préparer le petit déjeuner de "Monsieur", qui met un point d'honneur à ce qu'on l'appelle ainsi. Sur les conseils de ses bonnes amies, autant de "Madame de" (mes deux) enfarinées et bardées de rubis, la maîtresse de maison, qui tient à ce qu'on l'appelle "Madame" comme Monsieur, et qui est interprétée par Sandrine Kiberlain, décide d'engager une espagnole peu coûteuse, à condition qu'elle soit "propre" bien que d'origine ibérique, ce qui n'est apparemment pas facile à dénicher. "Monsieur", joué par Luchini (quand on sait combien cet homme peut être drôle et spirituel, et combien il est érudit, on a envie de le supplier d'arrêter de tourner dans des conneries pareilles), Monsieur donc fait passer à la nouvelle bonne le test ultime de la bonniche idéale : elle doit lui préparer un œuf coque, trois minutes et demi de cuisson, trop c'est raté ("œuf bouillu, oeuf foutu"), pas assez c'est pire. Il casse le dessus de la coquille, y trempe sa cuillère, la musique grimpe, le suspense est à son comble, c'est LA scène d'action du film, une séquence au suspense haletant qui nous rappelle si besoin est que Philippe Le Guay est un professionnel de la profession.
Mission accomplie haut-la-main, l’œuf coque est à se damner, Conchita est prise. Contrairement à la vieille servante du début du film et contre toute attente, elle sait compter jusqu'à trois et demi. Puis "Monsieur" va tout d'un coup devenir aidant et gentil avec la caste des servantes, et prendre conscience de la difficile condition des bonniches espagnoles. Pourquoi ? Parce que sa bonne est bonne. Il la trouve bonne. C'est une bonne, normal, mais en plus d'être bonne elle est bonne. Et pour cause elle est jeune et mince, contrairement à toutes les autres bonnes espagnoles de l'immeuble qui sont autant de vieillardes à varices ou d'obèses à barbe, donc elle est particulièrement bonne. Puis à côté de la nordique Sardine Kiberlain, récemment à l'affiche de Romaine par moins trente sans maquillage, une espingouine ersatz sans relief de Pénélopé Cruz on la trouve forcément bonne. Luchini tombe donc amoureux de sa bonne et décide par conséquent d'aider les femmes de ménage de l'étage au-dessus (le 6ème si vous avez bien lu le titre) en payant un plombier moustachu afin qu'il répare les cabinets à la turque des espagnoles (qu'un plan bien senti au début du métrage nous présente débordant de fientes). Monsieur prête même son téléphone à une grosse barrique du 6ème étage qui veut appeler au pays pour savoir si son neveu, bizarrement prénommé Pep' Guardiola (clin d’œil du réalisateur Philippe Le Guay au sélectionneur de la Mannschaft ?), est né avec ses dix doigts. Le bourgeois gentilhomme ira jusqu'à permettre à sa bonne sacrément bonne, dont la chambre de bonne est dépourvue d'eau courante, de prendre son bain chez lui, profitant de l'occasion pour la reluquer sans scrupule tant elle est bonne. Tout cela est passionnant.
A la quinzième minute, "l'héroïne", entre guillemets, la bonne méga bonne, appelle à l'aide les autres espagnoles de l'immeuble, qui sont bizarrement toutes de sa famille (à moins que l'Espagne ne soit une immense famille consanguine ?), pour venir l'aider à nettoyer la grande baraque des bourgeois. Les blew grana rappliquent, elles mettent un tube de Dalida à la radio et font le nettoyage à sec en dansant et en chantant, la banane aux lèvres. Ma grand-mère faisait les ménages et je peux vous assurer qu'elle chantait pas "Itsi Bitsi Petit Bikini"en lavant le carrelage de ses enfoirés de patrons qui la sous-payaient et qui la traitaient comme une merde. Normalement, si c'est que de moi, j'arrête le film à ce moment-là. La scène est immonde et elle arrive pile à la quinzième minute (la barre fatidique au-delà de laquelle j'éteins mon lecteur devant les pires saloperies de cet acabit). Mais j'ai tenu. Je ne sais pas pourquoi. Au bout de 37 minutes j'ai quand même fini par tout éteindre. J'en ai plus que marre de m'envoyer entièrement des chiures pareilles. Je demande franchement qui peut bien trouver son compte dans un film comme celui-là ? Je ne parle pas des papas et mamans qui sont allés le voir au cinéma, accrochés par Luchini ou par le contexte des années 50 qui leur évoque leur propres parents, et qui en sortant ont lâché un collégial "Ouais enfin c'était pas maaaaaal", soucieux de ne pas se plomber davantage le moral en repensant aux 8€50 X 2 qu'ils viennent de jeter aux ordures et aux 90 minutes de supplice qu'ils ont perdues devant un navet maxi modèle. Je parle de tous les autres français dans tous les autres cas de figure. Comment peut-on décemment trouver son compte devant un film pareil, qui n'est ni intéressant, ni bien joué, ni bien écrit, ni bien filmé, ni gai, ni savoureux, ni instructif, ni drôle, ni croustillant, ni dépaysant, ni divertissant, bref qui n'a strictement et définitivement aucune qualité. Comment peut-on ?
Les Femmes du 6ème étage de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain et Carmen Maura (2011)