Avant de le voir faut avouer qu'on avait un petit mépris pour ceux qui passaient leur temps à imiter Dujardin "cassant" les gens, à grand renfort de mouvements transversaux du bras droit. En même temps les gens qui ont passé des heures à faire ça doivent le regretter et doivent se trouver putain de laids avec le recul, quand ils se revoient sur toutes les photos le bras tendu, paume ouverte à l'oblique, avec la banane, et qu'ils peuvent lire sur leurs lèvres figées par la photographie : "Je t'ai cassé ahahah, j'ai cassé ta photo", ces types-là doivent avoir envie de se pendre. Mais on n'a pas envie de les attaquer, d'abord parce qu'on ne peut se résoudre à mépriser ces personnes qui sont des cibles idéales pour les trucs qui fusillent l'esprit et qui s'impriment insidieusement dans les habitudes, ces gens-là sont de véritables vases à merde et on respecte ça, mais surtout parce qu'on partage un truc avec eux : on s'est fendu la gueule devant Brice de Nice. Le gimmick du personnage de Dujardin n'est pas souvent marrant, mais il y a d'autres trucs dans ce film qui nous ont tués. Brice de Nice est le film d'un acteur, et pas celui qu'on croit. Même si Dujardin ne démérite pas dans son rôle, c'est Clovis Cornillac qui, quand il déboule à l'écran, fait entrer le film dans une autre dimension.

Coiffé d'une serpillère sèche et usée, vêtu du marcel de John McLane dans Die Hard 3 et d'un bermuda qui n'a pas choisi entre le short et le pantacourt, affublé d'un bronzage rougeâtre manifestement douloureux et surtout doté d'une diction unique en son genre, Cornillac crève l'écran. Après 110 piges de cinéma, il arrive ici à créer quelque chose d'inqualifiable, de complètement nouveau, que personne n'a jamais pu approcher ni prévoir. L'acteur campe une sorte de débile profond extrêmement généreux qui a un mal fou à s'exprimer, à trouver les termes, à les sortir dans l'ordre et de façon intelligible. On croit parfois percevoir des bouts de mots exacts mais ils sont noyés dans un charabia déballé avec un débit mitraillette qui a de quoi rendre fou. On dirait que l'acteur se noie quand il parle. Comment Cornillac est-il parvenu à créer ça ? Le mystère est total. Dans tous les cas ça fait de lui un grand comique, l'un de ces comiques qui risquent leur peau quand il s'agit de faire rire mais qui croient à fond dans ce qu'ils font. Bien plus drôle au final que Dujardin ou Salomone, Cornillac est la pièce rapportée plus tarée que le noyau dur de ce film qui, sous son influence, atteint des sommets. On se rappellera longtemps de plusieurs scènes hilarantes, dont celles où Cornillac côtoie Élodie Bouchez (qui lui renvoie d'ailleurs bien la balle), mais une séquence en particulier se veut la pierre angulaire de cette comédie déjantée et sans limites. Il s'agit de cette scène où Cornillac révèle à Dujardin qu'il a un problème de pieds avant de lui montrer que ses deux panards ne sont en réalité que deux énormes orteils atrophiés et très très laids, que Dujardin admire et qualifie tour à tour d'éclairs au café ou de nems avant de faire remarquer à Cornillac qu'il ne peut pas porter de tongs et ainsi de suite. Les deux personnages s'esclaffent et rient de leurs malheurs (car Dujardin en profite pour avouer quant à lui qu'il a peur des vagues, ce qui la fout mal pour un pseudo-surfeur), il se marrent comme deux gamins d'un rire extrêmement communicatif, emportant même l'adhésion des plus sceptiques que la danse des pieds de Cornillac n'aura (malheureusement) pas séduits. Cette scène a le don de faire marrer tout le monde, de mon tonton facho à ma tata lezdbo. C'est le point d'orgue mémorable d'un film tellement con et tellement conscient de l'être qu'il attire la sympathie, et qui en outre parvient à être véritablement inventif grâce notamment à un Clovis Cornillac qui échappe aux mots.
Brice de Nice de James Huth avec Jean Dujardin, Clovis Cornillac et Élodie Bouchez (2005)