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1 avril 2023

À Couteaux tirés

Il y a une réplique de ce film qui m'a toujours flingué. Elle est restée gravée en moi à jamais sans que je comprenne vraiment pourquoi. Ce n'est pourtant pas un film que je me suis repassé en boucle quand j'étais gosse, non, il ne faisait pas partie de ceux-là. Il a suffit d'une fois. Ou peut-être de deux... Oui, je crois que c'est ça : je l'avais maté un soir sur Canal avec mon padre, on avait tous les deux été scotchés. Puis il était repassé quelques jours plus tard, un matin, comme la chaîne cryptée le faisait alors, et il nous avait de nouveau scotchés. C'est ce genre de films-là, qui peut facilement scotcher un gosse et son padre. Je ne le reverrai pour rien au monde, je veux garder intact le bon souvenir qu'il m'a laissé et que j'aurais trop peur d'abîmer. Cela fait partie des moments magiques de mon enfance, les deux seuls passés avec mon padre. Il ne faudrait pas les altérer... 


 
 
C'était le troisième film de l'artiste néo-zélandais Lee Tamahori, son deuxième tourné sur le sol américain. Un tapis rouge lui avait été déroulé, des luxueux studios d'Hollywood jusqu'à son magnifique wharenui de Wellington, suite au retentissant succès de L'Âme des guerriers, "l'un des chocs cinématographiques de l'année 1994" selon le magazine Première, qui ne produit plus tout à fait le même effet au XXIème siècle (je ne remets pas en cause sa valeur historique, mais il a assez mal vieilli, il faut l'avouer). Lee Tamahori, qui avait commencé à faire ses gammes en tant qu'assistant de Nagisa Ōshima sur le tournage de Furyo, où il s'était chargé de toutes les scènes de guerre (80% du métrage), constituait alors un bel espoir pour le cinéma d'action américain, désireux de recruter les meilleurs talents de l'étranger, tel le Milan AC de l'époque et encore d'aujourd'hui (bravo à Olivier Giroud d'avoir su conjurer la malédiction des numéros 9 milanais). Avec ce survival de montagne d'une redoutable efficacité, Lee Tamahori s'avérait tout à fait à la hauteur des attentes placées en lui, ça ne faisait en tout cas aucun doute aux yeux d'un gamin de dix ans avide de sensations fortes et d'expériences extrêmes vécues dans le confort de son salon.


 
 
Le cinéaste néo-zélandais étalait ici le savoir-faire d'un artisan méticuleux, soucieux de faire briller à l'écran chaque dollar qui lui avait été généreusement alloué, heureux de s’amuser avec ses nouveaux jouets dans un vaste bac à sable aux mille possibles. Tamahori tirait le maximum d'un scénario très carré signé d'un expert autoproclamé, David Mamet, et obtenait le meilleur de sa petite troupe d'acteurs, toutes espèces comprises. Alec Baldwin, qui était à l'époque principalement connu pour être Monsieur Kim Basinger, se présentait comme le choix idéal dans ce rôle de photographe glamour fourbe et égoïste. Il est très convaincant et, privé d'arme à feu, on le sent réellement préoccupé par sa propre survie. Le cabotinage cher à Anthony Hopkins avait rarement été si bien canalisé, placé au service d'un récit à l'os. La puissance de la fameuse réplique dont je tarde tant à vous parler (rappelez-vous, si vous êtes encore là, mon premier paragraphe), c'est aussi et surtout à lui qu'on la doit. Enfin, Lee Tamahori a su exploiter à fond tout le potentiel cinégénique ultra flippant de Bart the Bear, l'ours vedette des années 90, dangereux miracle de la nature et comédien-né qui jouait hélas ici dans l'avant-dernier film d'une carrière trop courte mais imprimée sur toutes les rétines et gravée à jamais dans les mémoires. 



 
 
À la différence de notre sinistre compatriote Jean-Jacques Annaud (John-Jack Ring en anglais), qui s'était focalisé sur le côté peluche vivante de ce majestueux kodiak pur sang, le réalisateur océanien s'est affairé à nous en révéler la face obscure, féroce, bestiale et primitive. Lee Tamahori est allé très loin pour agacer l'ours surdoué, le faire régresser à l'état sauvage, afin de le mettre dans les meilleures dispositions avant de le filmer, écumant de rage et d'incompréhension. La peur des deux acteurs, enfin solidaires face à plus fort qu'eux, n'est jamais feinte. C'est en s'appuyant sur de vieilles techniques maories et en profitant des largesses alors permises par une réglementation de protection animale plus souple qu'aujourd'hui que Lee Tamahori a poussé l'animal, tenu affamé, dans ses derniers retranchements, pour un résultat tout bonnement insoutenable à l'image. C'est notamment cette haine farouche pour l'être humain, inculquée par l'imaginatif cinéaste à la manière forte, qui a conduit Bart à se retirer du métier et à finir ses vieux jours oklm dans une réserve naturelle de l'Utah, d'où il pouvait tout de même garder un œil sur les films diffusés à Sundance. 


 
 
Le critique de cinéma newyorkais Kenneth Turan Turan, très impressionné par The Edge (titre original du film), qualifia la performance de Bart de "pierre angulaire d'une carrière illustre", de "balise de repérage pour tous nos amis plus poilus", de "x marquant l'emplacement d'un trésor d'acting foudroyant à voir et à revoir", de "point d'achoppement d'une filmographie déjà légendaire" et d'"une étape importante dans la représentation des ours au cinéma et dans le jeu d'acteur ursidé" (traduction difficile, réalisée par mes soins). Je le rejoins sur tous les points. Nulle discussion possible : À Couteaux tirés marque bien le sommet d'intensité de la filmographie de celui que l'on a surnommé le "John Wayne des ours" en référence à sa classe nonchalante, son incroyable présence à l'écran et sa démarche claudicante (ndlr : due à un genu varum naturel pour l'ours, pathologique pour son duplicata humain).



 
Et il y a donc, j'y viens !, cette réplique terrible qui m'a beaucoup marqué et que je me plais encore à ressortir à la moindre occasion, quitte à lasser ma partenaire de PACS lors de nos longues promenades dominicales. Pour planter rapidement le contexte, il faut savoir qu'Anthony Hopkins et Alec Baldwin sont donc paumés en forêt, au beau milieu des Rocheuses, dans un coin certes assez humide et verdoyant mais pas spécialement hospitalier puisqu'il s'agit de la chasse gardée d'un ours de type colossal et belliqueux qui a une interprétation très stricte du concept de propriété privée. Une certaine rivalité lie les deux hommes que tout oppose : l'un est un vieux briscard plein aux as rompu aux jeux de survie en plein air tandis que l'autre est un citadin pur jus assez peu friand de randonnée. Surtout, ils se disputent la même femme : Elle Macpherson, que l'on surnommait à l'époque The Body, qui incarne ici une top modèle (car elle ne savait et ne pouvait pas jouer autre chose, faute de crédibilité et de talent). Entretenue par l'un, photographiée par l'autre, Elle (Macpherson) est la femme du millionnaire grisonnant et l'as de la pellicule est son amant. Hopkins étant au courant de tout, comme le spectateur, nous n'avons plus qu'à attendre sagement que les choses dégénèrent. Mais rien ne se passe tout à fait comme prévu et le règlement de comptes tant espéré va laisser place à une coopération tendue et forcée, seule condition pour que notre duo d'infortune, jeté dans la gueule de l'ours, garde espoir de s'en tirer. 


 
 
Alors qu'ils n'ont pas encore eu affaire au kodiak survolté, dont la présence menaçante se fait toutefois de plus en plus palpable à mesure que l'on croise en chemin ses immondes déjections, attestant d'un régime équilibré de carnivore vorace amateur de baies, et découvrons, stupéfaits, des pièges à ours soigneusement démantelés, soulignant l'intelligence supérieure du mammifère vicieux, les deux marcheurs tournent en rond et finissent par s'assoir dos à dos sur un rocher. Leur moral est au plus bas, surtout chez Baldwin, de loin le plus fragile psychologiquement. Le voyant pris d'incontrôlables sanglots, Tony Hopkins se relève, lui fait face et essaie de le recadrer, tel l'impuissant coach du PSG à la mi-temps d'un match retour couperet de 1/8ème de finale de Ligue des Champions. C'est alors que l'acteur britannique doublement oscarisé sort le grand jeu. "Sais-tu de quoi meurent les guignols qui se perdent en montagne ?" demande-t-il à son triste compagnon. "Nope", répond tout penaud Baldwin, en relevant tout juste la tête. Et à Hopkins, lucide et dur, qui a bien préparé le coup, très sûr de ses effets, d'enchaîner, avec un ton inimitable, le regard plus perçant que jamais, les poings sur les hanches, les pieds bien enfoncés dans les fougères, sa stature droite surplombant son pitoyable interlocuteur : 

"Ils meurent de honte."

 
 
J'étais cloué. Mourir de honte ?! Comme c'est cruel... De soif, de faim, de froid, d'une mauvaise chute, d'empoisonnement ou que sais-je, d'accord, c'est d'ailleurs ce que propose bêtement Baldwin lors de pénibles énumérations improvisées par le comédien, soucieux de montrer qu'il pouvait faire face à l'aplomb de son intimidant collègue britannique, et systématiquement coupées par le metteur en scène car cela ne collait pas du tout au script. Mais crever de honte ?! Quel effroi ! Si la tension dramatique du film atteint son apogée un peu plus tard, lors de la fameuse rencontre musclée avec un Bart the Bear devenu Bart the Beast, le véritable climax psychologique de ce thriller sylvestre est bel et bien contenu dans ces simples mots, prononcés avec un soin maniaque par celui qui était jadis si à l'aise dans la peau du génie du mal Hannibal Lecter. Des propos qui nous marquaient au fer rouge, dont j'ai retenu malgré moi la moindre syllabe et au-delà. Ils me sont utiles à chaque sortie, quand le temps du demi-tour salutaire et du retour à la maison se fait désirer. On peut en tirer une morale toute simple : il ne faut pas avoir honte d'appeler les secours quand on est paumé en montagne. Ne croyez pas l'adage : le ridicule peut tuer, oui, s'il vous empêche de reconnaître votre échec, d'accepter que vous avez merdé, de voir la réalité en face et d'appeler piteusement à l'aide. C'est, au milieu des frissons, la grande leçon que l'on peut garder du survival incisif de Lee Tamahori. 
 
 
 
 
Oubliez donc la plutôt agréable partie de Cluedo filmée de Rian Johnson, quand bien même vous êtes un admirateur gaga d'Ana de Armas comme mon frère Poulpard – qui a toujours eu un faible pour les latinas. Des À Couteaux tirés, il n'y en a qu'un seul, c'est celui-ci. Et continuez de vous méfier de Lee Tamahori. Je suis persuadé que le bonhomme en a encore sous le capot. Il n'y a qu'à voir des photos récentes de lui pour constater qu'un feu ardent diabolique, constamment alimenté par son âme damnée, brûle encore derrière son regard si noir et pénétrant. À tout moment, il peut décider de revenir et redistribuer les cartes. Je ne serai pas étonné qu'il sorte de sa retraite pour casser la baraque et rappeler à tous qui est le patron. Moi, je vous aurai prévenus.


À Couteaux tirés (The Edge) de Lee Tamahori avec Anthony Hopkins, Alec Baldwin, Bart the Bear et Elle Macpherson (1997)

22 janvier 2014

Blue Jasmine

Vu y'a trois jours, et je m'en souviens déjà très mal, le Woody Allen de 2013 n'est vraiment pas un grand cru, contrairement à ce qui a beaucoup été dit. Comme d'hab. Mais dès les premières minutes, il m'a tout de même apporté une grande satisfaction, un immense soulagement : ce film n'allait pas chambouler mon top ! Ma plus grande crainte, en tant que blogueur ciné, est toujours de découvrir l'un des meilleurs films de l'année passée seulement après la publication officielle de mon top. C'est ma hantise. Il y a une période où je lance toujours les films de l'année écoulée dans la peur... J'en fais des cauchemars la nuit. Avec Blue Jasmine, aucun risque, dès le premier quart d'heure, regardé sans décrocher les mâchoires, j'étais fixé. Même pas dans mon top 20 !




Nous sommes donc supposés rire et pleurer devant les déboires de la belle Jasmine, incarnée par une Cate Blanchett irréprochable. Sauf qu'on ne rit à peu près jamais et que l'on pleure encore moins devant les mésaventures de cette pauv' femme amenée à dégringoler les classes sociales suite à la mort de son mari (Alec Baldwin), riche hommes d'affaire new-yorkais et véritable escroc (je fais très bref, c'est un peu plus compliqué que cela). On ne fait donc qu'admirer la performance d'une actrice qui prend visiblement bien plus de plaisir que nous dans la partie et qui parvient à rendre supportable un personnage auquel on aurait, sans cela, bien du mal à croire. On suit tout ça sans souffrir, en se demandant parfois quand est-ce que le film va vraiment commencer, étrangement. Par chance, j'apprécie plutôt Cate Blanchett au demeurant, ça m'a permis de tenir. A vrai dire, peut-être est-ce le jeu extrêmement précis et maîtrisé de l'actrice qui situe le film dans un espèce d'entre-deux bizarre, entre la comédie légère et le drame social tragique, et finalement nulle part, car d'aucun côté Blue Jasmine ne trouve son salut. Ce serait tout de même assez cruel envers Blanchett, qui est clairement le principal intérêt du film...




J'ignore si je suis atteint d'une forme rare d'amnésie sélective, mais je ne me souviens plus précisément de ce film. Voilà, j'ai presque tout oublié. Au troisième paragraphe, je dois bien vous l'avouer, car là vous me voyez ramer. Je ne sais plus, par exemple, comme il se termine, ce qui est toujours rageant quand on a flingué une soirée pour arriver au bout. Alors certes, j'imagine qu'il doit bien y avoir deux ou trois passages assez savoureux là-dedans, ça reste un film de Woody Allen, il n'a pas complètement perdu la main. Mais je ne pourrais pas replacer ces trop rares moments ni vous assurer qu'ils existent bel et bien. Je n'arrive pas à retomber dessus sur VLC Player. Je vise toujours largement à côté. Je suis donc passé à travers le Woody Allen de 2013, après l'avoir pris en pleine poire comme les dix précédents. Pas grave, il y aura d'autres occasions, je n'ai pas non plus l'impression d'avoir raté grand chose. Je pourrai me rattraper cette année, il les enchaîne le filou !


Blue Jasmine de Woody Allen avec Cate Blanchett, Sally Hawkins, Alec Baldwin et Peter Sarsgaard (2013)

16 mai 2011

Stone

En ce moment, il est de bon ton de cirer les pompes de l'acteur Robert De Niro. L'actuel président du 64ème Festival de Cannes est le véritable Dieu de la Croisette. Profitant de l'occasion, tout le monde y va de son petit éloge adressé à l'acteur bicentenaire. Je ne suis pas là pour remettre en question son statut de légende vivante du 7ème Art, loin de moi cette idée, je ne me permettrais pas. En outre, je le considère également comme un très grand acteur, bien entendu. Que ce soit dans S1m0ne ou, plus récemment, dans 88 minutes, l'acteur m'a plus d'une fois mis sur le cul. Je n'écris pas non plus ces lignes pour rappeler que la carrière de la star est en chute libre depuis le début du nouveau millénaire, ce qui commence à faire un petit bout de temps. Non, ce serait trop facile, et j'estime qu'à 60 ans passés et avec le statut qui est le sien, on peut tout à fait se permettre de foutre en l'air sa propre carrière. C’est bien légitime. Non, c'est d'un sujet plus léger, plus terre-à-terre mais néanmoins assez tristounet dont je veux aujourd'hui vous dire deux mots. 
 
Il emmagasine, il emmagasine, sa grosse ride entre les sourcils en dit long... A force, il va finir par imploser !
 
Malgré les applaudissements interminables qui suivent l'acteur partout où il passe depuis l'ouverture du Festival (applaudissements auxquels il répond systématiquement "It's ok, it's ok" le dos voûté et les épaules bien basses), il ne vous aura certainement pas échappé, si vous êtes bon observateur, que l'homme affiche une mine peu réjouie, disons même une très sale tronche fort peu avenante. De Niro a l'air véritablement à cran. Las. Dégoûté. Vénèr. C'est un type au ras des pâquerettes que Cannes semble s'efforcer de fêter en grandes pompes comme pour tenter d'éluder l'inéluctable déclin de son festival. Aux multiples rides présentes sur son front d'homme mûr est venue s'ajouter une autre ride, quelques centimètres plus bas, comme figée, attirée par le bas des deux côtés, et autrement plus cruelle car elle est formée par ce qui habituellement lui sert de bouche. Pas spécialement connu pour sa loquacité en temps normal, Robert de Niro est tout simplement muet comme une tombe depuis mercredi dernier. Il n'en lâche pas une, et ça commence à la foutre mal. Vraiment. Surtout quand on est amené à croiser mille journalistes à la minute, à donner son avis sur tout un tas de films et à échanger avec un jury susceptible composé de professionnels de la profession. On pourrait penser que l'acteur prend vraiment à cœur son rôle de président du jury et fait valoir le fameux droit de réserve. Ou bien qu'il est agacé par la triste blague remise à la mode par le Petit Journal de Canal+ (toujours là quand il s’agit d’entretenir le culte de la vanne pourrave) consistant à lui demander s'il est bel et bien en train de nous parler et s'il a réellement baisé notre femme. Cette parodie des deux scènes les plus mémorables de sa carrière ne le fait plus rire depuis environ 30 ans, et ça se comprend complètement. Mais ça n’est pas ça, sinon l’acteur aurait pété les plombs plus tôt. Alors pourquoi ? Pourquoi Monsieur le Président tire la gueule ? 
 
Quand il se force à sourire, ça donne ça ! La partie gauche de son visage est irrémédiablement figée par le courroux tandis que la partie droite lutte encore pour sourire, mais plus pour longtemps.
 
J'ai mon explication. Elle vaut ce qu'elle vaut, mais elle est d'une logique imparable. Si l'acteur est imbuvable et d’une humeur exécrable depuis son arrivée sur le sol français, c'est tout simplement parce que celle-ci coïncide avec la malhabile sortie en salles de Stone, un film dont il n’est pas très fier, et il y a de quoi ! Un film dont la sortie fait clairement tache à l’heure où l’on vante tour à tour la brillante carrière de Robert de Niro. Et l’acteur est le premier à en avoir conscience. Un mauvais timing de la part de Metropolitan Filmexport qui croyait faire là le coup marketing de l'année, et dont même Télérama a su relever le côté malavisé et nauséabond ! Car Stone est une horreur, un navet XXL, un monument de comique absurde et involontaire, une véritable ignominie. 
 
L'ambiance n'était pas non plus au beau fixe sur le plateau, à en juger le regard assassin qu'un Ed Norton à fond dans son rôle adresse au caméraman (qui aurait déclaré qu'il ne faisait que son boulot).
 
La première scène du film donne le ton et annonce la couleur. On nage en plein ridicule involontaire, qui pourra faire rire les amateurs de daubes et qui agacera tous les autres, moins patients. Alabama. Années 60. Il fait une chaleur à crever. Un jeune homme est affalé devant la télé. Une grosse pustule sur sa joue droite le fait vaguement ressembler à une caricature juvénile de Bob de Niro. Sa femme lui apporte de la bière sans qu’il la remercie ni lui adresse le moindre regard. Son visage désabusé en dit long : elle est au bout du rouleau, elle n’en peut plus de ce gros beauf fan de Formule 1 et qui préfère regarder le Superbowl plutôt que de fêter l'anniversaire de leur fille. Elle se rappelle leurs jeunes années et se demande à quel moment tout à basculé. Était-ce le jour où elle a refusé que son mari passe par "l'entrée de derrière" un jour qu'il était plus polisson que de coutume ? Sur ces interrogations, elle monte dans la chambre où dort leur petite fille, s’assoit au bord du lit, dégoutée, et se met à réfléchir profondément tout en contemplant une mouche en train de lutter pour sa survie, emprisonnée entre la fenêtre et la moustiquaire. C’est une métaphore subtile de sa propre situation. La jeune femme prend alors son courage à deux mains et descend au rez-de-chaussée pour dire ses quatre vérités à son con de mari. « Tu me fais chier, j’en ai marre, j’ai eu ma dose, j’étouffe, je veux me barrer, je te quitte, tu m’as fait chier, en plus tu pues quand tu rentres du boulot et tu ne te laves même pas avant d'aller te coucher. Je dois changer les draps tous les trois jours et par conséquent les laver, et comme on n'a pas de machine à laver parce que Monsieur estime que ce sera moins bien lavé qu'avec l'huile de mon coude, c'est bibi qui va encore s'y coller et ça a le don de me pourrir chacune des journées qui jalonnent mon existence ! ». Sur le coup, le jeune De Niro ne semble pas réagir mais, après quelques secondes de brainstorming intense, il bondit soudainement de sa chaise et file à son tour dans la chambre. La jeune femme le rejoint effrayée et le découvre au bord de la fenêtre grande ouverte, la petite fille dans ses bras, menaçant de la jeter dehors et par conséquent de la tuer. « Si tu me quittes, je la laisse tomber. Tu penses que j’en suis pas capable ? Tu te fous le doigt dans l’œil ! I swear to God, I swear to God ! ». Sous le choc, la femme le rassure et lui promet qu’elle restera avec lui. Le battant de la fenêtre se referme sur la mouche, morte instantanément par coup du lapin son destin est scellé, celui de la jeune femme rousse aussi, la métaphore est subtile. Le réalisateur John Curran est au sommet de son art. Le couple se rabiboche et même se bécote, emporté par l’émotion (pendant que leur fille, témoin de la scène vient de signer pour 20 ans de psychanalyse). Problème réglé, et brillamment s’il vous plaît. On pense que le film est terminé. Mais non, ça n’est que la scène d’introduction. Encore 1h40 de nawak ! 
 
Je sais ce qu'il me reste à faire si ma meuf menace de foutre les voiles : la même chose, mais avec le chat
 
Par la suite, Stone prend des allures de thriller sous Prozac mélangé à du Tranxen 200, mêlant les pires ingrédients du « legal drama » aux plus tristes poncifs chers aux films dits « de taule ». On y voit un Edward Norton dans la peau d’un taulard à la coupe de cheveux improbable qui, pour obtenir le droit de sortir de taule plus tôt, fout sa jolie petite amie (Milla Jovovich dans un rôle taillé sur mesure) dans les pattes de celui qui doit décider de sa liberté conditionnelle (De Niro). Manipulée par son boyfriend dont elle est éperdument amoureuse, Milla Jovovich doit donc procéder à du chantage sexuel, user de ses charmes tout relatifs pour amadouer Robert De Niro, évidemment à « deux jours de la retraite » avant d’être plongé dans cette sale affaire (comme Morgan Freeman et Danny Glover dans tous leurs films). 
 
L'intrigue du film résumée en un fan-art. Pour chaque film que je mate, je crée un montage de cet acabit, avec le titre au milieu. Ça me permet de me rappeler du film en cas de trou noir. Je range tout ça sur mon Iphone 3GS et je peux consulter mon album-souvenir à ma guise pour mieux discuter ciné avec mes amis. C'est très utile pour les films de merde comme celui-ci. On voit que Guy Pearce fait pareil dans la version uncut de Memento. A ce propos, ça fait six mois que je planche sur le fan-art d'Inception, que je n'arrive décidément pas à résumer de cette façon.
 
Tout cela nous donne d’abord droit à un terrible duel d’acteurs, dans la même veine que la confrontation à couteaux tirés entre Anthony Hopkins et Alec Baldwin dans le film éponyme. Ed Norton campe à nouveau un personnage mi-ange mi-démon et cabotine comme c’est pas permis. Il nous offre ainsi quelques passages très plaisants aux dialogues savoureux. Face à lui, Robert De Niro fait déjà parler sa mauvaise humeur naturelle et ne se laisse pas impressionner par l’argumentaire pourtant brillant du taulard dont il n’est pas du tout convaincu de la rédemption. Et qu’il est donc bien décidé à garder sous clé encore quelques temps, au moins le temps qu'il parte à la retraite, soit dans deux jours si vous avez tout suivi. Quand il sera ensuite confronté au jeu de séduction de Milla Jovovitch (c'est un non-sens), ce sera une autre paire de manches, et le grand De Niro finira par succomber. Avant cela, nous aurons tout de même pu voir l’acteur se mordre les lèvres jusqu’au sang, les yeux rivés sur le plat postérieur de sa partenaire, lors de scènes terrifiantes de vérité inavouable. 
 
Une posture proposée par l'actrice pour charmer son partenaire. Milla Jovovich est l'indice permettant normalement se savoir à l'avance que l'on a affaire à une saloperie de film. Je l'ai compris qu'après-coup. Sur ce plan, elle me donne presque envie de reconsidérer mon orientation hétérosexuelle.
 
Hélas, Stone est surtout un drame humain dépeint à coups de hache et ultra glauque, le fil rouge de toute cette histoire demeurant la relation pénible et malsaine qu’entretient De Niro et sa bonne femme. Bien que hautement déprimant, c’est tout de même cet aspect du film qui nous vaut la scène la plus énorme, la plus inattendue, celle que je me suis repassée 3-4 fois de suite et qui m’a fait hésiter une seconde avant de supprimer le .avi. Le pire, c’est que ce moment d’anthologie échappe pratiquement aux mots. J’aimerais pouvoir vous le raconter, mais je m’en sens incapable. Il faut l’avoir vu. Ça restera comme un des grands moments de cinéma de l’an de grâce 2011, et je tâcherai de m’en souvenir quand le moment des rétrospectives et des bilans sera venu. Dans cette scène, où le ridicule du film atteint son paroxysme, l’actrice jouant la vieille femme de De Niro pète littéralement un câble. Après s’être envoyé l’équivalent d’un jerrican de rouge derrière la cravate, elle se met à baragouiner des horreurs sans nom dans sa barbe, aux côtés d’un De Niro en tongs sur sa chaise-longue, plus occupé à finir son sudoku et qui préfère d’abord faire comme si de rien n’était. Quand la vieille rouquine l’invite à aller sucer des queues en Enfer, dans un clin d’œil déroutant à L’Exorciste, c’en est trop, et De Niro, à son tour, sort de ses gonds. Se retrouvant coincé dans une impasse avec deux acteurs disjonctés prêts à s’étriper, le réalisateur s’extrait de cette scène très difficilement, la rendant d’autant plus grotesque. 
 
Ce gros plan mortel survient après un travelling en apesanteur accompagné d'une musique ambient sinistre. C'est la Grande Faucheuse qui nous contemple droit dans les yeux.
 
On a en effet connu John Curran un peu plus inspiré dans Le Voile des Illusions, où il filmait déjà Ed Norton, nettement plus convaincant dans la peau d’un docteur bien décidé à éradiquer le choléra et épris de la belle Naomi Watts de manière alternative. Ici, le cinéaste livre un des films les plus plombant qu’il m’ait été donnés de voir. Les deux derniers plans du film, qu’il vous faut à tout prix voir également, sont à vous glacer le sang, littéralement. On a notamment droit au regard caméra le plus foudroyant de l’Histoire. Et que dire de cette scène tragi-comique où un Edward Norton oubliant qu’il est filmé apparaît ravi d'avoir enfin compris le double-sens derrière le slogan des barres chocolatées Twix ? Qu’est-ce que ça vient faire là ? 
 
Olivier Assayas est plus que déçu par l'attitude de la star
 
Ce film est la raison pour laquelle Bob De Niro enchaîne scotch sur scotch sur les terrasses cannoises à l’heure qu’il est, la tronche bourrée de Doliprane et de Vicodin introduite illégalement sur le territoire français, le tout sous un soleil de plomb n’arrangeant rien à l’affaire. Ce n'est pas bon de mélanger l'alcool et les médicaments. C’est à cause de Stone qu’un climat de haine sans précédent règne parmi les membres du jury, une ambiance irrespirable instaurée par le Président, à grands renforts de soupirs méprisants qui en disent longs, de mains posées "par inadvertance" sur le cul de Uma Thurman, et de doigts d’honneur sans équivoque. Le plus triste, c’est que je viens de vous résumer ses trois seuls modes de communication. En coulisses, il se dit qu’un remake sanglant de Shining se prépare dans les décors clinquants du Grand Palais et dans les loges VIP putrides du Grand Journal…On imagine déjà un torrent d'hémoglobine se déverser sur les fameuses marches et finissant par noyer quelques starlettes à la manque... 
 
 
Stone de John Curran avec Robert De Niro, Edward Norton et Milla Jovovitch (2011)

23 septembre 2009

La Fille de Monaco / Sliver

Believe it or not : La fille de Monac' c'est le Sliver français. Première phrase de cette double critique, j'annonce la couleur. Sliver c'est ce film repère du cinéma Hollywoodien du milieu des années 90, avec un Tom Berenger à peine sorti de "rehab", un Alec Baldwin tâchant bec et ongles de se faire un prénom au sein de la seconde plus grande famille du cinéma après celle des Lumière, et surtout, surtout, une Sharon Stone dont le seul nom en tête d'affiche suffisait à faire dresser les foules. Même les malheureux qui n'auront eu internet qu'en 2005, à une époque où Mariah Carey et Christina Aguilera étaient les nouvelles coqueluches des gros fumistes, même ceux-là auront tapé le nom de cette star sur Google Image. La beauté de ce casting faisait de Sliver un petit bonheur d'analyse filmique, trop souvent rencardé au triste rang de porno tout public ou de thriller érotique façon Hollywood Nights.


Côté côte d'azur, la star est une miss météo à l'élocution problématique quand il s'agit d'en faire sortir des dialogues intelligibles. Je me contenterai quant à moi d'évoquer l'affreux cas de ce film, remake non-reconnu et moribond d'un doublon américain qui forçait le respect. Côté clients, les deux pôles opposés : l'avocat chétif, grisonnant, baveux et plein aux as ; l'agent de sécurité bronzé, sportif et analphabète doté d'abdos dodus. C'est ainsi que le fessier rebondi et travaillé en salle de muscu d'un Baldwin motivé à mort pour "faire la diff" avec son frère est troqué contre le goût surdopé du verbe d'un Pat' Luchini sous viagra. Par ailleurs un Roshdy Zem souffreteux a manifestement bien du mal à nous faire tirer un trait sur le Tom Berenger de Platoon.


Rien, jamais rien ni personne ne nous fera oublier cette scène où, en plein restaurant, Sharon Stone se retrouvait sans culotte et invitait Alec Baldwin à chatouiller son fort intérieur du bout des pompes avant d'y enfiler sa gambas jusqu'à la garde dans un plan séquence de tous les diables, sommet du cinéma horrifique, totalement traumatisant. Jamais rien ni personne ne nous fera oublier cette scène où Baldwin copule avec Sharon Stone contre un des piliers de son vaste appartement, instantané de l'Histoire du cinématographe où Philip Noyce parvint littéralement à "faire pleurer la pierre" tandis qu'un gros pilier de béton chialait à l'image dans le dos d'une actrice survoltée trop occupée à marabouter son partenaire de jeu, ce diable de Baldwin, dans la position dite du "crabe".


La Fille de Monaco d'Anne Fontaine avec Fabrice Luchini, Roshdy Zem et Louise Bourgoin (2008)
Sliver de Phillip Noyce avec Sharon Stone et Alec Baldwin (1993)