Affichage des articles dont le libellé est Laura Dern. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Laura Dern. Afficher tous les articles

13 juillet 2025

Le Monde perdu : Jurassic Park

Souvenez-vous quand même du début : faux raccord sur faux raccord, mise en abyme dans l'abyme, génie d'inventivité cinématographique à tous les étages qui malgré l'absence de Sam Neill au tableau d'affichage nous laissa espérer un numéro II encore plus fou que le I (à l'image des saga références Terminator, Predator, Leprechaun). Il y a cette gosse de riche (Camilla Belle, qui quelques années plus tard justifierait son nom de famille, pur glow up, avant de le biffer sans prévenir) qui se fait grailler par une petite meute de mini dinosaures affamés et surexcités sur la plage d'une île déserte où ses parents sirotent des olives vertes au pied d'un yacht indécent. Le hurlement que pousse la mère en découvrant la mort ultraviolente de sa fillette chérie dans un bain de sang digne de la Cène, avec 13 mini dinos à la place des apôtres, arborant tous des bretelles, un sourire narquois et un œil mi-clos de plaisir, arborant surtout chacun un organe de la gosse encore pendu au coin des lèvres, se fond au mixage avec l'arrivée stridente d'une rame de métro new-yorkaise sous les yeux hagards d'un Jeff Goldblum (qui, tel Lucho Gonzalez à la mi-temps d'OM-Rennes, prend le contrôle du ballon pour ce deuxième opus), surpris par la caméra du maître Spielberg en plein bâillement au-devant d'une autre plage déserte sertie de cocotiers dont il s'avère qu'elle n'est qu'une vulgaire publicité placardée derrière lui au mur du tromé. Cette diablerie d'introduction (pour rappel, on a déjà raconté comment l'un d'entre nous l'a ratée par la faute de son grand frère intellectuellement limité et surnommé Glu3, dans notre article sur Matrix, lisez ça si c'est pas déjà fait : c'est toujours vrai et la réalité depuis ne nous a pas donné tort), cette diablerie d'intro donc nous a scotchés et fait croire que tonton Spielberg affichait la même grinta que pour le 1er film du nom, ou que Lucho Gonzalez offrant la ligue 1 et son trophée, l'Hexagone, à toute la cité phocéenne, à Mamadou Niang, à feu Pape Diouf (RIP, à jamais dans nos cœurs, aux côtés de Ghandi et de Malcolm X), enfin bref à toute la planète Mars'eille, à l'issue d'un match mémorable, le 5 mai 2010 (date tatouée sur nos butts).
 
 

 
 
Après ça, le film retombe malgré Julianne Moore et Richard Schiff, la première adorable et l'autre à croquer, jusqu'à toucher le fond de la filmographie spielbergienne lors d'une séquence affligeante et absurde où la fille du personnage de Goldblum se tire des pattes d'une petite bande de racailles vélociraptors en les envoyant valdinguer lors d'un entraînement improvisé d'aerobic : on en chiale encore. On passera sur Pete Postlewaithe, fraîchement auréolé de l'Oscar pour son interprétation de Ghandi dans le film éponyme de Richard Attenborough qui lui donne ici la réplique, et qui incarne un chasseur de t-rex chevronné un peu pesant ; on passera sur Vince Vaughn alors dans le creux de la vague et qui n'avait pas encore fait la connaissance de Will Ferrell et de sa bande ; on passera aussi sur l'arrivée des dinos en gare de la Ciotat à la fin du film, qui s'avère déceptive. 
 
 
 
 
 
Certes on retiendra quelques menues séquences, qui nous rappellent que derrière la caméra se trouve un oncle. Comme celle où un papa et une maman t-rex furax attaquent les caravanes de Goldbum et sa bande qui ont kidnappé leur petit ; ou cette séquence hors-sol du défilé des raptors sur un podium, fringués en ballenciaga, avec en fond sonore le "I I follow I follow you, gipsy baby, i follow you" de Dick Rivers. Mais rien de comparable au PTSD suscité par le premier épisode, qui restera à jamais dans nos vies et qui trône encore et pour toujours sur notre dvdthèque, au grand dam de nos compagnes qui n'en peuvent plus de nous voir imiter le raptor soulevant une bâche avec la tête, tous les soirs, quand on passe sous le rideau de porte avant d'envahir la chambre conjugale. Au dam encore plus grand de nos beaux-parents qui se mordent le poing à chaque fois qu'avant de passer à table en famille on hurle en imitant le doubleur touché par la grâce de Jeff Goldblum : "Oubliez pas de vous laver les mains avant de manger !", phrase presque chantée tandis que l'acteur voit Laura Dern s'éloigner après avoir fouillé les fientes d'un tricératops malade, le bras plongé là-dedans jusqu'à la garde (parfois même, selon les dimanches et notre humeur taquine, on cite cette autre réplique issue de la même scène : "C'est vraiment un gros tas de merde !", constat simple qu'il nous arrive de ressortir quand belle-maman nous sert son fameux flan d'artichauts).



 
 
Rien dans ce deuxième épisode poussif ne peut rivaliser avec l'étalage d'idées géniales de l'original : autant d'images qui nous hanteront à vie. Quelqu'un vous fait pivoter le crâne avec sa main utilisée comme une pince de fête foraine pour vous inviter à mater un spectacle éloquent (geste certes trop rare), et vous revoyez aussi sec la première apparition des dinosaures vivants, quand Laura Dern chope la tronche d'un Sam Neill tout feu tout flamme et la tourne vers où téma pour qu'il arrête de raturer la carte du parc et capte enfin la sérénade des brachiosaures. Tapez dans une table sur laquelle repose un banal verre d'eau et, voyant les petites rides concentriques à la surface du liquide, vous serez coincé de nouveau dans la bagnole téléguidée où Tim, sa sœur et l'avocat véreux qui finira en apéricube, gobé sur un chiotte, regardent les signes annonciateurs de l'arrivée d'un animal qui pèse manifestement son poids (comme quand Tonton Scefo, aka "the great white whale", rejoint la salle à manger depuis sa chambre contigüe : on peut observer le même phénomène physique, presque climatologique). La moindre ombre chinoise un peu cambrée sur le mur du réfectoire nous a fait quitter la cantine du bahut en hurlant comme des malades à plusieurs reprises. 
 
 


 
Dès que l'électricité saute, lors des vacances chez tonton, à Rieupeyroux, dans l'Aveyron (l'électricité y saute trois fois par jour en moyenne), on se tourne vers le cousin (on l'appelle comme ça parce qu'on ignore son prénom), fils de tonton Scefo, sosie officiel de Dennis Nedry, pour le choper au colbac et lui demander ce qu'il mijote en douce sur son minitel et ce qu'il a planqué dans son tube de crème de rasage. Dès que les téléphones marchent ! Dès qu'ils daignent marcher putain, on rend grâce à Dieu (qui depuis, pour nous, a l'apparence de Samuel L. Jackson, comme l'a confirmé Bruce tout puissant). On est aussi dans le film jusqu'au cou dès qu'un gros œil cligne au hublot de la porte de la cuisine (en général celui de Tonton Scefo, son seul œil valide, qu'il colle là quand il veut savoir si sa gamelle est enfin prête, tout en faisant claquer l'ongle de son gros orteil deux fois sur le carrelage). Ne parlons même pas de la fois où on s'est retrouvés suspendus à la clôture électrique de la bergerie, sous le regard implorant de moutons inquiets d'entendre le buzzer retentir, signalant que le paternel était en train de rebrancher un à un les fusibles, au sous-sol, inconscient qu'il allait bientôt nous expédier ad patres, et où on a pris une purée de châtaigne alors qu'il célébrait son exploit d'avoir déniché le compteur. Vous l'avez compris, chaque scène du premier Jurassic Park est gravée là. Au point qu'on a plus parlé de celui-là que de l'objet annoncé de cet article. Au point surtout qu'on maîtrise désormais l'orthographe du mot "jurassique", même si on doute systématiquement sur celle de "parc".


Le Monde perdu : Jurassic Park de Steven Spielberg avec Jeff Goldblum, Laura Dern, Richard Attenborough, Julianne Moore, Pete Postlewaithe et Vince Vaughn (1997)

9 juillet 2025

Jurassic Park

Honnêtement, on doit dire que tous les films suivants n’ont jamais pu atteindre le premier Jurassic Park. Quand on dit "tous les films suivants", on ne pense pas seulement aux suites de Jurassic Park (Le Monde perdu bien sûr, Jurassic Park III et tous les infames Jurassic World), non on pense à "tous les films suivants". L'ensemble de la production cinématographique post-1993. En effet, le premier, le vrai Jurassic Park, l'unique, est une œuvre d'art cinématographique. Au premier sens de chaque terme. Prenez le temps de les relire un par un. Et on ne saurait même pas dire combien de fois on l'a vue, cette œuvre d'art cinématographique... Notre père qui êtes aux cieux (il est bien vivant, mais on l'appelle toujours comme ça), notre paternel, car nous sommes frères, a toujours dit qu'il jetterait le magnétoscope par la fenêtre si on le regardait encore une fois... Il n'a jamais ressenti le cinéma... Pourtant ce film nous a fait traverser notre adolescence. On avait exactement 7 et 8 ans quand on a vu cette merveille en salle, en 1993, au CGR de Manosque. Maintenant on en a 70 à nous deux et on l'aime toujours autant... C'est bizarre parce que normalement on était partis pour être deux intellos précoces, loin de se laisser berner par des animatroniques, mais dès la première séquence, Spielberg nous avait rattrapés... On a lâché les études après cette séance, soit en CE1 pour l'un et en CE2 pour l'autre. C'est tôt pour arrêter d'apprendre. Mais la vie nous a souri quand même, et nos trois enfants, cousins, désormais adultes, Mado, Lucho et Macho, adorent aussi le premier Jurassic Park... On leur a transmis nos gènes pathologiques, nos pieds carrés et notre passion. De rien.


 
 
Frères de naissance mais devenus meilleurs amis en 94, nous avons tous deux acheté la VHS le jour même de sa sortie. On l'avait en double donc, chacun la sienne, et nous avons tous deux épuisé notre exemplaire, car nous avons tous deux regardé cette révolution artistique en boucle pendant les années, les décennies, qui ont suivi. Tant d'années, tant de souvenirs... RIP le magnétoscope qui a fini en vol plané sur la pergola. Pour nous, tout le film a l'équilibre parfait entre anges (Laura Dern) et démons (Richard Attenborough), entre nature humaine céleste (L. Dern) et bestialité préhistorique infernale (T. Rex), entre pur chaos (Jeff Goldblum) et pure harmonie (Laura Dern), chaos et harmonie à l'intérieur et à l'extérieur de nous et à travers l'univers, mais surtout entre pure évolution (Laura) et pure perfection (Dern). Le film donne la banane (Sam Neill) et ne vieillit jamais (Samuel L. Jackson). Spielberg est un génie du cinéma. On l'aime autant que ses films, que tous ses films, que l'on serait bien en peine de nommer et, pire encore, de départager, de même que l'on serait incapables de faire une préférence entre nos trois gosses (même si Lucho a une place à part dans nos cœurs).


 
 
On ne se lasse jamais de ce film. Vous non plus, avouez. Peu importe votre âge. Si vous passez une mauvaise journée, si le monde ne va pas dans votre sens (et il ne va jamais dans le nôtre) : c'est toujours le médicament. Merci Steven. On vient de le regarder après quelques années sans y retoucher et on a pleuré presque tout le long. C'est fantastique. Juste un morceau incroyable de cinéma moderne avec des paysages visuels si captivants... Cela vous balance dans un monde différent et vous pouvez vous y plonger corps et biens ! (?) Ce film place Steven Spielberg et John Williams au même rang que les nombreux grands cinéastes et compositeurs classiques qui ont créé un cinéma qui sera vu et une musique qui sera écoutée pendant des siècles ! Ce qui fait de Spielberg l'un des plus grands cinéastes de l'histoire, quelque part entre Buster Keaton, David Lynch et Franck Gastambide. Oui, au début des années 2000, on regardait ce film tous les soirs dans notre lit. On avait environ 20 ans. Aujourd'hui, on est septuagénaires en pré-retraites à nous deux et quand on le regarde à nouveau (on aurait dû faire un plan avant de se lancer au brouillon), on est toujours submergés par sa beauté. C'est la première fois depuis toutes ces années qu'on en parle, qu'on vide notre banane devant vous, et cela nous fait très plaisir. Quelqu’un l’a appelé le film quantique : c’est bel et bien ce qu'on pense de Jurassic Park.
 
 
Jurassic Park de Steven Spielberg avec Sam Neill, Laura Dern et Jeff Goldblum (1993)

4 décembre 2018

Certaines femmes

Kelly Reichardt continue son petit bonhomme de chemin, en nous emportant dans son sillage. Certain Women réunit un casting d'exception, la fine fleur du cinéma indépendant américain : Kristen Stewart, Laura Dern, Michelle Williams. Ces actrices sont toutes passées par les douleurs du cinéma hollywoodien à grand spectacle et se blottissent l'une contre l'autre sous le bras bienveillant de la papesse du cinéma indépendant US actuel. Nous avons vu ce film il y a dix mois, et nous n'avons aucune envie irrépressible de le revoir, mais à la sortie de la séance, nous affirmions sans ciller avoir vu un grand film, à la hauteur de l'estime que nous portons depuis ses débuts à la cinéaste. Depuis, il y a eu de nombreux débats au sein de la réaction (c'est-à-dire entre nous deux, entre quatre yeux et deux murs), quant à la vraie valeur de ce film. L'un de nous a cru clore le débat en demandant tout haut quelle eût été notre réaction face au même film réalisé par David Gordon Green (ce fumier qui, entre nous soit dit, serait totalement infoutu de tourner ce film, n'étant du reste capable que de chier des merdes). Or, on ne s'en tirera pas comme ça, Certain Women est un film de Kelly Reichardt et de personne d'autre. Elle a quand même une sacrée patte, une pasta con leche.





Certain Women est à ranger dans la catégorie des films à sketchs, même si le terme "sketch", habituellement relié à l'idée d'humour, n'est pas tellement de mise. Nous suivons trois histoires, quatre femmes, cinq répliques (film peu bavard). Nous avons vraiment adoré ce film sur le coup. A nos yeux, Kelly Reichardt est une très grande cinéaste, digne de tous les éloges. Les actrices du film sont irréprochables, extrêmement douées pour donner vie à quatre très beaux personnages, bien travaillés, bien écrits : de beaux portraits de femmes. Mais dix mois après c'est un peu le trou noir, et on en vient à douter de la qualité intrinsèque du film quand il ne nous en reste pas grand chose, rien qui donne envie d'en parler, de le raconter, d'écrire dessus... Là, tout de suite, on ne le reverrait pour rien au monde. Si on nous proposait de passer la soirée devant ou de choper une gastro fulgurante pour passer deux heures sur le bidet à gerber, on répondrait peut-être qu'une petite purge nous ferait le plus grand bien... Ars longa vita brevis. On a déjà donné. Bravo quand même. Superbe film. Merci Richard. Courez le voir.


Certain Women (Certaines femmes) de Kelly Reichard avec Laura Dern, Kristen Stewart, Michelle Williams et Lily Gladstone (2017)

26 avril 2012

Bellamy

Nous avons vu ce film au cinéma. C'était le dernier Chabrol, il fallait aller le voir sur grand écran, même si on ne savait pas du tout que ça serait le dernier Chabrol quand on est allé le voir. Quoique. Y'avait de gros indices... N'espérez pas le thriller hard-boiled annoncé par cette affiche sanglante qui ressemble à un poster de chez Total, avec le Bibendum Michelin et tout le tintouin. N'espérez pas le polar bourré de testostérone que laissent espérer les gros bras du casting : Cornillac, Gamblin, et surtout Depardieu. Ce film annonçait la mort au moins cinématographique de son auteur, définitive disons, parce que les précédents Chabrol étaient déjà en demi-teintes quand ils n'étaient pas complètement foirés : La Fleur du mal, La Demoiselle d'honneur, La Fille coupée en deux... Mais avec Bellamy on atteignait un comble dans la quête du vide, du néant. Impossible aujourd'hui de nous rappeler l'intrigue de ce film, son sujet global, le moindre dialogue ou la plus petite scène. Hormis peut-être deux décadrages sans saveur et le vague flash d'un face-à-face musclé entre Gamblin et Depardieu dans un Formule 1, où l'acteur obèse passait son temps à secouer ses draps et à refaire son lit. On croit aussi se souvenir d'une scène tendue entre un raptor surexcité et Laura Dern dans un mini-short que Lynch porte depuis en béret, mais nous ne sommes pas persuadés que cette scène soit bel et bien dans Bellamy.



Le pire c'est que même pendant la séance on aurait été infoutus de comprendre de quoi parlait le film. Entre co-rédacs on nageait complètement dans le récit insipide du père Chabrol (Félix imite avec ses mains le mouvement de la brasse à mes côtés). A la fin de sa vie, faire un film devenait plus que jamais pour Chacha un prétexte pour satisfaire à sa gourmandise et à son épicurisme légendaires, toujours la main droite au fion d'une serveuse ou d'une assistante (le souci naissant du fait qu'il n'employait que des membres de sa famille à tous les postes du plateau), et la main gauche accrochée à son quart de rouge, "la boisson du garde rouge !", se plaisait-il à hurler très fort. La fameuse pause d'entre midi et cinq devenait de plus en plus matière à procès pour Chacha et ses invités, pas les derniers à verser dans la picole, et notamment Depardieu, cas auquel nous avons choisi de consacrer la fin de cet article.



Toutes les grandes stars française du cinéma sont-elles condamnées à finir en eau-de-boudin ? Amy Winehouse, Whitney Houston, Jean Reno, Christian Clavier et donc Gérard Depardieu. Le trio infernal des gros tocards de droite, même si Reno et Clavier n'ont jamais au grand jamais été des stars, en tout cas pas en France. Sur ce blog on aimait Depardieu jusqu'à récemment, en vérité jusqu'à son intervention au meeting de Sarkozy, où il est allé gueuler que notre président serait un saint homme injustement lynché par le peuple de France, un homme qui "ne fait que du bien et dont on ne dit que du mal"... On pouvait espérer que l'acteur, qui a commencé sa carrière détendu du gland dans un film prônant une certaine liberté, couilles à l'air et chapeau de paille enfilé sur des cheveux de la même étoffe, ne serait pas devenu un militant de droite prêt à tout pour copiner avec les puissants quels qu'ils soient. C'est raté. On ne dira pas du jour au lendemain que c'est devenu un mauvais acteur, juste qu'il est totalement à côté de plaque, à la ramasse, qu'il nous fait de la peine et que s'il a toujours un bon moteur, y'a plus personne au volant.


Bellamy de Claude Chabrol avec Gérard Depardieu, Jacques Gamblin, Clovis Cornillac et Marie Bunel (2009)

8 juin 2009

Une Histoire Vraie

Avez-vous déjà passé 2 heures 30 à mater un vieux con à califourchon sur un tracteur miniature ? Moxopussy, Iowa, juin 1994. Alvin, un veillard tétu, enfourche sa tondeuse à gazon pour traverser une grande partie des Etats-Unis afin de retrouver son frère frâichement tombé malade et depuis longtemps perdu de vue. Près de 400 kilomètres parcourus sur un petit engin fort inapproprié, certes particulièrement économe en gazoline (2 litres au 100) mais d'une lenteur extrême (15km/h en vitesse de pointe).

Cette petite histoire somme toute très bête et à peine digne de figurer dans un guiness book parcourt peu à peu le pays, d'abord véhiculée de bar en bar par des vieux de la bande d'Alvin, souvent moqueurs et pas toujours admiratifs de son odysée ridicule. Il faut savoir qu'entre eux, Alvin était déjà appelé "le vieux con", et il était seulement célèbre pour avoir le gland devenu d'un vert unique avec le temps. Avec les joies du "téléphone arabe", l'histoire se déforme, et l'une de ses plus fameuses versions précise par exemple qu'Alvin a fait le trajet entièrement nu en ayant la gaule de bout en bout. Elle parvient finalement jusqu'aux oreilles décollées de David Lynch, qui y voit là un scénario miracle, l'occasion idéale pour signer son retour aussi original qu'inattendu dans un genre qu'il a déjà éclaboussé de son talent relatif par le passé : le road movie. Comme il n'est pas à une connerie près, David Lynch choisit d'intituler son film "a straight story", comme pour nous signaler qu'il racontait là l'histoire d'un homme "qui en a deux grosses". Plus consensuel, le titre français n'est pas "Une histoire d'hétéro" mais tristement "une histoire vraie".



Ce titre peut faire l'objet de bien des critiques. Rien qu'en y pensant, il m'a bouffé pas mal de mon temps. Lynch raconte une histoire vraie et il l'appelle "une histoire vraie". Il s'est battu avec les studios pour appeler tous ses autres films "fiction #1", "fiction #2", et ainsi de suite, ça n'est jamais passé, mais "une histoire vraie" est passé entre les mailles du filet. En tout cas, ça montre bien la profondeur d'esprit de David Lynch. Ça reste un mec vachement terre-à-terre, contrairement à ce que certains de ses films peuvent laisser penser aux plus naïfs d'entre nous. La petite histoire veut qu'à l'origine, le titre intégral fut peu ou prou "Une histoire vraie, réelle, tirée de faits réels, basée sur la vérité, poignante et touchante, je veux vous en mettre plein la race".

Via ce film, le réalisateur le plus lynchéen* de notre époque, Lynch himself, ne veut-il pas tâcher de lancer une bonne fois pour toutes sa seconde carrière, ou carrière perpindiculaire mainstream, déjà ébauchée avec Elephant Man, un succès mi-figue mi-raisin ? On pourrait le croire, tant cette histoire vraie est dépeinte avec le moins d'implication possible. On est quasiment face au premier "tractumentaire" de l'histoire (un docu sur les tracteurs). Lynch, qui a bâti un petit empire sur l'art de jongler entre un son intradiégétique et extradiégétique, des effets de mise en scène, des jeux de lumière, des ellipses à St Tropez, des scénarios alambiqués, triturés jusque dans leurs moelles, surprend ici avec cette histoire vraie ô combien linéaire, désespérément plate, assurée tout risques, filmée de dos, et peuplée d'acteurs certainement pas lynchéen (exit Bill Pullman et sa vieille raie sur le côté, exit Laura Dern et son fion de méduse, exit Patricia Arquette et ses dents de la mer...). Nous sommes en présence d'un UFO dans l’œuvre volante jamais identifiée d'un connard fini !



Lynch a souvent répété en interview (après avoir corrigé la prononciation de son nom, qu'il faut prononcer "David Linge") que selon lui, chaque film est une expérience et doit être vécu comme tel, dans les conditions idéales et propices à son expression la plus totale que réunit une salle obscure hi-tech. D'après lui, écran géant, image optimale, son dts à te défenestrer la gueule, et fauteuils aquagyms sont nécessaires et indispensables pour apprécier un de ses films à sa juste valeur. Quand on prend ces directives en considération pour Une Histoire vraie, on sort seulement du film la gueule ravagée par le bruit incessant et assourdissant du moteur diesel HS du tracteur en rade d'un vieillard aux portes de la mort.

J'ai un pote de la fac, celui qu'au foyer on surnomme l'Hélicoptère, qui a traversé Toulouse d'est en ouest du Mirail au Jardin Jap', à cloche-pied, nu comme un ver, avec une grosse plume au cul. J'attends fébrilement une Histoire Vraie #2 par le même Dave Lynch, à jamais et pour toujours mon idole !



*Lynchéen : adj. masc. Se rapporte à tout film glauque.
[hist] Dave Lynch est l'un de ces rares réalisateurs qui, à l'instar d'Hitchcock, ont droit à un adjectif propre.
[sens figuré] Merdeux.
Exemple: "Fils, va nettoyer les chiottes, ils sont dans un état lynchéen".


Une Histoire Vraie de David Lynch avec Sissy Spacek et Richard Farnsworth (1999)