9 octobre 2012

Ricky

Osons Ozon, Joséphine. Ricky est peut-être le meilleur film à ce jour de François Ozon, et c'est pas peu dire quant au niveau de la carrière du cinéaste français. Ricky n'est pas du tout ce qu'on peut appeler un bon film mais il a le maigre avantage sur ses prédécesseurs d'être étonnant. Pas seulement par son scénario (c'est l'histoire des parents d'un petit garçon ailé) mais par sa construction narrative. Le plus étrange c'est la façon dont Francis Ozon gère la dimension temporelle de son film : les étapes s'enchaînent à toute allure, par exemple quand, au début de la seconde moitié du film - bien après la naissance de l'enfant mais dans la séquence qui suit cette naissance pour nous autres spectateurs, bluffés par un montage regorgeant d'ellipses qui sont autant de gouffres narratifs - Alexandra Lamy reproche un soir à Sergi Lopez de rentrer trop tard à la maison, adressant tout à coup un reproche de vieux couple à un amant qu'elle semble avoir rencontré la veille. Tout est ainsi dans Ricky : le patron de l'ouvrier Sergi Lopez le convoque dans son bureau pour lui annoncer qu'il va avoir un bébé et dans le plan immédiatement consécutif une sage-femme rejoint le même Lopez épuisé par son accouchement, allongé sur son lit d'hôpital, les gambas poilues encore en éventail, pour lui déclarer que c'est un beau bébé de trois kilos. Cut. Gros plan sur le bébé qui fait 6kg au bas mot, dont 3kg d'ailes de poulet.


Quand on lui demande son nom, Sergi, avec son accent catalan à trancher à la hallebarde, répond : "Lopez, une seule aile pour voler du pez".

Ces ellipses sont commises sans s'annoncer, sans qu'on puisse les deviner instantanément. Du coup on est toujours en porte-à-faux devant cette histoire abracadabrante et ces personnages inconsistants. Soit c'est un manque de maîtrise accablant, soit c'est censé montrer à quel point tout se fait et se défait rapidement dans le milieu de la classe moyenne qui se déplace en scooter, qui dort sur un clic-clac dans le salon d'un petit appartement HLM de banlieue, qui travaille à l'usine, qui ne sait pas se coiffer et qui chie la porte ouverte, faute de porte. Je pencherais plutôt pour cette deuxième option. Ozon nous montre que tout est impalpable, sans saveur et sans solidité tangible pour ces gens-là. Toutefois ce traitement du temps demeure quelque peu intriguant... Difficile de s'y faire mais on est bien obligé puisque c'est la seule pointe d'intérêt du film. Quoi qu'il en soit on est ni plus ni moins devant un gros film social où l'aspect fantastique n'a d'intérêt que pour en rajouter une louche sur le misérabilisme de l'ensemble. L'enfant ailé naît d'une étreinte stupide entre deux inconnus dans les chiottes d'une usine, lors d'une fuite de produits toxiques, et au lieu de donner naissance au Toxic Avenger les tristes tourtereaux pondent un demi poulet cru à forme humaine. Pour se faire enfin un peu d'argent les parents du petit Ricky finissent par accepter de montrer leur bébé aux journalistes, un Ri(s)cky business, et le perdent à ce moment-là quand il s'envole au-delà d'un lac, certainement vers un parc Walibi. Les gosses...


Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Non, c'est ce con de Ricky !

Ricky devient un OVNI, un UFO. Le gosse ou le film ? Both ! Faut voir le bébé volant tester ses ailes fraîchement poussées et se manger la vitre de la baie vitrée de l'appartement en pleine poire pour s'écraser dans un bruit sourd sur la moquette. Ça laisse des traces ce type de scène. C'est un trauma pour le spectateur lambda. Pour conclure, une petite trivia croustillante : Sergi Lopez a déclaré en conférence de presse que lors de son séjour au service militaire dans la Marine, en poste à Toulon, il s'est fait faire un tatouage sur le postérieur : "G 2 L Q", le "O" manquant étant représenté par son trou de balle en personne... L'acteur confie que lorsqu'Ozon lui a envoyé le script de son film sur un nourrisson doté d'ailes, il s'est tout de suite rappelé de son butt tattoo et a vu ça comme un signe.


Ricky de François Ozon avec Sergi Lopez et Alexandra Lamy (2009)