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3 mars 2023

Les Cinq Diables

Léa Mysius, 33 ans, toutes ses dents : deux films au compteur, deux films épinglés dans nos pages, c'est du 100%. Ava nous avait conquis par sa fraîcheur et sa vitalité, Les Cinq Diables nous ont cueillis par leur ambition et leur originalité. Alors certes, avec Mysius, c'est du échec ou mat. Ça passe ou ça casse. La jeune dame a 36 idées à la minute, toutes ne sont pas bonnes et il n'y pas toujours quelqu'un pour faire le tri. Mais on préfèrera toujours assister au spectacle d'une cinéaste qui ose que se taper le millième remake signé Hazanavicious d'un film dont il ignore qu'il s'agissait déjà d'un remake. Bref, Mysius, on est clients, on est dans ton camp, on porte le même maillot, on a la même passion, et ce deuxième long métrage nous conforte dans l'idée de te suivre où que tu ailles. La réalisatrice native de la cité bordelaise et cliente du salon de thé Chez Karl (dont on recommande les bols de chocolat chaud servis comme par maman à quatre heures quand on a un petit rhume ; pour la modique somme de 18€ la soucoupe vide et 34€ le bol complet, à condition de connaître le patron, Karl donc, et qu'il vous fasse un "prix d'ami") nous donne rendez-vous ici au carrefour des émotions et surtout des sensations. Car si le cinéma est une expérience sensitive, il est ici un chant de tous les sens, une symphonie des odeurs : Léa Mysius ajoute au cinéma une nouvelle dimension, quitte à rompre le quatrième mur. On regarde enfin un film avec son blair.




Adèle Exarchopoulos vit dans les Alpes auprès de sa fille Vicky Exarchopoulos (Sally Dramé). Celle-ci est dotée d'un odorat surdéveloppé et passe son temps à créer des collections de parfums qu'elle conserve dans des bocaux Bonne Maman. L'une de ces fragrances provoque chez elle des catalepsies qui la renvoient dans le lourd passé de sa propre Bonne Daronne. Secrets, mensonges, manipulations sont au rendez-vous dans un festival pyrotechnique que l'on ne pensait plus voir sur grand écran. Notons au passage que tous les techniciens qui ont participé à l'incendie final de la salle des fêtes ont été nommés aux César des meilleurs effets visuels et en sont repartis bredouilles. Même si le dispositif narratif fait de flashbacks successifs n'est pas le plus original ni le plus heureux en termes de dramaturgie et de suspense, Léa Mysius s'en sort haut la main en déroulant un scénario plutôt bien ficelé, intriguant du début à la fin, modeste m'bami (paix à ton âme), au service de personnages soignés et touchants, tous autant qu'ils sont (mention spéciale au papa-poule de Vicky, interprété par Moustapha Mbengue, qui nous a cuits à cœur lors d'une séquence finale tout simplement bouleversante), servis par des acteurs au diapason, et surtout une actrice qui donne de sa personne, quitte à plonger dans un lac gelé avec pour seule combinaison sa propre graisse de canard.




Petit hommage bien mérité à Adèle Exarchopoulos dont nous saluons les choix de carrière et l'exigence vis-à-vis des autres et d'elle-même. Contrairement à certaines, qui se reconnaîtront peut-être, et qui prétendent être amies avec elle, Adèle Exarchopoulos ne tourne pas 63 films par an dans l'espoir d'obtenir enfin un César avec un rôle fléché pour le décrocher sans forcer (au hasard, une rescapée des attentats de 2015 en train de siroter le sang encore chaud des victimes). Elle en tourne 4 l'an, parmi les plus audacieux, les plus casse-gueules, signés par de jeunes réalisateurs et réalisatrices qui ont des idées un peu nouvelles, s'efforcent de créer des choses que nous n'avons pas déjà vues mille fois, parlent de leur époque sans oublier de raconter des histoires. On pense aussi au très recommandable Rien à foutre. Spoiler : Adèle, lauréate du César du meilleur espoir féminin en 2014 (ça ne nous rajeunit pas) finira tout de même par avoir le César ultime, et elle enterrera toutes les machines à succès éphémères au sang froid qu'elle supplante déjà dans le cœur des spectateurs du monde entier ainsi que dans leur historique de navigation privée firefox.




Du panache, voilà ce dont Léa Mysius nous gratifie et ce dont le cinéma manque cruellement ces temps-ci. Les Cinq diables est un film qui ne rentre dans aucune case prédéfinie, dont nous n'avons toujours pas compris le titre, que l'on aurait même du mal à pitcher (cf. notre deuxième paragraphe, dont nous ne sommes nous-mêmes pas très fiers et que l'on ne préfère pas relire, d'où les coquilles probables...). Léa Mysius prend le risque de se viander la gueule. Son film n'est pas réductible à une bande-annonce, et n'a pas bénéficié de cet atout essentiel à son succès, d'où son échouage programmé et avéré (bravo au distributeur). Ou alors il aurait fallu inventer, innover, là aussi, et imaginer la première bande annonce olfactive de l'histoire du cinéma : entre deux pubs pour Chanel et le charcutier-toiletteur du coin. Vous avez senti ce vent des ténèbres à moitié cramé ? Vous avez peut-être accusé votre voisin de rangée de vous avoir fait sentir son démon intérieur. Eh non, c'était le teaser des Cinq Diables. Car il faut bien s'y mettre à cinq pour produire un tel fumet. 
 
 

 
Mais quel toupet, cette Mysius ! Elle a le nom d'une magicienne, et elle nous a encore ensorcelés. On relève ses deux trois maladresses, qu'on attribue à sa jeunesse et à la difficulté des missions qu'elle s'impose, comme par exemple filmer les odeurs. Filmer les odeurs est une gageure et Mysius, pour le dire gentiment, ne relève pas vraiment le défi. Elle se vautre en beauté devant ce pari impossible que même Welles aurait aussi décliné en écartant poliment de la main le scénario des Cinq Diables si on le lui avait proposé à l'époque. Un documentaire de 1948 nous montre le grand Winnie l'Orson assis face au scénariste Truman Capote Duralex, fixer son interlocuteur les yeux dans les yeux tout en poussant du bout de la patte, par petits coups successifs, un pavé dactylographié vers le bord de la table, comme le font les pires greffiers avec les verres d'eau sur la planche de la cuisine, jusqu'à la chute inévitable de cette infection de script puant et maudit. On soupçonne ledit tapuscrit d'être celui des Cinq diables, que tous les producteurs se refileraient depuis sous le manteau, osant à peine le renéguer, tâchant de s'en débarrasser le plus vite possible en le refourguant à d'autres victimes, et Léa Mysius d'être la première depuis papy Welles à le lire et à se dire : Banco !


Orson Welles lisant le script des Cinq diables.

Qui aurait réussi à filmer des odeurs ? Filmer des sons, c'est fait, la belle affaire : merci Hitchcock, merci De Palma, merci Adrian Lyne ! Mais qui s'est fadé les odeurs ? Eh bien Mysius a essayé. Elle n'a peut-être pas réussi, mais pas totalement raté, et surtout, on lui sait gré d'avoir mis les mains dans le cambouis, de s'être risquée à ça, avec l'insouciance de la jeunesse et le courage d'une femme qui se bat contre des montagnes, les Alpes, et qui fait tout simplement face à la difficulté, à l'impossible, pour plus de liberté en ce monde. Elle ose rêver à un cinéma affranchi de ses propres limites, qui nous ferait enfin décoller vers des sphères inconnues, des cimes que l'on aimerait pouvoir tutoyer. On retient donc le positif de ce film inclassable dont nous aurons peut-être su vous dégoûter. Sachez que ce n'était pas l'objectif. Déjà un immense merci si vous nous lisez encore. Les Cinq Diables sont plus faciles à suivre que nous et la filmographie entière de Léa Mysius plus courte à voir que notre papelard à lire. Bon courage à vous et encore bravo à elle, à Adèle et à toute la fine équipe.


Les Cinq Diables de Léa Mysius avec Adèle Exarchopoulos, Sally Dramé, Swala Emati, Daphné Patakia et Moustapha Mbengue (2022)

4 octobre 2022

Deux minutes plus tard

Deux minutes plus tard est aux films de voyages temporels ce que Ne Coupez pas ! est aux films de zombies. Le rapprochement est facile mais naturel : tout y invite. Egalement venu du Japon, le premier long de Junta Yamaguchi, qui repose lui aussi sur une prouesse technique qui ne paraît pas vaine ou gratuite, est animé par la même inventivité et le même enthousiasme. Il s'agit de ce que l'on appelle dorénavant un nagamawashi, un petit film de genre au budget ruiquiqui, tourné en un seul jet, phénomène justement apparu sur l'Archipel depuis le succès du zombie flick original et déjanté de Shin'ichirô Ueda. On nous propose ici de suivre les mésaventures du gérant nonchalant d'un petit café de Kyoto qui, un beau soir, découvre que le moniteur de l'ordinateur de sa chambre affiche des images se déroulant deux minutes dans le futur. Il s'aperçoit dans la foulée que l'écran de son café, situé à l'étage inférieur, affiche quant à lui des images du passé, avec toujours le même décalage de deux minutes. Rapidement, un petit groupe d'amis se constitue autour de lui, chacun s'emballe pour cette inexplicable étrangeté temporelle et propose de mener quelques expérimentations... Jusqu'à ce que, évidemment, les choses se compliquent, notamment à partir du moment où l'un d'eux a la chic idée de positionner les deux écrans l'un en face de l'autre afin d'y voir plus loin dans l'avenir et créer un effet Vache-qui-rit temporel (ou effet Droste, comme repris dans le titre original).


 
 
Contrairement à d'autres films du même genre, à concept fort, qui finissent par plier sous le poids de leur idée initiale et de ses conséquences démesurées, Deux minutes plus tard, tel le saut de puce temporel qu'annonce son titre, sait joliment se contenir, ménage intelligemment ses effets et n'est jamais dépassé par son pitch. Son scénario, aussi modeste que malin, est habilement resserré et c'est très naturellement que le paradoxe temporel aboutit, en fin de compte, aux prémices d'une histoire d'amour. Ainsi, Junta Yamaguchi penche beaucoup plus vers l'humour, la légèreté ou la comédie romantique, que le sérieux et le mindfuck que lui aurait aussi permis son idée de départ endiablée. Quand deux agents du futur apparaissent tout à coup pour mettre un peu d'ordre dans la pagaille provoquée par la bande de loustics, ils amènent des principes faciles à avaler et sont immédiatement tournés en dérision avec leur pistolet laser ridicule et leur poudre magique supposée effacer les mémoires trop gênantes façon Men in Black. L'esprit éminemment simple et sympathique du film est résumé là.  


 
 
Tourné au smartphone, avec trois francs six sous, dans un seul décor, par une petite équipe soudée et soucieuse de ne commettre aucun couac – tel nous le montre le générique final, qui nous propose quelques aperçus des coulisses – le film de Junta Yamaguchi allie, comme son sanguinolent prédécesseur, une ambition étonnante malgré des moyens minimes. Comme la longue première partie déconcertante de Ne Coupez pas, Deux minutes plus tard consiste donc en un seul plan séquence. L'inventivité fait tout, et elle est quasi de chaque instant. Ce choix a ici un sens évident, puisque la sensation du temps réel rend tangible et grisante l'expérience vécue aux côtés des personnages : nous sommes presque dans le même état d'excitation. Il s'accompagne aussi d'une petite réflexion ludique sur le cinéma et le pouvoir des images, le libre-arbitre et notre façon d'envisager l'avenir. Bien sûr, Deux minutes plus tard est avant tout une petite parenthèse divertissante et ne creuse pour de bon aucune des pistes évoquées. On est là pour rigoler, principalement, et imaginer, superficiellement, ce que nous ferions dans la même situation. Le dernier lauréat du Prix du Public du Festival du film fantastique de Toulouse est donc un petit régal à savourer d'un trait. On y retrouve exactement les mêmes ingrédients que dans Ne Coupez pas et cela fonctionne de nouveau à plein tube. Sur un rythme trépidant, en à peine 1h08, le film n'ennuie et n'assomme jamais, mais amuse tout le long. On ne peut que passer un bon moment et saluer la malice de la fine équipe aux commandes. On attend désormais le remake miteux de Michel Hazanavicius avec Duris et Bejo ! 


Deux minutes plus tard de Junta Yamaguchi avec Kazunari Tosa, Aki Asakura et Riko Fujitani (2021)

30 janvier 2021

Felicità

Felicità
, le deuxième long métrage écrit et réalisé par Bruno Merle, produit un très drôle d'effet : il donne l'impression qu'il démarre à peine au moment même où il se termine, au terme de ses 82 minutes que nous n'avons pas vu passer. Et ce n'est pourtant pas là un reproche que j'adresse au film, bien au contraire. Felicità produit cet effet étrange parce qu'il s'agit d'un petit film continuellement surprenant et déroutant, dont on ne sait jamais ce qu'il va bien pouvoir nous réserver ni où il nous amène, à tel point qu'il nous maintient sur le qui-vive, éveille et entretient tout du long notre curiosité, prenant soin de ne jamais entamer notre espoir de savoir enfin à quoi nous avons véritablement affaire. Bruno Merle le reconnaît, son mot d'ordre lors de l'écriture du scénario était de surprendre : il dit avoir fabriqué son film "comme un jeu de pistes dont on ne sait jamais s’il va partir à gauche ou à droite". Le souci, pour ce cinéaste qui n'avait rien tourné depuis 2007 (Héros, pour lequel j'ai désormais une certaine curiosité) et a vu l'un de ses projets lui échapper (il a écrit Le Prince oublié, avant de devoir en laisser la réalisation à Michel Hazanavicius), était aussi de signer une histoire à taille humaine, aux besoins très modestes, pour mieux en garder le plein contrôle. Avec ses trois personnages facétieux, son récit, mené tambour battant et à la construction ingénieuse, concentré sur 24 heures et sa si courte durée, Felicità est un petit film tout à fait assumé, et c'est encore là une belle qualité. Aussi petit qu'il soit, on peut même se féliciter qu'un tel film, si original, joli et malin, puisse exister aujourd'hui.




Pour ce qui est de surprendre, force est de reconnaître que Bruno Merle a donc réussi son coup haut la main. En vérité, son film ressemble à ses trois personnages, des parents imprévisibles et fantasques qui ont promis à leur fille qu'elle pourrait enfin faire une rentrée normale, comme les autres gamins de son âge. Nous les suivons tous les trois, lors de ce dernier jour mouvementé, riche en surprises et en rebondissements, de leurs vacances d'été, découvrant chacun d'eux petit à petit. A l'image de ce trio, Felicità est difficile à cerner et on se méfie d'abord de lui, la faute à toutes les mauvaises comédies françaises passées avant lui, mais il devient rapidement plaisant, attachant et, surtout, très amusant. Les acteurs sont à l'avenant. En tête de gondole, Pio Marmai se montre de nouveau très à l'aise dans un registre où nous commençons à vraiment l'apprécier, lui qui apportait déjà toute sa verve comique et son énergie brute à une autre production modeste et très louable dont je vous avais aussi dit du bien récemment (Je promets d'être sage). Il est crédible dans le rôle de ce type un peu trop impulsif, échappé de taule alors qu'il ne lui restait plus que six mois à tirer, qui a un rapport très spécial avec sa gamine (incarnée avec talent et fraîcheur par la propre fille du cinéaste, Rita Merle) et qui est le premier à alimenter le petit jeu de farces et de bobards énormes dans laquelle toute la famille s'adonne à cœur joie, se faisant marcher les uns les autres (la première scène donne le ton) et mettant surtout la crédulité du spectateur à rude épreuve. En fin de compte, si sa narration chamboulée et ambiguë lui donne un côté un peu brouillon et fragile, Felicità n'en demeure pas moins une petite chose singulière, délicate et pleine de charme, qui fait passer un très bon moment. A l'évidence l'une des agréables surprises de cette année de cinéma si spéciale où, faute de grives, on aura au moins pu se taper un très bon Merle. 
 
 
Felicità de Bruno Merle avec Pio Marmaï, Camille Rutherford et Rita Merle (2020)

27 février 2012

The Artist

Très remarqué à Cannes, lauréat de trois prix aux Golden Globes, recouvert de BAFTA awards, sept au total, vainqueur des Césars avec six récompenses dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur, et grand gagnant des Oscars avec cinq statuettes dont celles du meilleur acteur et, encore une fois, du meilleur réalisateur et du meilleur film (une première pour un film français), The Artist est un film sans grand intérêt. Il y a bien quelques idées de ci de là, que la plupart des critiques ont relevées : celle de "faire entendre" par l'image quand Georges Valentin sourit soudain pour nous faire comprendre que le public de son film applaudit ; la scène du cauchemar, où le son surgit et s'avère plutôt bien exploité ; un joli plan où Dujardin verse un verre d'alcool sur son propre reflet à la surface d'un piano ; l'intertitre "Bang !" à la fin du film où l'onomatopée n'est pas celle qu'on croit. En dehors de ces idées certes bien pensées mais pas non plus incroyables, l'histoire, celle d'un acteur du muet viré de son grand studio hollywoodien lors du passage au cinéma parlant, est ni plus ni moins (façon de parler, c'est beaucoup moins que ça) celle du grand chef-d’œuvre de Stanley Donen et Gene Kelly Chantons sous la pluie, auquel Hazanavicius rend plus qu'hommage puisqu'il en reprend l'idée de départ et un certain nombre de séquences. Le scénario n'a donc rien d'original et le film s'avère de fait peu surprenant, d'autant qu'il stagne énormément et n'évolue guère. Et vu que les idées ne sont pas nombreuses, le film s'étale pour faire difficilement une heure et demi. Observer durant de très longues séquences un Dujardin déprimé, brûlant ses anciens films, voulant se suicider, buvant pour oublier et ainsi de suite devient très vite lassant.


John Goodman fait le geste "emblématique" du film, le geste fétiche du personnage de Dujardin et que l'acteur a reproduit douze mille fois sur tous les plateaux télé du monde et à chaque récompense reçue. Le chien vedette ou ce gimmick gestuel : autant de manières de marquer les esprits au fer rouge.

On s'ennuie devant ce film un peu trop sage qui manque cruellement de contenu. The Artist, qui serait laborieux à voir une seconde fois, a oublié d'être autre chose qu'un exercice de style bourré de références au passé, certes élégant, mais qui tourne finalement en rond sur pas grand chose. C'est une œuvre qui se tient à peu près grâce à son honnête réalisateur mais qui s'avère plutôt maigre, et on aimerait que le triste Thomas Langmann cesse de se traîner devant toutes les caméras pour se vanter d'avoir rendu ce film possible avec son argent, son carnet d'adresse et son audace extraordinaire : un film muet en noir et blanc, rendez-vous compte, quel exploit ! Pour trouver le noir et blanc faramineux en soi en 2011 il faut avoir une connaissance bien mince du cinéma d'auteur tel qu'il se pratique aujourd'hui. Et quand bien même c'est effectivement une tentative hors du commun, voire louable, pour un gros producteur de daubes comme Langmann, ça reste un film tout à fait classique et facile d'accès, qui ne déroutera jamais le grand public et dont l'éventuelle audace initiale, plaire au plus grand nombre sans couleurs et sans dialogues, est vivement contrebalancée par un récit conventionnel au possible.


Moi devant ce film.

On a pu lire ici et là que le film est important parce qu'il réapprend à vraiment "regarder" au cinéma au lieu de juste suivre bêtement une histoire, or The Artist est très très très narratif, il procède d'une narration littéraire et non "imagée". Le film est paradoxalement très bavard et donne vraiment l'impression de raconter avec des mots bien plus qu'avec des moyens proprement visuels. On aurait aimé qu'Hazanavicius ne se contente pas de trois idées sympathiques sur le concept du muet, qu'il s'efforce de fournir un vrai travail sur le sujet à l'aune de 83 ans de cinéma parlant. The Artist n'est pas un "vrai" film muet de l'époque, évidemment, mais il ne propose pas non plus une approche moderne (ou post-moderne) de l'art cinématographique via le réinvestissement d'une forme ancienne. La maigreur du propos et la faiblesse des moyens cinématographiques mis en œuvre sont peut-être un dommage collatéral de la vraisemblable humilité de l'auteur. Car il faut dire que la modestie dont ce dernier fait preuve dans son approche de l'histoire du cinéma le sauve. Voulant rendre hommage aux films du répertoire sans tomber dans la bouffonnerie grindhouse, Hazanavicius fait preuve d'une élégante sobriété sans laquelle on aurait largement pu taxer son film de stricte arnaque intellectuelle, et cette simplicité nous change pas mal de la tendance actuelle.

Bérénice Béjo : "Who's that girl ? That's the question on nobody's lips."

Le jeu des acteurs est lui aussi dans un entre-deux un peu bancal : nécessairement plus expressifs que dans un film "normal", rien ne se passe vraiment quand on les regarde, et on imagine très bien le même jeu d'acteur dans un film basique (on a déjà vu Dujardin mille fois plus cabotin qu'ici, du reste l'acteur se contente de rejouer ce qu'on l'a déjà vu jouer mille fois et que les Américains découvrent avec enthousiasme). Le nouveau Dieu des planches affirme en interview et avec entrain que ce film lui a permis de comprendre à quel point le langage du corps est important dans son métier. C'est bien de le découvrir maintenant. En ce qui nous concerne, nous n'avons rien appris que Chaplin, Lloyd ou Keaton ne nous avaient déjà prouvé il y a des lustres, et nous n'avons pas non plus découvert qu'un film doit se regarder et s'écouter avant d'être lu comme un simple scénario. A l'ouest que dalle de nouveau. L'exercice paraît d'autant plus vain que Dujardin, malgré ses douze récompenses dont un prix d'interprétation à Cannes et un Oscar du meilleur acteur à Hollywood, et malgré son imitation du chameau sur les plateaux américains, ne révolutionne pas franchement l'acting. De même, Hazanavicius n'utilise pas vraiment le muet pour mettre l'image toute-puissante sur un piédestal. En bref, l'exercice paraît bien vain, et s'il n'est pas médiocre pour autant on le trouvera rapidement lassant. Malgré les prouesses du dénommé Weinstein et de Miramax, qui à force de publicité et de bourrage de cranes avaient déjà fait sacrer Shakespeare in Love et d'autres films du même acabit, The Artist n'est certainement pas le meilleur film de l'année. On lui reconnaîtra le seul mérite d'être finalement moins misérable et plus original que la plupart des derniers lauréats de l'Oscar du meilleur film, et c'est déjà pas si mal.


The Artist de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin, Bérénice Béjo, John Goodman, Penelope Ann Miller, Malcom McDowell et James Cromwell (2011)

26 novembre 2011

Les Aventures de Philibert, capitaine puceau

Je ne comprendrai jamais ce genre de films. C'est juste fait dans le souci de reproduire du mieux possible des films qui étaient déjà médiocres à leurs sorties, des trucs ultra ringards, de mauvais goût et infiniment laids. C'est donc encore une nostalgie dégueulasse et mal placée qui aboutit à ce genre de films de petits faiseurs ridicules. Et ils font ça bien, ça ne rigole pas : les décors, les costumes, les scènes de duels à l’épée, etc, tout ça est fait avec un soin ostentatoire, insupportable ; c'est vraiment du travail d'orfèvre, réalisé par une bande de petits tocards bien soucieux de coller au plus près possible à leurs modèles minables. On n'est même pas vraiment dans la parodie, le bouchon n'est jamais poussé assez loin. Du coup, forcément, c'est pas drôle une seconde. En fait, on est dans le pastiche sans saveur et sans intérêt. Le réalisateur Sylvain Fusée déclare, non sans une certaine satisfaction du devoir bien accompli : "Le défi était de pasticher les films de cape et d'épée sans tomber dans la parodie. On n'est ni chez les Zucker-Abrahams-Zucker, ni chez Mel Brooks, ni chez les Monty Python". En effet, on est nulle part ! On est dans un film infâme qui donne seulement envie de revoir les quelques réussites des auteurs cités par Fusée. Dans l'esprit, le film peut rappeler les OSS 117 de Michel Hazanavicius, mais l'humour en moins !



On est attristé de voir l'acteur Jérémie Renier se démener comme il peut dans ce spectacle pitoyable. On a même de la peine pour lui quand on s'imagine qu'il a dû s'entraîner pendant des mois à l'escrime pour ce rôle et ce film nullissime, lui qui peut être si doué ailleurs, chez les Dardenne par exemple... Bon, par contre, force est de reconnaître que les tenues moyenâgeuse aux décolletés pigeonnants siéent particulièrement bien à la jeune Élodie Navarre. Pour être plus clair : elles mettent drôlement bien en valeur sa poitrine et c'est un régal pour les yeux de voir ces deux seins grossir au rythme des respirations de la dame. Voilà où on en est ! A parler des gros nibards de l'actrice pour relever le seul point positif de ce si triste film ! Une actrice dont le visage ne respire pourtant pas l'intelligence et qu'on aura tôt fait d'oublier, comme ce film ridicule...


Les Aventures de Philibert, capitaine puceau de Sylvain Fusée avec Jérémie Renier, Manu Payet, Alexandre Astier et les seins d’Élodie Navarre (2011)