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9 mars 2012

Hugo Cabret

Il y a de quoi être partagé sur le dernier bébé de Martin Scorsésé (il paraît qu'il faut prononcer comme ça, comme il faut prononcer "Schpielberg", "Cassavétès", "Frank Borzégui" et "James Cameroun"). Hugo Cabret, adapté du roman pour enfants à succès signé Brian Selznick, raconte l'aventure d'un fils d'horloger devenu orphelin, vivant seul dans les coulisses et les engrenages mécaniques d'une grande gare parisienne en quête d'une clé unique capable de faire fonctionner un automate déniché par feu son père dans un musée, machine supposée contenir un message posthume laissé par ce dernier. Poursuivi par un gendarme tenace traquant les orphelins (Sasha Baron Cohen), Hugo se fait prendre en train de chaparder des pièces d'horlogerie par Papa Georges (Ben Kingsley), un vieux vendeur de jouets rustre et cruel. Mais Isabel, la nièce du vieil homme, va l'aider plus qu'elle ne l'espère, elle qui possède mystérieusement la clé manquante pour résoudre l'énigme de l'enfant. Voila pour le départ de l'intrigue de ce film présentant de nombreuses qualités mêlées de menus défauts qui le maintiennent dans une sorte d'entre-deux dont, il faut bien le dire, on ressort tout de même plutôt conquis.



La première partie, très enfantine, a du charme malgré une esthétique parfois proche de celle de Jean-Pierre Jeunet dans la peinture du Paris folklorique des années 30. Les visions d'ensemble de la capitale comme d'un grand mécanisme sont pourtant heureuses, mais contrebalancées par des clichés un peu grossiers sur le microcosme de la gare avec sa jolie vendeuse de fleurs, son gardien à jambe métallique flanqué d'un chien terrible, ses musiciens de bal musette à moustaches et favoris et autres gros personnages truculents. Hormis ce décor boursouflé, le film ne contient rien de visuellement laid, et même si le long travelling à 100km/h tout en effets spéciaux qui ouvre le film dans la gare est inutile et plutôt désagréable, Scorsese le fait vite oublier ensuite par des effets très simples mais plutôt jolis, comme quand Hugo et Isabel ouvrent la boîte à dessins de Papa Georges et que les illustrations s'envolent pour révéler autant de créatures et de fées en mouvement. Autre point positif, les personnages sont intéressants et agréables, de Papa Georges au bibliothécaire incarné par Christopher Lee en passant par l'historien du cinéma adorateur de Méliès (incarné par le Michael Stuhlbarg de A Serious Man en double de Scorsese) et Isabel (campée par la remarquable Chloë Grace Moretz, sosie juvénile de Virginie Ledoyen dans L'Eau froide !), à l'exception du gendarme incarné par Sacha Baron Cohen, peint à gros traits et fatiguant à la longue avec ses attributs physiques lourdingues et sa psychologie de faux méchant estampillé Walt Disney.




Le film n'ennuie jamais, sauf quand il s'éternise sur ce personnage de gardien et son histoire d'amour secondaire ou sur ses comparses de la gare. Le projet cependant perd de son intérêt quand, dans la deuxième partie, beaucoup plus réussie, il délaisse un temps l'hommage à Georges Méliès pour une scène de course poursuite attendue entre Hugo et le gendarme bêtement cruel. Encore que cette séquence s'inspire judicieusement et honorablement des films muets aperçus précédemment, et notamment de la grande scène de l'horloge d'Harold Lloyd, s'élevant par là-même au-dessus du simple film d'action pour enfants et de la plupart des films actuels qui ne peuvent s'empêcher de citer à tout va sans raison là où Scorsese le fait à bon escient, de façon très claire et affichée, dans une œuvre où cela fait immédiatement sens. Le cinéaste a le bon goût de réaliser un film qui ne fait jamais le malin, un film qui plus est assez calme, dont les protagonistes ne sont pas surexcités, et dont toute l'aventure promise au départ, toute l'énigme incroyable ménagée par le scénario, ne tient que dans l'histoire d'un malheureux cinéaste injustement oublié, sauvé par des retrouvailles inattendues avec son public et avec les vestiges bien vivants de sa propre œuvre qu'il croyait disparue.



Scorsese navigue donc entre deux eaux, le pur film pour enfant avec ses poncifs lassants, et un film plus adulte (mais qui peut certainement séduire les enfants quand même et leur donnera peut-être le goût de cet art) en forme d'hommage sincère et émouvant au cinéma magique des premiers temps, incarné par la figure de Méliès (ce rapport aux origines du cinématographe justifie peut-être l'usage de la 3D comme surplus de magie, sujet sur lequel je ne m'étendrai pas n'ayant pas vu le film dans ce format). La deuxième partie, très touchante, est évidemment beaucoup plus intéressante que la première, sorte d'Oliver Twist chez Super 8, qui rappelle Spielberg par le biais de l'enfant orphelin tâchant de retrouver un message laissé par son père qui l'aiderait à supporter sa solitude, message dissimulé dans un automate à forme humaine qui n'est pas sans évoquer l'extra-terrestre qui donnait à David l'opportunité inespérée de vivre une dernière journée idéale avec sa mère à la fin de A.I..



Mais, disons-le, même dans cette première partie plus scolaire et moins originale, Scorsese ne s'en sort pas si mal, construisant de beaux personnages qu'il filme bien la plupart du temps, comme dans la scène où Hugo se souvient de son père en fixant du regard l'automate, le mécanisme de l'horloge derrière eux simulant le bruit et le faisceau de lumière d'un projecteur de cinéma projetant sur l'enfant le souvenir de son père qui, avant de mourir, l'emmenait voir les premiers films avec un enthousiasme communicatif. Hugo Cabret fait penser au cinéma de Burton (notamment quand Hugo et Isabel traversent le jardin menant à la demeure de Papa Georges - Johnny Depp a d'ailleurs produit le film et y fait une apparition), il rappelle aussi celui de Jeunet pour le pire et celui de Spielberg pour le meilleur. Il ne contient pas grand chose de Scorsese sinon une passion réelle et dévorante pour l'histoire du cinéma, un amour débordant pour cet art, que Scorsese partage assez délicatement avec les enfants comme avec les plus grands dans une œuvre appréciable dont restera le portrait d'un Méliès magicien et la joie éprouvée au seul son d'un projecteur de cinéma.


Hugo Cabret de Martin Scorsese avec Asa Butterfield, Ben Kinglsey, Chloe Moretz, Sacha Baron Cohen, Christopher Lee et Emily Mortimer (2011)

27 février 2012

The Artist

Très remarqué à Cannes, lauréat de trois prix aux Golden Globes, recouvert de BAFTA awards, sept au total, vainqueur des Césars avec six récompenses dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur, et grand gagnant des Oscars avec cinq statuettes dont celles du meilleur acteur et, encore une fois, du meilleur réalisateur et du meilleur film (une première pour un film français), The Artist est un film sans grand intérêt. Il y a bien quelques idées de ci de là, que la plupart des critiques ont relevées : celle de "faire entendre" par l'image quand Georges Valentin sourit soudain pour nous faire comprendre que le public de son film applaudit ; la scène du cauchemar, où le son surgit et s'avère plutôt bien exploité ; un joli plan où Dujardin verse un verre d'alcool sur son propre reflet à la surface d'un piano ; l'intertitre "Bang !" à la fin du film où l'onomatopée n'est pas celle qu'on croit. En dehors de ces idées certes bien pensées mais pas non plus incroyables, l'histoire, celle d'un acteur du muet viré de son grand studio hollywoodien lors du passage au cinéma parlant, est ni plus ni moins (façon de parler, c'est beaucoup moins que ça) celle du grand chef-d’œuvre de Stanley Donen et Gene Kelly Chantons sous la pluie, auquel Hazanavicius rend plus qu'hommage puisqu'il en reprend l'idée de départ et un certain nombre de séquences. Le scénario n'a donc rien d'original et le film s'avère de fait peu surprenant, d'autant qu'il stagne énormément et n'évolue guère. Et vu que les idées ne sont pas nombreuses, le film s'étale pour faire difficilement une heure et demi. Observer durant de très longues séquences un Dujardin déprimé, brûlant ses anciens films, voulant se suicider, buvant pour oublier et ainsi de suite devient très vite lassant.


John Goodman fait le geste "emblématique" du film, le geste fétiche du personnage de Dujardin et que l'acteur a reproduit douze mille fois sur tous les plateaux télé du monde et à chaque récompense reçue. Le chien vedette ou ce gimmick gestuel : autant de manières de marquer les esprits au fer rouge.

On s'ennuie devant ce film un peu trop sage qui manque cruellement de contenu. The Artist, qui serait laborieux à voir une seconde fois, a oublié d'être autre chose qu'un exercice de style bourré de références au passé, certes élégant, mais qui tourne finalement en rond sur pas grand chose. C'est une œuvre qui se tient à peu près grâce à son honnête réalisateur mais qui s'avère plutôt maigre, et on aimerait que le triste Thomas Langmann cesse de se traîner devant toutes les caméras pour se vanter d'avoir rendu ce film possible avec son argent, son carnet d'adresse et son audace extraordinaire : un film muet en noir et blanc, rendez-vous compte, quel exploit ! Pour trouver le noir et blanc faramineux en soi en 2011 il faut avoir une connaissance bien mince du cinéma d'auteur tel qu'il se pratique aujourd'hui. Et quand bien même c'est effectivement une tentative hors du commun, voire louable, pour un gros producteur de daubes comme Langmann, ça reste un film tout à fait classique et facile d'accès, qui ne déroutera jamais le grand public et dont l'éventuelle audace initiale, plaire au plus grand nombre sans couleurs et sans dialogues, est vivement contrebalancée par un récit conventionnel au possible.


Moi devant ce film.

On a pu lire ici et là que le film est important parce qu'il réapprend à vraiment "regarder" au cinéma au lieu de juste suivre bêtement une histoire, or The Artist est très très très narratif, il procède d'une narration littéraire et non "imagée". Le film est paradoxalement très bavard et donne vraiment l'impression de raconter avec des mots bien plus qu'avec des moyens proprement visuels. On aurait aimé qu'Hazanavicius ne se contente pas de trois idées sympathiques sur le concept du muet, qu'il s'efforce de fournir un vrai travail sur le sujet à l'aune de 83 ans de cinéma parlant. The Artist n'est pas un "vrai" film muet de l'époque, évidemment, mais il ne propose pas non plus une approche moderne (ou post-moderne) de l'art cinématographique via le réinvestissement d'une forme ancienne. La maigreur du propos et la faiblesse des moyens cinématographiques mis en œuvre sont peut-être un dommage collatéral de la vraisemblable humilité de l'auteur. Car il faut dire que la modestie dont ce dernier fait preuve dans son approche de l'histoire du cinéma le sauve. Voulant rendre hommage aux films du répertoire sans tomber dans la bouffonnerie grindhouse, Hazanavicius fait preuve d'une élégante sobriété sans laquelle on aurait largement pu taxer son film de stricte arnaque intellectuelle, et cette simplicité nous change pas mal de la tendance actuelle.

Bérénice Béjo : "Who's that girl ? That's the question on nobody's lips."

Le jeu des acteurs est lui aussi dans un entre-deux un peu bancal : nécessairement plus expressifs que dans un film "normal", rien ne se passe vraiment quand on les regarde, et on imagine très bien le même jeu d'acteur dans un film basique (on a déjà vu Dujardin mille fois plus cabotin qu'ici, du reste l'acteur se contente de rejouer ce qu'on l'a déjà vu jouer mille fois et que les Américains découvrent avec enthousiasme). Le nouveau Dieu des planches affirme en interview et avec entrain que ce film lui a permis de comprendre à quel point le langage du corps est important dans son métier. C'est bien de le découvrir maintenant. En ce qui nous concerne, nous n'avons rien appris que Chaplin, Lloyd ou Keaton ne nous avaient déjà prouvé il y a des lustres, et nous n'avons pas non plus découvert qu'un film doit se regarder et s'écouter avant d'être lu comme un simple scénario. A l'ouest que dalle de nouveau. L'exercice paraît d'autant plus vain que Dujardin, malgré ses douze récompenses dont un prix d'interprétation à Cannes et un Oscar du meilleur acteur à Hollywood, et malgré son imitation du chameau sur les plateaux américains, ne révolutionne pas franchement l'acting. De même, Hazanavicius n'utilise pas vraiment le muet pour mettre l'image toute-puissante sur un piédestal. En bref, l'exercice paraît bien vain, et s'il n'est pas médiocre pour autant on le trouvera rapidement lassant. Malgré les prouesses du dénommé Weinstein et de Miramax, qui à force de publicité et de bourrage de cranes avaient déjà fait sacrer Shakespeare in Love et d'autres films du même acabit, The Artist n'est certainement pas le meilleur film de l'année. On lui reconnaîtra le seul mérite d'être finalement moins misérable et plus original que la plupart des derniers lauréats de l'Oscar du meilleur film, et c'est déjà pas si mal.


The Artist de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin, Bérénice Béjo, John Goodman, Penelope Ann Miller, Malcom McDowell et James Cromwell (2011)