21 septembre 2012

Cherchez Hortense

On sort du nouveau Bonitzer et la logique voudrait donc qu'on donne notre avis sur le film en tant que blogueurs ciné, qu'on se place sur l'échiquier critique, qu'on prenne position en tant qu'anti ou que pro, alors on se lance, même si à la manière du cinéaste qui cherche Hortense on cherche de notre côté l'envie de l'épingler. Il faut déjà commencer par se limiter et par trier le grain de l'ivraie, car là on a envie de vous parler de ce moment où Kristin Scott Thomas invite Bacri à croquer dans un plateau d'huîtres "numéro 3", en précisant bien "numéro 3", de ces amphithéâtres hi-tech et vieillots à la fois où Bacri donne des cours en commençant toujours par : "La Chine, vous l'ignorez, ne voit pas le ciel comme nous autres occidentaux…" avant un cut salvateur pour lui, de ce personnage du beau-frère coiffeur maigrelet et très efféminé mais finalement sanguin comme le pire des ultras olympiens (supporters de l'OM pour les béotiens) déçu après un centre-tir de Gignac en direction de Mandada, qui massacre Bacri d'un uppercut travaillé à l'entraînement entre deux permanentes posées sur des vieillardes. Mais tous ces détails qui nous reviennent parce que le film est encore frais ne sont pas forcément bons à retenir et d'ailleurs ils ne diront rien à ceux qui n'ont pas encore vu le film (99,99999998% de la population mondiale, chiffre à relativiser étant donné qu'Avatar reste un film inconnu pour disons 94,999999998% de la même population humaine sur Terre) et qui en prennent déjà plein la gueule.




De telles statistiques n'ont jamais eu cours et n'ont certainement jamais été rapportées dans aucune critique de film depuis circa 1890, il nous faut donc changer de paragraphe après ça. Ce film est donc signé Pascal Bonitzer. Cet homme est une encyclopédie du cinéma, un critique émérite et un théoricien respecté par ses pairs, cité à tours de bras dans les études les plus sérieuses à travers le monde. Il est en effet l'auteur d'un livre intitulé Le Champ aveugle qui a fait date et qui est actuellement posé sous mon macbook pro pour que la ventilation fonctionne à plein. Un vrai bouquin de chevet. Quand on voit les films de Bonitzer, y compris le spectateur totalement ignorant du travail de recherche de notre ami, on ne peut s'empêcher de penser que le cinéma est un passe-temps pour lui, une petite fantaisie, un side-project. On sent bien qu'il se fait plaisir avant tout en invitant ses amis, et Bonitzer dispose d'un beau carnet d'adresse allant de Jackie Berroyer à Benoît Jacquot (qui fait un caméo dans le film, sa famille le reconnaîtra) en passant par Agathe Bonitzer, la propre fille du cinéaste, sans oublier pour le coup Jean-Pierre Bacri et Kristin Scott Thomas.




A propos de ces deux acteurs, on peut dire que Bacri porte le film sur ses épaules et fait passer la pilule. Bien que rasé à la hache et d'un teint plus gris que jamais, l'acteur est là, il a toujours ses petites facéties qui font mouche et sait faire aimer son personnage, ce dont le film avait bien besoin vu qu'il le marque à la culotte, et Dieu sait que c'est pas Indiana Jones, ses aventures se déployant entre le Palais Royal, un resto japonais et son appartement dans un triangle des Bermudes ma foi assez monotone. Quant à Kristin Scott Thomas, qui commence à empiler les films comme on remplit un casier judiciaire, elle passe sous nos yeux comme une vague connaissance ou comme une vieille cousine qu'on recroise de temps en temps sans plaisir. Sa voix, son physique atypique, son phrasé, son parler (en fait ça tourne surtout autour de sa voix), son allure, son âge indécidable (mais au-delà des soixante ans), son élocution, son accent, sa diction, bref tout ça nous frappe de plein fouet dès qu'on la retrouve d'un film à l'autre, et des personnages meurent sous la présence de l'actrice que l'Angleterre nous a envoyée en représailles de la guerre de cent ans. Petit message à tous les vieux papas qui nous lisent (en général cette actrice est l'idole de nos vieux paternels) : ce n'est pas parce que cette femme est bien conservée qu'il faut la conserver davantage.




A part ça que dire de ce film (dont on sent bien que quand il a été question de lui trouver un titre Bonitzer s'est retrouvé face à un pur casse-tête chinois) ? Pour en finir avec le casting il se compose aussi d'Isabelle Carré, avec laquelle Bacri est bien décidé à créer un couple légendaire de cinéma (ils ont déjà tourné ensemble dans Les Sentiments), mais il n'est pas prêt d'y parvenir avec de tels scénarios ; et puis Claude Rich qui s'amuse semble-t-il assez dans son rôle de mauvais père à moitié homo, bien qu'on préfère le voir s'amuser chez Resnais dans le rôle par exemple de vieillards ou de vieillardes en pleine bourre. Tous ces acteurs font ce qu'ils peuvent dans cette comédie dramatique brouillonne et rarement inspirée dont la part de critique sociale est aussi poussive qu'inoffensive. Le fil de l'intrigue tourne en effet autour d'une jeune immigrée sans papiers dont le sort est suspendu à la communication quasi impossible entre Bacri et son père. Bonitzer a au moins ceci de cohérent qu'il s'engage contre l'expulsion des sans-papiers en signant un film sans identité. On a quelque mal à se passionner pour cette quête, autant d'ailleurs que pour les difficultés du couple que forment Bacri et Scott Thomas, et autant que vous sans doute pour ce paragraphe. Pourtant, sans prétention aucune, et je crois que même Bonitzer avec son regard acéré de critique conscient de ce qu'il fait serait d'accord, cet article a déjà quasiment plus d'arguments que le film, voire plus d'idées, et en tant que pur objet formel, peut-être plus d'allure et d'ambition.


Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer avec Jean-Pierre Bacri, Kristin Scott Thomas, Isabelle Carré, Claude Rich, Benoît Jacquot, Jackie Berroyer et Agathe Bonitzer (2012)