23 octobre 2014

La Terre de la folie

Je venais de lire un recueil de critiques de Luc Moullet, l'excellent Piges choisies (de Griffith à Elroy), édité chez Capricci et accompagné du livre d'entretiens Notre alpin quotidien, quand j'ai vu ce film au cinéma il y a déjà quatre ans. Il me faudrait le revoir pour trancher car je garde une vraie sympathie pour ce film tout en ne sachant pas s'il la mérite vraiment ou si c'est celle de son auteur qui rejaillit sur lui. Car Luc Moullet est un personnage éminemment sympathique, et ce film, qui est un vrai documentaire, lui ressemble en cela qu'il est impérieusement sérieux et néanmoins comique. Notre homme est un pince sans rire notoire (dans ses écrits comme dans ses films, rappelons-nous par exemple de son excellent court-métrage Foix, mockumentaire affûté sur une ville immonde).




La Terre de la folie est lui aussi un presque mockumentaire (pour ceux qui l'ignorent : "mockery" + "documentary" = mockumentary), alors que ça n'est pas du tout un rockumentaire (pas de bande originale dans le film, sauf un morceau de 13 secondes), ce n'est pas à proprement parler un faux-cumentaire (documentaire de type hypocrite), ni un documenteur (faux-reportage, qui peut se coupler de mockumentaire pour donner un mockumenteur, un faux documentaire moqueur). Ce n'est pas non plus un tractumentaire (films qui ont une portée documentaire sur un ou plusieurs engins de type tracteur, ou dont le script focalise en grande partie sur des tractopelles de tous modèles, genre cinématographique que David Lynch a inventé et enterré avec Une Histoire vraie), ce n'est pas davantage un trocumentaire (documentaire sur les trocantes et brocantes, et par extension sur tous les échanges commerciaux répondants aux critères du troc, catégorie trainée dans la boue par Victor Lanoux pendant des années dans Louis la brocante), pas non plus un phockumentaire ("phockery" + "documentary" = phockumentaire, document sur la vie des phoques, une spécialité de YAB, Yann Arthus-Bertrand), encore moins un orcumentaire (le doc sur les orques, dernier exemple en date, le traumatisant Blackfish), ni un tocumentaire (sur les différents types de tocs dont souffrent différents types de tocards, sujet favori des charognards de la télé-réalité, de feu Jean-Luc Delarue aux actuels Tellement vrai et autres ersatz de la télé-poubelle actuelle). Enfin ce n'est pas non plus un filmumentaire (à la fois film de fiction et making-of, genre très rare mais très prisé par Danièle Thompson et qui consiste en un film de fiction, interprété par des acteurs, mais qui laisse parfois entrevoir les moyens de production, allant du fauteuil du dirlo photo visible dans le champ à la tignasse de la réalisatrice couvrant la moitié de l'objectif, en passant par le micro qui tutoie les comédiens ou fait du djembé sur le sommet de leurs crânes, chauves de préférence, cf. Le Code a changé, un filmumartyr de première).




Bref, le film de Moullet est juste un documentaire teinté d'humour, et c'est déjà pas mal. Le pentagone tracé grâce à des punaises reliées par des élastoques que vous voyez sur l'affiche désigne une certaine aire dans le sud-est de la France que Luc Moullet désigne preuves à l'appui comme "Terre de la folie". C'est une région dans les Alpes de Haute-Provence notoirement sujette aux crimes de folie, impulsifs, sans mobile et sauvages de préférence. Les raisons de ces assassinats incompris, parfois irrésolus, sont probablement nombreuses mais demeurent hypothétiques. Moullet mène l'enquête et propose des pistes de réponses, qui vont du paysage noir des Tourbières au vent qui rend fou, en passant par l'isolation des maisons et des villages où "personne ne vous entend crier", façon Alien, le huitième passager. Mais au vu du QI moyen dans la région, qui vole en rase-mottes, on pense plutôt à un cross-over américano-franco-belge des films de Ridley Scott et de Jaco Van Dormael : Alien, le huitième jour. Et Moullet déroule cet éventail des possibles dans une enquête scrupuleuse, souvent drolatique, d'un humour noir sympathique, peut-être simplement deux fois trop longue pour nous tenir en haleine tout du long. J'ai quand même été amusé de constater que pile au centre dudit pentagone se trouve le village de mon enfance, et il est rare que l'auteur d'une critique - actuellement face aux flics et spot dans la gueule - se trouve incarner l'astuce aux énigmes criminelles posées par le film... Petit conseil, pour finir : faites-moi pas trop chier.


La Terre de la folie de Luc Moullet avec Luc Moullet (2010)

16 commentaires:

  1. Voici là un petit dictionnaire bien utile et très éclairant !

    Assez intrigué par son court-documétrage (j'ai bon ?) sur la ville de Foix, qui ne me semblait pas si immonde que ça et dont j'ai déjà visité plus d'une fois le château (dans un cadre scolaire).

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    1. Tu peux le regarder ici : http://www.dailymotion.com/video/xt5vxl_foix_shortfilms

      C'est un court-mockumétrage pour être plus précis. Qui se moque gentiment de la laideur de la ville de Foix, de son ambiance morbide et de toutes ses aberrations architecturales, entre autres.

      Mais je ne crois pas qu'il y soit question du McDo rustique vanté par l'anonyme ci-dessous. Peut-être n'existait-il pas en 1994 ?

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    2. Je viens de le regarder, il est terrible ce petit mockumentaire !! :D

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  2. Oui Foix n'est pas si immonde que ça. C'est mortifère et ça fout les glandes mais c'est pas immonde. En plus il y a à Foix le meilleur McDo de tout le sud-ouest avec décor à la canadienne et ambiance de vieux bistrot avec vieux qui lisent le journal et vieille qui font du tricot. Un exemple d'intégration poussé à l'extrême et que je vous invite un jour à aller visiter.

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  3. Fameux articlumentaire, le gratin de ce blogumentaire satirique !

    Bizarrement ça m'a donné envie de voir ce filmotary.

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  4. Ma préférence en termes de mentaires va aux rockumenteurs (comme "The last waltz" de Scorsese). J'ai vraiment en horreur les scriptumentaires où l'on voit à l'écran une feuille de papier en gros plan sur laquelle une main écrit. Et je me fiche des phockumentaires, car YAB : Yien à Branler !

    De Moullet j'ai vu son petit court sur Imphy, qui n'était pas mal (en ligne), et son film des années 60 sur les relations sexuelles, là, dont le nom m'échappe, et qui n'était pas mal. C'est pas mal, Moullet !

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    1. "Anatomie d'un rapport" ? J'aimerais bien voir "Une aventure de Billy le kid", avec Jean-Pierre Léaud dans le rôle titre. Je n'en ai pas parlé mais le premier film de Moullet, "Brigitte et Brigitte", un peu sur le modèle de "Tous les garçons s'appellent Patrick" de Godard, avec un casting hallucinant sur le papelard (Claude Chabrol, Claude Melki, Samuel Fuller, Eric Rohmer, André Téchiné et Moullet lui-même), était très chouette aussi.

      En fait de rockumenteurs, "This is Spinal Tap" est sans doute la référence du genre.

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    2. Oui c'est ça ! Anatomie d'un rapport :)

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  5. Doc Commentaire23 octobre, 2014 19:55

    Article géant :D

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  6. T'as pas parlé des cockumentaires, genre pourtant assez prisé de votre "tandem", m'a soufflé Job... (to blow job, en anglais)

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  7. Il y a aussi les trocumentaires (documentaires tellement faibles qu'on les échange rapidement), et les brocumentaires (ceux qu'on trouve à la brocante, qui se transforment souvent en trocumentaires). Ou encore les grockumentaires et les MPokorumentaires (consacrés respectivement au clown Grock et à M Pokora, aux vertus hilarantes reconnues).

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  8. ... Et j'oubliais : en matière de rockumenteur, 'The Rutles : All You Need Is Cash' se pose là également.

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  9. Rémi, tu auras remarqué que ma définition du trocumentaire diffère de la tienne. Mais c'est moi qui ai raison !

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  10. Albert (le 5ème mousqueton)14 novembre, 2014 23:18

    Je suis fan de son docu sur Foix, je le recommande à tous ceux qui connaissent un brin la ville (et pas que !).

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  11. Hamsterjovial > Ton "grockumentaire" devrait donner des idées de "groscumentaire" aux fans de Kim Kardashian.

    Albert > Tu m'étonnes !

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