
Au sommet de son art, le charisme au beau fixe, James Caan réussit parfaitement à donner vie à toute l’ambiguïté de ce personnage, lui qui à l'époque luttait en réalité contre son addiction à la drogue. Je l'ai rarement vu aussi bon. Il arrive également à être très crédible en prof de littérature, les scènes où nous le voyons donner des cours magistraux à un par-terre d'étudiants conquis sont très réussies. Karel Reisz parvient alors sans lourdeur, assez miraculeusement, à relier les œuvres analysées et les passages citées par professeur Caan aux thèmes et aux enjeux de son film, participant ainsi à l'illuminer intelligemment. On a aussi le plaisir de retrouver au casting la trop rare Lauren Hutton, que j'avais déjà vue et appréciée dans Someone's Watching Me, l'excellent téléfilm très hitchockien de John Carpenter. Cette actrice, qui a débuté sa carrière comme mannequin, a un visage atypique avec ses dents du bonheur et son très léger strabisme, mais elle montre de sacrées gambas et a une présence toujours agréable. On pourra aussi s'amuser de croiser James Woods, en employé de banque zélé qui, lors d'une très courte apparition, trouve le temps de se faire violemment secouer par James Caan (ce dernier l'étrangle d'une manière raffinée avec le cordon de son téléphone pour lui réclamer quelques sous, et cela s'avère diablement efficace... bon à savoir !).
Le film, très captivant, est donc particulièrement intéressant dans le superbe portrait qu'il nous offre de ce personnage autodestructeur et obnubilé par le goût du risque, attiré de toutes ses forces par le danger, la défaite, et totalement prisonnier d'un cercle vicieux dont la scène finale, aussi déconcertante que géniale, nous montre qu'il n'est pas prêt d'en sortir. Un joueur invétéré qui rejoint ceux, parfois tout aussi fascinants, interprétés par Steve McQueen (Le Kid de Cincinnati) et, surtout, Paul Newman (L'Arnaqueur). A noter que la musique, signée Jerry Fielding (le compositeur attitré de Sam Peckinpah), reprend des symphonies de Gustav Mahler pour un très bel effet et participe pleinement à la singularité du film. The Gambler fut donc pour moi une belle découverte, d'autant plus qu'a priori, le pitch ne me disait rien et je redoutais quelque chose ayant très mal vieilli. Il n'en est vraiment rien. The Gambler est à l'évidence un film plutôt mésestimé des années 70, à redécouvrir. De mon côté, je compte bien m'intéresser à d'autres œuvres de Karel Reisz, cinéaste britannique d'origine tchèque qui fut l'un des piliers du free cinema anglais des années 50-60.
Le Flambeur (The Gambler) de Karel Reisz avec James Caan, Lauren Hutton, Morris Carnovsky, Jacqueline Brookes et Paul Sorvino (1974)