3 août 2014

Un été 42

J'évoquai dans ces pages, il y a déjà presque deux ans, To Kill a Mockingbird, film de Robert Mulligan sorti en 1962 et dressant un portrait particulièrement précis et touchant de l'enfance, de son innocente cruauté, ses fabulations sans bornes et ses étonnantes prises de responsabilité. En 1971, le même cinéaste tournait Summer of 42, film cette fois-ci centré sur un portrait de l'adolescence et sur un moment charnière de cet âge, celui des premiers émois et de la première fois. Comme dans son chef-d’œuvre tourné presque dix ans plus tôt, Mulligan filme une petite troupe de jeunes gens réunis par les vacances estivales et tâchant de parer à l'oisiveté qui les caractérise, sauf qu'à la canicule alabamesque du film de 62 se substitue le grand air de l'île de Nantucket, au large du Massachussets, dans l'océan Atlantique, où Hermie (Gary Grimes), le héros du film, et ses amis Oscy et Benjie, passent leurs vacances avec leurs parents, dans une indifférence totale à la guerre qui fait rage dans le reste du monde. Si Gregory Peck, dans le rôle du fameux Atticus, partageait avec les petits Jem, Scout et Dill le haut de l'affiche de To Kill a Mockingbird, ici les parents des protagonistes n'ont pas droit de cité (c'est à peine si la mère d'Hermie se fait entendre en voix-off), de sorte que le récit se focalise complètement sur les rapports amicaux complexes entre les trois garçons et sur leurs fixations et questionnements bien naturels de jeunes adolescents.




Le film se consacre, pas seulement mais principalement, à la peinture des fantasmes universels des jeunes gens à l'égard des jeunes femmes plus âgées (fantasmes strictement amoureux d'abord, évidemment doublés de désirs sexuels à l'âge adolescent). On parle bien de fantasmes, car il est très rare que ces émois et autres désirs dépassent ce stade pour se réaliser, contrairement à ce que prétend l'affiche du film, qui affirme avec aplomb que "Tout le monde a son été 42". Si c'est vrai j'aimerais savoir (et je ne pense pas être le seul) si c'est seulement rétroactif... "Tout le monde a rêvé son été 42" serait plus juste, et le fantasme du déniaisement assouvi par une jeune femme plus expérimentée a d'ailleurs inspiré les auteurs depuis la nuit des temps, de Colette et son célèbre Blé en herbe, où deux amis amoureux de longue date, garçon et fille de 15 et 16 ans, sont temporairement déchirés quand le garçon découvre l'amour charnel auprès d'une dame en blanc plus âgée lors des rituelles vacances estivales, à Radiguet et son immense Diable au corps, dont le narrateur licencieux, âgé de 15 ans, s'éprend de Marthe, jeune femme de 18 ans fraîchement mariée à un soldat engagé dans la guerre des tranchées. Summer of 42 est plus ou moins un mélange de ces deux histoires, puisque c'est pendant les vacances d'été qu'Hermie tombe fou amoureux de Dorothy, la jeune épouse d'un soldat tout juste parti pour le front.




Le topos de l'adolescent(e) exaucé(e) amoureusement et sexuellement par un amant ou une maîtresse plus âgé(e) a également servi quelques films érotiques mémorables, du Malizia de Salvatore Samperi, avec l'inoubliable Laura Antonelli, au Private Lessons d'Alan Myerson, avec Sylvia Kristel, l'éternelle Emmanuelle, qui nous a quittés récemment. Ici c'est la sublime Jennifer O'Neill qui joue le rôle du rêve incarné, de l'idéal féminin, rêve et idéal qui contaminent dès les premières secondes ceux des spectateurs du film, et de tous âges. Je dois avouer que je suis personnellement épris de Jennifer O'Neill depuis la vision de Rio Lobo, ultime film du génial Howard Hawks, et il faut la voir ici, filmée par un Robert Mulligan manifestement épris lui aussi, envoûté à tout le moins. C'est en partie la simple vision de quelques photogrammes de miss O'Neill dans ce film qui m'a immédiatement convaincu de me jeter sur cet opus de la filmographie du bon Bob Mulligan. L'actrice est fréquemment baignée d'une lumière vaporeuse, "gélatineuse" faudrait-il dire, typique d'un certain cinéma américain des années 70 (on n'est ni dans le flou artistique assez grotesque du pédophile David Hamilton, ni dans les sublimes ambiances nimbées de pâleur mortuaire ou de flous mélancoliques de Vilmos Zsigmond dans un McCabe and Mrs Miller ; mais on peut penser à la photographie parfois chatoyante du Lauréat, éclairé par le même chef opérateur, Robert Surtees), avec ces couleurs pastels et ce halo vague autour des figures détachées sur un ciel bleu, atmosphère qui convient parfaitement à un souvenir d'enfance estival nécessairement embelli et qui sied à ravir au visage irréel de Jennifer O'Neill.




Mais après avoir filmé son actrice, d'une beauté hypnotique, avec amour et sous toutes les coutures, et dans des tenues étonnantes de surcroît, Robert Mulligan, qui n'a eu de cesse de créer des situations équivoques, de nous placer en bienheureux voyeurs au-dessus de l'épaule pas bien haute du personnage principal et de nous amuser de conversations idiotes entre les membres de la petite troupe d'amis, candides adolescents excités et impatients, s'interdit de tomber dans un érotisme idiot au moment où ce dernier devrait justement surgir. La scène cruciale, si attendue, n'est pas tant sensuelle que bouleversante, et le scénario justifie (d'une manière que je ne dévoilerai pas) qu'elle advienne, ce qui n'était pas donné, tout en lui conférant une dimension tragique et tendre tout à fait inattendue. Après ce tournant, on entend d'une façon toute neuve la phrase a priori banale prononcée en voix-off par le narrateur, qui n'est autre que Hermie adulte, à la fin du film (et Rob Reiner y a certainement pensé en tournant Stand by Me, narré en off par Richard Dreyfuss), quand il affirme avoir perdu une partie de lui-même cet été-là : il s'agit moins de sa virginité, de son ignorance ou même de son enfance, au sens clinique du terme, que de son innocence. Dans les bras de Dorothy, le héros étreint la tristesse la plus insondable qui soit et découvre l'amour, mais par procuration, bouleversement bien plus profond que prévu, pour lui-même comme pour le spectateur, qui n'en attendait pas tant.


Un été 42 de Robert Mulligan avec Gary Grimes, Jennifer O'Neill, Jerry Houser et Oliver Conant (1971)

49 commentaires:

  1. Ca me donne très envie de le voir, mais je m'inscris en faux contre cette soi-disant universalité de l'attirance des jeunes garçons pour des jeunes femmes plus âgées. Universalité mon cul ! :D

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    1. Y'en a qui préfèrent les Arjen Robben...

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  2. ... du "grand" Fulci... hon hon, mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre...
    D'abord, il doit mesurer à peine son mètre 67.
    Ensuite, ben, il fait de la série Z. Point barre.
    Pas la peine de se contorsionner les synapses et le snobisme occipital pour lui dénicher absolument et à tout prix du génie.
    Il est, tout au plus, et à la rigueur (les jours pairs des années bissextiles) , un peu rigolo.

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  3. Il faudra m'expliquer en quoi le "Mockingbird" est une "Nuit du chasseur" relue... sic.
    Quant à réunir "l'Autre" et L' été en Louisiane sur la même étagère mulliganienne, je trouve que c'est aller vite en besogne.
    Pour ma part, ma Jennifer O'Neill préférée est celle d' "Opérations clandestines" de B.Edwards. Juste après "Un été 42", bien sûr.
    Ah, et puisque vous évoquez Legrand et Bernstein... Admettez que chez Fulci, les musiques sont passablement idiotes.

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  4. On est bien d'accord. La musique n'entrave pas. pas plus qu'elle "ne trousse bien au demeurant" comme vous l'écriviez plus haut. Et parfois, pas de musique du tout est une fort bonne chose (cf la longue séquence de meurtre de "Torn Curtain").
    J'aime quant à moi énormément les "scores "de pas mal de Kurosawa ( Sanjuro, Yojimbo par exemple, et pour ne citer que ces deux-là).
    Quant à Lucio Fulci (Olivier Père ou pas, que croyez-vous que son opinion me fasse? Il n'est pas Dieu le Père!) , je persiste et signe : ses films sont ahurissants de sottise, des ramassis de clichés risibles mâtinés d'eau de rose horrifique. Il a dû être marqué par ses boulimies adolescentes de romans photos...
    Enfin, aimez ce que vous voulez, hein. On s'en tape.
    Mais il est grotesque, absurde, et snob, de vouloir absolument attribuer de la grandeur à un cinéaste bête et vulgaire qui torchonne et cachetonne.
    A moins que ce ne soit un vrai-faux accord tacite entre "grands cinéphiles", une pose pour sembler défendre une œuvre sophistiquée là où il n'y qu'un goût primaire pour un cinéaste primaire.
    Avalez de la bouse, on s'en fout, j'en avale aussi, c'est notre droit à tous, et tant mieux.
    Mais cessez de chanter sur de grands airs que Fulci est un petit producteur de caviar !

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  5. J'oubliais... Ah non, ne me servez surtout pas cette formule que je honnis : "les goûts et les couleurs, etc etc etc "!!!
    Pitié. Pitié.
    Il y a des choses meilleures que d'autres, des œuvres plus profondes que d'autres, des films plus riches que d'autres...
    Avec des phrases de ce genre, on enterre Hugo et Tolstoï et on panthéonise Marc Lévy. On oublie Chaplin et on pavoise (au hasard) Manu Payet. Ou on décrète Fulci l'égal de Murnau.

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  6. Qu'as-tu vu de Lucio Fulci, Lisa ?

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  7. @ Hello, Thaïti ( Thaïti...?!) Bob. Derrière ta question, je sens comme... je ne sais pas... une autre question, disons.
    Mais je vais te répondre, Thaïti (Thaïti??! t'es sûr?) Bob .
    De Fulcio Luci , j'ai vu "I Ladri", son premier et, sans doute son meilleur (entends: le plus regardable), ainsi que deux de ses spaghetti: Le Temps du massacre" et "les 4 de l'apocalypse" ( où le pauvre Michael J Pollard donne envie de pleurer tellement il essaie d'être drôle... ). J'avoue n'avoir vu que le début de ses zombies, trop dégueu. Vu aussi sa Masure près du cimetière, et le fameux "L' Emmurée vivante" qui passe dix fois par an sur FX. Et probablement d'autres que j'ai dû enterrer vivants sitôt après les avoir vus.
    J'ai vu "L'emmurée" à l'époque , j'étais ado, au cours de feu le Festival du Film fantastique de Robert Schlokoff , sans doute parmi les premières personnes à le découvrir.
    Jennifer O'Neill n' était pas là , mais Ciuffo Filci , oui. J'ai donc assisté à l'espèce de conf de presse du bonhomme qui valait son pesant de cacahuètes (c'est là qu'il a relaté son adolescence sous l'emprise de "fotoromanzi" et de "fumetti", et on ne s'en étonnera pas. Because ses scénarios volent quand même moins haut que les poules)
    Et, donc, je peux certifier aussi qu'il n'était pas grand en taille. Pour rester à hauteur de poules, je présume.
    L'année d'avant, Schlokoff nous avait amené Argento, et là, là, là c'était tout autre chose ! Fascination totale de la foule , moi y compris, pour ce type qui ressemblait à un Nosferatu sous substances .
    Des années-lumière de talent séparent leurs oeuvres, alors qu'un tas de critiques ahuris font tout pour les rapprocher.
    Voilà Thaïti. (Thaïti ??!! Vraiment ?) Bob.
    C'est bon ? Tu as tout ce que tu voulais savoir sur moi et Ficcio Suli ?

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  8. @Rémi : Hyper cool. Te fie pas aux points d'exclamation.

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  9. T'es rude avec Lucio, qui était un amour de mec en vrai. Un ange. Je garde un souvenir impérissable d'une aprèm de dingue passée avec lui à jouer au ping-pong. Sacré cuistot aussi. Vous révolteriez ses petit-enfants.

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  10. @Filipo : On ne parle pas de la même personne. Je parle du réalisateur et de ses films, le type qui balançait des trucs détestables au pauvre monde.
    Vous parlez de l'homme. Rien à voir.
    Mon unique allusion "personnelle" concerne sa taille (dont je me fiche bien, évidemment) . C'était une boutade, un simple clin d'œil au fait qu'on l'avait qualifié de "grand réalisateur" auparavant.
    Cétou.

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  11. C'est quoi que tu préfères d'Argento ? :)

    De Fulci, je n'ai quasiment rien vu. Je n'ai jamais été très attiré ni friand de ces films-là. Cela ne m'étonne pas que son statut agace. Mais j'avoue que je garde un souvenir ému des images finales de son Enfer de Zombies, avec les morts-vivants qui traversent le pont de Brooklyn et se dirigent lentement vers la ville.

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  12. Sauf erreur Fulci a aussi dirigé un film avec Laura Antonelli en bonne sœur peu farouche, voile sur la tête et nibes à l'air. Un film bien peu mémorable d'ailleurs.

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  13. Remi : Tu es sûr que tu confonds pas avec le sketch de "Sesso mato" ("Sexe fou") de Dino RIsi ? Où un type (Giancarlo Gianini) est un donneur de sperme qui fantasme sur la bonne sœur qui vient de l'accueillir dans l'hôpital où ça se passe...?

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  14. Non je pensais à "Obsédé malgré lui" de Lucio Fulci, avec le casting de "Ma femme est un violon", c'est-à-dire Lando Buzzanca et Laura. Il me semble que dans "Sexe fou" (pas mémorable non plus d'ailleurs), elle apparaît en nonne dans des sortes de visions fantasmatiques un peu floues, faisant des génuflexions dans sa tenue de bonne sœur et arborant une culotte en touffes de coton du meilleur effet, dans le Fulci, sauf défaut de mémoire, elle apparaît aussi en bonne sœur mais avec tout un système de cordage autour des seins, rôle moins catholique donc, et je crois me souvenir d'une scène où Lando lui fout des baffes dans son lit, mais c'est loin...

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  15. Ah, meuh non meuh non... Pas d'accord avec ta phrase "Sexe fou, pas mémorable non plus". Les sketches sont inégaux, ok, mais au moins trois (voire quatre) d'entre eux sont vraiment plutôt réussis (ceux notamment avec ce fond de mélancolie typique de Risi).
    Mais je te concède que ce sketch de la nonne de Sesso mato n'est pas le meilleur du lot, c'est vrai.


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  16. Mouais... Je l'ai vu deux fois je crois et mouais.

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  17. Quoi ? Que lis-je ? Le grand Fulcio Luci emboué par Little Big Mitch ? On aura tout lu !
    Bon bah c'est vrai qu'on lui soumettait pas systématiquement des scénarii de derrière les fagots mais que veux-tu, un scribouillard comme Dardano Sachetti (lequel affiche une ressemblance frappante avec Abraracourcix) ne s'est probablement jamais fait les dents sur les collines de Ramatuelle, lui ..! Quant à Cullio Lufci, il ne s'est, Dieu merci, jamais pris au sérieux comme l'aut' Argentoyollah, là. C'est un bon artisan, capable de te distiller une chouette ambiance et de te fournir du cracra à gogo avec trois fois rien. Ce qu'il te file en rab, Argentino, c'est de la poudre aux yeux. Pas pour rien qu'on l'a souvent affublé du sobriquet de "maître de l'esbroufe". J'aimais bien ses films vers 12-14 ans, c'est vrai. Mais pour en avoir revu plusieurs récemment (Suspiria entre autres, qui porte très bien son nom), j'en suis bougrement reviendu. C'est chiant comme peu de chiasses et péteux comme pas deux. Un peu d'horreur soft par-ci, un peu de sous-hitchcockerie faisandée par-là, le tout à un rythme gastéropoïdal parce qu'il faut que ça ait un cachet "arty". Insupportable.
    Et me parle pas des acteurs et des intrigues derrière, qui volent aussi haut qu'une lentille d'eau.

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  18. Lisa Fremont Brenner16 août, 2014 03:29

    C'était quoi, ton pseudo d'avant, Blondin Boulon ? Me rappelle plus...
    Comme on a déjà causé d'Argento et de tes spaghettini ailleurs, là, j'ai plus la force...
    Et pis c'est la vacance, hein.

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  19. C'est curieux, perso j'étais le fan number one d'Argento vers 6-8 ans puis ça a décliné et j'ai eu une période Fulci vers mon dixième anniversaire, au grand dam de mes parents, impuissants. Quand je me suis mis à largement préférer le porno, vers 11-12 ans, ils étaient drôlement rassurés. ^^

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  20. Boulantino Boulantini16 août, 2014 12:05

    J'ai moi-même un blanc sur comment que j'm'appelais en ces contrées, Monfré. Honest.
    Des fois, mes trous de mémoires sont aussi massifs que le skating à mouches frontal de ton Dario Bolognino.

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  21. ... ou que les miens (de trous de mémoire) aussi massifs que les massifs de la transalpinie.

    Forget it, Jake.... Comme en plus, t 'y peinturlures chaque fois moult vil(la)es (fiori)tures, sur le blaze en question, on s'y perd.

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  22. @ Jack 16 août 2014 11:05
    http://a406.idata.over-blog.com/600x324/3/01/25/75/1-1-1111-1-1-A-AAA-60/MOMENT-LEE.jpg

    Pas une petite période Jess Franco, au passage ?

    (En voilà un autre qu'on a trouvé le moyen de quasi panthéoniser ces dernières années, avec hommage à la Cinémathèque, etc. L'éclectisme a bon dos. Il y a déjà un quart de siècle, Daney (désolé, encore lui !) avait résumé parfaitement la chose, disant en substance : « On ne va pas faire comme si Tartempionuchi, c'est aussi bien que Mizoguchi. » Mais il faut bien alimenter l'appétit sans trêve de la machine à légitimer culturellement.)

    Quant à Robert Mulligan, il avait quand même parfois tendance à refaire en moins bien ce que d'autres avaient superbement réussi avant lui. 'Daisy Clover' est un ersatz de 'Une étoile est née' qui pâtit considérablement de la comparaison (il faut dire que pour se mettre à sa hauteur, il faut se lever tôt, et ce n'est sûrement pas 'The Artist' qui l'a démenti) ; et dans 'Du silence et des ombres' (beau titre français de 'To Kill a Mockingbird'), en dehors même de l'éventuel (et tout de même écrasant) souvenir de 'La Nuit du chasseur', la scène du lynchage évité ne peut que souffrir de l'inévitable comparaison avec celle, très proche mais en tous points plus belle, de 'Vers sa destinée', que John Ford avait réalisé presque vingt-cinq ans auparavant.

    No hard feeling, Rémi, si je me permets de dire que 'Un été 42' est une preuve supplémentaire qu'un assemblage de grandes beautés (Jennifer O'Neill, la musique de Michel Legrand, une histoire touchante) peut n'aboutir qu'à de la joliesse, très littéralement à l'image de celle de Robert Surtees ? Je mentirais en disant que lorsque je l'ai vu je n'ai pas éprouvé, du fait des beautés en question, un petit châtouillis du côté du cœur. Mais il fut vite oublié : rien à voir avec les larmes suscitées par exemple par 'Une étoile est née', puisque je viens de l'évoquer, lesquelles occupent définitivement un bout de mon territoire émotionnel. Comme quoi, pour aller contre l'irritante phrase que les abrutis vous ressortent à la première occasion, « il est aussi difficile de faire pleurer que de faire rire », si tant est qu'on parle de pleurs irrépressibles et non de chougnerie facile, de rire homérique et non de ricanement pour petits malins.

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  23. No hard feeling. On m'a reproché de hisser le premier Newman à la cheville de Cassavetes (ou plutôt de ne pas le faire plus franchement !), mais je ne crois pas avoir comparé ce Mulligan à quelque chef-d’œuvre du 7ème art que ce soit. "Joli" plutôt que "beau", "chougnerie" plutôt que "pleurs irrépressibles", certainement, loin de moi l'idée de placer ce film au plus haut, je le considère simplement comme un bien bon film que sa fin rend soudainement, et sans préavis, très touchant, voire, en ce qui me concerne, assez mémorable.

    Quant à faire de "To Kill a Mockingbird" un quasi-remake déguisé de "La Nuit du chasseur", j'avoue que je n'y comprends pas grand chose...

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  24. Moi pareil. Un remake ? Faut vraiment m'expliquer ça, comme je le demandais déjà dans un commentaire plus haut ( 7 août, 5:02) .
    Quant à ma scène de "lynchage évité" favorite (sic) , oui bien sûr, absolument, "Vers sa destinée"... Mais aussi celle de "Stars in my crown" .
    Et là, pour le coup, vu le sujet, le point de vue, etc, , on pourra dire que "Mockingbird" a quelques liens avec le film de Tourneur (ainsi que, tiens en passant, celui de Wellman , de la même veine: "Intruder in the dust").

    @Remi : Etre mal (ou incomplètement) compris, entendu, lu.... Une virgule, un point d'exclamation, et hop ! ça s'emballe... On se retrouve à défendre un film ou un livre, un peu plus, ou un peu moins, qu'on le voudrait.
    Comme s'ils étaient à notre panthéon alors qu'on les aime juste bien.
    Ou à sembler les détester d'un bloc alors qu'on y apprécie ceci ou cela...
    Eh wé. Cela arrive dans la vraie vie, de vive voix, avec ceux qu'on connaît bien. Alors avec des écrans, des pseudos, des inconnus... ( ça m'arrive tout le temps, t'as noté ? Un peu moins depuis que j'ai réduit la voilure en ponctuation, avoue que c'est con quand même).

    Tiens, pour rire, je lance un débat : on dit "no hard feelings" ou "no heart feelings" ? Apparemment, même les Anglo-Saxons ont des hésitations. Il existe un film dont le titre est "No heart feelings". Mais bon...

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  25. Tiens ça me rappelle le lynchage évité (en fait différé, et "déplacé" sur ce pauvre Marlon Brando) dans 'La Poursuite impitoyable' d'Arthur Penn.

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  26. "La poursuite impitoyable" a sûrement son remake déguisé dans "Comment je me suis disputé"...
    (Naaan, je blague, Hamster !)

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  27. Présenter 'Du silence et des ombres' comme un « remake » de 'La Nuit du chasseur' ne peut être qu'excessif. En revanche, je comprends qu'on puisse éventuellement y déceler des réminiscences du film de Laughton (le mélange « bled américain / atmosphère de conte suranné / peurs enfantines d'un frère et d'une sœur / scènes nocturnes », etc.), à moins que celles-ci ne doivent plutôt être mises sur le compte du livre dont le film de Mulligan est adapté ('La Nuit du chasseur' ayant eu une audience assez limitée à sa sortie). Une des différences d'importance entre les deux films réside d'ailleurs dans le fait que ce sont tous deux des adaptations de bestsellers, réalisés peu de temps après la parution de ceux-ci : cette origine littéraire pèse parfois assez lourdement sur le film de Mulligan, ce qui n'est nullement le cas de celui de Laughton, exemple parfait de transfiguration cinématographique d'un matériau d'origine livresque.


    @ Lisette : évidemment, 'Stars in my Crown', tu as raison — un film à thématiques fordiennes et de style tourneurien, pourrait-on dire. Ajoutons à la liste des scènes de lynchage évitées celle de 'The Sun Shines Bright', encore de Ford. Mais la scène « séminale », surtout quant à la honte des lyncheurs qui repartent penauds, me semble quand même être celle de 'Vers sa destinée'.

    « No hard feeling » / « No heart feeling » : à l'oreille, j'ai toujours cru que c'était la première option. Et au point de vue du sens également...

    Enfin, je suis d'autant moins irrité par le parallèle entre 'La Poursuite impitoyable' et 'Comment je me suis disputé' que : 1. je n'aime pas spécialement le film d'Artur Penn ; 2. je n'ai pas revu le film de Desplechin depuis sa sortie, et me soucie assez peu de le revoir ; 3. je t'avoue ne pas comprendre le possible parallèle (même ultra-fantaisiste) entre les deux films ; 4. je ne sais pas qui a parlé de « remake » de 'La Nuit du chasseur' à propos de 'To Kill a Mockingbird', mais ce n'est sûrement pas moi !


    @ Rémi : désolé d'avoir pu te paraître indélicat, l'expression « chougnerie facile » ne s'appliquait tout de même pas dans mon esprit à 'Un été 42', même si ma façon de tourner les choses a pu te le donner à penser.

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  28. @Hamster :
    Je n'ai pas vu le film de Desplechin, c'était une boutade, bien sûr, un lien (oui, oui, ultra -de chez Ultra- fantaisiste) sur le titre "Comment je me suis disputé " et le passage à tabac de Brando dans le film de Penn. Et pour souligner qu'il n'y avait pas de lien justement, pas plus qu'entre le Laughton et le Mulligan.

    Tu n'aimes pas "spécialement "la 'Poursuite impitoyable" ? Cela me paraît proprement incroyable. Je l'adore quant à moi, et très très spécialement.

    Non, en effet, ce n'est pas toi qui a dégainé le premier sur cette comparaison entre les films de Mulligan et de Laughton (comparaison qui me semble toujours ultra-fantaisiste elle aussi, en dépit de tes explications).
    Mille mercis en tout cas de m'avoir donné envie de revoir Young Mister Lincoln !
    J'y vais de ce pas.

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  29. De rien Lisette, tu y serais certainement revenue de toi-même ! (à 'Young Mister Lincoln') Quant à 'La Poursuite impitoyable'... oh, ma foi, je ne chercherai pas à expliquer mon peu de goût pour ce film, c'est le genre de différence de jugement qui est sans grande conséquence.

    Nuit d'insomnie : du coup, dans le sillage de notre conversation, suis allé (re)voir du Mulligan et du Fulci.

    De Mulligan, j'ai découvert 'Les Chaînes du sang' ('Bloodbrothers', 1978). Une distribution de rêve : Richard Gere dans un de ses premiers rôles importants, Paul Sorvino, Tony Lo Bianco, Lelia Goldoni, Marilu Henner, Kenneth McMillan, Danny Aiello (dans un de ses premiers —très — petits rôles)... Une pièce supplémentaire au déjà riche dossier « Naturalisme de la classe ouvrière dans le cinéma américain des années 70 », la même année que 'Voyage au bout de l'enfer" et 'Blue Collar', et après (entre autres) 'Le Clan des irréductibles' et 'Une femme sous influence' (Cassavetes et Paul Newman côte à côte, une fois de plus). Pas le meilleur (le côté « synthétique », inhérent au naturalisme, se fait péniblement sentir, surtout au début du film), pas le pire non plus (le film marque des points au fur et à mesure, sans jamais vraiment décoller pour autant de son artificialité initiale).

    Fulci : longtemps après m'être promis de ne jamais y revenir, je contreviens à cet engagement, finissant par me dire que, qui sait, j'y avais peut-être loupé quelque chose. Mais non, décidément, c'est pathétique, risible, cynique, minable, faible et laid au-delà du dicible. Et qu'on n'aille pas me dire que c'est précisément dans cet « au-delà » (en avançant que c'est le titre d'un film de Fulci) que résiderait la force de ce cinéma : ce type d'argument spécieux, on me l'a trop servi, ça ne prend plus.

    J'enrage un peu contre les actuels encenseurs de Fulci : non pas les amateurs « lambda » (c'est leur affaire, je sais simplement que je n'aurais pas grand chose à partager avec eux), mais contre les professionnels de la cinéphilie (programmateurs, critiques et tutti quanti) qui contribuent à l'encensement en question. C'est vraiment le type de légitimation a posteriori, quand les objets cinématographiques du passé à recycler culturellement se font rares, qui incline à déconsidérer ces personnes soi disant « autorisées » : à les écouter, je comprendrais que des spectateurs non spécialisés se disent que décidément, la « cinéphilie », ça ne vaut pas tripette. Et je ne mets pas tout le même sac : pour prendre un cinéaste contemporain de Fulci, également versé dans le fantastique, j'ai eu un grand bonheur à découvrir dernièrement 'Les Vampires de Salem', la mini-série que Tobe Hooper réalisa en 1979 (avec, là aussi, une superbe distribution, composée d'acteurs plus ou moins célèbres mais qu'on pourrait presque tous rattacher à au moins un grand film de l'histoire du cinéma, des années 1930 à 1980 : James Mason, Lew Ayres, re-Kenneth McMillan, Geoffrey Lewis, George Dzundza, Marie Windsor, Elisha Cook Jr., Bonnie Bedelia et... David Soul dans le rôle principal — qui n'est malheureusement pas le meilleur de la troupe). D'une certaine façon, c'est 'Twin Peaks' dix ans avant 'Twin Peaks', en plus modeste et, peut-être, en plus véritablement troublant (même si j'aime assez 'Twin Peaks'). J'ai d'ailleurs eu une frayeur en constatant que le prochain film de Rob Zombie (l'équivalent navrant de Fulci pour les années 2000) s'intitule 'The Lords of Salem', mais fausse alerte : ce n'est pas une nouvelle adaption du 'Salem's Lot' de Stephen King dont Hooper avait tiré sa mini-série, mais un film inspiré de l'histoire des sorcières de Salem. Ouf.

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  30. Il faudra que j'y revienne aussi "Vers sa destinée", vu il y a presque une dizaine d'années, dans la foulée de "Je n'ai pas tué Lincoln" (The Prisoner of Shark Island), et évidemment adoré.

    J'aime plutôt bien "La poursuite impitoyable", et me suis lancé dans un autre Arthur Penn hier soir, "Missouri Breaks", un bon film, avec un Jack Nicholson tout en barbe absolument superbe et un Marlon Brando tout en rage de dent dans le rôle d'un pur tueur en série psychopathe paumé dans un western.

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  31. Tu donnes rudement envie de découvrir Les Vampires de Salem de Tobe Hooper !

    Quant à Rob Zombie, son Lords of Salem est sorti depuis quelques temps déjà et il a même réussi à décevoir certains de ses plus ardents défenseurs. Pour ma part je l'ai trouvé sans intérêt mais un peu plus digne et un peu moins laid que des choses comme The Devil's Rejetcs ou son remake d'Halloween.

    Ça m'intéresse que tu parles du Bloodbrothers de Mulligan car j'apprécie assez le livre de Richard Price dont il est l'adaptation. Mais ce que tu en dis semble rejoindre la réputation fort discrète du film et ça ne me motive pas davantage à m'y risquer.

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  32. Idem pour "Les vampires de Salem", même si la comparaison avec "Twin Peaks" m'inquiète assez, n'étant pas fan de cette série pour un sou. Mais si tu dis que c'est bien mieux, pourquoi pas !

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  33. @ Félix : me voilà pris en flagrant délit de méconnaissance du calendrier récent du sieur Zombie... Pourquoi ne m'en sens-je pas plus coupable ? :)

    Je m'en voudrais de te dissuader de risquer un œil à ces 'Liens du sang'. Même s'il ne m'a pas enthousiasmé (j'y retrouve le côté « bon élève appliqué », à mes yeux, de Mulligan), c'est un film honnête et parfois émouvant, dont je comprendrais qu'il suscite plus d'intérêt chez d'autres que chez moi...


    @ Rémi : comparaison n'étant pas raison, ne t'arrête pas trop à celle que j'ai faite entre 'Les Vampires de Salem' et 'Twin Peaks' (dont, bien que je ne sois pas un grand lynchien devant l'éternel, j'aime bien les premiers épisodes, avant que ça ne s'affaiblisse à vue). Je recommande d'autant plus cette mini-série signée Tobe Hooper qu'elle est assez largement ignorée, et facilement dédaignable : sa modestie apparente passera, à des yeux distraits, pour un manque d'inspiration. Elle présente certes quelques défauts évidents (la musique est du sous-Bernard Herrmann — mais ça marche quand même —, David Soul est parfois faible, la toute fin est un peu ratée), mais ce n'est rien au regard de ses vertus, lesquelles tiennent en partie au mélange de télévision ordinaire et de moments horrifiques d'une grande qualité expressive, qui parviennent à réinventer des situations types du récit vampirique (par exemple, la façon inoubllable dont les vampires tentent de pénétrer dans les foyers). Le rythme de la mini-série (ni les soixante-dix minutes et quelques de la série B, ni les jours entiers de la série télévisée à part entière) contribue au charme indéniable d'une temporalité à la fois nonchalante et souveraine, tout à fait en accord avec l'inscription villageoise du récit. Il y aurait beaucoup d'autres qualités à énumérer, j'en citerai une dernière : James Mason, dont les derniers emplois furent parfois un peu faibles au regard de ceux qu'il eut entre 1945 et 1965, est ici saisissant, et très inquiétant dans un rôle « à la Renfield » (dans 'Dracula').

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  34. Je pardonnerai d'autant plus facilement ses errements à David Soul qu'ils me rappelleront sa prestation, également incertaine, dans une autre mini-série, "Le secret du Sahara" (avec une sublime Andie MacDowell, mais aussi Michael York et Ben Kingsley, et avec une bande originale gigantesque signée Ennio Morricone), que j'ai regardée des milliers de fois étant enfant et qui est tout particulièrement chère à mon cœur.

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  35. J'ai encore des trucs à découvrir de oit...

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  36. C'est comme ça qu'on maintient la flamme. Garder des secrets, surprendre régulièrement, en avoir sous le pied (et on s'y connaît, toi et moi, de diverses façons, en arpions).

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  37. Les gars, vos confidences publiques sont touchantes. Si si, j'en ai la larme à l'œil... :D

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  38. Dans mes bras, Hamster !
    Concernant le sieur Fulio Luci, tu as dit tout ce qu'il fallait, tellement mieux que je ne l'ai dit et, surtout, tellement plus calmement ! Je note même que tu as pu rajouter "cynique" à la flopée d'épithètes qui ont plu sur la tête du monsieur, et j'approuve vigoureusement.
    Toutefois... Toutefois...
    Concernant le sieur Mulligan, il me semble que tu es très, trop, sévère. Et je te retourne ce que tu dis concernant le sieur Tobe Hooper : "et sa modestie apparente passera, aux yeux distraits, pour un manque d'inspiration"... Je trouve que ça lui va, à lui aussi, comme un gant !
    J'ai dit.

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  39. Oh, des adjectifs à propos de Fulci, il m'en est venu encore bien d'autres, après coup !

    Quant à l'argument de la modestie, je me disais bien en l'écrivant qu'il pouvait se retourner contre le jugement plutôt tiède que je porte sur Mulligan. La faute à la paresse que j'ai eue d'être un peu plus précis...

    Ceci étant dit, pour revenir sur ce que tu disais à propos de Fulci dans le privé vs Fulci réalisateur, j'y souscris totalement, tout en ajoutant ceci qui me permet d'adoucir encore un peu plus mes propos sur Mulligan : quand je vois un film de ce dernier, je ne le trouve pas très passionnant cinématographiquement parlant, mais je me dis que ce devait être un très chic type, du fait de ce que j'en perçois dans la façon qu'il a de tresser sons et images (et pas seulement à cause de séquences idéologiquement marquées telles que le procès du noir injustement accusé dans 'Du silence et des ombres'). En revanche, quand je vois un film de Fulci, n'importe lequel, je me dis que c'était une ordure de la pure espèce, et pas seulement à la faveur de telle scène de charcuterie dérisoire : même lors d'un de ces instants censément tendres entre Catriona MacColl et son petit garçon dans 'La Maison près du cimetière'. Après, qu'importe que, dans le privé, il fût apparemment un bon papa gâteau ou un grand préparateur de spaghettis (je me demande, par ailleurs, si les remarques de Filipo à ce sujet ne relevaient pas de la blague pure et simple).

    Tout cela ressemble un peu au vieux débat théorique autour du « travelling de Kapo », à cette différence que Rivette et Daney évoquaient un « mec bien » (Pontecorvo) à qui il arrivait de pratiquer des effets dégueulasses, aux yeux d'une morale de cinéma hyper-exigeante. Avec Fulci (et jusqu'à, disons, Fede Alvarez), on est effectivement dans un au-delà décadent que les gens des Cahiers de l'époque n'auraient même pas condescendu à commenter d'une ligne (il faut voir comment les précurseurs de ce gendre d'immondice — les Mondo macabro, et autres du même acabit — étaient annihilés d'un revers de plume dans les notules subsidiaires des années 1960). La critique aussi s'est tarantinisée, c'est-à-dire : crétinisée. Ce qui serait moins grave si elle ne se cherchait constamment, pour justifier ce processus, des alibis esthétiques « au-delà du bien et du mal », qui ne sont en fait qu'adolescents — au mauvais sens du terme.

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  40. Entièrement d'accord avec ton dernier paragraphe. J'ai entendu des gens, très sérieux, dans des cadres très sérieux, s'extasier sur "l'art" de Rob Zombie (et sur ses scènes les plus faciles et les plus laides tant qu'à faire) en prétextant se placer "au-delà du bien et du mal", comme tu dis. J'ai rarement eu davantage envie d'être sourd.

    (Marrant, il se trouve des gens, aux Cahiers justement, actuellement, pour aduler Fulci...).

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  41. Alors que ce qui serait une preuve d'honnêteté et de lucidité, ce serait au contraire d'avouer que quelle que soit la largeur de leurs vues, l'immense majorité des commentateurs de cinéma (je m'inclus dans le lot) reste « en-deçà du bien et du mal », et que c'est depuis cette très humaine position qu'on peut éventuellement progresser vers l'inconnu, le terrifiant, et pourquoi pas vers le beau-parce-que-terrifiant. Au lieu de cela, beaucoup de ces commentateurs prennent désormais la pose de celui qui, cela va sans dire, a depuis longtemps dépassé les préjugés moraux du vulgum pecus. (Aux Cahiers comme ailleurs, mais c'est plus accablant aux Cahiers qu'ailleurs.) J'ai pu remarquer que ce genre d'adepte d'un nietzschéisme à la petite semaine était capable, dans certaines circonstances, de revenir au galop aux conventions morales les plus étriquées.

    Pour en rester au cinéma horrifique, un film comme 'Psychose' effectuait tout le parcours qui va de la condition humaine la plus banale jusqu'aux gouffres de la folie. Dans la plupart des films horrifiques contemporains, on vous balance d'emblée dans le gouffre, on bouche toute issue et on vous demande, de surcroît, de trouver ça bandant. Dès qu'un film déroge à ce principe de maximalisme systématique, cela peut redevenir un « bon film d'horreur » (même s'il finit par aller très loin dans l'horrifique). Mais ça devient rare, mon cher, ça devient rare...

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  42. @ Hamster
    D'accord itou. Damiano Damiani me fait le même effet, dans un autre genre. De ces types qui dénoncent censément la violence en te violentant le spectateur sans lui demander son avis.
    Bref. Tu cites souvent Daney. Je l'ai eu comme prof, deux années, à la fac. A part qu'il arrivait avec deux heures de retard (mais personne ne partait jamais ) sur 3 heures de cours, et qu'il s'emmitouflait dans deux mètres cinquante d'écharpe rayée, il était merveilleux à écouter. Avec des ponts de vue si percutants, toujours surprenants. Je me souviens d'une de ses arrivées ( flegmatiques, et tardives donc), ayant vu la veille Le Dents de la mer et nous lançant en préambule: "C'est bien toujours la guerre froide" . Et finalement, sur l'heure qui restait, il en disait plus long que des profs blablatant leur remplissage. Dans une toute autre catégorie (hasard pur), j'avais aussi Jean-Paul Török, excellent prof, cinéphile pointu, à la répartie uppercut... et réactionnaire de la plus belle eau. Ce grand écart permettait au moins la réflexion...

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  43. C'est drôle, j'ai toujours eu du mal à imaginer Daney en prof de fac, même atypique. Mais j'aurais adoré suivre ses cours, veinarde ! D'autant que si j'en crois mon expérience, les très bons enseignants de cinéma ne sont pas aussi rares que les très bons critiques de cinéma, mais ils sont tout de même loin de courir les couloirs des facultés...

    De Daney, après avoir un peu freiné de peur de verser dans l'idolâtrie, je suis en train d'écouter par le menu les différentes émissions de 'Microfilms', dont je ne connaissais jusqu'ici que quelques radio-rediffusions, ainsi que celles (peu nombreuses, et pas forcément les meilleures) qui ont été rééditées en CD. La dernière que j'ai entendue, c'est celle avec Michel Blanc : je ne nourris pas de passion particulière pour ce dernier, mais l'entretien en question (qui date de 1987) est captivant.

    Je sens que dans pas longtemps, les obsédés de « cohérence commentariale » (je ne parle évidemment, en l'occurence, ni de Félix ni de Rémi) vont nous reprocher de digresser outre mesure !

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  44. En effet, encore moins si c'est pour citer "La règle du jeu" sans en avoir l'air ou pour parler de Serge Daney (qu'entre parenthèses j'ai moi aussi assez de mal à imaginer à la fac ; Lisa tu es au-delà de la veinarde, sache-le).

    "Au lieu de cela, beaucoup de ces commentateurs prennent désormais la pose de celui qui, cela va sans dire, a depuis longtemps dépassé les préjugés moraux du vulgum pecus."

    Je ne te le fais pas dire, et on a eu droit à quelques spécimens bien piqués des vers ici même...

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  45. Vous savez quoi? A l'époque je ne m'en rendais même pas compte !

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  46. Eh oui, parfois on ne connaît pas son bonheur...

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  47. This conversation made me so sad i stopped filming and started recording music!

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