30 juin 2018

Sans un bruit

2020. La Terre a été envahie par des créatures aveugles aux dents acérées et aux oreilles particulièrement sensibles et dégueulasses. Le seul moyen de survivre : ne pas faire de bruit. C'est ce à quoi s'emploie une petite famille américaine qui essaie de vivre tant bien que mal au milieu de prédateurs guettant leurs moindres sons. Voici le pitch rabougri du troisième long métrage en tant que réalisateur (et acteur principal) de John Krasinski, qui s'essaie donc au film d'horreur, lui qui nous avait jusque-là habitué à un registre plus léger voire comique. On pouvait légitimement s'interroger sur la capacité de l'apprenti cinéaste à nous faire peur, et nous sommes malheureusement assez vite fixés. Si son film a rencontré un tel succès outre-Atlantique, c'est tout simplement parce que son "concept", pourtant très mal exploité, en fait sans doute un excellent accompagnement pour pop-corn. Sous ses airs de petite production modeste, A Quiet Place est un blockbuster mal déguisé, produit par Michael Bay, grand ami d'un Krasinski au melon impressionnant.




John Krasinski montre une nouvelle fois toutes ses limites à la réalisation, en enchaînant les jump scares (un comble pour un film qui fait mine de miser sur le silence !) et en échouant systématiquement à mettre en valeur ses deux ou trois avortons d'idées, même lorsque celles-ci auraient pu, visuellement, aboutir à quelque chose d'intéressant. Je pense par exemple à cette scène péniblement construite en montage alterné où l'un des gosses de la petite famille Blunt/Krasinski allume des feux d'artifice pour divertir des bestioles qui sont sur le point de ne faire qu'une bouchée de la maman. A l'image, ça ne donne strictement rien, et même pour les oreilles, ça n'apporte aucun plaisir, le fameux sifflement puis l'explosion du feu d'artifice passant à l'as et ne jouant guère de rôle pour entretenir le suspense. C'est étonnant. L'acteur-réalisateur s'avère incapable de créer quoi que ce soit par l'image, par la mise en scène, il n'arrive jamais à développer une ambiance singulière et tendue, dans un contexte post-apocalyptique archi rebattu à l'originalité nulle (A Quiet Place aurait toutefois fait un meilleur Cloverfield que Cloverfield Paradox, admettons-le !).




Entre les mains d'un vrai cinéaste, peut-être aurait-on pu kiffer. Mais il aurait également fallu revoir un scénario paresseux et lourdingue qui perd énormément de temps (alors que tout ça n'est pas bien long : 80 petites minutes avant le générique final, un produit malin et parfaitement calibré, je vous dis !) à tresser des lauriers au père de famille, héros parfait et irréprochable, interprété, je vous le donne en mille, par notre acteur-réalisateur aux chevilles décidément bien enflées. John Krasinski s'attribue une nouvelle fois le beau rôle, se filmant, barbu et imposant, le regard aux aguets, la mine inquiète, comme s'il était un grand héros de film d'action, capable de redoubler d'ingéniosité quand il le faut et enclin au sacrifice au moment fatidique pour sauver les siens, lors de l'instant le plus ridicule du film entier. Il fait de lui-même le père irréprochable et le mari idéal, aimant ses enfants, sa femme, consacrant tout son temps à les protéger, s'improvisant même oto-rhino afin de mettre au point un appareil auditif pour sa fille sourde, potassant pour cela des ouvrages scientifiques sur l'oreille humaine... Quel homme ! Emily Blunt, sa femme à la ville comme à l'écran, n'est là que pour servir la soupe ou mettre tout le monde en danger (quelle idée, aussi, de tomber enceinte dans un tel contexte, pour un accouchement sans un bruit forcément risqué...). Le film est également farci de grosses incohérences sur lesquelles nous passerions volontiers si l'ensemble était réellement agréable à suivre.




Alors que son pitch l'invitait à être silencieux, subtil et intelligent, A Quiet Place n'est que lourdeur, bêtise et vacarme. Tout est surligné au stabylo, à l'image de ce tableau blanc dans l'atelier de Mr Krasinski où celui-ci note au velleda, sur deux colonnes distinctes, ses grands mots d'ordres ("Survivre", "Ne pas faire de bruit"...) et des infos sur les aliens ("Aveugles", "Très méchants"), entourant trois fois le mot "weakness" ("point faible"). Car les aliens, comme tous les méchants de comic book ou autres trucs du même genre pensés pour les enfants, ont forcément UN point faible, et celui-ci s'avérera tellement débile que l'on se demande bien comment personne n'a pu le découvrir auparavant... Bref, tout est fait pour que l'on puisse tout piger même quand on a la tronche et les mains plongés dans le maïs soufflé et qu'on loupe la moitié des plans ou des dialogues miteux. On regarde tout ça mollement, vaguement tenu en haleine, en espérant que la flatulence incontrôlée d'un des gamins hideux rameute les monstres pour qu'ils ne fassent qu'une bouchée de cette famille dont on se fiche totalement. Ç’aurait été plus marrant, non ? Prière de péter en silence... Flageolets interdits ! Définitivement bon à rien, John Krasinski nous livre un film très creux et d'une pauvreté affligeante, que l'on aura vite fait d'oublier. 


Sans un bruit de John Krasinski avec John Krasinski et Emily Blunt (2018)

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