2 décembre 2022

Pearl

Exigeant envers Ti West, dont le grand potentiel est connu depuis des lustres, je n'avais pas été spécialement tendre avec X : la timide touche d'originalité apportée à un genre utlra balisé et l'élégance visuelle propre au cinéaste n'avaient pas suffit à pleinement m'enthousiasmer. Son préquel, Pearl, qu'il a réalisé dans la foulée, accompagné de son actrice Mia Goth également au scénario, m'a bien plus emballé et invite même à une certaine mansuétude envers le précédent film. Après avoir rendu hommage aux slashers des années 70 et 80, en particulier au chef-d'œuvre de Tobe Hooper, Massacre à la tronçonneuse, Ti West prend un biais plus original cette fois-ci puisque l'origin story de la principale psychopathe de X, la vieillarde à la libido frustrée, est une version complètement azimutée et dévergondée de comédies ou mélodrames champêtres de l'âge d'or du cinéma hollywoodien (Le Magicien d'Oz, notamment). 




L'action se déroule sur une paire de jours seulement, ceux-là même qui voient Pearl basculer définitivement dans la folie sanguinaire. Coincée dans le carcan familial auprès d'une mère autoritaire et dévote et d'un père très malade et dépendant, Pearl n'en peut plus de voir ses rêves de grandeurs et de liberté être systématiquement réprimés par son sinistre quotidien. Une banale sortie en ville et une rencontre avec le projectionniste va lui donner de nouvelles idées et lui insuffler une énergie qui ne pourra plus être réfrénée. Au diable l'attente d'un retour de plus en plus hypothétique de son jeune mari Howard, parti au front en Europe, Pearl veut vivre sa vie. Dans une ambiance bucolique et ensoleillée, pleine de couleurs vives et chatoyantes, au milieu des champs de maïs et sous le regard stupide des animaux de la ferme, Pearl bouillonne et nous restons toujours au plus près de cette drôle de protagoniste dont les déraillements successifs se font de plus en plus perturbants, sans retour possible à la normale. Nous sommes en 1918, toujours dans cette ferme du Texas, dans ces décors connus, rafraichis par rapport à X, ce qui participe au jeu ludique que Ti West engage avec le spectateur. Nous savons d'ailleurs très bien, au fond, ce que Pearl et l'absent Howard deviendront, quand bien même nous l'oublions un temps, happé par le récit.




Animé d'une espèce d'humour grinçant de bout en bout et traversé par quelques éclairs d'une violence brute, focalisé sur son personnage principal aux comportements imprévisibles mais que nous avons curieusement envie de voir s'épanouir, Pearl nous place dans une position insolite et parfois presque un peu malaisante. Ti West signe un film d'horreur très original qui, contrairement à l'écrasante majorité des productions actuelles, ne cherche pas les sensations immédiates. Le réalisateur recherche autre chose, vise une peur différente, provoque notre inconfort par des moyens à la fois simples et étonnants, toujours très malins. On sent également un plaisir communicatif pris dans l'enrichissement de cet univers par le cinéaste et son actrice vedette, qui ont fait cela avec beaucoup d'application et une complicité certaine qui transpire de chaque image.




Mia Goth est la grande attraction du film, qu'elle porte sur ses épaules du début à la fin, avec une énergie et une conviction rarement observées dans le genre ces dernières années. La folie de son rôle, qu'elle parvient à rendre crédible ou en tout cas redoutable, irrigue le film, dicte son tempo. Le terrible climax de Pearl est un long monologue filmé en plan fixe, très simplement cadré sur le visage de l'actrice, qui se confie à sa seule amie. Des confidences d'abord presque acceptables qui, évidemment, prennent une tournure de plus en plus dérangeante et insupportable. Quasiment dix minutes d'une intensité grandissante, qui nous scotchent littéralement à notre fauteuil, et l'on peut parier que c'est ce passage-là qui a secoué un Martin Scorsese totalement conquis. L'actrice ne tombe pas dans les travers habituels, ne fait pas dans la performance, mais impressionne réellement. Donner dans la performance, on pourra peut-être le lui reprocher, à la rigueur, lors de l'ultime plan du film : un douloureux sourire que Mia Goth tient durant tout le générique et finit par mêler à des larmes pleines d'une horrible fatalité. De longues minutes tout de même troublantes qui s'impriment sur nos rétines et concluent parfaitement un film assez remarquable, peut-être même le meilleur de son auteur. J'ai à présent hâte de découvrir, Maxxxine, le dernier volet de cette surprenante trilogie horrifique.


Pearl de Ti West avec Mia Goth, Tandi Wright, Emma Jenkins-Purro, Matthew Sunderland et David Corenswet (2022)

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